Etats-Unis: faillite bancaire #369

Le « Federal Deposit Insurance Corporation » (FDIC) a été créée par le Congrès des Etats-Unis en 1933 pour garantir les dépôts réalisés dans les banques américaines. Le FDIC fonctionne comme une compagnie d’assurance obligatoire financée par les cotisations des institutions assurées : lorsqu’une banque fait faillite, il rembourse les déposants.

Le 29 août 2008 (quelques jours avant la chute de Lehman Brothers), le FDIC annonçait la faillite de la Integrity Bank d’Alpharetta en Géorgie. C’est la 10ème banque assurée par le FDIC qui est mise en liquidation en 2008. A cette date, le FDIC assurait 8 451 banques.

Lors de la crise précédente – l’explosion de la « bulle internet » (2000-2004) – 24 banques avaient fait faillite dont 11 lors de la seule année 2002. Suit une période de calme en 2005 et en 2006, où le FDIC n’enregistre aucune faillite. La crise dite des « subprimes » commence à se faire ressentir en 2007 avec 3 mises en liquidation ; elle s’accélère en 2008 avec 25 sauvetages – dont la Integrity Bank en août ; en 2009, ce sont 140 banques qui partent en fumée et sont absorbées par leurs concurrentes avec l’aide du FDIC ; en 2010, 157 banques vont disparaître de la même manière [1].

Le 27 mai 2011, la First Heritage Bank de Snohomish dans l’état de Washington est la 44ème banque à faire faillite en 2011 [2]. Depuis 2007, ce sont donc 369 banques qui ont été mise en liquidation. Le FDIC n’assure désormais plus que 7 575 institutions, soit 876 de moins (10%) qu’au 29 août 2008.

La majorité des banques qui ont fait l’objet d’un sauvetage du FDIC sont des petites institutions locales qui sont à peu près aussi étrangères à Wall Street que peut l’être une caisse régionale du Crédit Agricole – l’actif total de la First Heritage Bank, par exemple, ne représente que 19 / 100 000 de celui de Goldman Sachs.

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[1] La liste complète depuis 2000.
[2] En rythme annuel, nous sommes sur une tendance de 107 banques mise en faillite cette année.

Il n’y a pas eu de « crise des subprimes »

Des politiques de soutien à l’accession à la propriété – principalement orchestrées par Fannie Mae et Freddie Mac –, la garantie implicite des dettes des banques par le gouvernement fédéral et une règlementation bancaire mal pensée ont transformé l’industrie financière et le marché immobilier étasunien en véritable baril de poudre [1]. Au fil des années, de nombreuses voix se sont élevées pour mettre en garde qui voulait bien l’entendre contre le niveau d’endettement des américains et la dégradation du marché des « mortgages » [2] mais c’est le propre du discours politique que de croire qu’il peut s’affranchir des contraintes bassement matérialistes de la réalité économique et puis, que diable ! Un baril de poudre sans étincelle c’est inoffensif.

Tout à commencé après l’explosion de la bulle internet. La Fed, qui cherche à relancer l’économie étasunienne, va faire baisser le niveau des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas : du 11 décembre 2001 au 10 novembre 2004, elle maintient le taux des Fed Funds [3] en deçà de 2% et, pendant une année entière (du 25 juin 2003 au 30 juin 2004), elle va même les maintenir en deçà de 1%. Ce faisant, elle va déclencher deux mécanismes qui vont tendre encore un peu plus la situation.

Plus les taux d’intérêt sont bas, plus la capacité de financement des ménages augmente. La raison en est très simple : tout en remboursant exactement les mêmes mensualités, des taux d’intérêt à 3% vous permettent d’emprunter plus d’argent pour financer l’acquisition de votre maison que des taux à 5%. La politique de taux bas de Fed va donc avoir pour première conséquence une augmentation considérable de la demande sur le marché immobilier et donc, une accélération de la hausse des prix. Deuxième mécanisme : le niveau très bas des taux va pousser tout ce que la planète compte d’investisseurs institutionnels [4] à se lancer dans une course effrénée au rendement pour essayer de compenser la baisse du niveau des taux d’intérêt : et c’est notamment sur les produits conçus à base de crédits immobiliers que cet argent va s’investir.

Mais c’est une autre conséquence de la politique de la Fed qui va mettre le feu aux poudres et, vous allez le voir, elle n’a rien à voir avec les fameux « subprimes » [5] et tout à voir avec les crédits à taux révisables (« adjustable-rate mortgages » ou ARMs). Un crédit à taux révisable c'est un prêt dont le taux varie chaque année en fonction de l’évolution des taux d’intérêt à court terme. Aux Etats-Unis, le taux des ARMs est calculé - – par exemple – en fonction du taux des bons du trésor à 1 an, d’un taux Libor ou du « 11th District COFI » ; typiquement, un ménage américain peut contracter un crédit immobilier à un taux révisable égal au taux du Libor 3 mois augmenté de 2%. L’avantage de ce type de prêts c’est que c’est toujours moins cher qu’un taux fixe ; l’inconvénient c’est que c’est plus risqué : si les taux courts remontent, vos mensualités aussi. Juste avant le déclenchement de la crise (au 3ème trimestre 2007), plus d’un mortgage sur cinq était un ARM (prime ou subprime) alors que les subprimes (à taux fixe ou révisable) représentaient environ 13% du marché.

Or, le taux des indices à court terme est directement influencé par la politique monétaire de la banque centrale. Lorsque la Fed fait baisser le taux des Fed Funds, elle fait aussi baisser l’ensemble des indices utilisés pour calculer le taux des ARMs et accroît ainsi dans des proportions considérables l’écart de taux entre un crédit à taux fixe et un crédit à taux révisable – elle augmente la « pente de la courbe des taux ». Pendant 3 ans, le taux révisable Libor 3 mois plus 2% que nous évoquions plus haut était en moyenne 2,5% moins cher qu’un crédit taux fixe. Ceux d’entre nous qui ont déjà contracté un crédit immobilier mesurent mieux que les autres ce que peut signifier 2,5% d’écart de taux sur 20 ans : c’est une formidable incitation à s’endetter et à s’endetter à taux révisable. Et bien sûr, c’est exactement ce qu’il va se passer : des millions d’américains – et pas nécessairement les plus aisés – vont profiter de l’aubaine pensant que, dans le pire des cas, il suffira de revendre leur bien s’ils n’arrivent plus à payer.

Pendant ce temps, la marché immobilier n’en finissait donc plus de monter et le mot « bulle » fût prononcé plus d’une fois. Tant est si bien qu’à partir du 30 juin 2004, la Fed commence à faire remonter graduellement le taux des Fed Funds de 0,25% en 0,25% pour essayer d’enrayer le phénomène ; au total 17 hausses de taux jusqu’au 29 juin 2006 où elle établi le taux cible des Fed Funds à 5,25%. En deux ans, elle fait donc passer le taux des Fed Funds de 1% à 5,25%. Progressivement – en principe à la date d’anniversaire du contrat – le taux des crédits révisables s’ajuste à la hausse de telle sorte que le taux payé par un ménage qui aurait contracté notre mortgage à Libor 3 mois plus 2% passe de 3.16% en décembre 2003 à 7.51% en juin 2006 !

Dès début 2006, on commence à observer une recrudescence des difficultés des paiements sur les crédits à taux révisables. Alors que, pour les crédits primes et subprimes à taux fixes, le taux de défaillance reste stable ou en baisse jusqu’au second trimestre 2007, les défauts de paiements augmentent sur les ARMs en général. A chaque fois qu’un ménage cesse de payer, les banques saisissent le bien concerné et cherchent à le revendre pour limiter leurs pertes – c’est ce qu’on appelle une procédure de « foreclosure ». Seulement voilà : comme toutes les banques cherchent à vendre en même temps et que le niveau des taux – désormais beaucoup plus élevé – entraine mécaniquement une demande beaucoup plus faible : les prix baissent. Petit à petit, un grand nombre de ménages réalisent qu’ils doivent désormais plus d’argent à la banque que ne vaut leur maison et choisissent de cesser de payer et d’attendre que la banque saisisse leur bien – et réalise la perte à leur place.

La plupart des banques américaines connaissent les pires difficultés et cessent de prêter à l’économie tandis que le secteur de la construction est littéralement au chômage technique. Ce n’est qu’à partir de la mi-2007 que les difficultés se généralisent à l’ensemble des mortgages et – c’est dans l’ordre des choses – en particulier aux crédits subprimes. A la fin du troisième trimestre 2008, au moment de la chute de Lehman Brothers, le taux de défaillance des mortgages primes à taux révisables atteint 8.09% (contre 1.65% pour les crédits à taux fixes de qualité de crédit équivalents) et celui des mortgages subprimes à taux révisables atteint 28.84% (contre 11.28% pour les subprimes à taux fixes). Cette crise n’était pas une « crise des subprimes » – elle ne l’a jamais été – mais une conséquence directe de la politique monétaire de la Fed.

Tout au long de leur histoire mais particulièrement depuis l’abandon de l’étalon-or, les banques centrales ont généré des bulles et des récessions. Le métier de banquier central ne consiste à rien de moins qu’à planifier le niveau des taux d’intérêt. Il est condamné à échouer pour les mêmes raisons que celles qui ont entrainé la chute de l’empire soviétique : rien n’y personne ne peut se substituer au marché. L’ironie de l’histoire c’est que ce phénomène avait été décrit dès le début du XXème siècle par Ludwig von Mises puis par Friedrich Hayek et porte même un nom – la « théorie autrichienne des cycles » - et malgré cela, à l’heure où j’écris ces lignes, la Fed a de nouveau fait baisser le taux des Fed Funds à des niveaux records pour « soutenir la croissance américaine ». La prochaine fois que vous lirez le mot « bulle » dans les journaux, vous saurez à quoi vous en tenir.

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[1] Voir Fannie, Freddie et les bonnes intentions, "Too Big To Fail" et Réglementation bancaire et conséquences inattendues.
[2] Un mortgage est un crédit hypothécaire (i.e. dont le remboursement est garanti par la valeur du bien acheté).
[3] Le taux moyen auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles. Taux administré par la Fed dans le cadre de sa politique monétaire.
[4] Se dit d’une entreprise dont l’activité consiste à collecter de l’épargne pour la placer sur les marchés financiers (fonds de pension, fonds d’investissement, compagnies d’assurances…).
[5] Un mortgage est dit « subprime » quand il est plus risqué qu’un mortgage « prime ».

L’argent

Deux voisins décident entre eux d’un échange de bons procédés : le premier – qui est mécanicien – accepte d’aider le second à réparer sa voiture en contrepartie de quoi ce dernier tondra la pelouse de son voisin. Voilà donc deux hommes qui décident librement et d’un commun accord d’échanger leur travail et leurs compétences pour leur bénéfice mutuel. Pour la plupart des gens, cet échange de bons procédés est une bonne chose ; il est « moral ». Maintenant imaginons que le mécanicien propose à son voisin de le payer 10 euros pour tondre sa pelouse et que ce dernier, dans le même mouvement, échange ces 10 euros contre la réparation de sa voiture. Pour la plupart des gens, cet échange mercantile n’est pas « moral » ; nous suspectons l’un ou l’autre de ces deux hommes d’essayer de tirer un profit au dépend de l’autre, de l’exploiter, de le voler. Sous cette nouvelle forme, la relation qui unit ces deux voisins nous semble entachée de cupidité, de tromperie et de honte.

La seule et unique différence entre ces deux échanges tient en un mot : l’argent. Dans les deux cas, ces hommes échangent librement leur travail et leurs compétences et en tirent mutuellement avantage mais le simple fait de formaliser cet accord avec de l’argent, la simple existence d’une transaction « financière » suffit à transformer ce qui était « bien » en quelque chose de « mal ». L’économie, nous dit on, ne dois pas être au service de l’argent mais au service de l’homme.

