Pas le pyramidion que vous cherchiez

(Cet article fait partie d’une série dans laquelle je m’amuse à démonter les théories ésotériques avancées par Jacques Grimault, principalement dans La révélation des pyramides.)

Parmi les obsessions de Jacques Grimault, le pyramidion retrouvé aux pieds de la pyramide rouge se pose là. Dans La révélation des pyramides, vers 1:10:23, la narratrice raconte :

« Je découvris alors ce que j’avais pourtant eu sous les yeux pendant longtemps. Non seulement il indiquait le mètre puisqu’il mesurait précisément un mètre de haut mais en plus il donnait la valeur de Pi en mètres car 1.57 mètre plus 1.57 mètre égale 3.14 égale Pi en mètres. […] Ce pyramidion était pourtant une maquette de la grande pyramide […] En fait ce pyramidion était très probablement la pointe de la grande pyramide qu’on avait jamais retrouvé. »

D’abord, il ne mesurait pas « précisément un mètre de haut ». Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le pyramidion en question a été découvert dans un tel état de délabrement que toute mesure précise est largement sujette à caution. La largeur des côtés de sa base était sans doute de 157 cm (soit 3 coudées royales de 52.35 cm) mais, avec une pente de 54° 30’ (ce qui correspond à un seked de 5 paumes) sa hauteur ne pouvait pas être de 100 cm. Selon Corinna Rossi [1], il mesurait à peu près 110 cm.

Ensuite, nous revoilà encore avec des mètres dans les pyramides, hypothèse parfaitement absurde puisque, je le rappelle, notre mètre n’est pas seulement le fruit de notre avancée technologique : c’est aussi une convention purement arbitraire doublée d’une erreur de mesure. La probabilité pour qu’une éventuelle civilisation antérieure à la nôtre ait fait le même choix et la même erreur est proprement infinitésimale. Bref, non, ça ne fait pas 3.14 mètres mais 6 coudées royales.

Enfin, ce pyramidion ne peut pas être celui de la grande pyramide de Khéops (et encore moins une maquette) : au-delà du fait qu’on l’a retrouvé à Dahchour et pas à Gizeh, il n’a surtout pas les mêmes proportions : la pyramide a été conçue avec un seked de 5½ paumes tandis que ce pyramidion l’a été avec un seked de 5 paumes. C’est précisément à cause de cette pente élevée qu’on doute qu’il ait pu coiffer la pyramide rouge et ce n’est pas pour rien que personne n’a jamais pensé à la pyramide de Khéops : ça ne colle pas.

---
[1] Corinna Rossi, Note on the Pyramidion Found at Dahshur (1999).

Note du 2016-09-13 : Selon Corinna Rossi, l’hypothèse la plus vraisemblable est que ce pyramidion avait été conçu pour la pyramide rhomboïdale, également à Dahshour (elle est à 2 km de la pyramide rouge) et également attribuée à Snéfrou. La raison en est fort simple ; cette pyramide a été construite en 3 étapes : d’abord avec seked de 4 paumes mais ça n’a pas tenu ; dans un second temps, ils l’ont élargie et ont augmenté le seked à 5 paumes mais ça restait trop lourd ; raison pour laquelle elle a finalement cette forme si particulière. Le pyramidion était donc prévu pour la phase 2 mais n’a, du coup, pas été utilisé.

Il n’y a pas de Pi dans Pyramide

(Cet article fait partie d’une série dans laquelle je m’amuse à démonter les théories ésotériques avancées par Jacques Grimault, principalement dans La révélation des pyramides.)

Une des théories avancées avec insistance par Jacques Grimault, c’est l’idée selon laquelle les concepteurs de la grande pyramide de Khéops auraient déterminé ses proportions générales — le périmètre de la base (ABCD) et la hauteur (OS) — en utilisant le nombre Pi ($\Pi$).

