Le capital au XIXe siècle et la marche aléatoire log-normale

(J’ai écrit ça un peu vite, ça mérite quelques relectures. Vos commentaires et éventuelles corrections sont les bienvenus.)

Toute la théorie de M. Piketty repose sur l’idée selon laquelle le capital (peu importe ce que vous entendez par là) affiche un taux de rendement moyen ($r$) stable de l’ordre de 4 à 5% par an [1] ; lequel est nettement supérieur au taux de croissance annuel de l’ensemble des revenus ($g$) qui est estimé à environ 1%. C’est l’inégalité fondamentale $r > g$, la pierre angulaire du Capital au XXIe siècle, celle qui explique pourquoi, à terme, nous nous acheminons inexorablement vers un monde dans lequel toutes les richesses mondiales se concentrerons dans les mains d’une infime minorité.

Un aspect essentiel de ce taux $r$, c’est que c’est une moyenne. Piketty lui-même l’écrit tout à fait explicitement : le capital, quelle que soit sa composition [2], ne génère pas un taux de rendement $r$ tous les ans ; il y a de bonne années et de moins bonnes ; ce chiffre de 4 à 5% doit être entendu comme la moyenne d’une distribution laquelle, pour suivre M. Piketty, est stable dans le temps [3]. C’est-à-dire que cette distribution a aussi une variance (et donc un écart-type, la racine carrée de la variance).

Nous avons donc une distribution des rendements du capital — peu importe sa nature — avec une moyenne ($\mu$) et un écart-type ($\sigma$) et cette distribution est présumée stable dans le temps. Formidable ! Avec ces hypothèses, on sait comment modéliser l’évolution d’un dollar de capital : ça s’appelle une marche aléatoire log-normale.

NB: pour des raisons purement techniques, nous n’allons pas raisonner sur des rendements bruts mais sur des différences de logarithmes naturels [4].

Soit donc $\mu$, la moyenne arithmétique des rendements du capital (exprimés sous forme de différences de logs). Au bout de $T$ années, la variation moyenne d'un dollar de capital s'écrit simplement :

$$\mu_T = \mu \times T$$

Soit $\sigma$, l’écart-type de notre distribution. Si nous supposons que les variations de notre capital ne sont pas corrélées entre elles — i.e. pas d’autocorrélation — la formule de Bienaymé [5] nous autorise à écrire qu’au bout de $T$ années :

$$\sigma_T = \sigma \times \sqrt{T}$$

La distribution des variations possibles de notre dollar de capital au bout de $T$ années est donc décrite par $\mu_T$ et $\sigma_T$. Mieux encore : puisque nous travaillons sur des sommes de variables aléatoires et que M. Piketty nous informe que leur distribution de base est stable, la Théorème Central Limite nous permet de supposer que cette distribution est gaussienne et donc, que $\mu_T$ et $\sigma_T$ décrivent entièrement la distribution des variations possibles après $T$ années.

$$\Delta_T \sim \mathcal{N}(\mu_T,\sigma_T)$$

or, si nos $\Delta_T$ sont normalement distribués, la valeur capitalisée de notre dollar — $e^{\Delta_T}$ — suit une distribution log-normale :

$$ V_T \sim ln \mathcal{N}(\mu_T,\sigma_T)$$

Nous avons donc repris les hypothèses de M. Piketty en introduisant la variance des rendements et n’y avons ajouté que l’absence de corrélation sérielle qui nous autorise à sommer lesdites variances. Avec ça, nous obtenons un modèle qui nous permet de décrire précisément les états possibles d’un dollar de capital au bout de $T$ années.

Reprenons les chiffres de M. Piketty et supposons que taux de rendement annuel moyen du capital est de 5% (pour simplifier, on supposera que c’est une différence de logs). Le tableau ci-dessous résume (i) la probabilité de n'avoir plus que 0.8 dollar ou moins (perte de 20% ou plus) au bout de dix ans et (ii) la probabilité de disposer de deux dollars ou plus (un gain supérieur ou égal à 100%) au bout de dix ans pour différents scénarios de volatilité : 5% (n’en rêvez même pas), 10% (hypothèse la plus probable) et 20% (c’est diablement élevé pour un rendement de 5%).

Écart-Type0.8 dollar2 dollars
5%0%11.1%
10%1.1%27.1%
20%12.6%38.0%

Ce qui signifie que dans un monde de faible volatilité des rendements du capital, les fortunes sont très stationnaires — dans notre exemple, il est quasiment impossible de perdre 20% de son capital et on n’a à peine plus de 11% de chances de le voir doubler. C’est un monde dans lequel, si vous naissez riche, il est extrêmement probable que vous le resterez (et inversement).

En revanche, dans un monde où les rendements du capital sont très volatils, c’est tout le contraire : perdre 20% de sa fortune en dix ans n’a pas exceptionnel et on observe fréquemment des doublement de fortunes. C’est un monde dynamique dans lequel un riche qui détient beaucoup de capital peut s’appauvrir considérablement tandis qu’un petit patrimoine a de bonnes chances de croître très rapidement.

Or voilà, la bonne nouvelle c’est que tout ce que nous observons depuis que nous mesurons ces choses-là tend à confirmer que les rendements du capital sont infiniment plus volatils qu’ils ne l’étaient sans doute au XIXe siècle. La croissance du capital du top $x$% comme celles, encore plus impressionnantes, des fortunes des membres actuels du $x$% sont exactement les caractéristiques que nous devrions attendre d’un monde de fortes volatilités.

En d’autres termes, les statistiques sur lesquelles M. Piketty appuie sa démonstration traduisent très probablement le phénomène inverse de celui qu’il décrit : nous ne revenons pas vers le monde des grandes fortunes dynastiques ; nous nous en éloignons comme jamais auparavant.

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[1] Piketty n’est pas explicite sur ce point mais il semble que ce taux soit un taux géométrique qui suppose une capitalisation annuelle des intérêts (le Compound Annual Growth Rate des anglo-saxons).
[2] Piketty pose l’idée — extrêmement contestable — selon laquelle le rendement du capital est proportionnel à son montant initial. Quoi qu’il en soit, la composition du capital (actions, obligations, immobilier etc.) a forcément un effet beaucoup plus significatif — mais laissons ça de côté.
[3] J’ai bien écrit, « pour suivre M. Piketty » — il n’y a que dans les tours d’ivoire des université qu’on croit encore à ces choses-là.
[4] Par exemple, un rendement brut de 5% est équivalent à variation de $\delta = ln(1.05) \approx 0.0488$ soit à peu près 4.88%.
[5] Irénée-Jules Bienaymé (1796 – 1878), dernier dans grands statisticiens français.

Le puzzle du x% -- un teaser

L’idée force du Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty peut se résumer comme suit : le taux de rendement du capital ($r$) est plus élevé que le taux de croissance des revenus ($g$). C’est l’inégalité fondamentale $r > g$ qui fait que, même si les détenteurs de capital ne capitalisent qu’une fraction des revenus tirés d’icelui, leurs patrimoines (et les revenus associés) croîtront plus vite que le reste de l’économie. À plus ou moins brève échéance, ils possèderont pratiquement tout tandis que l’immense majorité de ceux qui ne vivent que des revenus de leur travail n’auront, pour ainsi dire, rien.

À l’appui de sa théorie, Piketty compare la croissance du patrimoine moyen mondial à celle des un cent millionièmes les plus riches d’entre nous (le 0.000001%) de 1987 à 2013 et observe, ce qui est sans doute exact, que ce $x$% a vu son patrimoine croitre de 6.8% en moyenne contre seulement 2.1% pour le commun des mortels (Tableau 12.1, page 693). De là, l’auteur du Capital au XXie siècle conclu que « de 1987 à 2013, les plus hauts patrimoines mondiaux ont progressé de 6%-7% par an, contre 2,1% par an pour le patrimoine moyen mondial ».

J’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer (voir The x% Puzzle) : c’est une fraude intellectuelle totale. Le fait que le $x$% d’aujourd’hui soit $y$% plus riche que le $x$% d’hier ne signifie en aucune façon que le $x$% d’hier se soit enrichi de $y$% ni même, d’ailleurs, qu’il se soit enrichi tout court. Plus précisément, la conclusion que tire Piketty n’est juste que si et seulement si le $x$% d’aujourd’hui est constitué, au moins en grande partie, des mêmes personnes que le $x$% d’hier (ou de leurs héritiers).

Une manière simple de comprendre ce principe consiste à imaginer que le $x$% d’il y a 10 ans possédait en moyenne 10 millions de dollars ; que tous, depuis, ont été intégralement ruinés et que, dans le même temps, une nouvelle génération d’entrepreneurs issus de milieux modestes aient construit des fortunes d’une valeur moyenne de 15 millions de dollars. On observe donc bien que les $x$% les plus riches d’aujourd’hui sont 50% plus riches que les $x$% d’il y a 10 ans.

En quoi est-ce différent des observations de Piketty ? En rien. En quoi est-ce différent des conclusions de Piketty ? En tout : c’est même une description parfaitement orthogonale de la réalité ; un monde dans lequel les riches se sont considérablement appauvrit et quelques pauvres se sont considérablement enrichis ; l’antithèse du monde de rentiers décrit dans Le capital au XXIe siècle.

De la même manière, le fait que les $x$% les plus riches aujourd’hui se soient plus enrichis que la moyenne au cours des dernières décennies ne signifie aucunement que les riches se soient enrichis plus vite que les autres. C’est une simple question de logique : s’ils font partie du $x$% d’aujourd’hui, c’est peut-être (et même probablement) parce qu’ils se sont beaucoup enrichis récemment. C’est un biais de sélection à ce point classique qu’il porte même un nom : on l’appelle biais du survivant.

Bref, les démonstrations de Piketty n’ont aucune valeur. Ça ne signifie pas qu’il a nécessairement tort mais ça signifie qu’il tire des conclusions sur la base d’observations qui peuvent tout aussi bien signifier l’exact contraire de ce qu’il dit.

Toute la question est donc de savoir si les données que nous observons tendent plus à confirmer les conclusions de Piketty — un monde d’héritier oisifs qui se contentent de faire fructifier leurs fortunes — ou le scénario inverse : celui d’un monde dominé par des entrepreneurs qui bâtissent leurs fortunes de leurs propres mains. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, une rapide analyse du CV des plus grandes fortunes mondiales tend vers le scénario des entrepreneurs mais les partisans de Piketty ne manquerons pas d’y opposer la faible représentativité du panel — et ils auront raison.

Seulement voilà, en y réfléchissant un peu, il y a quelques bonnes raisons de penser que c’est bien la thèse des entrepreneurs qui décrit le plus fidèlement la réalité. Ça fera l’objet d’un prochain billet ici même mais je vous prévient tout de suite, ça risque d’être un peu technique.