Bien sûr, le mécanicien aurait aussi pu réparer la voiture de son voisin sans rien attendre en échange ; par pur altruisme, pour rendre service. Les gens font ça tous les jours. Mais posez-vous cette question : quelle sorte de moralité y a-t-il à laisser ce mécanicien sacrifier son temps libre – qu’il aurait pu consacrer à sa famille ou à ses loisirs – sans rien lui rendre en échange ? Un de mes voisins, il y a quelques années, a accepté de venir réparer ma chaudière un dimanche matin. Quelle sorte d’homme aurais-je été si je ne lui avais pas offert une bonne bouteille de champagne en remerciement ? Vous appelez ça un « remerciement », un « don » mais la réalité c’est que c’était un paiement. Cette bouteille, je l’avais échangée contre de l’argent – le fruit de mon travail – et n’ayant pas de service à lui rendre, j’ai payé ses efforts de la manière qui me semblait la plus appropriée. Il ne m’avait rien demandé me direz vous ; nous ne nous étions pas mis d’accord sur les termes d’un contrat. C’est vrai. Aucun contrat n’a été signé entre nous ; aucun autre contrat que celui – implicite – qu’impose mon honneur et l’idée que mon voisin ce faisait de ce dernier.

De toute évidence, dans l’exemple de nos deux voisins, l’usage d’argent dans la transaction est parfaitement inutile : ils pouvaient parfaitement échanger directement les services qu’ils se rendaient mutuellement puisqu’ils leur accordaient l’un et l’autre la même valeur. Mais supposez que le mécanicien y passe son dimanche alors que son voisin peut tondre la pelouse en un quart d’heure : cet échange de bon procédé est-il équilibré ? Si, de l’avis des deux hommes, tondre la pelouse du mécanicien vaut 10 euros, combien vaut un dimanche entier passé à réparer une voiture ?

Ce que nous appelons l’argent n’est qu’un outil qui – par définition – rempli trois fonctions : c’est un intermédiaire général des échanges (qui permet d’échanger une fraction du travail nécessaire pour réparer une voiture contre la tonte d’une pelouse), une unité de compte (qui permet de mesurer la valeur de ces deux services) et une réserve de valeur (qui permet au mécanicien de conserver la dette morale que son voisin a envers lui dans le temps si son jardin a déjà été tondu). L’argent ça n’est rien d’autre que ça. Un outil pratique qui n’a de valeur que parce que chacun d’entre nous a confiance en sa capacité à échanger le fruit notre travail, de nos efforts, de notre intelligence et des risques que nous avons pris avec ceux des autres. Que vaudrait l’argent dans un monde où il n’y a rien à acheter ? Diriez-vous d’un homme qui n’a pas un centime sur son compte mais est propriétaire d’un château qu’il est pauvre ? L’argent n’est que le véhicule pratique qui permet à un homme d’échanger son travail contre celui des autres. A chaque fois que vous tendez un billet à votre boulanger pour acheter votre baguette de pain, vous ne faites rien d’autre que d’échanger une fraction de la richesse que vous avez créé contre une fraction de celle qu’il a créé.

Les gens disent que l’argent corrompt. Mais qu’est-ce que la corruption si ce n’est un échange d’argent contre du pouvoir ? Où est la faute morale ? Dans celui qui accepte de se dessaisir d’une partie de la richesse qu’il a créé pour acquérir quelque chose ou dans celui utilise un pouvoir qui ne lui appartient pas, qui lui a seulement été confié, pour son propre bénéfice ? Ce n’est pas l’argent qui corrompt ; c’est le pouvoir. Ce n’est pas l’échange libre qui est mauvais ; c’est l’usage de la force brute. L’argent qui a été gagné par le travail, le talent, l’intelligence et la prise de risque est la mesure des mérites d’un homme ; Steve Jobs n’a pas volé un centime de sa fortune : ce qu’il a, il l’a gagné, il le mérite. Ce n’est pas moi ni le gouvernement qui en juge mais les millions de gens qui ont acheté les produits qu’il a créé ; qui ont choisi librement de les acheter, de les échanger contre leur propre travail. Cette richesse est sa création, sa contribution au bien-être de la société dans laquelle nous vivons. Les hommes qui gagnent leur argent honnêtement ; en faisant commerce du fruit de leur travail, de leur talent, de leur intelligence et des risques qu’ils ont pris respectent l’argent parce qu’ils connaissent sa véritable nature. Ceux qui déclarent, en se drapant dans une prétendue moralité qu’ils sont incapables de justifier, qu’ils méprisent l’argent sont ceux qui l’ont acquis malhonnêtement, par le vol, par la force ou par le mensonge.

L’économie – l’économie du libre échange, du bénéfice mutuel et de la libre entreprise – est au service des hommes. Elle ne sert aucune autre cause et n’a pas d’autre raison d’être que de permettre à chaque homme de mettre son travail, son talent, son intelligence et sa capacité à prendre des risques au service des autres hommes en échange de la poursuite de son propre bonheur. Aussi vrai que l’étudiant brillant et travailleur a mérité sa bonne note, vous avez mérité l’argent que vous avez gagné. Aussi vrai que le tricheur ne mérite pas la sienne, celui qui obtient de l’argent par la ruse, la force ou le vol ne le mérite pas. Chaque centime que vous avez gagné et gagnerez dans le futur est le symbole et la mesure de votre contribution – qu’elle soit immense ou petite – à cette immense aventure collective où chacun, en poursuivant son propre intérêt, contribue au bien-être de tout les autres ; c’est l’aventure du genre humain.

Pas de magie

Créer des emplois, c’est très facile. C’est même tellement facile que s’en est ridicule. Par exemple, si le gouvernement souhaite donner du travail à 2000 chômeurs, il suffit d’en embaucher 1000 pour creuser des trous pendant la journée et d’en embaucher 1000 autres pour reboucher ces mêmes trous durant la nuit. C’est imparable : vous avez créé 2000 emplois, ces gens vont toucher un salaire payé par le gouvernement ; ils vont donc pouvoir consommer des biens et des services, créant ainsi un surcroît de demande, de production et donc d’autres emplois. Autres méthodes : le gouvernement glisse des billets de banque dans de vieilles bouteilles, enterre ces dernières dans des mines désaffectées et donne ainsi du travail au secteur minier [1] ou il commande trois millions de machines à couper les cheveux en quatre dans le sens de la longueur et relance ainsi l’industrie française. « Ite missa est » comme on disait autrefois, pour faire baisser le chômage, il suffit d’augmenter la dépense publique.

Si rien ne vous dérange dans le paragraphe ci-dessus, je vous encourage à ne pas lire la suite de cet article. Vous perdriez votre temps et finiriez même peut être par m’en vouloir. En revanche, si les solutions que je propose provoquent chez vous un sentiment indéfinissable de malaise, si vous vous êtes dit en les lisant « mais c’est idiot, ça ne sert à rien ! » ; lisez la suite : nous allons pouvoir nous entendre.

Effectivement, creuser des trous pour les reboucher, enterrer des billets de banque ou fabriquer des machines à couper les cheveux en quatre dans le sens de la longueur ça ne sert strictement à rien. Ça ne produit absolument aucune forme de richesse pour la société et c’est strictement équivalent – d’un point de vue économique – à verser des allocations chômage. Payer des gens à rien faire ou les payer à faire des choses inutiles – au-delà de l’aspect cosmétique [2] et de la fatigue occasionnée – c’est exactement la même chose : dans les deux cas, vous ne produisez aucune richesse pour personne et le seul moyen de financer ces emplois, c’est de les faire financer par l’Etat, donc par les contribuables, donc par ceux d’entre nous qui – justement – produisent de la richesse.

Bien sûr, l’Etat pourrait tout aussi bien payer des gens à faire des choses utiles et c’est d’ailleurs, dans la pratique, bien ce qu’il essaye de faire. Mais qu’est-ce qu'une activité qui créé de la richesse? Eh bien c’est très simple : un autre mot pour « richesse » c’est « valeur ajoutée ». La valeur ajoutée, c’est la différence entre le prix auquel un client accepte d’acheter quelque chose – c'est-à-dire son estimation de la valeur de cette chose – et le prix des matériaux que vous avez utilisé pour produire ladite chose. Si cette différence est positive, vous avez créé de la valeur ajoutée, de la richesse. Vous ne l’avez volée à personne, vous l’avez créée par votre travail, votre talent et en acceptant de prendre des risques. Le profit que génère un entrepreneur est la mesure de la richesse qu’il créé à laquelle vient se soustraire la part de la valeur ajoutée qui revient – en vertu du contrat signé entre eux – à ses salariés.

Une activité qui créé de la richesse est donc, par définition, une activité qui créé de la valeur ajoutée ; une activité qui produit quelque chose que les consommateurs acceptent librement de payer à un prix qui permet de payer des salaires et de dégager des profits. Evidement, une entreprise privée – qui n’a pour seul objectif que de gagner de l’argent – a tout intérêt à créer de la valeur ; c’est sa raison d’être, c’est le propos même de sa création. Or justement, la justification ultime de la dépense publique c’est que l’Etat ne cherche pas à réaliser des profits ni même de la valeur ajoutée. L’Etat peut faire ça parce que si sa production ne créé pas de valeur ajoutée, il peut financer le manque à gagner par l’impôt ou nous contraindre à l’acheter à un prix fixé arbitrairement. Quand nous réclamons de la dépense publique pour créer des emplois, nous réclamons implicitement que l’Etat use de cette possibilité pour compenser ce que nous percevons comme une défaillance du secteur privé : nous demandons à l’Etat de créer des emplois qui ne produisent pas ou peu de richesses [3].

Autrement dit, les solutions décrites plus haut consistent à taxer les producteurs de richesse – c'est-à-dire à leur prendre une partie de la richesse qu’ils ont créée – pour financer des emplois qui, eux mêmes, ne créent aucune ou très peu de richesses. Ces emplois sont donc un coût supporté par la société et, en particulier, par les entrepreneurs et les salariés qui créent de quoi financer ce coût. Peu importe, me direz vous, on a bien réussit à donner du travail aux gens ; l’application du plan est donc un succès.

Eh bien non, vous répondrais-je, ce n’est pas si évident. Considérez ceci : quand vous taxez quelqu’un, vous le privez d’une partie de sa richesse et il ne sera donc plus en mesure de l’échanger contre des biens ou des services qui lui sont utiles – c'est-à-dire qui ont de la valeur ; dont la production créé de la richesse. En d’autres termes, vous privez des entreprises privées des débouchés qui auraient pu leur permettre de créer des emplois qui créent de la valeur ajoutée pour financer des emplois qui sont des coûts nets pour la société [4]. Par ailleurs, de la même manière qu’on augmente les taxes sur le tabac pour inciter les gens à moins fumer, augmenter les taxes sur les activités qui créent de la richesse incite les gens à en créer moins : c'est-à-dire que la création d’emplois par la dépense publique est compensée par des destruction (ou des non-créations) d’emplois dans le secteur privé.

Le bon sens le plus élémentaire nous apprend qu’avant de consommer de la richesse – en créant des emplois subventionnés par exemple – il faut la produire. Il n’y a pas, en ce bas monde, de magie. Une société qui fait du travail et de l’intelligence des hommes une source de coûts plutôt que la source de ses richesses se condamne à la banqueroute.

