Des politiques de soutien à l’accession à la propriété – principalement orchestrées par Fannie Mae et Freddie Mac –, la garantie implicite des dettes des banques par le gouvernement fédéral et une règlementation bancaire mal pensée ont transformé l’industrie financière et le marché immobilier étasunien en véritable baril de poudre [1]. Au fil des années, de nombreuses voix se sont élevées pour mettre en garde qui voulait bien l’entendre contre le niveau d’endettement des américains et la dégradation du marché des « mortgages » [2] mais c’est le propre du discours politique que de croire qu’il peut s’affranchir des contraintes bassement matérialistes de la réalité économique et puis, que diable ! Un baril de poudre sans étincelle c’est inoffensif.
Tout à commencé après l’explosion de la bulle internet. La Fed, qui cherche à relancer l’économie étasunienne, va faire baisser le niveau des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas : du 11 décembre 2001 au 10 novembre 2004, elle maintient le taux des Fed Funds [3] en deçà de 2% et, pendant une année entière (du 25 juin 2003 au 30 juin 2004), elle va même les maintenir en deçà de 1%. Ce faisant, elle va déclencher deux mécanismes qui vont tendre encore un peu plus la situation.
Plus les taux d’intérêt sont bas, plus la capacité de financement des ménages augmente. La raison en est très simple : tout en remboursant exactement les mêmes mensualités, des taux d’intérêt à 3% vous permettent d’emprunter plus d’argent pour financer l’acquisition de votre maison que des taux à 5%. La politique de taux bas de Fed va donc avoir pour première conséquence une augmentation considérable de la demande sur le marché immobilier et donc, une accélération de la hausse des prix. Deuxième mécanisme : le niveau très bas des taux va pousser tout ce que la planète compte d’investisseurs institutionnels [4] à se lancer dans une course effrénée au rendement pour essayer de compenser la baisse du niveau des taux d’intérêt : et c’est notamment sur les produits conçus à base de crédits immobiliers que cet argent va s’investir.
Mais c’est une autre conséquence de la politique de la Fed qui va mettre le feu aux poudres et, vous allez le voir, elle n’a rien à voir avec les fameux « subprimes » [5] et tout à voir avec les crédits à taux révisables (« adjustable-rate mortgages » ou ARMs). Un crédit à taux révisable c'est un prêt dont le taux varie chaque année en fonction de l’évolution des taux d’intérêt à court terme. Aux Etats-Unis, le taux des ARMs est calculé - – par exemple – en fonction du taux des bons du trésor à 1 an, d’un taux Libor ou du « 11th District COFI » ; typiquement, un ménage américain peut contracter un crédit immobilier à un taux révisable égal au taux du Libor 3 mois augmenté de 2%. L’avantage de ce type de prêts c’est que c’est toujours moins cher qu’un taux fixe ; l’inconvénient c’est que c’est plus risqué : si les taux courts remontent, vos mensualités aussi. Juste avant le déclenchement de la crise (au 3ème trimestre 2007), plus d’un mortgage sur cinq était un ARM (prime ou subprime) alors que les subprimes (à taux fixe ou révisable) représentaient environ 13% du marché.
Or, le taux des indices à court terme est directement influencé par la politique monétaire de la banque centrale. Lorsque la Fed fait baisser le taux des Fed Funds, elle fait aussi baisser l’ensemble des indices utilisés pour calculer le taux des ARMs et accroît ainsi dans des proportions considérables l’écart de taux entre un crédit à taux fixe et un crédit à taux révisable – elle augmente la « pente de la courbe des taux ». Pendant 3 ans, le taux révisable Libor 3 mois plus 2% que nous évoquions plus haut était en moyenne 2,5% moins cher qu’un crédit taux fixe. Ceux d’entre nous qui ont déjà contracté un crédit immobilier mesurent mieux que les autres ce que peut signifier 2,5% d’écart de taux sur 20 ans : c’est une formidable incitation à s’endetter et à s’endetter à taux révisable. Et bien sûr, c’est exactement ce qu’il va se passer : des millions d’américains – et pas nécessairement les plus aisés – vont profiter de l’aubaine pensant que, dans le pire des cas, il suffira de revendre leur bien s’ils n’arrivent plus à payer.
Pendant ce temps, la marché immobilier n’en finissait donc plus de monter et le mot « bulle » fût prononcé plus d’une fois. Tant est si bien qu’à partir du 30 juin 2004, la Fed commence à faire remonter graduellement le taux des Fed Funds de 0,25% en 0,25% pour essayer d’enrayer le phénomène ; au total 17 hausses de taux jusqu’au 29 juin 2006 où elle établi le taux cible des Fed Funds à 5,25%. En deux ans, elle fait donc passer le taux des Fed Funds de 1% à 5,25%. Progressivement – en principe à la date d’anniversaire du contrat – le taux des crédits révisables s’ajuste à la hausse de telle sorte que le taux payé par un ménage qui aurait contracté notre mortgage à Libor 3 mois plus 2% passe de 3.16% en décembre 2003 à 7.51% en juin 2006 !