De ce qu’il faut cesser de pratiquer l’exégèse des textes religieux des autres

La Genèse ouvre le ban [III, 16] et le principe est confirmé par la première épître de Saint Pierre [III, 1] mais c’est sans doute Paul de Tarse qui, dans sa foisonnante correspondance, met les choses le plus au clair : vous pouvez consulter la première épître aux Corinthiens [XI, 3 puis XI, 6-10 et XIV, 33-35], l’épître aux Éphésiens [V, 22-24], l’épître aux Colossiens [III, 18], l’épître à Timothée [II, 11-14] ou l’épître à Tite [II, 3-5] — j’en oublie sans doute. Bref, à la lecture des textes canons de la bible catholique, il est tout à fait clair que la femme est soumise à l’homme autant que ce dernier est soumis à Dieu. « L’homme n’a pas été créé pour la femme, écrit Paul, mais la femme pour l’homme » — raison pour laquelle cette dernière doit se voiler en « signe de sujétion » [Corinthiens, XI, 8-10].

Et donc ?

Eh bien, mon Dieu, pas grand-chose. Il est bien possible que, pendant quelques siècles, la subordination de nos douces moitiés ait eu force de loi avec plus ou moins de rigueur en fonction des temps, des gens et des lieux mais, aujourd’hui, il n’en reste pas grand-chose et même, à vrai dire, rien du tout. Aujourd’hui et pour autant que je puisse en juger, il semble bien que la chrétienne soit devenue l’égale du chrétien et, qu’à l’exception des très consentantes moniales, plus personne ne songe à la voiler.

La religion catholique, bousculée par l’histoire, concurrencée de toutes parts et tiraillée entre ses tendances conservatrices et les aspirations de l’Église concrète — les gens, de chair et d’os — s’est adaptée tant bien que mal à notre monde moderne, elle s’est sécularisée. La religion de Tomás de Torquemada [1] n’est plus. L’Église de Rome, objectivement, ne parle plus que de paix, elle ne cesse de prôner le dialogue interconfessionnel, elle a abandonné ses ambitions politiques pour endosser pleinement son habit de guide spirituel, elle vole au secours des pauvres, sermonne les puissants… Si Voltaire voyait ça, il n’en reviendrait pas.

Ah ! bien sûr ! Il se peut que vous soyez de celles et ceux qui trouvent encore à y redire. Peut-être, par exemple, jugez-vous sévèrement les positions du Saint Siège quant à l’homosexualité ou sur le préservatif. Allez, à vous je peux le dire : je suis bien d’accord avec vous. Seulement voilà, on ne réforme pas une religion vieille de deux-mille ans de l’extérieur et encore moins de force. N’en déplaise aux ingénieurs sociaux, ces choses-là prennent du temps, beaucoup de temps et elles doivent surtout venir de l’intérieur.

Parce qu’une religion, voyez-vous, n’est jamais rien d’autre que ce qu’en font les croyants. De la même manière que ce sont les chrétiens eux-mêmes qui, en les contextualisant ou en les réinterprétant, ont adouci les épîtres de Paul de Tarse, ce sont encore les chrétiens qui, partout dans le monde, pousse à la roue pour faire fléchir ces dogmes anachroniques. Ça viendra. Un jour où l’autre. Eh quoi ? Vous pensiez vraiment que c’est l’Esprit Saint qui désigne les papes ? C’est qu’il doit être sacrément doué en sociologie et en géopolitique cet esprit-là [2] !

Donc voilà : la religion, soulignait très justement le rabbin Delphine Horvilleur [2], c’est aussi une affaire de relecture. Dans le judaïsme, c’est presque une seconde nature, les chrétiens s’y sont mis sur le tard ; reste, pour boucler le tour des trois grands monothéismes, l’islam. C’est la plus jeune des trois, l’enfant terrible de la fratrie, mais elle devra bien s’y mettre un jour — à la relecture — parce que dans notre monde, c’est une question de survie.

En attendant, de grâce, cessez de nous asséner des versets du Coran et ce, quoi que vous souhaitiez démontrer. C’est ridicule. La seule interprétation des textes révélés de l’islam qui vaille, la seule qui puisse avoir un effet sur le monde concret, c’est celle des musulmans eux-mêmes. Comme l’Église a relu les épîtres de Paul (entre autres), l’Oumma relira un jour ses sourates. Avec un peu de chance, les brutes épaisses qui sévissent actuellement du Levant jusqu’à nos capitales européennes vont même parvenir à accélérer le processus.

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[1] Oui, je sais, on a sans doute noirci le tableau.
[2] Point Isabelle de Gaulmyn : l’élection de François, au moment où les courants chrétiens évangéliques taillent des croupières à Rome en Amérique latine… (C dans l’air du 28 mars 2016.)
[3] Même émission (que je vous recommande rien que pour l’excellent Jean-François Colosimo).

Les héritiers oisifs de Thomas Piketty

Les 10 premières fortunes mondiales 2016 selon Forbes :

1/ Bill Gates (60 ans, 75 milliards) — Bille Gates est le fils d’un célèbre avocat et d’une femme d’affaire de Seattle. C’est au collège qu’il rencontre Paul Allen avec qui il fondera Microsoft quelques années plus tard. Gates est donc issu d’un milieu très aisé mais sa fortune, il l’a construite seul.

2/ Amancio Ortega Gaona (79 ans, 67 milliards) — Le patron d’Inditex, plus connu pour la marque Zara, est le fils d’un cheminot et d’une femme de chambre. Il a quitté l’école vers 14 ans et commencé à travailler comme petite main chez un fabriquant de chemises local.

3/ Warren Buffet (85 ans, 60.8 milliards) — Le « meilleur investisseur du monde » est le fils d’un petit courtier indépendant en actions devenu membre du Congrès et le petit-fils d’un épicier du Nebraska. C’est en réinvestissant ses premiers salaires qu’il démarre sa carrière d’investisseur.

4/ Carlos Slim (76 ans, 50 milliards) — Né au Mexique d’un père et d’une mère d’origines libanaises, Carlos a eu la chance d’avoir un papa doué pour les affaires et donc, de grandir dans la bonne bourgeoisie mexicaine. Il démarre sa carrière comme Buffet : en investissant ses premiers salaires.

5/ Jeff Bezos (52 ans, 45.2 milliards) — Fils de la fille d’un haut fonctionnaire américain, Bezos hérite son nom de son père adoptif, un émigré cubain, ingénieur dans le pétrole. Il a donc bénéficié d’un environnement familial favorable mais surtout d’une intelligence notoirement hors normes.

6/ Mark Zuckerberg (31 ans, 44.6 milliards) — Le fondateur de Facebook, lui aussi, n’était pas à plaindre : son père était dentiste et sa maman psychiatre. Outre une éducation confortable, la seule contribution de ses parents à Facebook se limite à l’avoir inscrit à Harvard.

7/ Larry Ellison (71 ans, 43.6 milliards) — Élevé par son oncle et sa tante après avoir été abandonné par sa mère à l’âge de 9 mois, Ellison a grandi dans la classe moyenne de Chicago. Il fonde ce qui va devenir Oracle en investissant 1 200 dollars de ses économies sur un capital total de 2 000 dollars.

8/ Michael Bloomberg (74 ans, 40 milliards) — Petit-fils d’immigrés russes et fils d’un comptable, Bloomberg est issu de la classe moyenne de Boston. Après de brillantes études, il démarre une carrière chez Salomon Brothers ; c’est avec sa prime de licenciement qu’il fonde Bloomberg.

9/ Charles & David Koch (80 et 75 ans, 39.6 milliards chacun) — Les frères Koch héritent d’une belle entreprise créée par leur père. Quand Charles succède à son père, en 1967, Koch Industries génère un chiffre d’affaires de 177 millions de dollars ; aujourd’hui, c’est 115 milliards.

On cherche toujours l’héritier oisif qui s’enrichi en comptant ses doigt de pieds que nous décrit M. Piketty…

Les prix « avant l’euro »

(J’ai l’intention de compléter cet article au fur et à mesure. Si vous avez des prix à proposer (avec des sources crédibles), n’hésitez pas à le me suggérer dans les commentaires.)

L’euro a été introduit en deux temps. La première étape a eu lieu le 1er janvier 1999 à minuit, quand le taux de change irrévocable des différentes monnaies nationales par rapport à l’euro a été fixé définitivement — soit, pour ce qui nous concerne, 1 euro = 6.55957 francs. La seconde étape, l’introduction des pièces et billets en euro, s’est étalée sur un mois et demi : du 1er janvier 2002 au 17 février 2002 ; date à laquelle les espèces en franc ont été privées du cours légal [1] — c’est-à-dire qu’il était interdit de les utiliser ou de les accepter en règlement d’une transaction.

Salaires

À compter du 1er juillet 2000, le SMIC horaire brut était fixé à 42.02 francs soit, pour avec une durée légale du travail de 39 heures par semaine (169 heures par mois), 7 101.38 francs bruts par mois. Le 1er juillet 2001, le salaire horaire minimum est passé à 43.72 francs [2] soit 7 388.68 francs. En moyenne sur l’année 2001, ça nous fait donc un SMIC horaire brut de 42.87 francs soit 7 245.03 francs par mois pour un salarié à temps complet — soit, en fonction des cas, un salaire net mensuel de l’ordre de 5 730 francs.

Selon les données de l’Insee, le salaire net moyen pour un temps complet (39 heures par semaine) s’élevait à 11 457.4 francs, le salaire net médian s’établissait à 9 199.8 francs et neuf salariés sur dix (à temps plein) touchaient plus de 6 073.1 francs nets par mois [3].

Prix moyens en décembre 2001

Vous trouverez ci-dessous une sélection de prix moyens observés par l’Insee au cours du mois de décembre 2001 en France métropolitaine. Pour plus de détails, cliquez sur les liens (vers la base de l'Insee) ou voyez les notes de base de page (où vous trouverez aussi les prix, en nouveau francs, de produits équivalents au cours du mois de janvier 1960 [4]).

ProduitFrancsEuros
Baguette (250g) [5]4.390.67
Pâtes (500g) [6]4.850.74
Lait (Litre) [7]4.330.66
Camembert (250g) [8]10.821.65
Petits suisses (180g) [9]40.61
Bifteck (Kg) [10]100.8215.37
Jambon (Kg) [11]93.814.3
Lapin (Kg) [12]50.187.65
Huile d'olive (Litre) [13]33.785.15
Carottes (Kg) [14]5.970.91
Pommes de terre (Kg) [15]7.081.08
Tomates (Kg) [16]14.762.25
Bananes (Kg) [17]9.511.45
Oranges (Kg) [18]10.361.58
Pommes de terre (Kg) [19]12.071.84
Vin rouge (Litre) [20]8.21.25

Autres prix de 2001, glanés ici et là

À l’époque, les téléphones mobiles de référence, ceux qu’on achète quand on a les moyens de frimer, ce sont le T39m d’Ericsson et v66 de Motorola. Minuscules, ils affichent des autonomies record, ne pèsent 86 et 79 grammes respectivement et peuvent stocker 500 numéros hors carte Sim. Le 739m coûte 2 990 francs et le v66 est encore plus cher : il faut aligner 3 590 francs pour se l’offrir (source : Mobiles magazine, décembre 2001 [21]). À ça, il faut bien sûr rajouter un forfait mensuel : pour 4 heures de communication (dont 30 minutes vers un autre opérateur), dix SMS et deux petits services [22], vous vous en sortiez pour 311 francs minimum — par mois (même source, page 42).