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[1] Si vous trouvez cette idée stupide – hommes de peu de foi ! – veuillez vous référer à John Meynard Keynes –« The General Theory of Employment, Interest and Money », chapitres 10.
[2] Il va de soit que, du point de vue du politicien, il a « fait baisser le chômage, relancé l’activité minière nationale et stoppé le déclin de l’industrie française » ; carton plein !
[3] Juste de quoi payer des salaires ou moins.
[4] Le fait que ces emplois, s’agissant des fonctionnaires au sens strict du terme par exemple, soient un coût net pour la société ne signifie nécessairement pas qu’ils ne sont pas utiles à la collectivité ; cela signifie que nous devons les financer par de la création de richesse.

Qui est John Galt ?

Dans un article du Monde [1], Sylvain Cypel dresse un portrait peu flatteur de la romancière et philosophe russo-américaine Ayn Rand (1905-1982) et de l’école de pensée qu’elle a créé, l’« objectivisme ». Pas d'Etat, « dérégulation menée jusqu'à l'os », célébration de « 'l’égoïsme de l'intérêt personnel », admiration de « la force brute » et mépris des « masses incultes » : monsieur Cypel décrit les « thèses effroyables » d’Ayn Rand comme un « idéal sauvage », une « loi de la jungle » ou même une forme de « guerre sociale ». Or il se trouve que je viens – justement – de terminer « Altas Shrugged », considéré comme le « magnum opus » d’Ayn Rand, et qu’à la lumière de ce que j’ai lu, la description que nous en propose monsieur Cypel est – dans le meilleur des cas – une caricature grossière et orientée [2].

Soyons clairs : je tiens pour certain que Sylvain Cypel n’a pas lu une ligne de l’œuvre de Rand est s’est contenté de résumés écrits par d’autres que l’on imagine volontiers critiques. Comme il vous a si bien vendu l’absolue nécessité de ne surtout pas vous intéresser à ces « thèses effroyables », je vais m’empresser de vous encourager à lire « Altas Shrugged ». J’ai deux arguments de vente : c’est un excellent roman et c’est aussi un véritable traité de philosophie mais d’une philosophie dont vous n’avez probablement jamais entendu parler. Je n’en donnerais pas ici les clés ; vous les découvrirez par vous-même – ou pas – et je ne suis, à vrai dire, pas certain d’être encore capable de lui rendre justice. Je me contenterais de dire que, loin de la description partiale de Sylvain Cypel, « Altas Shrugged » c’est avant tout un hymne vibrant à la liberté, à la capacité créatrice des hommes et en même temps une des critiques les plus violentes qui n’ait jamais été écrite du collectivisme.

Pourtant, tout bien pesé et en connaissance de cause, je ne suis pas objectiviste. Il y a, dans l’œuvre d’Ayn Rand, des idées, des concepts auxquels j’adhère et d’autres que je trouve trop caricaturaux, trop unidimensionnels pour les faire miens. Mais que l’on soit d’accord ou pas avec cette philosophie, la lecture d’« Altas Shrugged » est une fenêtre ouverte sur une vision du monde et des relations humaines si radicalement différente de celle que notre société véhicule qu’elle en devient indispensable. Le « bien » et le « mal », le « juste » et l’« injuste », la « vertu » et le « vice » ; c’est sur un véritable parcours initiatique que le lecteur – du malaise au désespoir en passant par de véritables moments de jubilation – suit Dagny Taggart, Hank Rearden ou Francisco d’Anconia.

Mais peut être que le meilleur signe de la puissance de cette œuvre – et donc la meilleure raison de le lire – est l’aversion viscérale et violente qu’elle provoque chez ses détracteurs. Là où il est de bon ton de dire le plus grand bien du « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel, il de bon ton de dire le plus de mal possible d’« Altas Shrugged » ou mieux encore : ne rien en dire du tout. Comme l’enfer d’une bibliothèque, comme si les idées qu’il véhicule étaient jugée dangereuses ou subversives, il n’existait jusqu’à une date récente aucune traduction française complète de cet ouvrage pourtant mondialement connu. Il a fallu qu’une mystérieuse Monique di Pieirro, agissant bénévolement au nom des non moins mystérieuses « Editions du Travailleur » s’atèle à la tâche titanesque que représente la traduction des 1803 pages (en français) pour qu’une version « pirate »« La révolte d’Atlas » – puisse circuler sur internet en septembre 2009, 52 ans après la publication de l’original.

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[1] Sylvain Cypel - Prendre le thé avec Ayn Rand
[2] Et je passe généreusement sur ses commentaires sur Ludwig von Mises.

C’est le soleil, stupide !

En 1997, Henrik Svensmark et Eigil Friis-Christensen, deux physiciens du Danish National Space Center de Copenhague, découvrent une forte corrélation entre l’épaisseur de la couverture nuageuse sur Terre et l’intensité des rayons cosmiques qui frappent notre atmosphère ; laquelle est directement influencée par l’activité magnétique du soleil. Il faut préciser ici que la couverture nuageuse est un déterminant essentiel de la température qu’il fait ici bas – si les nuages retiennent une partie de la chaleur terrestre, cet effet est plus que compensé par la réflexion du rayonnement solaire. En d’autres termes, le lien identifié par les deux danois n’est rien de moins qu’une explication possible des variations climatiques à la surface de notre planète.

L’activité magnétique du soleil ou plus précisément le flux magnétique porté par le vent solaire agit sur notre planète comme un bouclier qui nous protège des rayons cosmiques – quand le vent solaire est fort, moins de rayons cosmiques atteignent la terre et inversement. Ce phénomène naturel suit habituellement un cycle de 11 ans mais connait aussi des variations à plus long terme que nous ne savons pas encore expliquer ; typiquement, la force des vents solaires et le flux magnétique qu’ils transportent a plus que doublé au cours du dernier siècle.

Bien sûr, si, comme le suggèrent les observations de Svensmark et Friis-Christensen, il existe bel et bien un lien entre la force des vents solaires et la formation de la couverture nuageuse terrestre, le lien de causalité ne fait aucun doute dans la mesure où ce ne sont pas – de toute évidence – les nuages de notre atmosphère qui influent sur l’activité magnétique du soleil. Dans le pire des cas, la corrélation observée par les physiciens danois est donc une simple coïncidence statistique mais si ce n’est pas le cas, nous serions capables d’expliquer de manière scientifique et robuste pourquoi les températures moyennes observées à la surface de la Terre ont augmenté depuis un siècle et ce, sans que l’activité humaine ne soit en cause.

Comment exclure le rôle du hasard ? Eh bien c’est le principe même de la démarche scientifique : on cherche à expliquer le phénomène en construisant des théories et on confronte les théories aux observations. La construction d’une théorie, c’est ce à quoi Svensmark et d’autres scientifiques comme Nir Shaviv ont consacré la dernière quinzaine d’année et la confrontation aux faits, justement, elle est en cours et les résultats commencent à poser un sérieux problème au « consensus scientifique » autoproclamé qui continue à nous vendre un réchauffement climatique d’origine anthropique malgré le nombre toujours croissant de voix discordantes au sein de la communauté scientifique [1] et les sérieux doutes qu’on est en droit de formuler sur la déontologie du GIEC [2].

En effet, les résultats d’une première série de tentatives de reproductions expérimentales du phénomène – le projet SKY – avaient déjà été publiés en 2007 et avaient montré comment les radiations cosmiques peuvent provoquer la formation de nuages dans notre atmosphère. Aujourd’hui, c’est une deuxième série de test – le projet CLOUD, mené depuis 2009 par Jasper Kirkby au CERN de Genève – qui est en train, en ce moment même, de publier ses résultats. Nous ne disposons pas encore des conclusions écrites du groupe de recherche mais un article [3] publié récemment dans la Geophysical Research Letter et quelques commentaires des scientifiques participants semblent indiquer que l’influence des rayons cosmiques sur la formation de noyaux nuageux ne fait plus guère de doutes.

Voilà où nous en sommes. Le seul point faible de la théorie de Svensmark – le lien entre rayons cosmiques et formation de nuages – est en train de disparaître. Nous disposerons sans doute dans un avenir proche d’une théorie scientifique au sens le plus noble du terme – une théorie dont les prédictions peuvent être testée et, au besoin, invalidées – pour expliquer les variations du climat planétaire. Cette théorie implique que le doublement de la force des vents solaires au cours du dernier siècle a réduit l’intensité des rayons cosmiques qui frappent notre atmosphère d’environ 15% ; provoquant ainsi une réduction de la couverture nuageuse à l’échelle planétaire et donc un réchauffement climatique dont l’ampleur est tout à fait comparable à celle qui est aujourd’hui attribuée à l’émission de gaz à effet de serre d’origine humaine.

L’épisode du GIEC et de la « théorie » du réchauffement climatique d’origine anthropique pourrait bien devenir le plus gigantesque exemple de manipulation de la science et de l’opinion publique à des fins politiques. Fondé sur la prémisse selon laquelle le réchauffement climatique est d’origine humaine [4], piloté par des politiciens qui ont fait carrière en élevant une hypothèse au rang de certitude et exploité par des lobbies industriels à la recherche de subventions publiques le GIEC n’aurait alors plus aucune raison d’être au même titre que les innombrables politiques qu’il a inspiré. Si nous devions alors retenir une leçon de cette expérience c’est que dans « recherche scientifique libre » le troisième mot est redondant [5].

(Cet article doit beaucoup à celui de Vincent Bénard à qui je tire mon chapeau au passage)

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[1] Voici à quoi ressemble le fameux « consensus scientifique »
[2] Une rétrospective du Climategate sur « Watts Up With That? ».
[3] H. Svensmark et al.Aerosol nucleation induced by a high energy particle beam (12 mai 2011).
[4] Pour mémoire, « le GIEC a pour mission d’évaluer […] les informations […] qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine » (source).
[5] Celui ou celle qui saura retrouver la source de cette phrase mérite toute mon estime.

Le mythe des « Chicago Boys »

L’infâme Joseph Goebbels, que seul son antisémitisme maladif empêchait d’être marxiste, avait en son temps établi un principe essentiel de toute campagne de propagande qui consiste à sélectionner quelques points – peu importe qu’ils soient vrais ou pas – et à les répéter continuellement jusqu’à ce qu’ils deviennent la vérité admise par tous. C’est en application de ce principe qu’un certain nombre de malfaisants – ceux là mêmes qui défendaient Staline, Hitler, Mao, Pol Pot, Castro, Kim Jong Il (etc…) – cherchent par tous les moyens à faire croire que les idées libérales portent en elles le germe du totalitarisme et avancent comme preuve l’idée selon laquelle Milton Friedman aurait participé à la junte d’Augusto Pinochet. Outre l’évident non sequitur [1] et la malhonnêteté intellectuelle effarante dont il faut être capable pour tenir ce genre de discours, il y a surtout que cette preuve est une pure fumisterie.

En 1975, deux années après le coup d’Etat de Pinochet, le Chili connut une sévère récession. Une fondation privée invita Milton Friedman – fondateur du courant monétariste à l’université de Chicago et alors un des économistes les plus réputés au monde – à prononcer quelques discours sur le thème de la liberté économique notamment à l’Université catholique du Chili. Friedman accepta et, accompagné de son épouse, resta sept jours au Chili. C’est durant cette visite que Pinochet souhaita le rencontrer pour un entretien – le 21 mars 1975 – qui dura en tout et pour tout 45 minutes. Le dictateur demanda à l’économiste de lui faire part de son analyse de la situation économique du Chili et des solutions qui lui semblaient appropriées. Friedman s’exécuta dans une unique lettre datée du 21 avril 1975 [2] à laquelle Pinochet répondra brièvement le 16 mai de la même année observant que les propositions de Friedman coïncidaient « pour l’essentiel avec le Plan de Redressement National proposé par le Secrétaire au Trésor, le docteur Jorge Cauas. » Fin de l’histoire : c’est à ça que se limitent les relations entre Friedman et Pinochet.

