Pas de magie

Créer des emplois, c’est très facile. C’est même tellement facile que s’en est ridicule. Par exemple, si le gouvernement souhaite donner du travail à 2000 chômeurs, il suffit d’en embaucher 1000 pour creuser des trous pendant la journée et d’en embaucher 1000 autres pour reboucher ces mêmes trous durant la nuit. C’est imparable : vous avez créé 2000 emplois, ces gens vont toucher un salaire payé par le gouvernement ; ils vont donc pouvoir consommer des biens et des services, créant ainsi un surcroît de demande, de production et donc d’autres emplois. Autres méthodes : le gouvernement glisse des billets de banque dans de vieilles bouteilles, enterre ces dernières dans des mines désaffectées et donne ainsi du travail au secteur minier [1] ou il commande trois millions de machines à couper les cheveux en quatre dans le sens de la longueur et relance ainsi l’industrie française. « Ite missa est » comme on disait autrefois, pour faire baisser le chômage, il suffit d’augmenter la dépense publique.

Si rien ne vous dérange dans le paragraphe ci-dessus, je vous encourage à ne pas lire la suite de cet article. Vous perdriez votre temps et finiriez même peut être par m’en vouloir. En revanche, si les solutions que je propose provoquent chez vous un sentiment indéfinissable de malaise, si vous vous êtes dit en les lisant « mais c’est idiot, ça ne sert à rien ! » ; lisez la suite : nous allons pouvoir nous entendre.

Effectivement, creuser des trous pour les reboucher, enterrer des billets de banque ou fabriquer des machines à couper les cheveux en quatre dans le sens de la longueur ça ne sert strictement à rien. Ça ne produit absolument aucune forme de richesse pour la société et c’est strictement équivalent – d’un point de vue économique – à verser des allocations chômage. Payer des gens à rien faire ou les payer à faire des choses inutiles – au-delà de l’aspect cosmétique [2] et de la fatigue occasionnée – c’est exactement la même chose : dans les deux cas, vous ne produisez aucune richesse pour personne et le seul moyen de financer ces emplois, c’est de les faire financer par l’Etat, donc par les contribuables, donc par ceux d’entre nous qui – justement – produisent de la richesse.

Bien sûr, l’Etat pourrait tout aussi bien payer des gens à faire des choses utiles et c’est d’ailleurs, dans la pratique, bien ce qu’il essaye de faire. Mais qu’est-ce qu'une activité qui créé de la richesse? Eh bien c’est très simple : un autre mot pour « richesse » c’est « valeur ajoutée ». La valeur ajoutée, c’est la différence entre le prix auquel un client accepte d’acheter quelque chose – c'est-à-dire son estimation de la valeur de cette chose – et le prix des matériaux que vous avez utilisé pour produire ladite chose. Si cette différence est positive, vous avez créé de la valeur ajoutée, de la richesse. Vous ne l’avez volée à personne, vous l’avez créée par votre travail, votre talent et en acceptant de prendre des risques. Le profit que génère un entrepreneur est la mesure de la richesse qu’il créé à laquelle vient se soustraire la part de la valeur ajoutée qui revient – en vertu du contrat signé entre eux – à ses salariés.

Une activité qui créé de la richesse est donc, par définition, une activité qui créé de la valeur ajoutée ; une activité qui produit quelque chose que les consommateurs acceptent librement de payer à un prix qui permet de payer des salaires et de dégager des profits. Evidement, une entreprise privée – qui n’a pour seul objectif que de gagner de l’argent – a tout intérêt à créer de la valeur ; c’est sa raison d’être, c’est le propos même de sa création. Or justement, la justification ultime de la dépense publique c’est que l’Etat ne cherche pas à réaliser des profits ni même de la valeur ajoutée. L’Etat peut faire ça parce que si sa production ne créé pas de valeur ajoutée, il peut financer le manque à gagner par l’impôt ou nous contraindre à l’acheter à un prix fixé arbitrairement. Quand nous réclamons de la dépense publique pour créer des emplois, nous réclamons implicitement que l’Etat use de cette possibilité pour compenser ce que nous percevons comme une défaillance du secteur privé : nous demandons à l’Etat de créer des emplois qui ne produisent pas ou peu de richesses [3].