En cherchant un peu sur Google, vous devriez pouvoir vérifier (sur la « une ») que le Monde, en kiosque, se vendait 7.5 francs ; il fallait compter 7 francs pour le Figaro et 5.2 francs pour le Parisien.

Le Figaro, 31 octobre 2001

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[1] Voir le questions / réponses sur le passage à l’euro diffusé par la Banque de France à l’époque.
[2] Publiés au Journal officiel le 30 juin 2000 et le 29 juin 2001 respectivement.
[3] Puisque nous raisonnons ici en temps plein de l’époque, 10% des salariés gagnaient donc entre 5 730 francs (le Smic) et 6 073 francs.
[4] Tirés de Insee, Annuaire Statistique de la France 1961 (sur Gallica) -- Notez que ces prix concernent Paris et l'agglomération parisienne (les statistiques pour la France métropolitaine ne sont disponibles qu'à partir de 1992).
[5] Depuis 1961, la baguette pèse officiellement 250g contre 300g auparavant. En janvier 1960, la baguette de 300g valait 35 centimes de francs – soit 29 centimes les 250g. Attention : les prix de l’Insee sont donnés pour 1 Kg.
[6] Pâtes supérieures ; en janvier 1960, un kilo de pâtes se vendait 1.91 francs -- soit 96 centimes les 500g.
[7] Lait UHT demi-écrémé ; en janvier 1960, le litre de lait pasteurisé en carafe se vendait 63 centimes (pour le prix du litre de lait pasteurisé entier depuis 1992, veuillez consulter cette série.
[8] Pour un camembert normand pasteurisé à 45% de matière grasse ; le camembert normand (tout court) de janvier 1960 se vendait 1.6 francs.
[9] Petits suisses nature 40% de matière grasse ; Les petits suisses de janvier 1960 valaient 75 centimes.
[10] Contre 10.75 francs en janvier 1960.
[11] Jambon supérieur ; le Jambon cuit de Paris de janvier 1960 se vendait 12.37 francs le kilo.
[12] Contre 6.98 francs en janvier 1960.
[13] Huile d'olive vierge extra ; l'huile d'olive (tout court) de janvier 1960 valait 4.59 francs.
[14] 1.18 francs en janvier 1960.
[15] 30 centimes en janvier 1960.
[16] 2.09 francs en janvier 1960.
[17] 1.92 francs en janvier 1960.
[18] 1.25 francs en janvier 1960.
[19] 2.03 francs en janvier 1960.
[20] Vin rouge à 11 degrés, en bouteille ; 1.39 francs en janvier 1960.
[21] Notez que le magazine lui-même se vend 30 francs (4.57 euros). Page 17, Kiwee.com vous propose des logos et des sonneries pour votre téléphone (appel surtaxé de 8.83 francs l’appel plus 2.21 francs la minute). Page 19, vous trouverez une pub pour les Pocket PV 2012 de Microsoft — valeur minimale de 4 990 francs. Bref, je vous laisse vous promener.
[22] La « présentation du numéro » qui vous permet de voir qui vous appelle et le « double appel » qui vous permet de naviguer entre deux conversations.

Le prix de la baguette (1950-2015)

En 1950, la baguette de 300g se vendait en moyenne 26 anciens francs à Paris et dans l'agglomération parisienne. En 2015, la baguette de 250g vaut en moyenne 86 centimes d'euros en France métropolitaine. Voici un résumé avec des prix tous les cinq ans exprimés en nouveaux francs et en euros pour un poids standard de 250g. Les pourcentages de variations sont annualisés.

AnnéeEurosFrancs%
19500.030.22-
19550.030.23+0.76
19600.050.3+5.9
19650.070.44+8
19700.090.57+5.3
19750.140.9+9.6
19800.251.67+13.2
19850.42.6+9.3
19900.463.03+3.1
19950.583.83+4.8
20000.644.2+1.8
20050.754.92+3.2
20100.845.49+2.2
20150.865.66+0.6

Notes :

  • La baguette pesait 300g jusqu'en 1961 et 250g ensuite ;
  • Jusqu'en 1978, les prix étaient réglementés ;
  • Ces prix sont ceux de Paris et de l'agglomération parisienne jusqu'en 1991 et ceux de la métropole ensuite ;
  • Toutes ces données sont issues (i) des différents Annuaires statistiques de la France publiés à l’époque, (ii) de l’Annuaire rétrospectif de la France de 1990 et (iii) du site actuel de l’Insee.

Et si on faisait preuve d’honnêteté juste pour rigoler ?

Vous avez peut-être vu circuler cette image sur les réseaux sociaux :

Ceux d’entre vous qui ont quelques notions basiques d’économie (ou, à défaut, un minimum de mémoire) ont sans doute déjà repéré quelques chiffres étranges. Voici le détail :

Le kilo de tomates

Le prix moyen du kilo de tomates de 2014 était en réalité un peu plus élevé que ça : selon l’Insee, il fallait débourser 2.8 euros soit 18.37 francs. En revanche, le prix de 70 centimes de francs en 2002 relève de la pure fantaisie : il fallait en réalité compter 2.7 euros (soit 17.71 francs). Juste pour information, en 1951 et en région parisienne, le kilo de tomates se vendait déjà 123.6 anciens francs soit l’équivalent de 1.236 (nouveaux) francs : autant dire que ce prix de 70 centimes de francs n’a sans doute jamais existé ailleurs que dans l’imagination fertile de l’auteur de ce tableau.

Le litre d’essence

Ce qui est bien, quand on fait des statistiques de prix, c’est d’être précis. Essence d’accord, mais laquelle ? Comme l’auteur nous annonce un prix au litre de 1.58 euros en 2014, je suppute que c’est du Super sans plomb 98 soit 1.54 euros le litre, prix moyen de 2014. Le même carburant se vendait 1.03 euros en moyenne en 2002 soit 6.76 francs — et pas 5.5 francs comme l’indique le tableau. Accessoirement, on rappellera au lecteur que le prix de l’essence, en France, est essentiellement constitué de taxes : ça n’a donc rien à voir avec l’euro.

Le paquet de cigarettes

Les mêmes remarques s’appliquent aux paquets de cigarettes : d’une part, le prix de vente au consommateur est composé à plus de 80% de taxes et par ailleurs, quelle marque ? Le paquet de Marlboro rouge, les plus consommées en France, valait 6.6 euros au début de 2014 avant que l’État n’augmente son prix à 7 euros en fin d’année — mettons une moyenne de 6.8 euros. Mais en 2002, le même paquet ne se vendait pas 10 francs mais plus du double : il se vendait 3.6 euros soit 23.61 francs. Le paquet de Marlboro à 10 francs, c’était vers 1990 ; en 1993, il valait déjà 13 francs.

La baguette

Celle-ci, c’est ma préférée ! Notez, à la décharge de l’auteur, qu’il nous épargne l’immense classique de la baguette à 1 franc « avant l’euro » (prix de 1975-76) mais ses prix sont quand même faux : en 2002, la baguette de 250g de bain blanc se vendait 68 centimes d’euros (4.48 francs) et en 2014, son prix moyen n’était pas de 1 euro mais de 87 centimes d’euros (à titre personnel, je la paye toujours 80 centimes dans toutes les boulangeries autour de chez moi).

Le ticket de cinéma

Selon les données du CNC, les tickets à plus de 7 euros représentent un peu moins d’un tiers des ventes de 2014 (31.7% exactement) ; en moyenne, le prix du ticket était de 6.38 euros. De la même manière, il est possible que l’auteur du tableau ait trouvé une place de cinéma à 3 euros (20 francs) en 2002 mais ça devait pour la séance de 6 heures du matin : en effet, à l’époque, le prix du ticket moyen était plutôt de 5.59 euros — soit 36.67 francs.

Le ticket de RER

L’auteur n’a sans doute pas beaucoup pris le RER ces dernières décennies. J’ai beau fouiller, j’ai toutes les peines du monde à trouver à quoi peut bien correspondre ce « ticket de RER » à 4.5 euros : j’hésite entre un trajet Chatou — Juvisy et un trajet Tournan — Val de Fontenay (plein tarif). Bref, le carnet de 10 tickets de base du métro parisien (le ticket t+ actuel) était vendu 13.7 euros en 2014 contre 9.6 euros en 2002 (soit 63 francs).

Le café

Le prix du « petit noir » est aussi un grande classique : ce n’est pas qu’il augmente plus qu’autre chose mais plutôt qu’il varie considérablement en fonction de là où vous le consommez. Typiquement, en 2014, le Figaro s’était amusé à faire le test dans quelques lieu emblématiques de Paris et trouvait effectivement un café à 1.5 euro (aux Folies de Belleville) tandis que celui du Fouquet’s se vendait pas moins de 8 euros. Mais ça, justement, c’est à Paris : selon l’Insee, le prix moyen d’un café est passé de 1.23 euros en 2002 (soit 8.07 francs) à 1.51 euros en 2014.

Le litre de lait

Si c’est d’un litre de lait pasteurisé entier qu’il est question, il coûtait plutôt 1.23 euros en 2014 mais si c’est du lait UHT demi-écrémé, alors c’était plutôt 78 centimes d’euros. En tout état de cause, je ne vois pas bien quelle sorte de lait pouvait se vendre 2.5 francs en 2002 : le pasteurisé entier valait 1.01 euros (6.63 francs) et l’UHT demi-écrémé se vendait 66 centimes d’euros (4.33 francs). Le litre de lait frais pasteurisé à 2.5 francs, ça date de 1980.

La pression

En 2014, le demi de bière blonde ne se vendait pas 2.5 euros en moyenne mais plutôt 2.79 euros — soit 29 centimes de plus que le chiffre annoncé par l’auteur qui, manifestement, fréquente des établissements peu onéreux. Et là, justement, on se demande si l’auteur n’a pas quelque peu abusé de boisson houblonnée quand il nous annonce un prix moyen de 3.5 francs en 2002 : selon l’Insee, c’était plutôt 2.15 euros soit 14.1 francs.