Avant de rentrer dans le détail, il est utile de rappeler que tout le monde est d’accord sur ces dimensions exprimées en coudées royale, c’est-à-dire sur les intentions des concepteurs du monument. Chaque côté de la base (AB, BC, CD et DA) devait mesurer exactement 440 coudées et la hauteur totale de la pyramide (OS) devait être de précisément 280 coudées. On a au moins deux bonnes raisons de penser ça : la première, c’est que ce sont des chiffres ronds parfaitement cohérents avec ce que nous observons aujourd’hui ; la seconde, je vous l’expliquerais tout à l’heure.

Pour nous démontrer l’utilisation de Pi, le film nous propose deux démonstrations. La première — qui est en réalité la seconde dans l’ordre chronologique — tombe vers 1:08:42 : la narratrice nous apprend que « Cette dimension [le demi-périmètre] en mètres — et il insista sur le mot — moins la hauteur donne 314.16 mètres soit 100 fois Pi. »

Naturellement, ce calcul n’a de sens que si les architectes utilisaient notre mètre — hypothèse, nous l’avons vu, hautement improbable — et il n’est exact que si l’on retient la valeur en mètre que Grimault veut donner à la coudée royale, soit 52.36 centimètres exactement. Avec une coudée de $\Pi - \Phi^2$, définition avancée par Grimault lui-même, on obtient environ 314.135 mètres ; avec une coudée de 52.35 centimètres, estimation la plus courante des égyptologues, ça nous donne 314.1.

L’autre démonstration, qui arrive 54:53, est plus convaincante : « des siècles plus tard, en 1859, l’anglais John Taylor [1] divisa cette dimension [le demi-périmètre de la base] par celle-ci [la hauteur] et découvrit avec étonnement le nombre Pi. »

Elle est plus convaincante parce que, s’agissant d’un ratio, elle est valable en mètre comme en coudées et donc peut raisonnablement résulter d’une volonté de l’architecte. Vérifions : nous avons un demi-périmètre de 880 coudées (2 fois 440) à diviser par une hauteur de 280 coudées ce qui, arrondi à 4 décimales, donne 3.1429. Ce n’est tout à fait $\Pi$ (qui vaut environ 3.1416…) mais ça reste une approximation tout à fait remarquable pour l’époque. Retenez bien ce chiffre, 3.1429, nous allons y revenir.

L’architecte connaissait-il Pi ?

Commençons par quelques rappels. On peut définir Pi ($\Pi$) comme le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre (d’où $C = \Pi \times 2R$) ou, alternativement, comme le rapport entre la superficie d’un disque et le carré de son rayon (d’où $S = \Pi \times R^2$). C’est une constante ; c’est-à-dire que quelle que soit la taille du cercle que vous considérez, ces deux relations restent vraies. Il se trouve aussi que $\Pi$ est un nombre irrationnel ce qui, concrètement, signifie qu’il a un nombre infini de décimales qui, de surcroît, ne se répètent pas de manière régulière. Si on se limite aux 15 premiers chiffres après la virgule :

$$\Pi \approx 3.141 592 653 589 793$$

De là, vous comprenez bien que « connaître Pi » ne signifie pas connaître la valeur exacte de Pi. Personne ne la connait et personne ne la connaîtra sans doute jamais. Connaître Pi, c’est avoir conscience de son existence : le simple fait de savoir que la circonférence d’un cercle vaut toujours un peu plus de 3 fois son diamètre revient à connaître $\Pi$. C’est-à-dire qu’en principe, connaître Pi est à la portée de n’importe qui : si vous êtes capable de mesurer la circonférence et le diamètre d’un cercle et de les diviser entre eux, vous pouvez remarquer que ça donne à peu près 3 ou 3.1 ou 3.14… Le reste est affaire de précision.

Qui l’a découvert en premier ? On n’en sait rien et ce, d’autant plus que plusieurs mathématiciens ont tout à fait pu arriver à la même conclusion indépendamment les uns des autres. Si la première démonstration non-ambigüe attestée est sans doute celle d’Archimède, deux documents nettement plus anciens semblent faire référence à une valeur approchée de Pi : une tablette d’argile mésopotamienne [2] découverte à Suse et datée d’environ 1680 av. J.-C. et le papyrus de Rhind, œuvre du scribe Ahmès, qui daterait de 1650 av. J.-C.