Autrement dit, les solutions décrites plus haut consistent à taxer les producteurs de richesse – c'est-à-dire à leur prendre une partie de la richesse qu’ils ont créée – pour financer des emplois qui, eux mêmes, ne créent aucune ou très peu de richesses. Ces emplois sont donc un coût supporté par la société et, en particulier, par les entrepreneurs et les salariés qui créent de quoi financer ce coût. Peu importe, me direz vous, on a bien réussit à donner du travail aux gens ; l’application du plan est donc un succès.

Eh bien non, vous répondrais-je, ce n’est pas si évident. Considérez ceci : quand vous taxez quelqu’un, vous le privez d’une partie de sa richesse et il ne sera donc plus en mesure de l’échanger contre des biens ou des services qui lui sont utiles – c'est-à-dire qui ont de la valeur ; dont la production créé de la richesse. En d’autres termes, vous privez des entreprises privées des débouchés qui auraient pu leur permettre de créer des emplois qui créent de la valeur ajoutée pour financer des emplois qui sont des coûts nets pour la société [4]. Par ailleurs, de la même manière qu’on augmente les taxes sur le tabac pour inciter les gens à moins fumer, augmenter les taxes sur les activités qui créent de la richesse incite les gens à en créer moins : c'est-à-dire que la création d’emplois par la dépense publique est compensée par des destruction (ou des non-créations) d’emplois dans le secteur privé.

Le bon sens le plus élémentaire nous apprend qu’avant de consommer de la richesse – en créant des emplois subventionnés par exemple – il faut la produire. Il n’y a pas, en ce bas monde, de magie. Une société qui fait du travail et de l’intelligence des hommes une source de coûts plutôt que la source de ses richesses se condamne à la banqueroute.

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[1] Si vous trouvez cette idée stupide – hommes de peu de foi ! – veuillez vous référer à John Meynard Keynes –« The General Theory of Employment, Interest and Money », chapitres 10.
[2] Il va de soit que, du point de vue du politicien, il a « fait baisser le chômage, relancé l’activité minière nationale et stoppé le déclin de l’industrie française » ; carton plein !
[3] Juste de quoi payer des salaires ou moins.
[4] Le fait que ces emplois, s’agissant des fonctionnaires au sens strict du terme par exemple, soient un coût net pour la société ne signifie nécessairement pas qu’ils ne sont pas utiles à la collectivité ; cela signifie que nous devons les financer par de la création de richesse.

10 commentaires:

  1. Economie politique ?
    Pataphysique !

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  2. Simpliste.

    Si j'ai 1 million par an de revenus financiers, et que je n'en dépense même pas la moitié ? Je ne créé pas de richesse. J'accumule au fil des ans, sans faire circuler la richesse.

    D'autre part, quelle plus value en ce qui concerne l'armée ? Voir même la santé, la sécurité, les aides sociales... ?

    Il me semble que dans ton billet tu oublies nombre de variables. Par exemple que le secteur privé a des droits, mais que l'état a surtout des devoirs.

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  3. Ah, là, là, que d'erreurs !

    "La richesse, c'est la valeur ajoutée."

    La valeur (ou richesse) ne se mesure pas en monnaie, mais en gain potentiel. C'est pour ça que le capital des société et dit "non récupérable" et que les cours des actions changent tout le temps. C'est la réputation de la société et ses bénéfices futurs qui font sa valeur.

    Vous partez aussi du principe que le seul moyen de faire de l'argent c'est de vendre à un prix plus élevé ce que vous avez acheté. Il y a autant de business plan que d'entreprise. Les supermarchés peuvent vendre à perte certains produits pour attirer les clients. Les boîtes de nuits font entrer gratuitement les filles pour attirer les garçons. Les journaux gratuits se rémunèrent avec les publicités. Etc...

    Tout ce qui n'est pas centré sur l'homme mais sur l'argent est un détournement du but de l'économie.

    Ainsi la richesse d'un pays ne se mesure pas à son PIB, mais au bonheur des gens qui y vivent. On peut estimer que l'entretien d'un jardin public ne sert à rien, car ça ne crée pas de valeur ajoutée. Un jardin public bien entretenu est pourtant plus agréable.

    Mais cette richesse peut aussi se transformer en utilité pour les entrepreneurs : en embauchant n'importe qui en France, l'employeur a de forte chance d'avoir quelqu'un qui sait lire, qui est vacciné. Des routes bien entretenues permettent au marchandises de mieux circuler.

    Or c'est bien là qu'on attend l'état : s'occuper des richesses communes qui ne peuvent pas être entretenu par l'un des acteurs de l'économie, sans que tous les autres en profite.