Le kilo d’ail

Enfin, last but not least, le kilo d’ail ! Malheureusement, l’Insee a arrêté de mettre à jour cette donnée depuis un moment et j’ai donc du fouiller un peu : il semble que le kilo d’ail blanc sec se vendait aux alentours de 8 euros 2014 et l’Insee trouvait un prix moyen de 36.96 francs (5.63 euros) en 1998 ce qui, si l’ail a suivi le rythme de l’inflation, devait faire à peu près 6 euros en 2002 — c’est-à-dire que le chiffre de 4 francs, une fois encore, relève de la fantaisie pure et simple.

Résumé

Pour résumer, voici les résultats de l’artiste peintre qui a diffusé ce tableau hautement fantaisiste et idéologiquement orienté (données en francs et variations annualisées) :

20022014%
Kilo de tomates0.716.430.1
Litre d'essence5.510.365.4
Paquet de cigarettes1043.9513.1
Baguette3.56.555.4
Place de cinéma2049.27.8
Ticket de RER629.5214.2
Café2.59.8412.1
Litre de lait2.56.898.8
Pression3.516.413.7
Kilo d'ail432.4719.1

Et voici ce qu’on trouve avec un minimum d’honnêteté intellectuelle et de rigueur (données en euros et variations annualisées) :

20022014%
Kilo de tomates2.72.80.3
Litre de Super sans plomb 98 [1]1.031.543.4
Paquet de 20 Marlboro [1]3.66.85.4
Baguette (250g)0.680.872.1
Ticket de cinéma5.596.381.1
10 tickets de métro (Paris) [2]9.613.73
Un café en salle1.231.511.7
1 Litre de lait UHT demi-écrémé0.660.781.4
Pression (demi)2.152.792.2
Kilo d'ail blanc sec [3]682.4

Bref, comme d’habitude, un imbécile quelconque à du mettre dix minutes à réaliser cette absurdité, le truc circule un peu partout chez celles et ceux qui ne demandent qu’à être confirmés dans leurs apriori anti-euro et il faudra, conformément à la loi de Brandolini, des trésors de patience et des heures de travail pour remettre les pendules à l’heure.

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[1] Attention : produits surtaxés.
[2] Attention : produits vendus par la même entité (qui se trouve être un monopole public).
[3] Attention : estimation au doigt mouillé !

Quiz : qui paie ses salariés au Smic ?

J’ai posé cette question :

Pour ne pas faire durer inutilement le suspens, la bonne réponse était la première, les entreprises de moins de dix salariés aussi connues sous le nom de Très Petites Entreprises (TPE).

Voici, en fonction du nombre de collaborateurs par entreprise, la proportion de salariés rémunérés au Smic en 2010 selon la DARES et l’Insee [1] :

Comme vous pouvez le constater, 23.6% des salariés de TPE sont rémunérés au Smic tandis que, dans les grandes entreprises [2], seuls 4.2% des salariés sont concernés. Si vous y réfléchissez, c’est assez logique : non seulement les grands groupes ont des moyens que les TPE n’ont pas mais aussi, leurs grilles de rémunérations ont souvent fait l’objet de négociations internes ou d’accords de branche ce qui fait que le salaire minimum chez Axa, Danone ou Renault est toujours supérieur au Smic, ne serait-ce que légèrement.

Autre détail intéressant : les TPE, l’air de rien, ça représente 18.6% des salariés du secteur privé (hors agriculture) ce qui fait que, sur 100 salariés payés au Smic pas moins de 41.4 travaillent pour une TPE (cliquez sur « Répartition des salariés au Smic » pour afficher le graphe). En d’autres termes et contrairement à ce qu'une solide proportion de participants semblent penser, ce ne sont pas les grands groupes qui sont les plus impactés par une hausse du salaire minimum légal mais les toutes petites entreprises ; le « patronat » qui va payer, ce ne sont pas les dirigeants du CAC 40 mais plutôt le restaurateur du coin de la rue, votre garagiste ou l’agence immobilière d’en face.

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[1] Voir DARES analyses, Les emplois rémunérés sur la base du Smic en 2012, décembre 2012 ; notez qu’il existe un rapport plus récent mais dans lequel ne sont analysées que les entreprises de 10 salariés et plus (DARES analyses, Les emplois du privé rémunérés sur la base du Smic, mars 2016).
[2] La définition officielle d’une grande entreprise c’est plus de 5 000 salariés.

La proportion de trucs sous la médiane

Juste pour rire, j'ai posé cette question :

Évidemment et par définition, la bonne réponse était 50%. C'est le principe d'une médiane : 50% des patates ont un poids inférieur au poids médian des patates, 50% des trains roulent plus vite que la vitesse médiane des trains et 50% des capitaines sont plus jeunes que l’âge médian des capitaines. Bref, c’était une farce et, grâce à quelques camarades qui ont vu le truc, elle a connu un certain succès — nous permettant au passage de rire un bon coup [1].

Sur 361 réponses, vous êtes 220 (61%) à avoir trouvé la bonne réponse et donc 141 (39%) a avoir répondu sans comprendre les termes de la question [2]. N'ayez aucune inquiétude : il n'y a aucun moyen de savoir qui a voté et donc qui a voté quoi, l'honneur est sauf :)

Notez aussi qu'à l'heure où j'écris ces lignes, ce tweet a été vu 5 339 fois pour 361 réponses : il y a bien sûr des tas de cas possibles (ne parle pas français, ne s'intéresse pas à ces choses-là, s'inquiète pour son anonymat sur Twitter....) mais je suspecte que la proportion de français qui ne savent pas ce qu'est une médiane est très largement supérieure à 40%.

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[1] Au passage, je tire mon chapeau à la créativité de ceux qui ont relayé le quiz : vous m'avez bien fait rire.
[2] Pour être juste, deux d'entre vous ont en fait mal lu la question et ont répondu trop vite avant de réaliser leur bourde :)

Quiz : la proportion de licenciements économiques

Je commence à prendre goût aux sondages sur Twitter :

C’est le problème quand on a des followers d’élite : la (très nette) majorité a raison : 11%. Dans les grandes proportions et d’après les données de l’Unedic, la grosse masse des allocataires est composée de fin de CDD et de missions d’intérim (46%), les licenciements représente un tiers de l’effectif dont un tiers de licenciements économiques (les 11%) ; le solde se partage entre 14% de ruptures conventionnelles, 2% des départs volontaires et 4% de divers.

On vaut mieux que ça ?

Il y a quelques jours, Stéphane Ménia twittait ça :

Juste pour permettre à tout le monde de bien comprendre de quoi on parle, voici un graphe : c’est l’évolution des salaires médians au cours des 4 premières années de vie professionnelle, en fonction des diplômes et comparés au Smic [1].

Vous vous demandez pourquoi nos gamins sont au chômage ? La réponse est sous vos yeux : un système éducatif qui s’est considérablement dégradé ces 20 dernières années [2] et un salaire minimum (sans parler des cotisations sociales et autres taxes) déjà trop élevé et en constante augmentation.

Au final, la situation est assez simple : jusqu’au milieu des années 1990, on faisait des études supérieures pour avoir un bon job. Aujourd’hui, on fait des études pour échapper au chômage.

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[1] Shortcoming : les données pour le Smic sont en brut à temps plein (169 heures puis, à compter de 2005, 151.67 heures) tandis que les salaires sont exprimés en net, toutes durées de travail confondues.
[2] Je rappelle aux bonnes âmes que je suis prof en bout de chaîne (Master 2) et donc assez bien placé pour mesurer la chose ; accessoirement, c’est exactement ce que nous disent les enquêtes Pisa depuis déjà des années.

Pauvreté et inégalités de niveau de vie de 1970 à nos jours (débriefing)

Débriefing du petit quiz que je vous ai proposé en début de semaine. Au total, j'ai récolté exactement 100 réponses (je qui est très peu, j'y reviens).

Dans la première question, je vous proposait d'évaluer le niveau du seuil de pauvreté monétaire (à 60% du revenu médian) dans la France de 1970, exprimé en euros (2013). La bonne réponse, sur la base des données de l’Insee, était 496 euros. Concrètement, ça signifie qu’en 1970, on était pauvre quand on avait un niveau de vie inférieur à l’équivalent de 496 euros actuel ; aujourd’hui, on est pauvre avec un niveau de vie inférieur à 1 000 euros. C’est donc un doublement du seuil de pauvreté ; une progression annuelle de 1.6% de plus que l’inflation.

Sur 100 réponses, vous avez été 28 à donner un résultat juste ou peu s'en faut (entre 450 et 550 euros inclus) dont 26 à proposer 500 euros exactement. 27 participants ont donné un chiffre inférieur à 450 euros, 19 en-deçà de 350 euros et mêmes 3 ont répondu 100 euros : vous êtes donc 27% à surestimer la hausse du salaire médian sur l'ensemble de période. À l’opposé, vous êtes 45 à avoir donné un chiffre supérieur à 550 euros (dont 33 au-delà de 650 euros) et donc à sous-estimer les progrès réalisés sur la période. Parmi ceux-là, 5 pensent que le seuil de pauvreté est resté stable à 1 000 euros et 6 autres pensent même qu’il a baissé (NB : il faut sans doute exclure une de ces réponses — 6 227 euros — qui ne m’a pas l’air très sérieuse).

La seconde question concernait la proportion de français vivant sous le seuil de pauvreté en 1970. La bonne réponse, toujours selon l’Insee, était 17.9%. Aujourd’hui (i.e. en 2013), ce chiffre est tombé à 14%. Comme vous pouvez le voir ci-dessous, c’est surtout au cours des années 1970 que le taux de pauvreté a reculé. Il a ensuite atteint son point bas en 2004 (12.6% de la population) avant de remonter un peu avec la crise.

Vous êtes 31 à avoir donné une réponse juste à plus ou moins 2% (de 16% à 20% inclus). À ma grande surprise, 43 participants ont surestimé le taux de pauvreté de 1970 (taux supérieurs à 20%) et 28 l’ont même imaginé de-delà de 26% (NB : j’ai même 2 réponses à 100%...#ahem). En revanche, seuls 26 participants ont répondu moins de 16% dont 9 en-deçà de 10% et même 4 qui ont estimé que personne ne vivait sous le seuil de pauvreté en 1970.

Dans la troisième question, je vous proposais d’évaluer l’évolution des inégalités de niveaux de vie sur l’ensemble de cette période. Il y a plusieurs méthodes pour mesurer ce genre de choses ; je vous propose ci-dessous une des plus couramment utilisées : l’indice Gini — un chiffre entre 0 (égalité parfaite) et 1 (une seule personne perçoit toutes les richesses). Comme vous pouvez le constater, la répartition des niveaux de vie est nettement plus égalitaire aujourd’hui qu’en 1970 [1] même si, depuis les années 1990, la situation tend à se détériorer (pour des raisons qui ne sont pas nécessairement celle qu'on croit).