Le problème que posent ces deux documents, c’est leur interprétation : s’il est à peu près acquis que la tablette mésopotamienne donne bel et bien une approximation de $\Pi$ à 3.125 [3], le texte d'Ahmès est plus difficile à interpréter. En effet, la méthode décrite par le scribe pour déduire l’aire d’un disque de son diamètre peut être expliquée de deux façons : soit il connait effectivement une valeur approchée de Pi — auquel cas il utilise 3.16 — soit il approche tout simplement l’aire du disque par celle d’un octogone irrégulier sans avoir besoin de Pi. Au snif test, il est très vraisemblable que c’est cette seconde interprétation qui est la bonne : les scribes égyptiens ne connaissaient pas Pi.

Donc voilà : on ne peut bien sûr rien affirmer de façon définitive mais il semble que, plusieurs siècles après la construction de la grande pyramide de Khéops, les lettrés égyptiens ne connaissaient pas encore Pi. Par ailleurs, à supposer qu’il en soit autrement, ni les mathématiciens mésopotamiens ni leurs homologues égyptiens n’utilisaient une valeur de 3.14, celle que Taylor pensait avoir trouvé dans les proportions de la grande pyramide. On peut, bien sûr, se lancer dans des hypothèses compliquées mais une lecture plus approfondie du papyrus de Rhind se révèle plus utile...

Pimp my Pyramid

Il se trouve que les mathématiciens égyptiens, s’ils ne connaissaient probablement pas Pi, n’étaient pas pour autant des manchots. Le papyrus de Rhind, qui est une suite d’exercices à l’attention des scribes, nous montre qu’ils savaient faire énormément de choses — ce qui est d’autant plus remarquable qu’ils utilisaient un système de numération très basique [4] — et notamment, qu’ils avaient de très solides notions de trigonométrie. Un exemple remarquable et très utile pour construire des pyramides, c’est leur façon de mesurer des angles.

Ils appellent ça un seked. Le principe en est très simple, ça fonctionne un peu comme notre concept de pente à ceci près que ce n’est pas un ratio mais une distance exprimées en coudées (de 7 paumes de 4 doigts chacune, pour ceux qui ont oublié). Un petit schéma valant toujours mieux qu’un long discours, voici comment ça fonctionnait :

Posée à la verticale et en grisé (OS), c’est une coudée royale (28 doigts) — et peut-être même une des règles graduées que nous avons déjà évoqué, éventuellement munie d’un fil à plomb pour s’assurer de sa verticalité. Le seked proprement dit, c’est la distance horizontale (AO) qui permet de définir l’angle OAS. Dans l’exemple ci-dessus, j’ai représenté un seked de 5½ paumes (22 doigts) ce qui correspond à une pente de 28/22 (i.e. environ 1.2727) et à un angle d’environ 51.84 degrés [5].

De là, vous n’avez sans doute aucune difficulté à imaginer comment ça fonctionnait : avec un seked plus petit, on obtenait une pente plus importante et inversement ; c’est facile à concevoir et — chose importante quand on n’a pas d’instruments de visée précis — c’est aussi très facile à utiliser sur un chantier : de simples équerres de bois dimensionnées afin de reproduire cette proportion et le tour est joué.

Si vous cherchez la beauté mathématique de la grande pyramide de Khéops, c’est sans doute ici qu’elle se trouve. Je vous rappelle qu’elle mesurait 440 coudées de coté sur 280 coudées de haut ; c’est-à-dire que ce que vous avez sous les yeux, c’est le triangle OgS de mon premier schéma avec des doigts géants de 10 coudées. La pyramide de Khéops, dans l’esprit de son architecte, c’est un cas d’école d’architecture classique égyptienne : raison pour laquelle tout le monde est d'accord sur ses dimensions originelles.