Les Chicago Boys, quant à eux, sont un groupe d’étudiants chiliens, pour la plupart issus de l’Université catholique du Chili, qui aidèrent à réformer l’économie chilienne dans la ligne intellectuelle de l’Université de Chicago avec laquelle leur établissement avait noué des accords d’échange depuis 1956. Ils avaient donc eu l’occasion de suivre l’enseignement de Friedman et d’Arnold Harberger. Lorsque Pinochet pris le pouvoir, ils étaient les seuls économistes chiliens à ne pas être d’une manière où d’une autre liés à Allende et constituèrent par la force des choses l’ossature de l’équipe économique du gouvernement sous la dictature.

On sait que Friedman fut personnellement meurtri par les insinuations de ses adversaires sur ses relations avec Pinochet et leurs accusations de soutien à la junte militaire. Comme tous les libéraux, Friedman était un démocrate convaincu et le fait que son nom puisse être associé au régime sanguinaire de Pinochet fut pout lui une blessure qui ne se referma jamais. Le 10 janvier 2000, 25 ans après les faits et 6 ans avant sa mort, il confiait lors d’une interview : « C’est curieux. J’ai donné exactement la même conférence en Chine que celle que j’avais donnée au Chili. J’ai eu beaucoup de manifestations contre moi pour ce que j’avais dit au Chili. Personne n’a fait aucune objection à ce que j’ai dit en Chine. Comment cela ce fait-il ? »

Parmi les Chicago Boys certains firent le choix de fermer les yeux sur les exactions de la junte et se contentèrent de participer à la libéralisation progressive du régime comme Hernán Büchi. D’autres préférèrent rester fidèle à leurs convictions libérales comme José Piñera, l’architecte du système des pensions chilien, qui démissionna le 2 décembre 1981 pour se consacrer à son magazine d’opinion Economia y Sociedad dans lequel il fut un des plus fervents défenseurs d’une transition démocratique et des droits de l’homme.

Deux décennies de démocratie ont suivi la chute du régime de Pinochet. Les gouvernements de gauche ont succédé aux gouvernements d’union nationale et viennent récemment d’être remplacés par un gouvernement de centre-droit avec l’élection de Sebastián Piñera [3]. Ce qui est frappant, quand on détaille les politiques mises en place au Chili au cours de ces 20 années, c’est qu’aucun gouvernement n’est revenu sur les réformes libérales mises en place par les Chicago Boys. Toutes tendances confondues, les gouvernements chiliens successifs les ont même renforcées ; c’est l’unique héritage de la dictature qui permet au Chili moderne d’être un des pays les plus libéraux au monde [4] et – ce n’est évidemment pas une coïncidence – le pays le plus riche d’Amérique latine.

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[1] « Friedman soutenait Pinochet, Friedman était libéral donc, les libéraux soutenaient Pinochet » ; sophisme.
[2] Notez la source…
[3] Le frère de José.
[4] 11ème selon la fondation Heritage.

NB : J’avais déjà publié l’essentiel de cet article sur Causeur.fr mais entre l’inconvénient de se répéter et celui de n’être pas entendu, il n’y a pas à balancer…

Excès de libéralisme

A la une des Echos, David Barroux, le rédacteur de chef du quotidien, nous propose un article titré « L'Elysée souhaite engager une refonte de la direction de Renault ». Il y est question du remplacement de Patrick Pélata, directeur général du groupe automobile débarqué suite à une fausse affaire d’espionnage, par Carlos Tavares, le candidat de Carlos Ghosn et d’« une bonne partie des membres du conseil d'administration », mais surtout – comme le titre de l’article l’indique – de la volonté de l’exécutif de remanier l’organigramme de la direction de Renault.

Quoi de plus naturel ? Bien que Renault ait été « privatisée » au début des années 1990, l’Etat reste propriétaire de 15% du capital, Carlos Tavares a déjà rencontré deux ministres avant même d’être nommé (Eric Besson le 9 mai et Christine Lagarde le 20 mai) et le sommet de l’exécutif souhaite manifestement profiter de l’occasion pour réorganiser la direction du groupe pour – je cite David Barroux – « peser davantage sur la stratégie industrielle du constructeur et de limiter quelque peu l'autonomie de Carlos Ghosn ».

Il semble donc qu’en France, l’Etat joue un rôle prépondérant dans la nomination des cadres dirigeants de certaines sociétés privées ; voilà d’ailleurs qui explique probablement la proportion effarante d’anciens hauts fonctionnaires ou directeurs de cabinets ministériels à la tête des grandes entreprises française. Dans le même ordre d’idées, on sait qu’en échange d’un prêt de 6 milliards d’euros sur 5 ans à Renault et Peugeot, l’Etat décide du lieu d’implantation des usines, s’occupe de la politique de rémunération des dirigeants, influence leurs politiques salariales [1] (indemnisation du chômage partiel) et décide de l’affectation de leurs résultats en privilégiant l’investissement par rapport à la distribution de dividendes.

Bien sûr, ça ne vous a pas échappé, l’Etat soutient aussi massivement le marché automobile en poussant les français à remplacer leurs véhicules vieillissants par voie réglementaire (le fameux « bonus-malus écologique ») ou en mettant directement la main du contribuable à la poche avec la « prime à la casse ». Rappelons qu’au dernier pointage, ce dernier dispositif, dont le budget initial s’élevait à 220 millions d’euros, aurait coûté un peu plus d’un milliard d’euros en 2009 et 2010 ; représentant pas moins d’un quart des ventes du secteur. De la même manière, l’Etat cherche activement à relancer le crédit automobile : les aides publiques aux filiales financières de Peugeot et Renault ont été doublées de 1 milliard à 2 milliards d’euros.

Enfin, l’Etat investit au capital des équipementiers de la filière automobile [2] et entend par ailleurs organiser les relations entre les constructeurs et leurs fournisseurs puisque, si l’on en croit notamment François Fillon, les dirigeants de Peugeot et Renault ne semblent pas être tout à fait compétents pour présider durablement à la destinée de telles entreprises.

Bref, l’Etat est à la fois actionnaire et banquier des constructeurs automobiles français et s’occupe activement des relations de ces entreprises privées avec leurs clients, leurs salariés, leurs actionnaires et leurs fournisseurs. Il est donc tout à fait évident que nous souffrons d’un excès de libéralisme.

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[1] Au-delà de ce qu’il fait habituellement avec toutes les entreprises françaises.
[2] C’est l’objet du Fonds de Modernisation des Equipementiers Automobiles (FMEA), un fonds d’investissement de 600 millions d’euros détenu à parité par le Fonds Stratégique d’Investissement, PSA Peugeot Citroën et Renault.

Colbert était un banquier privé

Il est de bon, chez les défenseurs modernes du protectionnisme, d’affirmer que l’expérience mercantiliste française fut un grand succès. Pour étayer leur point, les mercantilistes modernes rappellent, qu’à la fin du ministère de Colbert, la France était l’économie la plus puissante d’Europe. C’est parfaitement exact. En 1700, avec un PIB estimé [1] à environ 19,5 millions de dollars internationaux [2], la France est en effet – et de loin – la première économie européenne [3]. A elle seule, l’économie française pèse un quart de l’économie européenne devant l’Italie (avec un PIB de $14,6 millions), l’Allemagne ($13.7) et le Royaume-Uni ($10.7).

Seulement voilà : ça n’avait rien de nouveau puisque la France était déjà la première économie européenne avant la naissance de Colbert. En 1600, elle pesait déjà un quart du PIB européen devant l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Pour tout dire, c’était aussi le cas en 1500 et en l’an 1000 ; la France a toujours été la première économie européenne jusqu’à ce que nos voisins allemands nous détrônent à la fin du XIXème siècle.

La raison de cette prédominance de l’économie française est en fait toute simple : il se trouve que, jusqu’au début du XIXème siècle, 1 européen sur 4 était français. Par exemple, avec 18.5 millions d’habitants en 1600, la France est de loin le pays le plus peuplé d’Europe devant l’Allemagne (16 millions), l’Italie (13.1 millions) et le Royaume-Uni (6.2 millions).

Ce qui traduit la santé d’une économie c’est le revenu moyen des gens et une approximation acceptable de cette grandeur c’est le PIB par habitant. Or, en 1700, les français ne gagnaient qu’environ $910 contre $993 pour la moyenne européenne - $83 de moins. Les néerlandais étaient les plus riches ($2 130) suivis des britanniques, des belges et des italiens.

Un siècle plus tôt (en 1600 donc avant Colbert) nous étions également moins riches que la moyenne européenne mais l’écart était moins grand ($841 pour les français contre $888). En d’autres termes, si la richesse des français avait progressé dans l’absolu (+8%), elle avait progressé moins vite que la moyenne européenne (+12%).

En fait, parmi les 16 grands pays de l’ouest européen, la France est 13ème au classement de la progression du revenu par habitant ; nous ne battions que l’Italie, l’Espagne et la Suède (de justesse). Je ne vous surprendrais sans doute pas en vous disant qu'outre la France, la Suède et surtout l’Espagne [4] étaient des pays notoirement mercantilistes. Tandis qu’en tête de ce même classement, on retrouve les Pays-Bas (+54%) qui étaient, vous vous en doutez, les champions du libre échange.

C’est une erreur que de croire que Colbert était un ministre au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Selon nos standard actuels, Colbert était un banquier privé : son métier consistait à enrichir le roi, à enrichir Mazarin et – par la même occasion – à s’enrichir lui-même. Il réussit magnifiquement à atteindre ces trois objectifs mais le peuple de France, lui, mourrait littéralement de faim, écrasé par l’impôt et des politiques économiques absurdes.

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[1] J’utilise ici les données d’ Angus Maddison – « Historical Statistics of the World Economy: 1-2008 AD »)
[2] Le dollar international de 1990 (ou dollar Geary-Khamis) est une unité de mesure qui permet de comparer la valeur des devises dans le temps est l’espace ; il tient compte des taux de change et est ajusté de la parité des pouvoirs d’achat.
[3] L’Europe est ici entendue au sens de l’Europe de l’ouest c'est-à-dire l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et une vingtaine de petits territoires.
[4] On Espagne on appelait ça le « bullionisme ».

Traité monétaire de cour d’école

Dans notre cour d’école – comme dans bien des cours d’école – nous jouions aux billes. Il en existait plusieurs variétés que nous appelions les « billes de verre », les « agates », les « billes de plomb », les « cocas » ou les « billes de terre » dont nous remplissions de vieilles trousses auxquelles nos cadets avaient formellement interdiction de toucher. Je ne sais pas comment ça c’est passé dans votre école mais dans la notre, les billes étaient la mesure de notre richesse ; je ne parle pas de la quantité d’argent de poche que nous donnaient nos parents (nous étions trop jeunes pour avoir de l’argent de poche) ni du niveau de vie de ces derniers (aucun d’entre nous n’avait la moindre idée de ce genre de chose) : je parle de notre richesse personnelle que nous essayons continument d’accroître en gagnant à « au plus près du mur » ou au « pot ». Les billes devenaient alors un instrument très pratique que nous échangions couramment contre la vignette Panini qui manquait à notre collection ou la figurine de « stormtroopers » Star Wars [1] que nos parents avaient refusé de nous acheter. C’est même d’ailleurs devenu très vite leur principale fonction.