L’immense majorité d’entre vous ont vu juste : vous êtes 64 à avoir estimé que, du point de vue des niveaux de vie, la société actuelle est plus égalitaire que celle de 1970. Pour 15 d’entre vous, rien n’a vraiment changé et pour les 21 restants, les inégalités ont augmenté.

La quatrième et dernière question, enfin, n’était là que pour identifier (très vaguement) vos convictions quant au rôle que doit jouer l’État dans la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités. L’idée, comme vous l’avez sans doute deviné, était de vérifier s’il existe un lien entre perception du passé et préconisations pour l’avenir. Autant le dire tout de suite, le panel étant très biaisé et le nombre de réponses insuffisant il n’y pas grand-chose à en tirer : en gros, il n’y a aucune tendance significative qui mérite qu’on s’y arrête. Juste pour information : 59 estiment que l’État ne doit pas intervenir dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités et 35 pensent le contraire dont 12 qui estiment qu’il devrait intervenir plus.

Au total, 5 participants ont bien répondu à toutes les questions (i.e. les 3 premières) et 11 se sont trompés systématiquement. Sur ces derniers on a tous les profils mais le cas le plus fréquent (5) est celui de ceux qui (i) sous-estime la hausse du seuil de pauvreté depuis 1970, (ii) sous-estime le taux de pauvreté en 1970 et (iii) pensent que les inégalités ont augmenté depuis.

Dernier point qui me semble intéressant, j’ai un total de 482 visites sur l’article pour 100 réponses seulement. Pour en avoir discuté avec certains d’entre vous, il semble que beaucoup de visiteurs aient été rebutés par la complexité de certaines questions — notamment le raisonnement en euros constants et le concept de niveau de vie. C’est intéressant parce que tout le monde parle de la pauvreté et des inégalités et presque tout le monde a un avis bien tranché sur leurs évolutions ces dernières décennies (et même, souvent, sur les causes de ces évolutions et les solutions qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer la situation).

Or, manifestement, quand on aborde ce sujet de façon certes imparfaite mais au moins factuelle, il semble que beaucoup de gens sont très mal à l’aise avec les notions de base qui permettent de mesurer la pauvreté et les inégalités dans le temps.

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[1] Juste pour donner un ordre de grandeur : à la fin des années 2000, les coefficients de Gini par pays mesurés par l’OCDE s’étalaient de 0.236 à 0.476 — Une progression de 0.33 à 0.29 est donc loin d’être négligeable.

Celles qui sont vraiment seules

Commençons par un cas d’école. Paul et Julie sont mariés et ils ont deux enfants de moins de 14 ans ; ce qui, dans les statistiques de l’Insee, correspond à 2.1 unités de consommation (1+0.5+0.3+0.3). Ils gagnent l’un comme l’autre 1 500 euros nets par mois ce qui fait qu’avec un quotient familial de 3, ils ne paient pratiquement pas d’IRPP (ou, du moins, le peu qu’ils paient est compensé par les prestations sociales). Au total et pour simplifier, ils ont un revenu disponible de 3 000 euros ce qui, rapporté à leurs 2.1 unités de consommation, fait un niveau de vie de 1 429 euros ; soit 429 euros de plus que le seuil de pauvreté à 60%. Bref, Paul, Julie et leurs deux enfants ne sont officiellement pas pauvres.

Maintenant, supposez qu’ils divorcent. Comme dans la plupart des cas, Paul se retrouvera seul (une unité de consommation) tandis que Julie obtiendra la garde de ses deux enfants (1.6 unités de consommation). Évidemment, Paul va devoir payer un peu plus d’IRPP et touchera moins d’allocations ce qui ramène sont revenu disponible et son niveau de vie à quelque chose comme 1 400 euros par mois. Le seuil de pauvreté étant, en 2013, fixé à 60% du niveau de vie médian — soit 1 000 euros — il n’est toujours pas pauvre mais son niveau de vie a légèrement baissé. Mais c’est pour Julie que ça va être vraiment différent : elle gagne toujours 1 500 euros par mois mais le niveau de vie de son nouveau ménage, composé d’elle-même et de ces deux enfants soit 1.6 unités de consommation, vient de tomber à 938 euros. C’est-à-dire qu’elle et ses deux bambins sont désormais officiellement pauvres.

Du point de vue des statistiques, nous avions donc un ménage composé de quatre personnes qui s’en sortaient et nous avons maintenant deux ménages dont un (Paul) qui a vu son niveau de vie baisser légèrement et un autre (Julie et les deux petits) qui sont passés sous le seuil de pauvreté monétaire. Tout ça pour un divorce.

L’émergence de la famille monoparentale

Pourquoi cet exemple ? Eh bien parce que parmi les grandes évolutions de notre société ces dernières décennies, le cas de Paul et Julie est de plus en plus fréquent. Si j’en crois les données de l’Insee, les familles monoparentales — doux euphémisme qui, dans huit cas sur dix, désigne une mère seule avec ses enfants — représentaient à peine 5.2% des ménages recensés en 1982 [1]. En 2012, trente ans plus tard, c’est 8.2% des ménages qui sont dans cette situation ; en termes absolus, c’est plus du double. Mais il y a pire encore : non seulement leur nombre a augmenté en proportion de la population totale mais les familles monoparentale se sont aussi considérablement fragilisées. De 1996 à 2012 [2], le taux de pauvreté des membres de familles monoparentales, c’est à dire la proportion de celles et ceux dont le niveau de vie était inférieur à 60% du niveau de vie médian, est passé de 26.7% à plus du tiers. Le résultat c’est qu’aujourd’hui, si seuls 9.4% des français vivent dans une famille monoparentale, c’est le cas de 22.8% des pauvres.

Pour vous donner un ordre de grandeur de cette évolution, il faut savoir que sur cette même période — 1996-2012 — le taux de pauvreté des français a légèrement baissé : de 14.5% en 1996 à 13.9% en 2012 ; une baisse de 0.6%. Or, si vous excluez les familles monoparentales du calcul, nous sommes passés d’un taux de pauvreté de 12.6% en 1996 à 10.7% en 2012 ce qui fait une baisse de 1.8% ; soit 1.2% de mieux. C’est-à-dire qu’en vivant au sein d’un couple, on est moins fréquemment pauvres qu’il y a 20 ans [3] et que ce qui a freiné la baisse du taux de pauvreté en France, c’est très probablement l’éclatement de plus en plus fréquent de certains couples et la fragilisation des familles monoparentales qui en résultent.

Au-delà du biais statistique évident qu’illustre l’histoire — fictive et largement simplifiée — de Paul et Julie, ce phénomène traduit une réalité essentielle de notre société moderne. Les traditionalistes évoqueront, bien sûr, l’éternelle perte des valeurs morales [4] mais il existe aussi une explication beaucoup plus pragmatique : là où nos grand-mères, quand elles ne supportaient plus leur mari, courbaient l’échine parce qu’elles n’avaient économiquement pas le choix ; les jeunes femmes modernes travaillent et sont donc beaucoup moins financièrement dépendantes. Il n’est peut-être pas non plus tout à fait inutile de rappeler que le principe du divorce par consentement mutuel, en France, est très récent : il date de 1975 [5].

Pire que célibataire : être vraiment seule

Il est sans doute inutile de décrire ici toutes les difficultés auxquelles une mère qui élève ses enfants seules doit faire face. Il y a, bien sûr, de nombreuses femmes diplômées et éduquées qui gagnent correctement leur vie et qui, de surcroît, peuvent compter sur le soutien (au moins financier) de leurs ex-maris, de leurs parents et de leurs ex-beaux-parents. Seulement voilà, comme que le divorce s’est largement démocratisé [6], il y a aussi de plus en plus de mères célibataires peu ou pas diplômées et qui, pour ne rien arranger à l’affaire, ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour subvenir aux besoins de leurs enfants.

C’est malheureusement un fait [7], on ne divorce pas de la même façon quand on est issu d’un milieu modeste que quand on appartient à une catégorie sociale plus aisée : entre les pères qui disparaissent sans verser de pension alimentaire, des parents qui ne peuvent souvent pas aider leurs filles et un réseau relationnel qui explose avec le couple, ces jeunes mères se retrouve souvent absolument seules. S’il y a quelque chose en France qui ressemble vraiment à de la misère, c’est la situation de ces femmes et de leurs enfants ; lesquels, pour en rajouter une couche, se retrouveront souvent sur le marché du travail sans diplôme ni aide familiale et iront grossir les rangs des jeunes adultes pauvres [8] à qui notre société n’offre rien de mieux que des « contrats d’avenir » — ainsi nommés pour mieux cacher qu’ils n’en offre aucun.

Alors évidemment, il est beaucoup plus simple et politiquement rentable d’énoncer quelques statistiques sans préciser ce qu’elles signifient et d’enrober ça dans quelques envolées lyriques. On vous dira comment la concurrence des ouvriers chinois a plongé les nôtres dans la misère — ça n’est pas vrai. On vous dira comment la déconstruction de notre système de retraite a fragilisé les retraités — ça n’est pas vrai. On vous dira comment le patronat a obligé les salariés à se contenter du minimum de subsistance — ça n’est pas vrai. On vous dira encore que le démantèlement de notre système de protection sociale a fragilisé les familles — ça n’est pas vrai non plus.

Ce qui est vrai, en revanche, c’est que la hausse du taux de pauvreté observée ces dernières décennies est très largement imputable à l’émergence des familles monoparentales et notamment celles qui sont issues de milieux modestes. Malheureusement pour ces mamans-courage et pour le reste d’entre nous, il semble que notre personnel politique n’ai pas trouvé ce thème suffisamment porteur et préfère monter à l’assaut de moulins plus glorieux. Elles sont décidément bien seules.

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[1] Donnés pour la France métropolitaine, dans le fichier à télécharger, deuxième onglet.
[2] Je n’ai trouvé ni plus ancien ni plus récent sur le site de l’Insee.
[3] Fait stylisé : plus un couple à d’enfants, plus il a de « chances » de vivre sous le seuil de pauvreté. Il y a sans doute un peu de vrai là-dedans mais il est plus que vraisemblable que l’échelle des unités de comptes introduise un biais non négligeable. Quoi qu’il en soit, pour un couple avec deux enfants, le taux de pauvreté est passé de 11.8% en 1996 à 9.7% en 2012 ; plus de deux points de réduction.
[4] Ce qui, de leur point de vue, se tient tout à fait : en Irlande et en Italie par exemple, les divorcés sont très mal vus (ce à quoi s’ajoute, pour être juste, quelques difficultés d’ordre légal) et du coup, on y divorce effectivement très peu. Notez aussi que je qualifie la « perte des valeurs morales » d’éternelle parce que cette complainte n’a rien de moderne : relisez Platon ou Aristote.
[5] Notez cependant que le taux de divortialité avait largement anticipé la loi ; outre un pic après-guerre (c’est un classique, je vous laisse deviner), on comptait 2.9 divorces pour 1 000 couples mariés en 1960 et déjà 3.3 en 1970. La loi a néanmoins accéléré le mouvement : 6.3 en 1980, 8.4 en 1990, 9.3 en 2000 et une dizaine aujourd’hui.
[6] Autre évolution importante sur le long terme : en 1968, pas moins de 56% de ces mamans étaient en fait des veuves.
[7] Voir, notamment, Clotilde Lemarchant, Familles et inégalités sociales in Cahiers français n° 322.
[8] Ça aussi c’est une tendance lourde : le taux de pauvreté des ménages dont la « personne de référence » a moins de 30 ans est passé de 18.5% en 1996 à 25.5% en 2012.