Or, par le plus grand des hasards, il se trouve que dans une pyramide conçue avec un seked de 5½ paumes, le demi-périmètre de la base divisé par la hauteur donne effectivement un chiffre proche de Pi. Mais ça n'est pas Pi, c’est $(22 \times 2 \times 4)/28$ ou $22/7$ soit à peu près 3.1429. Ah ! me direz-vous, mais l’architecte peut tout à fait avoir choisi un seked de 5½ paumes pour faire apparaître (à peu près) Pi dans les proportions de la pyramide. Ça n’est pas impossible mais c’est peu probable.

Le bon seked

D'abord, il faut savoir le nombre de seked possibles n’est pas infini. Pour des raisons bêtement pratiques, les architectes utilisaient toujours un nombre entier de doigts compris entre 30 — soit un angle ridicule de 43 degrés — et, soyons fous, 15 — ce qui fait déjà presque 62 degrés d'inclinaison. En gros, dès lors qu’on parle de grosses pyramides [6], ça nous donne un univers des possibles de l’ordre d’une quinzaine de seked, de la pyramide quasiment plate à la plus vertigineuse.

Ensuite, il faut bien comprendre qu’une pyramide, c’est un tas de cailloux. Si les pharaons se sont fait élevé des monuments de cette forme ce n’est pas pour rien : c’est tout simplement la façon la plus simple d’obtenir des monuments élevés et solides quand on n’a pas de colle pour maintenir les cailloux solidaires [7]. De là, tous ceux qui ont déjà essayé de faire un tas de cailloux le savent : moins la pente est forte plus l’édifice est solide mais plus il faut aussi accumuler de cailloux pour atteindre une hauteur donnée.

Lorsque Khéops se lance dans son projet pharaonique de pyramide géante à faces lisses, il n’a que l’expérience de son papa, Snéfrou, à se mettre sous la dent. En résumé, ça donne ça : première tentative en bidouillant la pyramide Meïdoum avec un seked de 5 ½ [8] manifestement pas concluante, nouvelle tentative avortée avec la très bizarre non-pyramide rhomboïdale puis, enfin, ce qui ressemble à un jetage d’éponge en bonne et due forme avec la pyramide rouge et son angle ridicule d’à peine plus de 43 degrés.

Autant vous dire que les concepteurs de la grande pyramide n’avaient sans doute pas envie de faire les malins : ils ont donc repris le seked de la pyramide de Meïdoum mais l’ont conçu dès le départ comme une pyramide lisse. Khéphren, le fils de Khéops, cherchait sans doute à égaler la gloire de son père [9] tout en économisant sur le matériel quand, en concevant sa pyramide, il a réduit le seked à 5¼ paumes (un doigt de moins, 1.29 degré de plus).

Ces deux seked sont resté des standards pendant l’essentiel de l’Ancien Empire, jusqu’à ce que la folie des grandeurs cesse. Outre dans celles de Meïdoum et de Khéops, on retrouve le seked de 5½ sur les pyramides de Mykérinos et de Niouserrê par exemple. Quand à celui de 5¼, à part chez Khéphren, on le trouve notamment dans les pyramides d’Ouserkaf, de Néferirkarê, de Téti et de Pépi Ier.

Évidemment, mais vous l’aviez deviné, quand on divise le demi-périmètre (« la plus grande dimension visible » d’après Grimault) d’une pyramide conçue avec un seked de 5¼ par sa hauteur (« la plus grande dimension invisible »), on ne trouve pas Pi mais 3, tout rond. Diable ! Si ça se trouve, je viens de donner naissance à une nouvelle théorie pyramidologique !