    Et donc l'état est le propriétaire de tous les biens communs dont toutes les entreprises et les habitants de France bénéficient indirectement pour produire de la richesse. L'impôt est donc légitime de ce point de vue-là, car il sert à entretenir les biens communs.

    Il y a encore beaucoup d'erreurs : l'utilitarisme est faux. La valeur ne se mesure pas avec l'utilité. Un diamant sur une bague ne sert à rien, mais vaut très cher. L'eau est une substance vitale, mais ne coûte rien.

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  4. Vouze,

    « La valeur (ou richesse) ne se mesure pas en monnaie »
    Contresens. Une monnaie – par définition – est un instrument qui rempli trois fonctions : réserve de valeur, intermédiaire général des échanges et… unité de compte. C’est une définition au même titre que la définition de ce que nous appelons une chaise ou un arbre. Que compte une monnaie si ce ne sont pas des unités de valeur ?

    « C'est la réputation de la société et ses bénéfices futurs qui font sa valeur. »
    Moins faux. La valeur d’une entreprise, de ses actions ou de n’importe quel autre actif financier est égale à la somme de la valeur actualisée des revenus futurs que nous en attendons. Nous ne connaissons pas le futur ; ce que nous appelons la « valeur intrinsèque » d’une entreprise est toujours une estimation fondée sur les informations dont nous disposons aujourd’hui, lesquelles influent sur nos anticipations de revenus futurs et sur la prime de risque que nous réclamons pour accepter d’investir dans cet actif risqué.

    « Vous partez aussi du principe que le seul moyen de faire de l'argent c'est de vendre à un prix plus élevé ce que vous avez acheté. »
    Je confirme… Je vous laisse réfléchir à vos exemples.

    « Tout ce qui n'est pas centré sur l'homme mais sur l'argent est un détournement du but de l'économie. »
    L’homme est bien l’unique finalité de l’économie ; l’argent n’est qu’un moyen, un outil pratique. Suggérer que l’argent dessert l’homme, que l’argent est « mauvais » n’a absolument aucun sens.

    « Ainsi la richesse d'un pays ne se mesure pas à son PIB »
    Correct. Le PIB mesure – de manière imparfaite, certes – la création de richesse d’une économie durant un laps de temps donnée.

    « […] mais au bonheur des gens qui y vivent. »
    C’est en effet la finalité mais comment mesurez vous le « bonheur des gens » ? Voir le lien que je vous propose plus bas.

    [...]

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  5. Vouze (suite et fin)


    « On peut estimer que l'entretien d'un jardin public ne sert à rien, car ça ne crée pas de valeur ajoutée. Un jardin public bien entretenu est pourtant plus agréable. […] »
    D’accord. Voir point suivant.

    « Or c'est bien là qu'on attend l'état : s'occuper des richesses communes qui ne peuvent pas être entretenu par l'un des acteurs de l'économie, sans que tous les autres en profite. »
    Absolument. Un « bien public » est un bien dont l’utilisation est non-rivale (je peux le consommer sans vous en priver) et non-exclusive (nous y avons tous accès librement). Par nature, personne n’accepte de payer pour l’usage d’un bien public et personne ne peut en tirer un profit : seul l’Etat peut créer, entretenir et exploiter un bien public. L’exploitation d’un bien public ne génère pas de richesse, de valeur ajoutée. C’est un coût net pour la société, une consommation de richesse – de la même manière que vous consommez de la richesse en mangeant votre baguette de pain – que nous finançons au travers de l’impôt lequel implique que de la richesse ait été créée par ailleurs.

    « Et donc l'état est le propriétaire de tous les biens communs dont toutes les entreprises et les habitants de France bénéficient indirectement pour produire de la richesse. L'impôt est donc légitime de ce point de vue-là, car il sert à entretenir les biens communs. »
    Correct à un détail près : c’est la société qui en est propriétaire et qui en délègue la gestion à l’Etat. Par ailleurs, l’impôt est aussi légitime en ce sens qu’il permet de financer les fonctions régaliennes de l’Etat (justice, police, armée et diplomatie).

    « l'utilitarisme est faux. La valeur ne se mesure pas avec l'utilité. Un diamant sur une bague ne sert à rien, mais vaut très cher. L'eau est une substance vitale, mais ne coûte rien. »
    « Utilité » s’entend au sens économique du terme – c'est-à-dire « désirabilité ». Pour le « paradoxe de l’eau et des diamants » (Smith), je vous suggère cet article.