Pauvreté et inégalités de niveau de vie de 1970 à nos jours

Update (2016-03-18 @ 10:05) : Le débrifing est en ligne ici.

Ci-dessous un petit quiz destiné à mesurer votre perception de l’évolution de la société française de 1970 à nos jours sous l’angle des inégalités de niveau de vie en général et du taux de pauvreté en particulier. Il va de soi que vous pouvez tricher ou répondre plusieurs fois mais, dans la mesure où il n’y a rien à gagner, vous admettrez que ça n’a pas grand intérêt.

Avant de commencer, quelques rappels peuvent être utiles :

Par revenu disponible, on entend l’ensemble des revenus perçus par un ménage (salaires nets, revenus du patrimoine et prestations sociales) moins les impôts directs.

Le niveau de vie d’un ménage est égal à son revenu disponible ajusté du nombre de personnes qui composent le composent. Techniquement, on divise le revenu disponible par un nombre d’unités de consommation : le premier adulte vaut 1, toute personne de 14 ans ou plus vaut 0.5 et les enfants de moins de 14 ans valent 0.3. Par exemple, un couple avec 2 enfants de moins de 14 ans compte 1+0.5+0.3+0.3 = 2.1 unités de consommation. Par définition, toutes les personnes qui vivent dans un même ménage ont le même niveau de vie.

On considère qu’un individu est pauvre lorsqu’il fait partie d’un ménage qui vit sous le seuil de pauvreté monétaire c’est-à-dire que le ménage dont il fait partie dispose d’un niveau de vie inférieur à 60% du niveau de vie médian [1]. Notez qu’il existe d’autres seuils (à 40%, 50% et 70%) mais c’est celui-là qui est le plus fréquemment utilisé. Par exemple, en 2013 (dernières données disponibles), le niveau de vie médian était de 1 667 euros par mois ; on était considéré pauvre si on vivait dans un ménage dont le niveau de vie était inférieur à 60% de cette somme soit 1 000 euros.

Concrètement, ça signifie qu’un couple sans enfant qui, par hypothèse, dispose d’un revenu après impôts directs de 1 667 euros (le revenu disponible) a un niveau de vie de 1 111 euros et n’est donc pas considéré comme pauvre. En revanche, à la naissance de leur premier enfant, le ménage gagne 0.3 unités de consommation de telle sorte que son niveau de vie n’est plus que de 926 euros ; ce qui signifie que trois personnes vivent désormais sous le seuil de pauvreté monétaire.

Ces rappels étant faits, voici le quiz :

(Sondage terminé -- formulaire détruit.)

N’hésitez pas à faire circuler. Le débriefing aura lieu ici même dans quelques jours.

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[1] C’est le niveau de vie qui coupe la population française en deux : 50% des français ont un niveau de vie supérieur et 50% ont un niveau de vie inférieur (à ne pas confondre avec le niveau de vie moyen).

Microagressions partout

« 14 civils dont quatre de race blanche. » C’est par ces mots qu’Hamed Bakayoko, ministre de l’intérieur de Côte d’Ivoire, confirmait le bilan macabre de l'attaque terroriste de Grand-Bassan.

On comprend donc que dix des victimes étaient vraisemblablement « de race noire » — puisque le ministre ne juge pas utile de préciser plus [***] — et que la nationalité des quatre « de race blanche » n’est pas encore tout à fait établie ; ce que le ministre s’empresse d’ailleurs de confirmer : « nous avons identifié une (d’elles) de nationalité française et une allemande » — il reste donc deux victimes « de race blanche » dont on ne connait pas à ce moment la nationalité.

Alors bien sûr, on pourrait rétorquer à M. Bakayoko qu’en français moderne, le terme de « race » ne s’applique qu’aux espèces animales domestiques et donc, que l’usage de ce mot n’est pas approprié. On pourrait mais on ne le fera pas parce qu’avec deux doigts de jugeote, on imagine bien, d’une part, que le ministre de l’intérieur ivoirien a un peu autre chose à faire que de se perdre en considérations sémantiques alors que son pays est victime du terrorisme et, d’autre part, on comprend bien qu’il nous donne les informations dont il dispose à ce moment : concrètement, dix victimes ont la peau (à peu près) noire et quatre autres ont la peau (à peu près) blanche.

Personnellement et étant « blanc » moi-même, je ne me sens en rien microagressé par cette référence à des personnes « de race blanche » ; je n’y vois aucune forme de racisme ni de volonté de dénigrer l’histoire de ma famille et encore moins ma culture. J’y vois un ministre sous pression qui expose des faits. Point barre.

Sauf que voilà, quand 20Minutes.fr reprend cette déclaration ministérielle en omettant, il est vrai, de la mettre entre guillemets, cette même phrase prend étrangement une toute autre dimension. Le canard a à peine le temps de publier son papier que son titre — berbatim : « Côte d’Ivoire : L’attaque d’une station balnéaire revendiquée par Aqmi, 14 civils tués dont 4 blancs. » — fait immédiatement l’objet d’une campagne d’indignation dont seuls les Guerriers de la Justice Sociale ont le secret. Quoi ? Comment ? « Vous n’avez pas honte ? » s’insurgent en chœurs les chasseurs de fascistes et autres suspects habituels.

Pourtant, 20Minutes.fr a essayé de bien faire. Si vous y prêtez attention, vous observerez que le mot « race » a disparu de la citation (telle qu’elle apparait dans le titre et dans l’article original) ce qui, incidemment, explique parfaitement bien pourquoi les guillemets ont disparu dans les deux cas.

Alors quoi ? Que reproche-t-on à 20Minutes.fr exactement ? De ne pas avoir remplacé « blancs » par « de type caucasien » ? Un ministre ivoirien pourrait donc utiliser la notion de « race blanche » sans que personne ne s’en offusque tandis qu’un journal français n’aurait pas le droit de parler de « blancs » ? Accuse-t-on 20Minutes.fr de donner plus d’importance à la mort de quatre « blancs » qu’à celle de dix « non-blancs » ? Fait-on le même procès d’intention à M. Bakayoko ?

Non. En réalité, on ne reproche rien à 20Minutes.fr. Ils n’ont fait que leur métier : informer un public français que, lors d’un attentat commis dans un pays d’Afrique dans lequel vivent beaucoup de nos compatriotes, « quatre blancs » figurent parmi les victimes.

Bref, cette micro-vague de micro-indignation collective confine au ridicule le plus achevé ; elle est, encore une fois, le fait d'un quarteron de crétins qui se sont juré de dénicher des racistes partout ; même s’il n’y en a objectivement pas la moindre trace ; même si, pour se faire, il diffament publiquement des innocents ; même si, à force de jouer à ce petit jeu, ils crédibilisent le discours de ce même Front National qu’ils prétendent combattre.

[***] 2016-03-05 @ 12:10 : On me signale qu'en fait, le ministre a bien précisé que les 10 autres victimes étaient de « race noire » (la vidéo est ici, vers 1:30).

The minimum wage and aggregate demand

The debate about whereas or not the minimum wage should be raised may be summarized as follow: on one side, opponents argue that a higher mandatory minimum wage would prevent employers to hire unexperienced / underqualified workers. If you think about it, it makes perfect sense: just imagine what would happen if, somewhere in the United States, the government was to impose a—say—100 dollars minimum wage per hour. It is pretty obvious that it would put people out of work since many companies—especially small companies—would simply not be able to pay such rates. Of course, it is also means that a 1 dollar minimum wage would probably have no effect whatsoever on the unemployment rate since, as far the United States are concerned, even the less experienced / qualified workers are worth much more than that. So it really is a matter of numbers: a $15 minimum wage is likely to put a number people out of work but the question is whether or not that number is significant.

On the other side, the proponents of such a raise argue that, because low-income workers have a higher marginal propensity to consume (which is true), a 15 dollars minimum wage would boost aggregate demand and therefore compensate (or even more than compensate) the cost effect. Admittedly, it also makes sense: modulo the share of imported goods and services, a higher solvable demand is likely to increase the sales of American corporations which, in turn, might boost demand for workers, lower unemployment and therefore push wages up. Again, it’s a matter of numbers: putting aside moralists and the economically illiterates, the whole debate—as I understand it— is about which of these two effects will have the stronger influence on the economy.

Now here is a weird fact: I don’t what the figures are in the United States but in France [1], it happen that 28% of minimum wage workers are living with an above median income [2]. Yes, really and no, it’s only marginally related to the redistributive system: these workers are simply married with a high-wage earner and, as a result, they actually have a relatively high level of income. Thinking about it, I know many households in that situation starting by my own, a few years ago, when my wife was getting the minimum the wage [3] while I was probably in the top decile of French wage earners.

So while it’s true that low-income households have a higher marginal propensity to consume, it is not always true—far from it— that minimum wage workers belong to low-income households. Another example that might even not appear in statistics depending on how they are built, is the case of youngsters in their first job that still live with their parents: of course, mum and dad may be poor but they may also be wealthy and even very wealthy.

Taking this into account, a raise in the minimum wage would only have the desired effect—boost the aggregate demand—for a fraction of minimum wage workers. For those who belong to average or high-income households, these additional dollars might end up as savings; especially if the raise causes a rise in unemployment in the first place.

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[1] Source: Insee, 2011 (in French).
[2] These are after tax and redistribution incomes, adjusted for the number of people belonging to households.
[3] Her wages were raised many times since then (and much faster than the minimum wage in case you wonder).

Le top 10% des plus grosses fortunes françaises.

Il a deux façons de mesurer la richesse d’un individu ou d’un foyer : raisonner en termes de revenus (les flux) ou en termes de patrimoine (le stock). Le patrimoine est la valeur estimée de l’ensemble des biens possédés par un foyer — immobilier, épargne etc. — moins l’ensemble de ses dettes. Par exemple, si vous pensez que votre résidence principale vaut 300 000 euros mais que vous devez encore 200 000 euros à la banque, votre patrimoine immobilier ne vaut « que » 100 000 euros.