---
[1] Cette théorie a effectivement été publiée par un certain John Taylor dans The Great Pyramid: Why Was It Built? And Who Built It? en 1859.
[2] Dans la famille des mathématiciens de génie, ceux-là méritent une mention : on sait, par exemple, qu’ils maîtrisaient le théorème de Pythagore environ 1800 ans avant J.-C. soit plus d’un millénaire avant la naissance du philosophe grec (grâce à la tablette Plimpton 322).
[3] Voir cette démonstration passionnante de Jean Brette.
[4] C’est-à-dire qu’ils ont un hiéroglyphe pour 1, un autre pour 10, pour 100 (etc…) et qu’ils écrivent leurs chiffres en répétant chaque autant de fois que nécessaire, un peu comme dans les systèmes grecs et romains. À comparer avec le système mésopotamien, premier système numérique positionnel de l’histoire (et en base 60 s’il vous plait !)
[5] Nous avons très probablement hérité notre habitude de diviser le cercle en 360 parties (d'où les degrés et les fractions d'heures) des mésopotamiens. J'y reviendrai.
[6] Le record absolu de pente, sauf erreur de ma part, est détenu par un des satellites de la pyramide de Djedkarê avec un seked 3¼ paumes (13 doigts !) mais sur moins de 20 mètres de hauteur.
[7] Sauf, bien sûr, à opter pour un cône mais là vous risquez d’avoir besoin de Pi. Je dis ça…
[8] Et donc, évidemment, tout ce que Grimault raconte sur les proportions de la pyramide de Khéops s’applique aussi à celle de Meïdoum.
[9] Et il a triché, le bougre ! Sa pyramide, bien qu’un peu moins haute que celle de son père, parait plus élevée parce qu’elle est posée sur un rocher.

Pourquoi le mètre n’a rien à faire en Égypte ancienne

(Cet article fait partie d’une série dans laquelle je m’amuse à démonter les théories ésotériques avancées par Jacques Grimault, principalement dans La révélation des pyramides.)

Une des théories développées par Jacques Grimault, c’est l’idée selon laquelle la coudée égyptienne — ou, pour être plus précis, la coudée royale (j’y reviens) — a été déduite de notre mètre. Dans La révélation des pyramides, la démonstration tombe vers 1:00:30 ; verbatim :

« Si on trace un cercle de diamètre un, alors le périmètre de ce cercle — c’est-à-dire sa longueur — vaut pi, soit 3.1416.
« En divisant cette longueur par 6 on obtient 0.5236, un nombre étonnement semblable à la valeur de la coudée.
« Ce qui reste en vert [les cinq sixièmes restants, en grisé dans mon schéma] vaut le nombre d’or au carré dont il m’avait déjà montré la présence dans la grande pyramide.
« Voilà, selon lui, comment avait été choisie la coudée. »

C’est-à-dire, pour faire plus court, que la coudée royale aurait été définie comme valant un sixième de Pi ($\Pi$, env. 3.141593) mètres — ce qui, arrondi à 4 (ou 5) décimales donne bien 0.5236 sachant que le reste est effectivement égal au nombre d'or ($\Phi$, env. 1.618034) élevé au carré (2.618) à condition, toutefois, d'arrêter la comparaison à la quatrième décimales [1] [1b].

Ce qui frappe au premier abord avec cette démonstration, outre le détour par ce dessin qui semble bien inutile (j’y reviendrai plus tard), c’est bien évidemment qu’elle reste valable avec absolument n’importe quelle unité de distance. Remplacez le diamètre de un (mètre) par un diamètre de un (yard) et vous obtiendrez exactement les mêmes résultats à ceci près que vous en déduirez que la coudée royale égyptienne valait 0.5236 yards. En d’autres termes, ça ne démontre rien du tout : le choix du mètre comme unité de départ est totalement arbitraire.

(Note du 2016-09-06 à 13:40 : le lecteur attentif aura noté que je passe rapidement sur l’idée — hautement improbable — selon laquelle les concepteurs de la grande pyramide de Khéops connaissaient l’existence de $\Pi$ et de $\Phi$ : nous y reviendrons dans un autre épisode.)