Une autre propriété encore plus fascinante de nos billes c’est que chaque variété avait un cours tout ce qu’il y a de plus officiel et de plus universellement admis par rapport aux autres sortes de billes. Je ne me souviens plus exactement du niveau de ces cours mais les « billes de plomb » et les « cocas » étaient les plus précieuses tandis que les « billes de terre » et les « agates » [2] ne valaient pas grand-chose. Nous les échangions régulièrement entre nous ce qui permettait à ceux dont la trousse était pleine à craquer de réduire le nombre de leurs billes sans que leur richesse de s’en ressente. Il va de soit que nos parents n’y comprenaient absolument rien et s’offusquaient régulièrement de ce que nous puissions échanger trois billes « agates » contre une « bille en plomb » [3] alors que les deux variétés coûtait le même prix dans le « commerce des grands » (celui où les gens payaient en francs) – seulement nous, nous n’utilisions pas de francs ; nous utilisions des billes et nous n’avions pas la moindre idée du prix de nos billes en francs.

Je ne sais pas comment ça se passait dans votre école mais, chez nous, le même genre de trafic avait lieu dans plusieurs des écoles voisines. Il ne fallut pas longtemps pour que quelques petits malins – qui avaient un cousin ou un ami dans une autre école – se mettent à comparer les cours de nos billes avec les leurs. L’intérêt de la manœuvre était évident : si vous pouviez échanger deux « agates » contre une « bille de plomb » avec votre cousin, vous saviez que dès lundi matin vous pourriez convertir cette « bille de plomb » en trois « agates » et réaliser un bénéfice substantiel équivalent à une « agate ». Evidemment, cette opportunité d’arbitrage ne dura pas très longtemps : en quelques semaines le cours des billes était devenu parfaitement identique dans toutes les écoles du quartier et nous ne pouvions plus compter que sur les grandes vacances pour espérer rencontrer des contreparties qui utilisaient une échelle de valeur différente de la notre.

J’avais oublié ce détail de nos activités de cour de récréation jusqu’à ce qu’à l’université, durant un cours sur les théories monétaires, je réalise ce que nous avions fait. Nous avions créé non pas une monnaie mais rien de moins que des monnaies et un marché des changes qui n’avait pas grand-chose à envier à celui de nos aînés. Ce que l’on appelle une monnaie c’est un bien qui cumule trois fonctions : intermédiaire général des échanges, unité de compte et réserve de valeur. Nos billes remplissaient ces trois fonctions (et pouvaient même servir à jouer) : elles étaient donc bel et bien des monnaies de plein droit. Comme une monnaie du monde des adultes, la valeur que nous leur accordions n’était fondée que sur la confiance que nous avions dans leur capacité à nous permettre d’acquérir la vignette Panini ou la figurine que nous convoitions ; mais l’existence de notre système monétaire – contrairement à celle des monnaies-papier des adultes – ne reposait sur aucune loi, aucune forme d’organisation centralisée ni aucune forme de coercition : c’était un ordre spontané.

Notre petit système était d’une remarquable stabilité ; c'est-à-dire que la valeur de nos monnaies était parfaitement stable dans le temps si l’on exclue deux épisodes : la période d’homogénéisation des cours pratiqués dans les différentes écoles – qui eut lieu dans le calme et ne posa aucun problème à personne – mais surtout un évènement qui marque nos jeune esprits : l’hyperinflation des « agates ». Tout a commencé lors de la kermesse de l’école quand, parmi les lots que nous pouvions gagner à la pèche à la ligne (entre autres), un de nos parents avait eut l’idée d'inclure un grand nombre de sachets d’« agates ». L’intention était, de toute évidence, de nous faire plaisir : c’était un papa ou une maman qui avait remarqué l’importance que les billes avaient pour nous et n’avait pensé à rien d’autre qu’à nous offrir l’objet de notre désir. Grave erreur !

Le résultat de cette injection monétaire aussi massive qu’arbitraire fut que nos trousses à billes furent rapidement pleines à craquer d’« agates » et que cette profusion fît immédiatement chuter le cours de ces billes par rapport aux autres. Avant même que la kermesse ne soit finie, il n’était déjà plus possible d’acquérir une « bille de plomb » que contre une bonne dizaine d’« agates ». C’est bien simple, tous autant que nous étions n’avions qu’une idée en tête : échanger nos « agates » contre d’autres variétés de billes. Au début c’était juste un problème pratique – pour économiser la place de nos trousses – mais ce fût très rapidement l’impératif qui consistait à sauvegarder nos richesses qui nous motiva. Il fallu quelques récréations pour que les cours se stabilisent. Nous constatâmes alors que si nous avions désormais beaucoup plus d'« agates »… leur valeur unitaire avait était divisée par trois (et ce, très vite, dans toutes les écoles du quartier) et que la seule chose qui sauva les économies de ceux qui avaient un grand stock d’« agates » avant la kermesse était l’existence de monnaies concurrentes qui leur avait permit de se protéger contre l’hyperinflation.

Ce qui reste de cet épisode c’est qu’une bande de gamins d’une dizaine d’années avait conçu, sans même en avoir conscience et en quelques mois, un système monétaire plus stable et plus performant que tout ce qu’ont pu concevoir nos politiciens et nos banquiers centraux en plusieurs siècles. Il a fallu l’intervention arbitraire d’un de nos parents – pourtant animé des meilleures intentions – pour déstabiliser temporairement notre système avant que ce dernier ne retrouve naturellement un nouvel équilibre. Nous n’étions pas des génies, nous ne savions même pas ce qu’était une monnaie et nous ne nourrissions aucun dessin, aucun plan pour ces petites économies qu’étaient nos cours d’école. Pourtant nous l’avons fait et, si vous y réfléchissez bien, peut être que vous aussi.

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[1] Souvenir douloureux : cette figurine fraîchement acquise me fût immédiatement confisquée par une surveillante au motif que « c’était interdit ».
[2] Qui étaient pourtant les plus jolies... Enfin, de mon point de vue.
[3] La parité était de cet ordre.

De l’ordre spontané (Re : Desaix)

Ce qui suit est ma réponse à « Desaix » (dans les commentaires)

Cher Monsieur,

Je crains que vous n’ayez pas compris ce que recouvrent les notions d’« ordre spontané » et de « main invisible ».

Ce que décrit un « ordre spontané » dans une société humaine, c’est le phénomène qui fait que nous, homo sapiens, sommes capables de nous organiser pour créer les conditions de notre survie et de notre bien-être sans que cette organisation ne nécessite aucune planification centralisée. C’est une des caractéristiques les plus saillantes de notre espèce, bien plus que le pouce opposable ou la capacité à utiliser des outils : nous sommes capables de nous coordonner, de coopérer et de travailler ensembles à la résolution des problèmes auxquels nous sommes confrontés sans qu'aucune force supérieure ne nous y oblige ni ne nous explique comment faire. Avez-vous déjà observé comment, dans une cour de récréation, les enfants organisent leurs jeux, définissent des règles qui conviennent à tous et les respectent d’eux-mêmes ? Ne vous êtes vous jamais demandé comment cela était possible sans aucune intervention de la maîtresse ? Nous le faisons, en permanence et infiniment mieux que n’importe quelle espèce du règne animal. C’est notre nature : quand la force, le vol ou la contrainte sont exclus, nous coopérons spontanément.

De la même manière, la fameuse « main invisible » d’Adam Smith n’a rien d’une théorie ; c’est une métaphore qui décrit ce que vous pouvez observer partout et tout le temps autour de vous. Votre boulanger, par exemple, ne se lève pas si tôt le matin parce que le gouvernement, Dieu ou qui sais-je encore le lui a ordonné. Il se lève et va pétrir sa pâte parce que c’est ainsi qu’il peut espérer faire un bénéfice et gagner sa vie. C’est ce même bénéfice – qu’il retire de son travail, de son talent et des risques qu’il a pris en ouvrant sa boulangerie – qu’il échangera contre le produit du travail des autres hommes qui l’entoure. Votre boulanger ne fait pas tout cela dans le but conscient de concourir à l’« intérêt général » ; il le fait pour son propre bénéfice mais pourtant c’est bien parce qu’il travaille pour lui-même que vous pouvez disposer à moindre frais d’une baguette de pain. C’est ça la « main invisible » ; c’est ce mode d’organisation spontané qui fait que les hommes, en poursuivant leurs propres intérêts, produisent, échangent et contribuent inconsciemment au bien être de la société.

Pourquoi tout les systèmes économiques planifiés ont-ils tous, sans aucune exception, été des échecs dramatiques ? Comment notre société humaine a-t’elle été capable de produire des appareils aussi fantastiquement complexes qu’un iPhone et ses composants sans aucune planification centralisée ? Comment le prix des marchés obligataires, qui résulte de milliers de transactions venues du monde entier, peut-il si fidèlement refléter les anticipations de croissance et d’inflation du marché ?

Si l’homme – l’individu – se définit lui-même, la société des hommes ne saurait être définit autrement que par l’agrégation et les interactions de nos propres définitions, de nos propres objectifs, de nos propres individualités. Vous avez tout à fait raison de souligner que nous ne sommes pas des fourmis qui répètent inlassablement les mêmes actes productifs dans le seul objectif de contribuer à la survie de la fourmilière. Nous sommes distincts des fourmis parce que nous sommes tous différents ; chacun d’entre nous est un individu unique qui définit lui-même les conditions de son bonheur, les objectifs de sa vie et les raisons qui le pousse à agir. C’est précisément pour cela qu’il est impossible de planifier la société des hommes ; c’est pour cette raison fondamentale et essentielle que toute tentative d’ingénierie sociale est vouée à l’échec.

La société des hommes, leur économie est un système d’une telle complexité qu’aucun d’entre nous n’est capable de le comprendre ne serais-ce que partiellement. C’est le résultat des interactions de milliards ce centre de décision qui réagissent, anticipent et coopèrent entre eux. C’est un gigantesque ordre spontané que seule la main invisible peut organiser. Ceux qui disent vouloir « réguler l’économie » sont coupables d’une arrogance qui tient de l’ignorance ou la mégalomanie. Les planificateurs n’ont pas de savoir ; ils n’ont que la prétention du savoir. Celui qui sait sait en fait qu’il ne sait pas. Ce que nous avons appris c’est la complexité : nous n’avons pas la présomption de dire que l’ordre spontané d’une société humaine est parfait ; nous avons l’humilité de reconnaître que nous ne savons pas comment le dépasser.

Enfin, il y a bien plus qu’un simple « esprit utilitariste » derrière nos théories ; il y a une conception de l’homme – être pensant et agissant –, de la société des hommes – dont l’Etat n’est qu’une conséquence et en aucune manière le fait originel – et de l’ultime condition de notre bonheur : la liberté.

L’écologie totalitaire

Les prophètes de l’Apocalypse n’ont de cesse que de nous vendre l’imminence d’un cataclysme terrible, causé par la main de l’homme, qui finira par précipiter la perte non seulement de l’humanité mais de toute forme de vie à la surface de cette planète. Crises alimentaires liées à la surpopulation, disparition de l’écosystème causée par la pollution, exodes massifs précipités par le réchauffement climatique… Voilà une bonne cinquantaine d’années que les adorateurs de Gaïa nous prédisent les pires calamités pour un avenir proche, que leurs prophéties sont constamment réfutées par les faits et que pourtant leur influence politique n’en finit plus de se renforcer.

L’écologie telle que nous la connaissons aujourd’hui est un projet politique. C’est une conception du monde qui veut que l’homme – parce qu’il cherche à améliorer ses conditions de vies, parce qu’il est « matérialiste », « égoïste » et n’est « motivé que par les profits à court terme » – soit coupable de détruire la Terre nourricière. Le projet de cette écologie politique consiste à organiser le sauvetage de la planète en centralisant, en planifiant et – finalement – en empêchant les hommes de poursuivre leurs vies comme bon leur semble. C’est de totalitarisme qu’il est question. Les idées selon laquelle l’homme est mauvais, selon laquelle il est incapable de prendre en main sa propre destinée sans nuire aux autres et qui voudrait que ceux qui se propose de planifier sa vie sont plus sages et d’aspirations plus élevées que le commun des mortels sont au cœur de toutes les idéologies totalitaires.