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  6. Les fonctions régaliennes servent à amener les conditions propices aux entreprises pour faire des échanges et donc créer de la valeur. L'ordre dans un pays est donc une richesse et un bien commun non matériel. Comme quoi on arrive à relier les deux notions : fonctions régaliennes et biens public.

    Donc comme l'impôt sert à assurer les fonctions régaliennes et l'entretien des biens communs, qui profitent à la production de richesse de tous les hommes et les entreprise, il semble légitime que chacun y contribue en fonction de la richesse qu'il a pu produire.

    L'assurance chômage, est une assurance : une mutualisation des risques. Comme le système est censé s'équilibrer de lui-même, ce n'est sans doute pas ça qui vous dérange.

    C'est le RSA et le CMU qui vous dérange ? Mais je pense tout de même que les entreprises préfèrent embaucher des chômeurs de leur vivant et en bonne santé. Là encore, on peut estimer qu'il s'agit un bien public. Et ce serait encore mieux, si on leur payait une formation.

    Mais si ça se trouve, on était en fait d'accord dès le départ : il est en effet absurde de faire creuser des trous le jour, pour les faire boucher la nuit. Quitte à créer de l'emploi par l'intermédiaire de l'état, autant qu'il serve à augmenter en valeur des biens publics, qui serviront plus ou moins directement aux entreprises et ainsi augmenter la compétitivité de la France par le haut (ce que j'appelle le bas, c'est le dumping social). Des projets comme l'arc express sont en cours.

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  7. Vouze, vous confondez biens publics et services publics. De nombreux services publics s'occupent de biens parfaitement privés, selon la classification de Samuelson. Ceci dit, personne (ou presque) ne doute de l'utilité et de la valeur des services publics dès lors qu'ils se confondent strictement avec les biens publics (fonctions régaliennes).

    Mais quelle est leur valeur justement ? Hors du cas des biens libres (chaleur du soleil), il est indubitable que les services publics ne peuvent être financés qu'après destruction d'une valeur ajoutée créée préalablement. Dit autrement, la valeur d'un service public ne peut pas être supérieure à cette valeur ajoutée détournée. En pratique, elle est inférieure, compte tenu du laxisme managérial, de la contrainte de survie des services publics et de leur inutilité relative (défense nationale en temps de paix).

    Par ailleurs, la classification de Samuelson décrit les biens selon leur destination (obsession de la consommation habituelle chez un kéynésien). Il semble opportun de regarder les biens également sous l'angle de la production. Par exemple, l'eau est par essence publique mais l'eau rendue potable (valeur ajoutée) est un bien privé. Arrivé à ce point, on peut se demander s'il est économiquement préférable de n'avoir qu'un seul réseau de distribution d'eau potable plutôt que plusieurs en concurrence. On peut par exemple décider de créer un service public de l'eau potable.

    Quel est alors l'optimum économique ? De ce qui précède, on peut déduire qu'il est important de limiter les services publics au strict nécessaire puisqu'ils détruisent plus de valeur qu'ils n'en créent. Le strict nécessaire est composé des fonctions régaliennes (tout ce qui concerne la sécurité et l'arbitrage) d'une part et des quelques réseaux dont la multiplication concurrentielle constituerait une absurdité économique d'autre part (monopoles naturels).

    Créer de l'emploi par l'intermédiaire de l'Etat est indispensable mais autant qu'il en soit créé le moins possible, puisqu'il s'agit bien là d'une contrainte limitative de l'économie. Avec une vision extensive des services publics, vous devrez imposer par la loi des monopoles publics artificiels. Si la vision extensive des services publics peut être (difficilement) justifiée au plan politique, elle est parfaitement illégitime au plan économique, son corollaire étant l'affaissement économique par les mécanismes de pénurie d'offre et de demande.

    On peut faire le choix du collectivisme à des degrés divers (social-démocratie, socialisme, fascisme, communisme), à condition d'accepter l'inéluctable appauvrissement des populations qui y sont assujetties. Evidemment, ceci est contraire au sens du bien commun porté par les libéraux.

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  8. bubulle,
    Je n'aurais pas mieux dit ;)

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  9. Et c'est un plaisir de vous lire. Continuez sans faiblir !

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  10. Un peu de spiritualité au milieu de tout ce matérialisme :

    Jésus a dit : Heureux le lion que l’homme mangera, et le lion deviendra homme ; et maudit est l’homme que le lion mangera, et le lion deviendra homme. (Evangile de Thomas)

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