Du pyramidion de Dahchour

Sauf erreur de ma part, la seule autre justification qu’apportent les auteurs à cette référence au mètre, c’est la hauteur présumé du pyramidion retrouvé à côté de la pyramide rouge de Dahchour. Je dis bien présumée parce que ledit pyramidion, lorsqu’il a été découvert par Rainer Stadelmann, était dans un état de délabrement catastrophique : on en trouve une photo dans le rapport de l’égyptologue (page 39) :

Le pyramidion, avant restauration

Évidemment, estimer les dimensions d’une telle ruine comporte une certaine dose d’incertitude : les égyptologues supposent manifestement que soit la longueur des côtés, soit la hauteur [2] devait être un chiffre rond en coudées royales ; dans le premier cas, c’est sans doute 3 coudées (soit environ 1.57 mètre), dans l’autre, ça aurait été 2 coudée de haut (soit un peu plus d’un mètre). C’est-à-dire que quand Stadelmann annonce « 1 mètre par 1.57 mètre » (à partir de 52:20), ce n’est pas un chiffre précis — contrairement à ce que dit la vidéo — mais une estimation à la louche.

Mais à la limite peu importe. Même si ce pyramidion mesurait effectivement 100 centimètres, ça ne prouverait toujours rien : sur la masse colossale de cailloux taillés que nous ont laissé les égyptiens, ce serait bien le diable si on en trouvait pas quelques-uns qui mesurent exactement un mètre — et ce, d’autant plus qu'encore une fois 2 coudées royales font 1.047 mètres. Alors qu’un pyramidion parmi d’autres — pyramidion qui, accessoirement, ne peut pas être celui de la pyramide de Khéops [3] — mesure 1 mètre de haut, c’est au mieux une coïncidence amusante.

Du mètre en général

C’est-à-dire que Grimault ne donne pas la moindre preuve concluante que les égyptiens aient eu connaissance du mètre ou que la coudée ait été déduite du mètre par quelqu’un d’autre. Mais comme l’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence, il n’est pas inutile d’expliquer pourquoi il est extrêmement improbable, même avec des moyens technologiques extrêmement avancés, qu’une autre civilisation que la nôtre ait utilisé cette unité avant nous. Version courte : le mètre que nous utilisons est le fruit d’un choix arbitraire et d’une erreur de calcul.

Le mètre, officialisé le 26 mars 1791 par l’Académie des sciences, est une unité parfaitement arbitraire. En l’espèce, après quelques tergiversations, il a été défini comme un vingt-millionième de méridien terrestre. Pourquoi cette fraction ? Pourquoi un méridien ? C’est arbitraire : c’est juste une des nombreuses possibilités qui permettait d’obtenir une unité pratique, universelle et stable dans le temps. C’est-à-dire qu’une éventuelle civilisation avancée autre que la nôtre n’aurait eu que très peu de chance de choisir la même convention que nous.

Mais il y a mieux : il se trouve qu’à cause de l’imprécision des outils utilisés à l’époque, on s’est trompé sur la longueur des méridiens terrestres. C’est la raison pour laquelle ils ne mesurent pas 20 000 kilomètres tout rond mais 20 003,932 kilomètres : une erreur de 0.02% sur laquelle on n'est jamais revenu ; le vrai mètre, selon la définition originelle, devrait mesurer 1.0002 de nos mètres actuels. Ça n’a l’air de rien, une erreur de 0.02% mais si vous refaite le calcul de Grimault avec 1.0002 mètres, ça nous donne une coudée de 52.37 centimètres au lieu de 52.36. À votre avis, quelle est la probabilité pour qu’une autre civilisation ait commis exactement la même erreur avant nous ?

Vous me direz peut-être que je chipote. Après tout, du point de vue des bâtisseurs de la grande pyramide de Khéops, que la coudée fasse 52.37 ou 52.36 cm, ça ne faisait pas une grande différence. C’est sans doute vrai. Sauf que pour une civilisation prétendument capable de mesurer le méridien terrestre avec une erreur de seulement 0.02%, ça fait un peu désordre. Idem pour $\Pi$ et $\Phi$ : n’être précis qu’à 4 décimales, pardon de le dire, c’est franchement grossier. Quand nous avons fait notre petite erreur d’estimation du mètre théorique, on était déjà largement au-delà des 30 décimales de $\Pi$ [4].