Soyons très clairs : si nous sommes 7 milliards aujourd’hui c’est parce que les progrès que nous avons réalisé au cours des deux derniers siècles nous permettent de l’être ; revenir à l’organisation technique et économique du moyen-âge, c’est aussi revenir à la population du moyen-âge – pour mémoire, au début de la révolution industrielle (vers 1800), nous n’étions qu’un milliard. Quand le projet écologique consiste à organiser la « décroissance » pour « sauver la planète », c’est bel et bien d’un sacrifice de l’humanité – ou du moins d’une grande partie de cette dernière – qu’il est question. Qui recevra l’autorisation de vivre ? Qui décidera ?

Ce que les décroissants recherchent à obtenir de nous c’est ce qu’Ayn Rand appelait la « caution de la victime » : pour nous faire accepter leur projet et ses conséquences, ils doivent nous convaincre non seulement de l’urgence d’une intervention gouvernementale massive mais surtout de notre culpabilité. Nous sommes coupables de chercher à améliorer nos conditions d’existence, nous sommes coupables d’exister, nous devrions expier nos fautes et mériter le pardon de Gaïa. Relayé urbi et orbi, ce discours culpabilisateur a pavé pendant des décennies la voie de sa seule conclusion logique : c’est au gouvernement de prendre les choses en main.

L’ironie de la chose c’est qu’en matière de politiques environnementales, nos gouvernements omnipotents et omniscients ne cessent de nous prouver jour après jour l’ineptie de leurs solutions – et ce, même (surtout ?) quand ils sont conseillés par une palanquée d’écologistes certifiés bio. L’interdiction du DDT qui provoque une recrudescence de la malaria en Afrique, les subventions à la production de biocarburants qui provoquent une crise alimentaire mondiale, la condamnation des OGM qui oblige les agriculteurs à utiliser plus de pesticides… On pourrait passer des heures à lister ces politiques imbéciles et leurs conséquences « inattendues » sur la vie de nos semblables et cette même Mère Nature qu’elles étaient supposées protéger.

Le débat écologique exclue systématiquement toute proposition qui n’implique pas de confier plus de pouvoirs au gouvernement parce que – précisément – nos « écologistes » sont avant tout des dirigistes pour qui la réduction de l’homme au rang d’esclave obéissant est un objectif en tant que tel. C’est une prémisse au même titre que la nécessité de protéger Gaïa. Ceux d’entre nous qui cherchent sincèrement des solutions pour protéger notre environnement, des solutions qui respectent l’homme libre en tant qu’habitant légitime de cette planète ont le devoir moral de considérer honnêtement toutes les options. Des forêts françaises aux éléphants du Zimbabwe, la propriété privée des ressources naturelles a fait ses preuves : c’est un système qui fonctionne durablement, qui protège la nature tout en respectant les hommes.

La « civilisation » d’Internet est en marche

La synthèse d’une réunion du 17 février 2011 [1] révèle qu’un groupe d’eurodéputés, le Law Enforcement Working Party (LEWP), travaille dans la plus grande discrétion à la création d’un « cyberespace européen sécurisé », une sorte de « zone de Schengen virtuelle » qui permettrait de contraindre les fournisseurs d’accès à Internet à filtrer les contenus jugé illicites sur la base d’une « liste noire européenne ». En clair, ce que nos élus bruxellois sont en train de nous peaufiner ce n’est rien de moins qu’une grande muraille numérique européenne.

La logique de nos eurodéputés est implacable : on ne peut pas décemment poster un représentant des forces de l’ordre à temps plein derrière chaque internaute européen pour vérifier qu’il se conforme aux myriades de réglementations qui s’imposent à lui et, par ailleurs, l’expérience de l’Hadopi semble démontrer que le moindre adolescent boutonneux – qui a facilement cinq à dix ans d’avance technologique sur le législateur – n’a aucun mal à enfumer les coûteux organismes de contrôle imaginés par nos élus. La seule solution – pour « sécuriser » Internet – consiste donc à nous interdire purement et simplement l’accès aux sites qui déplaisent à Bruxelles.

Les pirates attaquent la Mafiaa mais oublient le shérif

Sans surprise, cette information s’est répandue comme une traînée de poudre sur la toile à commencer par le site de Pirate Bay, un site de téléchargement, qui a officiellement déclaré la « guerre des Internets » [3] à la MAFIAA [2], le lobby de l’industrie musicale et cinématographique étasunienne, au motif que cette dernière serait une des promotrices de ce projet. Bien sûr, que la MAFIAA ne soit pas étrangère aux travaux du LEWP ne choquera personne : l’art qui consiste à faire appel à la puissance publique pour protéger ses bénéfices tout en se drapant dans une posture de défenseur de l’« intérêt général » ou dans ce cas de « la culture » est un effet induit de l’interventionnisme étatique connu et documenté depuis la « pétitions des fabricants de chandelles » [4]. De la même manière, le fait que Pirate Bay revête son armure étincelante de chevalier défenseur de la liberté des internautes n’est pas vraiment étranger au danger évident que présenterait une telle réglementation pour ses affaires.

Ce qui est plus surprenant, en revanche, c’est que la plupart des internautes qui se sont mobilisés ses jours-ci contre ce projet s’en sont pris exclusivement à la MAFIAA en ignorant complètement le LEWP. Si les noms de ces deux organisations peuvent – au moins en partie – expliquer leur succès respectifs dans le rôle du méchant, il est tout de même surprenant de constater à quel point les internautes se trompent de cible. La MAFIAA est une organisation dont l’unique objet et l’existence même consiste à s’attirer les faveurs de nos politiques. C’est la nature d’un lobby que d’argumenter, de négocier et parfois même de corrompre mais ce qu’un lobby ne fait jamais c’est décider : la décision d’accorder ou non une faveur appartient au pouvoir politique et à lui seul. Reprocher aux lobbies de courtiser le pouvoir c’est un peu comme reprocher aux guêpes de butiner votre confiture ; ça ne sert à rien et c’est idiot : ce ne sont pas les guêpes qui ne sont pas à leur place, c’est la tartine.

L’« Internet civilisé » a des relents d’ORTF numérique

D’ailleurs nos politiciens nous le dirons de façon très nette : la « zone de Schengen virtuelle » ne vise pas notre liberté d’expression et encore moins nos idées politiques mais cherche tout au contraire à nous protéger contre la sauvagerie de cet Internet dérégulé où le citoyen lambda peut à tout moment être tenté d’abuser de sa liberté. Si vous pensez qu’un politicien professionnels est par nature un être noble aux motivations au dessus de tout soupçon ; libre à vous. Mais songez-y quand même un instant : ce projet, s’il venait à voir le jour, permettrait à nos gouvernements – ou à d’obscurs technocrates bruxellois – de définir les sites auxquels nous sommes autorisés à accéder. Vous trouvez ça anodin ? Prenons un exemple : les membres d’un forum sur Internet discutent de choses déplaisantes mais légales. Qu’à cela ne tienne : il suffirait qu’un malfaisant décide d’y déposer une petite annonce dans laquelle il vendrait – par exemple – de la drogue et hop ! Direction la « liste noire ».

Ce que nos gouvernants ne supportent pas dans cet Internet « sauvage » c’est précisément qu’ils ne le contrôlent pas. Depuis plusieurs années déjà, le discours politique véhicule l’idée selon laquelle nous serions menacés par ce « far west » numérique sans foi ni loi et qu’il faudrait « civiliser Internet ». Là où chaines de télévision, radios et presse écrite ont été patiemment muselées à coup de subventions et de règlementations – pour ne pas évoquer le cas de nos télévisions d’Etat – Internet reste, pour l’essentiel, libre. Ce « cyberespace européen sécurisé », cet « Internet civilisé » n’est rien d’autre qu’un appareil de prêt-à-censurer dans lequel ni vous ni moi n’aurons le moindre contrôle sur ce que l’on veut bien nous laisser voir ou pas. Nous avons déjà eut la faiblesse coupable d’accepter la mainmise de l’Etat sur les média traditionnels ; ceux d’entre nous qui éprouvent encore un peu d’attachement pour leurs libertés individuelles ont le devoir de combattre cette aberration.

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[1] 8ème section.
[2] Music And Film Industry Association of America ; ça ne s’invente pas.
[3] Winston Bay - The finest hour.
[4] Frédéric Bastiat – Les Sophismes Economiques, chapitre VII.

La théorie du complot de Nicolas Dupont-Aignan

Dans une interview récemment accordée sur Causeur, Nicolas Dupont-Aignan dénonce le « scandale France Trésor », un scandale qu’il a « découvert sur internet ». Comme j’ai moi-même découvert un certain nombre de scandales sur internet – l’homme n’a jamais mis le pied sur la lune, le monde est en réalité dirigé par une secte extraterrestre et, pire encore, Elvis Presley n’est pas mort – je me fais un devoir de vérifier les assertions de ceux qui les dénoncent et ce, en particulier, quand le « scandale » en question fleure la théorie du complot à plein nez.

L’Agence France Trésor (AFT), donc, est une agence gouvernementale française dont le métier consiste à gérer la dette et la trésorerie de l’Etat [1] – à laquelle monsieur Dupont-Aignan reproche d’être conseillée – pas dirigée – par un comité stratégique « composé de banquiers internationaux qui en sont aussi les bénéficiaires ». Traduction : l’AFT, dont le métier consiste à emprunter de l’argent sur les marchés financiers pour le compte de l’Etat, est (plus ou moins) dirigée par des banquiers privés (apatrides et avides de profits comme il se doit) qui ont tout intérêt à nous faire payer le plus possible d’intérêts puisque ce sont leurs banques qui achètent la dette de l’Etat. D’où l’« énorme conflit d’intérêt », d’où le scandale.

Le comité stratégique existe bel est bien et il n’a effectivement qu’un rôle de conseil – l’AFT étant, bien évidemment, dirigée par des représentant de l’Etat à commencer par monsieur Philippe Mills, son directeur général et monsieur Anthony Requin [2], son adjoint. Par ailleurs, le comité stratégique est composé de dix membres [2] parmi lesquels seuls deux correspondent vaguement à ce que monsieur Dupont-Aignan appelle des « banquiers internationaux » – messieurs de Larosière (ancien gouverneur de la Banque de France et conseiller du président BNP Paribas) et Hau (membre du directoire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild) – à moins que l’on ne considère BlackRock (qui est une société de gestion), la Banque nationale suisse (qui est la banque centrale de nos voisins helvètes) et la BEI (qui est un organisme public de l’Union Européenne) comme des « banques internationales » ; ce qui élèverait – en tirant bien par les cheveux – la proportion de « banquiers internationaux » à cinquante pour cent de l’effectif. Passons…

Pour illustrer le scandale de ce « racket de la richesse nationale », monsieur Dupont-Aignan affirme que « la Banque centrale européenne prête aux banques au taux de 1%, et celles-ci prêtent à la France à 3% ». Il faudrait un livre d’introduction à l’économie pour expliquer à quel point cette affirmation est ridicule mais restons simples : 1%, c’est le taux que payent les banques commerciales à la BCE pour des emprunts sur une semaine et 3%, c’est le taux que paye l’Etat pour des emprunts à dix ans. Avec un minimum de culture économique – et j’admets ici que c’est un problème de culture économique –, monsieur Dupont-Aignan aurait certainement cherché à comparer des choses plus comparables : par exemple, pas plus tard que le 9 mai 2011, alors que le « taux refi » de la BCE (c'est-à-dire le taux auquel les banques commerciales empruntent de l’argent à la BCE) était à 1,25%, l’AFT a emprunté 4 milliards d’euros sur 3 mois à un taux de… 1,02% ; soit 0,23% de moins [4].