Ceci étant posé, voici les résultats de mon petit quiz sur Twitter :

La bonne réponse, sur la base des données de l’observatoire des inégalités [1], c’est effectivement environ 370 000 euros : c’est à partir de ce seuil qu'on rentre dans le club des 10% des français les plus riches en termes de patrimoine. Sur 181 participants, vous êtes 65 (36%) à avoir répondu correctement mais vous êtes 116 (64%) à surestimer ce seuil dont 54 (30%) à l'imaginer plus deux fois plus élevé qu'il l'est réellement.

Pour information, à 580 000 euros de patrimoine vous êtes plus riche que 94% de la population (vous êtes dans le top 6%), avec 940 000 euros vous êtes dans le top 4% et avec 1 230 000 euros vous appartenez aux 3% les plus fortunés d'entre nous. Le seuil du fameux 1% est aux alentours de 1.9 million d'euros.

Notez que, d’une part, ces chiffres souffrent nécessairement d’une certaine imprécision (on ne saura pas vraiment ce que vaut votre maison tant que vous ne l’aurez pas vendue) et que, d’autre part, ils ne tiennent compte ni de ce que j’appelle — faute de mieux — le patrimoine officieux (vos droits sur le système de retraite [2]) ni du capital humain ; c’est-à-dire de la capacité des uns et des autres à générer des revenus futurs [3]. Hélas, ces données n'existent pas (à ma connaissance) et c’est à cette définition du patrimoine que se réfère notre personnel politique dès lors qu’il est question de distinguer les riches des moins riches.

Donc, si l’on, admet qu’appartenir au top 10% des plus grosses fortunes françaises fait de vous un « riche », vous êtes riche si votre patrimoine excède 370 000 euros. Je laisse à chacun le soin d’avertir ses parents.

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[1] Qui sont en fait celles de Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, Pour une révolution foscale (2011).
[2] Une rente annuelle de 1 euro versée pendant 30 ans à compter de l’année prochaine vaut environ 26.84 euros.
[3] Sauf si vous pensez qu’un jeune diplômé de Harvard est réellement plus pauvre qu’un réfugié syrien.

Le paradoxe du smicard riche

Samedi après-midi, plutôt que de faire une sieste, j'ai posé cette question :

Juste au cas où vous auriez un doute, je n’ai rien inventé : c’est vraiment le chiffre calculé par l’Insee (à ceci près que les données datent de 2011, pas 2012 — ma faute).

Évidemment, et comme je m’y attendais, tous ceux qui ont bien voulu se prêter au jeu ont immédiatement pensé à notre système fiscalo-redistributif. Bien sûr, la fiscalité et les aides sociales tendent à réduire les écarts de revenus mais, de là à admettre qu’ils puissent inverser la hiérarchie des revenus d’activité, vous admettrez qu’il y a une marge.

La réponse, en réalité, est d’une simplicité enfantine : il suffit d’imaginer la situation d’un salarié payé au SMIC (et en CDD à mi-temps par-dessus le marché) dont le conjoint serait, par exemple, un cadre supérieur dans la tranche haute des salaires. C’est aussi simple que ça : notre Smicard précaire dispose du coup d’un niveau de vie très élevé et ce, d’autant plus s’il n’a pas d’enfants à charge ou — mieux encore — s’il a hérité d’un patrimoine important.

Le Code de la Nature par Morelly

Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution (1856), Chap III. :

« On croit que les théories destructives qui sont désignées de nos jours sous le nom de socialisme sont d’origine récente ; c’est une erreur: ces théories sont contemporaines des premiers économistes. Tandis que ceux-ci employaient le gouvernement tout-puissant qu’ils rêvaient à changer les formes de la société, les autres s’emparaient en imagination du même pouvoir pour en ruiner les bases.

« Lisez le Code de la Nature par Morelly [1], vous y trouverez, avec toutes les doctrines des économistes sur la toute-puissance de l’État et sur ses droits illimités, plusieurs des théories politiques qui ont le plus effrayé la France dans ces derniers temps, et que nous nous figurions avoir vues naître : la communauté de biens, le droit au travail, l’égalité absolue, l’uniformité en toutes choses, la régularité mécanique dans tous les mouvements des individus, la tyrannie réglementaire et l’absorption complète de la personnalité des citoyens dans le corps social.

« Rien dans la société n’appartiendra singulièrement ni en propriété à personne, dit l’article 1er de ce Code. La propriété est détestable, et celui qui tentera de la rétablir sera renfermé pour toute sa vie, comme un fou furieux et ennemi de l’humanité. Chaque citoyen sera sustenté, entretenu et occupé aux dépens du publie, dit l’article 2. Toutes les productions seront amassées dans des magasins publics, pour être distribuées à tous les citoyens et servir aux besoins de leur vie. Les villes seront bâties sur le même plan; tous les édifices à l’usage des particuliers seront semblables. A cinq ans tous les enfants seront enlevés à leur famille et élevés en commun, aux frais de l’État, d’une façon uniforme. » Ce livre vous paraît écrit d'hier : il date de cent ans ; il paraissait en 1755, dans le même temps que Quesnay fondait son école : tant il est vrai que la centralisation et le socialisme sont des produits du même sol ; ils sont, relativement l’un à l’autre, ce que le fruit cultivé est au sauvageon. »

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[1] Le Code de la Nature, ou le véritable Esprit de ses Loix d'Étienne-Gabriel Morelly, publié en 1755

Qui va payer la surtaxe des CDD ?

« Le CDI, c’est ce que demandent les jeunes. Et ils ont raison. »
— François Hollande, 10 mars 2016

Comme il est bien entendu qu’il n’est pas de problème qu’une nouvelle taxe ne saurait régler, la solution qui, selon les termes de Mme El Khomri, serait « sur la table » consisterait à surtaxer les CDD ou, pour être plus précis, d’augmenter les cotisations dites « patronales » sur ce type de contrats de travail. Ainsi, pense-t-on en haut lieu, les employeurs seront dissuadés d’offrir des contrats précaires et incités à signer des CDI.

Deux observations s’imposent. La première, c’est que notre gouvernement semble enfin avoir compris qu’une augmentation des cotisations sociales a un effet dissuasif sur l’embauche. C’est une simple question de logique élémentaire : si, pour décourager les employeurs de signer un type de contrat, vous pensez qu’il faut en augmenter le coût, vous admettez de fait l’élasticité-prix de l’offre de travail.

C’est, de ce point de vue, une excellente nouvelle : au regard des politiques mises en œuvre ces dernières décennies, on était en droit d’en douter. Il est donc désormais permis d’espérer qu’ils feront un jour le lien entre le niveau notoirement élevé des cotisations sociales et celui du chômage et, puisque nous y sommes, entre le niveau du salaire minimum et la surreprésentation des jeunes et des moins diplômés parmi les chômeurs.

Malheureusement, les progrès conceptuels de nos élus s’arrêtent là : ils n’ont manifestement pas encore intégré la notion d’incidence fiscale ; le principe qui veut que ce n’est presque jamais celui qui paie effectivement l’impôt qui en supporte le coût économique.

Dans le cas qui nous occupe, la théorie légale nous dit que ce sont les employeurs — comprenez les actionnaires — qui, s’ils continuent à employer des salariés en CDD, devront rogner sur leurs profits pour payer le surcroît de cotisations. Non seulement rien ne permet de l’affirmer mais, au regard de l’état actuel du marché du travail, il est plus que probable que celles et ceux qui finiront par subir le coût de cette taxe, ce sont les salariés eux-mêmes.

Par quelle sorte de miracle ? Eh bien c’est très simple : les employeurs paieront effectivement leur pénalité à l’Urssaf, au Trésor Public ou à Dieu seul sait qui d’autre et, dans la foulée répercuteront ce surcoût sur les fiches de salaires ou, pour les salariés en CDD payés au Smic, chercheront une alternative : si l’intérim est aussi surtaxé, on externalisera à l’étranger, on mécanisera (les caisses automatiques de votre supermarché) ou, tout simplement, on arrêtera certaines activités (votre supermarché cessera de livrer à domicile par exemple).

Il est bien sûr possible que, dans les grands groupes qui peuvent se le permettre, cette surtaxe se traduise par quelques transformations embauches définitives mais, dans l’immense majorité des cas, l’essentiel du coût économique d’une telle mesure sera en réalité supporté par ceux-là même qu’elle était supposée aider.

De l’incapacité industrielle de l’État

Si l’entreprise d’État est une vieille tradition française héritée de l’Ancien Régime, les commentateurs modernes perdent souvent de vue que le phénomène est en réalité resté marginal pour ne pas dire anecdotique jusqu’au premier tiers du XXe siècle. Il faut imaginer qu’en 1900, l’essentiel du réseau ferroviaire est privé [1], la Banque de France appartient encore à ses actionnaires et les interventions des pouvoirs publics dans la sphère productive prennent essentiellement la forme de concessions assorties de cahiers des charges — lesquels, notamment dans le cas de l’industrie ferroviaire, s’avèreront parfois mortels [2].

À part les Postes et Télégraphes qui viennent de récupérer le réseau téléphonique [3], le monopole sur le tabac et les allumettes et quelques autres entités comme la « Manu » de Nantes, les entreprises publiques ne pèsent, pour ainsi dire, presque rien ce qui ne l’empêche pas, dès les années 1920, d’être sous le feu des critiques : Henri Fayol, après une enquête sur les PTT, parlait carrément d’« incapacité industrielle de l’État ».

Le secteur public à proprement parler va naître en 1936, avec le Front Populaire et le premier programme de nationalisations à portée réellement politique. Cette première vague va principalement porter sur les industries de la défense, de l’aéronautique et, bien sûr, du transport ferroviaire avec la nationalisation des compagnies et création de la SNCF en 1938. Elle restera néanmoins d’ampleur limitée ; les radicaux voyant d’un mauvais œil cette vague d’étatisation jugée extraordinaire pour l’époque.

C’est donc surtout au lendemain de la Libération, de 1945 à 1946, que va se constituer le grand secteur public à la française. C’est le programme du Conseil National de la Résistance : on exproprie bien sûr les collaborateurs (Renault) mais, surtout, on nationalise massivement par conviction idéologique (Société Générale, Crédit Lyonnais, la Banque de France). En 1947, quand les choses se tassent, le secteur public compte pas moins de 1,15 million de salariés soit environ 5.8% de la population active totale.

Si le poids du secteur public décroît légèrement au cours des années qui suivent, notamment sous la décennie gaullienne (en 1970, il ne pèse plus « que » 4.5% de la population active), son périmètre va rester quasiment identique pendant 36 ans. C’est en 1982, avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, que la France va connaître sa troisième et dernière vague de nationalisations (St Gobain, Rhône Poulenc, Paribas…) Fin-1984, le secteur public atteint son apogée avec près de 1.9 millions de salariés soit environ 7.8% de la population active.