Dès début 2006, on commence à observer une recrudescence des difficultés des paiements sur les crédits à taux révisables. Alors que, pour les crédits primes et subprimes à taux fixes, le taux de défaillance reste stable ou en baisse jusqu’au second trimestre 2007, les défauts de paiements augmentent sur les ARMs en général. A chaque fois qu’un ménage cesse de payer, les banques saisissent le bien concerné et cherchent à le revendre pour limiter leurs pertes – c’est ce qu’on appelle une procédure de « foreclosure ». Seulement voilà : comme toutes les banques cherchent à vendre en même temps et que le niveau des taux – désormais beaucoup plus élevé – entraine mécaniquement une demande beaucoup plus faible : les prix baissent. Petit à petit, un grand nombre de ménages réalisent qu’ils doivent désormais plus d’argent à la banque que ne vaut leur maison et choisissent de cesser de payer et d’attendre que la banque saisisse leur bien – et réalise la perte à leur place.
La plupart des banques américaines connaissent les pires difficultés et cessent de prêter à l’économie tandis que le secteur de la construction est littéralement au chômage technique. Ce n’est qu’à partir de la mi-2007 que les difficultés se généralisent à l’ensemble des mortgages et – c’est dans l’ordre des choses – en particulier aux crédits subprimes. A la fin du troisième trimestre 2008, au moment de la chute de Lehman Brothers, le taux de défaillance des mortgages primes à taux révisables atteint 8.09% (contre 1.65% pour les crédits à taux fixes de qualité de crédit équivalents) et celui des mortgages subprimes à taux révisables atteint 28.84% (contre 11.28% pour les subprimes à taux fixes). Cette crise n’était pas une « crise des subprimes » – elle ne l’a jamais été – mais une conséquence directe de la politique monétaire de la Fed.
Tout au long de leur histoire mais particulièrement depuis l’abandon de l’étalon-or, les banques centrales ont généré des bulles et des récessions. Le métier de banquier central ne consiste à rien de moins qu’à planifier le niveau des taux d’intérêt. Il est condamné à échouer pour les mêmes raisons que celles qui ont entrainé la chute de l’empire soviétique : rien n’y personne ne peut se substituer au marché. L’ironie de l’histoire c’est que ce phénomène avait été décrit dès le début du XXème siècle par Ludwig von Mises puis par Friedrich Hayek et porte même un nom – la « théorie autrichienne des cycles » - et malgré cela, à l’heure où j’écris ces lignes, la Fed a de nouveau fait baisser le taux des Fed Funds à des niveaux records pour « soutenir la croissance américaine ». La prochaine fois que vous lirez le mot « bulle » dans les journaux, vous saurez à quoi vous en tenir.
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[1] Voir Fannie, Freddie et les bonnes intentions, "Too Big To Fail" et Réglementation bancaire et conséquences inattendues.
[2] Un mortgage est un crédit hypothécaire (i.e. dont le remboursement est garanti par la valeur du bien acheté).
[3] Le taux moyen auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles. Taux administré par la Fed dans le cadre de sa politique monétaire.
[4] Se dit d’une entreprise dont l’activité consiste à collecter de l’épargne pour la placer sur les marchés financiers (fonds de pension, fonds d’investissement, compagnies d’assurances…).
[5] Un mortgage est dit « subprime » quand il est plus risqué qu’un mortgage « prime ».
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Non seulement il n'y a pas eu de crise des subprimes, mais au surplus il n'y a pas eu de crise du tout, sauf en ce sens vicié du terme qui fait florès dans les médias - manifestement socialistes.
RépondreSupprimerNon seulement il n'y a pas eu de crise du tout, mais au surplus l'économie de s'est jamais si bien portée depuis 25 ans.
Non seulement l'économie de s'est jamais si bien portée depuis 25 ans, mais au surplus la richesse du monde n'a jamais été aussi considérable qu'elle l'est aujourd'hui.
Non seulement la richesse du monde n'a jamais été aussi considérable qu'elle l'est aujourd'hui, mais au surplus les peuples du monde n'ont jamais eu un si grand pouvoir d'achat, un si haut niveau de vie.
Non seulement les peuples du monde n'ont jamais eu un si grand pouvoir d'achat et un si haut niveau de vie, mais au surplus le taux de bonheur rationnellement déterminable n' a jamais été aussi élevé.
Non seulement le taux de bonheur rationnellement déterminable n' a jamais été aussi élevé, mais au surplus la jeunesse mondiale n'a jamais été aussi éduquée qu'elle l'est aujourd'hui.
Du coup, après tout cela, on ne peut se dire qu'une seule chose : les jeunesses grecs et espagnoles - europénnes en général - vivent vraiment dans un monde imaginaire qui n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais.
Les peuples ont décidément un sacré problème avec le réel. Le réel a même un sacré problème à régler avec les peuples.
ps : inutile de me dire que vous êtes en accord avec mes assertions Georges, car celles-ci ne sont que les vôtres - ce à quelques détails près, mais vous que vous allez probablement confirmer rapidement.
;-)
Desaix, tu vas troller encore longtemps ici ou tu t'es décidé à aller voir quelqu'un qui pourrait t'aider?
RépondreSupprimerOui, t'aider car faut vraiment être maso pour lire sans cesse un blog avec lequel on n'est jamais d'accord et passer autant de temps à y poser ses petites crottes de surcroit.
Merci à Georges Kaplan pour la clarté très convaincante de son exposé.
RépondreSupprimerEt merci à Desaix pour rappeler que les peuples ont un sacré problème avec le réel, surtout quand leurs mentors s'obstinent à leur faire prendre des vessies pour des lanternes.
Merci Louis, de nous rappeler que le réel et le souverain dans l'espace public et politique de 2011, c'est la Banque. Merci à vous, et vive la Banque - et les subprimes. Cet amour de la Banque et des banquiers vous honore Louis, bravo encore.
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