Rajoutons que la dette de l’Etat français est majoritairement détenue par des compagnies d’assurance, des fonds d’investissement ou des organismes de retraite c'est-à-dire – in fine – par d’honnêtes gens qui ont placé les économies d’une vie de travail dans des contrats d’assurance-vie, des OPCVMs ou des plans de retraite complémentaire. Les banques ne détiennent vraisemblablement pas beaucoup plus d’un dixième de notre dette publique et – mieux encore – ne le font que parce que la réglementation bancaire les y incite fortement ! C’est une simple question de bon sens : quel intérêt pourrait bien avoir une banque à prêter de l’argent à un Etat qui, par nature, se finance moins cher qu’elle si on ne l’y a pas incité par voie réglementaire ?

Enfin, juste pour le principe, cette accusation portée contre les instigateurs de cette fameuse loi de 1973 – aussi connue chez ses détracteurs sous le nom de « loi Rothschild » [5] – relève non seulement de l’analphabétisme économique mais surtout du procès d’intention le plus abject. Cette petite théorie complotiste que monsieur Dupont-Aignan a découvert sur internet dégage un fumet nauséabond qui n’est pas sans rappeler une époque où l’on tenait le même genre de discours en marchant au pas, le bras tendu bien haut. Puis-je suggérer à monsieur Dupont-Aignan de mieux sélectionner ses sources à l’avenir et, par la même occasion, de se fendre d’une lettre d’excuses adressée à l’équipe de l’AFT ?

Cette loi de 1973, votée sous l’impulsion de Valéry Giscard d'Estaing, est un des rares garde-fous qui nous restent pour empêcher des politiciens incompétents de financer leurs lubies en dévaluant massivement la valeur de nos économies et le niveau de nos salaires réels. Depuis quand les politiciens sont-ils plus compétents que les gens dont c’est le métier – et par ailleurs l’intérêt bien compris – pour savoir combien et où investir ? Qui peut être assez naïf pour croire qu’il suffit de faire « tourner la planche à billets » pour créer de véritables richesses ? A combien d’expériences désastreuses – comme celle de la république de Weimar en 1923 ou les imbécilités de Robert Mugabe plus récemment – faudra t’il que nous assistions pour comprendre que la création de richesse, l’innovation et – finalement – le bien être des gens ne se planifie pas ? La proposition de Nicolas Dupont-Aignan représente bien le même genre d’alternatives que celles de Marine le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon : le suicide collectif.

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[1] Ce que monsieur Dupont-Aignan appelle improprement « la dette de la France » ; tombant ainsi dans le vieux travers socialiste qui consiste à confondre la Société et l’Etat.
[2] Ca ne s’invente pas !
[3] Donc vous trouverez la liste ici.
[4] Si, comme Nicolas Dupont-Aignan, vous avez internet chez vous : vous pouvez vérifier.
[5] Georges Pompidou fut directeur général de la Banque Rothschild ; il est donc ici accusé d’avoir « vendu » notre intérêt national à une banque… Sans commentaire.

Le cancer de la société française

Lors d’une interview durant laquelle il dénonçait les « dérives de l'assistanat », Laurent Wauquiez plaidait entre autres choses pour que le cumul des minima sociaux soit plafonné à 75% du Smic au motif que, selon lui, « un couple qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minima sociaux, peut gagner plus qu'un couple dans lequel il y a une personne qui travaille au Smic ». Cette déclaration tonitruante a valu à monsieur Wauquiez une volée de bois vert d’autant plus cinglante qu’au-delà d’une remise en cause de nos précieux « acquis sociaux », ce ministre de la République a manifestement dit n’importe quoi.

En effet, le mécanisme du RSA a été précisément conçu afin de tenir compte des autres aides perçues par les allocataires – ou du moins d’un certain nombre d’entre elles comme les allocations familiales ou l’aide personnalisée au logement (APL). Par exemple, si un couple de chômeurs avec trois enfants peuvent prétendre à 1 167,48 euros de RSA dit « socle » mais touche par ailleurs 286,78 euros d’allocations familiales et 420.93 euros d’APL, leur RSA effectif sera réduit de l’intégralité des allocations familiales et d’un montant forfaitaire de 138.70 euros au titre de l’APL – soit 742 euros qui amènent leurs revenus mensuels à 1 449,71 euros. Par ailleurs, si l’un des deux membres du couple trouve un travail payé au Smic, leur aide au logement baissera d’une centaine d’euros et leur RSA passera à 334.26 euros ce qui portera leurs revenus totaux à 2 005,65 euros ou 555.94 euros de la situation précédente. A moins donc que monsieur Wauquiez ne nous trouve un exemple concret qui illustre son propos, il semble bien qu’un ministre de la République se soit proposé de modifier un système auquel il ne comprend absolument rien.

L’ingérable maquis

Qu’un politicien cherche à s’attirer les faveurs de telle ou telle fraction du corps électoral en se proposant de légiférer sur un sujet qu’il ne maîtrise pas n’a rien de nouveau ; c’est même un lieu commun d’une banalité totale. Ce que cette petite mésaventure illustre parfaitement c’est que s’il y a, dans notre pays, des « dérives de l'assistanat », une des causes principales découle du fait que notre système d’aides sociales – comme notre fiscalité – est un inextricable maquis. Cette complexité pose au moins deux problèmes.

L’opacité du système interdit tout débat rationnel sur son fonctionnement : de la même manière que nous sommes – vous et moi – parfaitement incapables de dire combien nous payons réellement d’impôts, nous sommes tout aussi incapables d’évaluer avec précision combien ceux de nos concitoyens qui bénéficient de ces systèmes touchent effectivement. Soyons honnêtes : en tant que citoyens de ce pays, nous avons totalement perdu la maîtrise de nos finances publiques. Nous ne savons pas qui paye pour quoi et pour qui et en sommes réduits à faire une confiance aveugle à des politiciens professionnels dont l’intérêt bien compris consiste précisément à ce que nous demeurions le plus ignorant possible. Nos jugements en matière fiscale comme en matière de redistribution ne reposent plus que sur les affirmations péremptoires de ceux qui nous gouvernent ou prétendent le faire et nous choisissons de croire celui qui a le mérite de conforter nos apriori.

Il est un autre principe valable pour les aides sociales comme pour les prélèvements obligatoires qui veut que plus un système est complexe, plus il est facile à contourner. De la même manière que la multiplication infinie des niches fiscales, des abattements et autres passe-droits permet à ceux qui s’en donnent la peine – et qui y ont le plus intérêt – d’éluder l’impôt, l’opacité de notre système d’aides sociales le rend parfaitement incontrôlable et favorise ceux et celles qui cherchent à en profiter indument. La multiplicité des systèmes et des administrations à laquelle s’ajoute la nébulosité des conditions d’attribution encouragent la fraude et créent une situation ubuesque où ceux qui ont besoin d’aide ne savent pas à quoi ils ont droit alors que ceux qui trichent maîtrisent parfaitement les rouages de l’usine à gaz.

Nous ne ferons pas l’économie d’une réforme du système

Supposez un instant que monsieur Wauquiez ait eut raison et qu’en effet, il soit possible de mieux gagner sa vie en vivant d’aides sociales qu’en travaillant au Smic. Quel effet croyez-vous que cela puisse avoir ? Pouvez-vous sincèrement croire qu’un de nos concitoyens irait travailler 35 heures par semaine pour le plaisir de réduire son niveau de vie ? Imaginez maintenant qu’il soit possible de toucher exactement les mêmes revenus avec un RSA et quelques autres aides réservées aux chômeurs qu’en travaillant au Smic – même conclusion n’est-ce pas ? Au-delà de la fraude, le problème que pose tout système de minima sociaux et un problème d’incitations : à partir de quel montant de revenus supplémentaires accepteriez vous d’aller travailler ? Si, comme dans l’exemple proposé plus haut, vous touchiez 1 449,71 euros par mois sans travailler, accepteriez-vous de vous lever tout les matins pour gagner 555.94 euros de plus ? Peut être que oui, peut être que non…

Le chômage volontaire existe. N’en déplaise aux naïfs, un nombre conséquent de nos concitoyens font le choix rationnel et conscient de refuser des offres d’emplois pour continuer à vivre des aides sociales. On peut débattre de l’ampleur du phénomène mais le nier relève de l’angélisme ou la malhonnêteté intellectuelle. Il ne s’agit pas – comme certains aimeraient le croire – de « stigmatiser les chômeurs » mais tout au contraire d’admettre que les gens ne sont pas des imbéciles et qu’un certain nombre d’entre eux exploitent le système. Refuser l’aller travailler pour rien, ce n’est pas être un fainéant ; c’est se comporter de façon parfaitement rationnelle. Nous avons fixé une règle du jeu, définit des « droits » ; comment s’étonner de ce que des êtres doués de raison exploitent cette règle dans le sens de leurs intérêts ?

Trop complexe, mal conçu, bricolé mille fois par des générations de politiciens qui, à l’instar de monsieur Wauquiez, n’ont fait qu’empiler des systèmes bancals sur des « mesurettes » contradictoires ; c’est tout notre système d’aides sociales que nous devons remettre à plat aujourd’hui. Ce modèle social que le monde est supposé nous envier ne génère plus qu’injustices, effets pervers, clientélisme et déficits publics. L’heure n’est plus aux ajustements de paramètres mais à une refonte complète. Le véritable « cancer de la société française » c’est que nous refusons cette évidence.

Le cancer de la société française

Lors d’une interview durant laquelle il dénonçait les « dérives de l'assistanat », Laurent Wauquiez plaidait entre autres choses pour que le cumul des minima sociaux soit plafonné à 75% du Smic au motif que, selon lui, « un couple qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minima sociaux, peut gagner plus qu'un couple dans lequel il y a une personne qui travaille au Smic ». Cette déclaration tonitruante a valu à monsieur Wauquiez une volée de bois vert d’autant plus cinglante qu’au-delà d’une remise en cause de nos précieux « acquis sociaux », ce ministre de la République a manifestement dit n’importe quoi.

En effet, le mécanisme du RSA a été précisément conçu afin de tenir compte des autres aides perçues par les allocataires – ou du moins d’un certain nombre d’entre elles comme les allocations familiales ou l’aide personnalisée au logement (APL). Par exemple, si un couple de chômeurs avec trois enfants peuvent prétendre à 1 167,48 euros de RSA dit « socle » mais touche par ailleurs 286,78 euros d’allocations familiales et 420.93 euros d’APL, leur RSA effectif sera réduit de l’intégralité des allocations familiales et d’un montant forfaitaire de 138.70 euros au titre de l’APL – soit 742 euros qui amènent leurs revenus mensuels à 1 449,71 euros. Par ailleurs, si l’un des deux membres du couple trouve un travail payé au Smic, leur aide au logement baissera d’une centaine d’euros et leur RSA passera à 334.26 euros ce qui portera leurs revenus totaux à 2 005,65 euros ou 555.94 euros de la situation précédente. A moins donc que monsieur Wauquiez ne nous trouve un exemple concret qui illustre son propos, il semble bien qu’un ministre de la République se soit proposé de modifier un système auquel il ne comprend absolument rien.