La décrue commence en 1986, cinquante années après la première vague de nationalisation. Une première vague de privatisation est initiée par Jacques Chirac qui re-privatise une bonne partie des entreprises nationalisées en 1982 (St Gobain, Matra, Paribas). Suivent, avec le retour des socialistes au pouvoir, une pose de plusieurs années — la doctrine du « ni ni » de François Mitterrand — et une deuxième vague, à partir de 1993, qui va voir la baudruche publique se dégonfler peu à peu pour atteindre sa taille actuelle ; soit environ 800 000 salariés, 2.8% de la population active.

Voilà donc, dans ses grandes lignes, l’histoire du secteur public français. Il s’est construit en 50 ans — de 1936 à 1986 — puis, a reflué ces 30 dernières années pour retrouver une dimension grosso modo comparable à celle qui était la sienne avant la seconde guerre mondiale.

Cette histoire n’est pas propre à la France. Si, en 1986, nous avions effectivement un des secteurs publics les plus développé du « monde libre » de l’époque, force est de constater que, dans les grandes lignes, on a observé les mêmes tendances aux États-Unis et un peu partout en Europe de l’ouest. C’est une histoire commune : la construction des grands secteurs publics au XXe siècle est le produit, d’une part, des deux guerres mondiales et, d’autre part, du mirage socialiste — de cette époque où l’on croyait encore au succès de l’expérience soviétique.

De la même façon, la phase de déconstruction à partir des années 1980 ne relève en rien d’un quelconque complot : plus personne ne pouvait ignorer la faillite totale des modèles socialistes mais surtout, l’« incapacité industrielle de l’État » était à ce point patente que la défense du secteur public relevait du suicide politique.

À l’attention de celles et ceux d’entre nous qui sont trop jeunes pour avoir connu cette époque, il faut tout de même rappeler ce qu’était le secteur public français des années 1980 : qualité de service déplorable, pertes abyssales qui tombent d’autant plus mal que l’État-providence coûte de plus en plus cher et, cerise sur le gâteau, des salariés en perpétuel conflit avec l’État employeur. Bref, si nos élus on déconstruit le secteur public, ce n’est ni par conviction ni parce qu’un obscur complot leur a forcé la main : ils l’ont fait parce que le navire prenait l’eau de toute part et qu’il n’était politiquement plus possible de le défendre.

Et aujourd’hui, l’actualité récente m’en est témoin, ce qui reste de l’État actionnaire — la Poste, EDF, la SNCF, Areva — continue à donner raison à Fayol : service déplorable, pertes abyssales et pétaudière sociale.

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[1] L’État n’était alors propriétaire que d’un petit réseau, dans l’Ouest du pays, nationalisé en 1878.
[2] Les compagnies privées vont être coulées par l’application du plan Freycinet (à partir de 1878) jusqu’à ce qu’elles soient toutes nationalisées avec la création de la SNCF en 1938 (qui, ironie de l’histoire, finira par fermer les lignes déficitaires pour revenir peu ou prou au réseau tel qu’il était en 1870).
[3] Nationalisation du réseau de la Société Générale des Téléphones (SGT) le 16 juillet 1889.

Êtes-vous vraiment sûrs de vouloir une égalité salariale hommes-femmes ?

À l’occasion de la journée des droits de la femme, Alexandre Delaigue a reposté un de ses vieux papiers (Et si l’on créait un vrai congé de paternité ? sur liberation.fr, le 18 juin 2012), article qui, selon votre serviteur, mérite bien des louanges mais aussi quelques critiques — les premières se voulant objectives, les secondes tout à fait amicales.

L’immense mérite de cet article, c’est de tordre le coup à l’idée absurde selon laquelle les écarts de rémunération entre hommes et femmes seraient dus aux préjugés sexistes d’une société patriarcale ; le fameux « plafond de verre » qui expliquerait, selon certains, que ces dames soient aussi sous-représentées dans les directions d’entreprises comme à l’Assemblée Nationale [1].

Entendons-nous bien : que le phénomène existe ne fait pas le moindre doute. En cherchant bien, vous trouverez à coup sûr un employeur qui refuse de nommer des femmes aux postes qu’il juge stratégiques pour des raisons explicitement sexistes — c’est-à-dire parce qu’il pense que les femmes sont moins compétentes que les hommes — de la même façon que vous trouverez aussi des employeuses qui privilégient systématiquement les femmes (si si, j’ai des noms), des aristocrates qui ne recrutent que des noms à particules, des chinois qui ne s’entourent que de chinois et un bon paquet de gens qui préfèreraient se pendre plutôt que d’embaucher un magrébin. Bref, les préjugés des uns et autres jouent un rôle à l’embauche, c’est une certitude, mais ce n’est pas nécessairement ce qui explique les différences de salaires et de responsabilités entre hommes et femmes.

En réalité, écrit Alexandre, « la vraie inégalité n’est pas sur le lieu de travail, mais au sein du foyer : lorsqu’une famille a un enfant, la mère est bien plus susceptible de prendre des congés, d’interrompre sa carrière, ou de rentrer plus tôt, que le père. » C’est aussi simple que ça.

Demandez à n’importe quel dirigeant d’entreprise (mâle) et vous en aurez la confirmation : s’il hésite à nommer des jeune femmes — typiquement dans la tranche 25-35 ans — à des postes de responsabilité, ce n’est pas par sexisme, c’est simplement parce qu’il s’attend très rationnellement à ce que cette jeune femme souhaite, à un moment ou un autre, avoir des enfants ce qui signifie concrètement qu’il prend le risque de devoir se passer d’une personne clé dans son organisation et ce, pendant plusieurs mois.

Tenez par exemple : vous vous êtes déjà demandé à quoi ressemble l’Executive Team de Marissa Mayer ? Sur les treize personnes qui composent l’entourage direct de la patronne de Yahoo ! on ne compte que deux femmes. Doit-on en conclure que la belle Marissa [2] nourri des préjugés sexistes ?

De la même façon et je vous invite à faire le test si vous connaissez des jeunes mamans qui font carrière : demandez-leur comment elles vivent leurs horaires de cadre sup. Autour de moi, c’est la quasi-unanimité : mal, très mal. « Je ne vois pas grandir mes enfants, quand je rentre, ils sont déjà couchés et le week-end, je suis trop fatiguée pour profiter d’eux. » C’est une classique et le fait que monsieur ait mis sa carrière en sommeil pour permettre à madame de se consacrer à la sienne n’y change rien : les mamans sont, viscéralement et avant tout, des mamans.

La suite de l’histoire est d’une implacable logique : les enfants grandissent, madame peut enfin se consacrer à sa carrière mais le fait est que, d’un point de vue strictement professionnel, elle a pris du retard sur ses homologues masculins. Le résultat et même si Marissa Mayer est un magnifique contre-exemple [3], c’est que nos mamans, nos sœurs, nos épouses et nos filles sont, en moyenne, moins bien payées que des hommes. C’est un fait, on est tout à fait en droit de le regretter mais ça n’a rien à voir avec les soi-disant préjugés sexistes d’une société supposément patriarcale.

Mais là où je cesse de suivre Alexandre Delaigue c’est quand, reprenant les propositions de l’économiste Paul Seabright, il propose « un congé de paternité obligatoire, de la même durée que le congé de maternité. » Alors là, à mon humble avis, on entre de plein pied dans le département des vrais fausses bonnes idées.

D’un point de vue purement fonctionnel, Seabright et Delaigue ont raison : c’est sans doute le moyen le plus efficace de rétablir l’équilibre et c’est même peut-être, outre les approches coercitives à coup de quotas obligatoires et de grilles administratives, le seul moyen d’obtenir l’égalité salariale. Mais, mon Dieu, à quel coût ? Obtenir cette fameuse égalité est-il un objectif à ce point socialement désirable que nous sommes prêts à imposer les conséquences d’une telle idée à la société en général et aux jeunes couples en particulier ?

Concrètement, qu’est-ce que ça implique ? Eh bien ça signifie que les freins qui font que les employeurs hésitent à recruter des jeunes femmes à des postes de responsabilité s’appliqueront aussi à leurs conjoints — d’où l’égalité. C’est-à-dire que ces jeunes hommes, à l’âge où, justement, on construit sa carrière seront placés face à une alternative très simple : ils devront arbitrer entre une carrière professionnelle épanouissante (et rémunératrice) et avoir des enfants. Il ne sera, pour beaucoup de couples, plus possible de mener les deux de front.

On créerait une situation dans laquelle, au moment précis où la famille s’agrandit (déménagement, équipement etc.), les deux membres du couple vont devoir arrêter toute activité professionnelle pendant quoi ? Seize semaines ? Qui va s’occuper des dossiers en cours ? On trouvera bien quelqu’un d’autre pour assurer l’intérim dites-vous ? Oui, dans les grandes boîtes mais dans une PME, pardon, ça risque d’être un peu plus compliqué [4] et non, tous les salariés ne sont pas interchangeables à volonté sur n’importe quel poste : loin de là.

Alors oui, on obtiendra enfin cette égalité salariale hommes-femmes si désirée mais, ce faisant, on créera une nouvelle fracture : les couples avec enfants qui, sauf exceptions, devront se satisfaire de petits métiers et donc de petits revenus et les couples qui auront choisi de donner la priorité à leurs carrières et qui attendront, sauf exceptions, la quarantaine pour fonder une famille [5]. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Voulons-nous vraiment d’une société dans laquelle un bébé arrivé à l’improviste devient une catastrophe professionnelle ? Sommes-nous vraiment prêts à payer ce prix pour obtenir cette nouvelle égalité de fait ?

Et si, tout simplement, on laissait le choix aux gens ? Et si, tout bêtement, le fait, pour une jeune femme, de sacrifier sa carrière à ses enfants résultait d’un choix conscient et assumé ? Et si, finalement, le fait d’imposer par le haut un modèle uniforme à des millions de couples différents dans le seul but de satisfaire nos ingénieurs sociaux finissait par causer plus de tort que de bien ? Laissez faire, morbleu ! Laissez faire ! Est-ce à ce point difficile d’admettre que chaque couple s’organise au mieux de ses intérêts et de ses envies ?

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[1] 423 hommes pour seulement 150 femmes.
[2] Oui, en tant que mâle hétérosexuel, je trouve que Marissa Mayer est une très belle femme. Si vous y voyez une remarque sexiste ou machiste, c’est vous qui avez un problème.
[3] La force de Mayer, c’est qu’elle est montée en grade à une vitesse proprement stupéfiante : ces trois enfants sont nés alors qu’elle était déjà patronne de Yahoo!
[4] Je vous laisse imaginer le genre de distorsions que cette simple réalité peut générer.
[5] Et la maternité à 40 ans, là aussi, je vous laisse deviner.

Votre mot de passe

On ne va pas épiloguer pendant 150 ans, vous avez besoin : De mots de passe très forts (à partir de 128 bits), un par site (sauf, éventuel...