L’ingérable maquis

Qu’un politicien cherche à s’attirer les faveurs de telle ou telle fraction du corps électoral en se proposant de légiférer sur un sujet qu’il ne maîtrise pas n’a rien de nouveau ; c’est même un lieu commun d’une banalité totale. Ce que cette petite mésaventure illustre parfaitement c’est que s’il y a, dans notre pays, des « dérives de l'assistanat », une des causes principales découle du fait que notre système d’aides sociales – comme notre fiscalité – est un inextricable maquis. Cette complexité pose au moins deux problèmes.

L’opacité du système interdit tout débat rationnel sur son fonctionnement : de la même manière que nous sommes – vous et moi – parfaitement incapables de dire combien nous payons réellement d’impôts, nous sommes tout aussi incapables d’évaluer avec précision combien ceux de nos concitoyens qui bénéficient de ces systèmes touchent effectivement. Soyons honnêtes : en tant que citoyens de ce pays, nous avons totalement perdu la maîtrise de nos finances publiques. Nous ne savons pas qui paye pour quoi et pour qui et en sommes réduits à faire une confiance aveugle à des politiciens professionnels dont l’intérêt bien compris consiste précisément à ce que nous demeurions le plus ignorant possible. Nos jugements en matière fiscale comme en matière de redistribution ne reposent plus que sur les affirmations péremptoires de ceux qui nous gouvernent ou prétendent le faire et nous choisissons de croire celui qui a le mérite de conforter nos apriori.

Il est un autre principe valable pour les aides sociales comme pour les prélèvements obligatoires qui veut que plus un système est complexe, plus il est facile à contourner. De la même manière que la multiplication infinie des niches fiscales, des abattements et autres passe-droits permet à ceux qui s’en donnent la peine – et qui y ont le plus intérêt – d’éluder l’impôt, l’opacité de notre système d’aides sociales le rend parfaitement incontrôlable et favorise ceux et celles qui cherchent à en profiter indument. La multiplicité des systèmes et des administrations à laquelle s’ajoute la nébulosité des conditions d’attribution encouragent la fraude et créent une situation ubuesque où ceux qui ont besoin d’aide ne savent pas à quoi ils ont droit alors que ceux qui trichent maîtrisent parfaitement les rouages de l’usine à gaz.

Nous ne ferons pas l’économie d’une réforme du système

Supposez un instant que monsieur Wauquiez ait eut raison et qu’en effet, il soit possible de mieux gagner sa vie en vivant d’aides sociales qu’en travaillant au Smic. Quel effet croyez-vous que cela puisse avoir ? Pouvez-vous sincèrement croire qu’un de nos concitoyens irait travailler 35 heures par semaine pour le plaisir de réduire son niveau de vie ? Imaginez maintenant qu’il soit possible de toucher exactement les mêmes revenus avec un RSA et quelques autres aides réservées aux chômeurs qu’en travaillant au Smic – même conclusion n’est-ce pas ? Au-delà de la fraude, le problème que pose tout système de minima sociaux et un problème d’incitations : à partir de quel montant de revenus supplémentaires accepteriez vous d’aller travailler ? Si, comme dans l’exemple proposé plus haut, vous touchiez 1 449,71 euros par mois sans travailler, accepteriez-vous de vous lever tout les matins pour gagner 555.94 euros de plus ? Peut être que oui, peut être que non…

Le chômage volontaire existe. N’en déplaise aux naïfs, un nombre conséquent de nos concitoyens font le choix rationnel et conscient de refuser des offres d’emplois pour continuer à vivre des aides sociales. On peut débattre de l’ampleur du phénomène mais le nier relève de l’angélisme ou la malhonnêteté intellectuelle. Il ne s’agit pas – comme certains aimeraient le croire – de « stigmatiser les chômeurs » mais tout au contraire d’admettre que les gens ne sont pas des imbéciles et qu’un certain nombre d’entre eux exploitent le système. Refuser l’aller travailler pour rien, ce n’est pas être un fainéant ; c’est se comporter de façon parfaitement rationnelle. Nous avons fixé une règle du jeu, définit des « droits » ; comment s’étonner de ce que des êtres doués de raison exploitent cette règle dans le sens de leurs intérêts ?

Trop complexe, mal conçu, bricolé mille fois par des générations de politiciens qui, à l’instar de monsieur Wauquiez, n’ont fait qu’empiler des systèmes bancals sur des « mesurettes » contradictoires ; c’est tout notre système d’aides sociales que nous devons remettre à plat aujourd’hui. Ce modèle social que le monde est supposé nous envier ne génère plus qu’injustices, effets pervers, clientélisme et déficits publics. L’heure n’est plus aux ajustements de paramètres mais à une refonte complète. Le véritable « cancer de la société française » c’est que nous refusons cette évidence.

La mondialisation a bon dos...

En quarante ans, le poids de l’industrie [1] dans le PIB français a reculé de onze points – de 22% du PIB en 1970 à 11% en 2010 – et le nombre d’emplois dans ce secteur est passé de 5,1 millions en 1970 à 2,9 millions en 2010 – soit 42% de moins. Ces deux faits, relayés par le discours politique et les gros titres de la presse qui fait ses choux gras de chaque fermeture d’usine, ont donné naissance dans l’imaginaire collectif à l’idée selon laquelle la France serait victime d’une « désindustrialisation » causée par la « concurrence déloyale » des pays à bas salaires.

C’est au mieux une analyse hâtive ; au pire une escroquerie pure et simple.

Ajustée de l’inflation, la production industrielle françaises (900 milliards d’euros) était 114% plus élevée en 2010 qu’en 1970 et sur la même période, la valeur ajoutée – c'est-à-dire la richesse économique – générée par ce secteur (215 milliards d’euros en 2010) a doublé [2]. Cette réduction du poids de l’industrie dans notre PIB ne traduit donc pas une réduction de notre production industrielle – elle n’a même jamais été aussi élevée que durant cette première décennie du XXIème siècle – mais à une croissance plus rapide du reste de l’économie et en particulier des activités de service.

D’autre part, quand nous mesurons la production et la valeur ajoutée d’un secteur de notre économie, nous les mesurons en valeur – c'est-à-dire que nous tenons compte des quantités produites mais aussi de leur prix de vente. Or, il se trouve qu’au cours des quarante dernières années, la valeur réelle des produits industriels a considérablement baissé. Par exemple, en 1972, une Renault 5 coûtait 9 740 francs soit 2 265 heures de travail payées au Smic tandis il est aujourd’hui possible d’acquérir une Twingo pour moins de 9 000 euros – c'est-à-dire moins de 1 000 heures de travail payées au Smic. De fait, alors que l’inflation contenue dans la croissance du PIB atteint 4,8% sur la période 1970-2010, celle de notre production industrielle n’est que de 3,5%. En tenant compte de ce phénomène, la part de la production industrielle passerait de 18% du PIB en 1970 à 14% en 2010 : ce ne sont plus 11 points que nous aurions perdu mais 4 [2].

Si la valeur réelle des produits industriels a baissé c’est que nos industries ont réalisé de gigantesques gains de productivité. Il suffit de comparer une chaine de montage des années 1970 avec son équivalent moderne pour s’en convaincre : les progrès technologiques réalisés en quarante ans ont complètement révolutionné l’organisation des usines et leur ont permit de produire beaucoup plus en utilisant beaucoup moins de ressources rares – et en premier lieu de travail humain. En 1970, un salarié de l’industrie française produisait l’équivalent de 73 959 euros par ans ; quarante ans plus tard, son fils produit 273 152 euros – soit 3,7 fois plus [2]. Si l’industrie – comme l’agriculture – emploie beaucoup moins de monde aujourd’hui qu’en 1970, ce n’est pas à cause de la mondialisation mais à cause du progrès technologique et c’est ce même progrès technologique qui, en compressant les coûts de production, nous permet de vivre dans un confort dont nos grands-parents à nos âges n’auraient même pas osé rêver.

Autre phénomène qui explique la baisse du poids de l’industrie et le recul des emplois industriels : l’externalisation. Au cours des dernières décennies, la plupart des entreprises ont cherché à se concentrer sur leurs métiers de base en externalisant la plupart des fonctions qui n’en font pas partie. Typiquement, le nettoyage des locaux d’une usine était autrefois assuré par ses propres salariés tandis qu’aujourd’hui, elle fait appel à une entreprise de propreté industrielle. En France, ce phénomène s’est traduit par une croissance fulgurante du secteur des services aux entreprises : en quarante ans, sa production a augmenté de 425%, sa valeur ajoutée est passée de 8,9% du PIB en 1970 à 15% en 2010 et il a créé 2,8 millions d’emplois. Une grande partie des emplois industriels n’ont, en réalité, pas été perdus mais se sont simplement déplacés dans les statistiques.

Bien sûr, ces gains de productivités et cette plus forte croissance des activités de services n’ont pas eut lieu qu’en France mais dans le monde entier : raison pour laquelle, à l’échelle planétaire, la part de l’industrie dans le Produit Mondial Brut est passée de près de 27% en 1970 à moins 17% de nos jours [3] – soit un recul de 10 points là où nous en avons perdu 11. Pour mémoire, chez nos voisins Allemands, dont on célèbre volontiers la « politique industrielle », la part de l’industrie passe de 32% du PIB en 1970 à 17% aujourd’hui – une baisse de 15 points. Comment cette désindustrialisation toute relative peut-elle être due à la concurrence d’autres pays si elle a lieu dans le monde entier ? Serions-nous victimes de la concurrence d’une économie extraterrestre à cause de la libéralisation du commerce interplanétaire [4] ?

Oui, nous avons « perdu » l’essentiel de notre industrie textile mais dans le même temps, des secteurs comme les cosmétiques ou les appareils électriques ont connu une croissance explosive et il se trouve justement que c’est dans des pays comme la Chine que l’Oréal ou Legrand se développent aujourd’hui. L’économie c’est compliqué. L’ordinateur qui se trouve devant vous est un pur produit de la mondialisation ; sans elle vous n’auriez pas pu vous l’offrir et il n’aurait peut-être même pas existé. Qu’est-ce qui vous autorise à croire que l’ouvrier chinois qui l’a assemblé a « volé » un emploi ? Votre ordinateur n’aurait sans doute pas été produit si cet ouvrier chinois n’avait pas accepté de le monter pour un prix défiant toute concurrence. Et combien d’emplois d’ingénieur, d’informaticiens, de transporteur, de vendeur, de dépanneur informatique (…) l’existence de votre ordinateur a-t-elle créé ? Sans compter qu’un jour pas si lointain que ça, l’ouvrier chinois pourra lui aussi s’offrir une bouteille de cognac français [5] pour fêter sa dernière augmentation.

L’économie n’est pas un jeu à somme nulle, ce n’est pas une guerre ; elle ne se pense pas en termes de « eux » contre « nous » : l’économie est un système de coopération entre individus où les frontières politiques – n’en déplaise aux politiciens – ne sont tout simplement pas pertinentes. L’économie française, l’industrie nationale et la balance commerciale n’ont aucune importance ; la seule chose qui importe c’est que nous – êtres humains, vivants, agissants, mus par nos espoirs, nos ambitions et nos propres conception du bonheur – soyons heureux. Le reste n’est que mauvaise littérature.

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[1] Au sens de l’Insee, c'est-à-dire les industries manufacturières, agro-alimentaire (IAA) et le secteur de l’énergie.
[2] Données de l’Insee.
[3] Données des Nations Unies.
[4] Copyright Don Boudreaux.
[5] L’exemple n’a pas été choisit au hasard…

Votre mot de passe

On ne va pas épiloguer pendant 150 ans, vous avez besoin : De mots de passe très forts (à partir de 128 bits), un par site (sauf, éventuel...