De la coudée royale

Mais alors, d’où vient-elle cette coudée ? Eh bien en réalité, l’origine des coudées égyptiennes ne laisse guère de place au doute : c’est simplement la longueur d’un avant-bras, mesurée du coude jusqu’au bout du majeur — c’est pour ça qu’on appelle ça une coudée. On retrouve le même principe un peu partout autour de la méditerranée — notamment chez les grecs qui utilisaient une coudée de 46.24 cm — et pour ce qui est des unités de distance basées sur une référence anatomique, souvent royale, c’est un lieu commun de l’histoire.

Je dis « les coudées » parce que les égyptiens en utilisaient plusieurs ; les principales étant la petite coudée de six paumes de quatre doigts chacune — qui mesurait environ 45 cm — et la grande coudée ou coudée royale de sept paumes — soit à peu près 52.5 cm. Notez au passage les termes utilisés : coudée, paume, doigts mais aussi main (5 doigts) et poing (6 doigts) — si vous n’y voyez toujours pas une référence anatomique, je ne sais plus quoi faire.

D’ailleurs, vous pouvez facilement vérifier par vous-même que la largeur des quatre doigts de votre main — une paume — mesure environ 7.5 cm. Multipliez par 6 et vous obtenez bien une petite coudée de 45 cm ; rajoutez encore une coudée et ça vous donne la coudée royale de 52.5 cm. Évidemment, votre avant-bras mesure peut-être plus de 45 cm ; c’est tout à fait normal : les anciens égyptiens étaient, en moyenne, nettement plus petits que nous [5]. Pour ce qui est de la coudée royale, on peut conjecturer que pharaon voulait faire savoir à ses sujets qu’il avait le bras long (et je plaisante à moitié).

Comment sait-on tout ça ? Eh bien c’est très simple : on a retrouvé des exemplaires de règles graduées de l’époque. Ci-dessous, celle qui est conservée au musée de Turin sur laquelle j’ai mis en évidence (en bleu) le hiéroglyphe que les scribes utilisaient pour désigner la coudée : qui se trouve — Ô surprise ! — être un avant-bras à peine stylisé.

La coudée royale de 7 paumes

(Cliquez pour agrandir)

Le problème que pose la coudée royale égyptienne — plus ancienne des mesures standards attestées à ce jour — c’est qu’elle n’était pas tout à fait fixe. Sur la base des différentes règles qu’on a retrouvé, on pense qu’elle a mesuré, en fonction des lieux et des époques [6], entre 52.3 et 52.9 centimètres. Pourquoi évoque-t-on une coudée de 52.35 cm à propos de la pyramide de Khéops ? Eh bien pour une raison toute simple : on suppose que la longueur des côtés de sa base (230.35 mètres) devait être un chiffre rond en coudées ce qui, par itération, nous permet de déduire qu'elle devait mesurer 440 coudées de 52.35 centimètres. C’est aussi simple que ça.

Le truc

Bref, les anciens égyptiens ne connaissaient pas le mètre ni n’en avait déduit leur coudée royale. Toute la pseudo-démonstration de Jacques Grimault n’est qu’une fumisterie. Reste à comprendre par quelle sorte de miracle autant de gens se sont laissé convaincre. La réponse, à mon sens, est très claire : ces deux séquences sont des petits bijoux de manipulation.

Celle du pyramidion repose en partie sur une interprétation malhonnête des propos de Stadelmann (ça c’est facile) mais surtout, sur un bel exemple de manipulation statistique [7]. Pour la séquence du schéma, c’est encore plus fort : après avoir introduit les dimensions présumées de la coudée (vers 58:10), la narratrice attaque sa démonstration sans citer une seule fois l’unité — un diamètre de un quoi ? C’est toute l’utilité du schéma et de la narration qui l’accompagne : comme dans un tour de magie, ils servent à détourner votre attention. Posez ça sous forme d’une simple équation — la coudée est égale à $\Pi / 6$ mètres ou $\Pi - \Phi^2$ mètres (Note 2016-09-06 15:00 c'est l'interprétation privilégiées des auteurs du film), au choix — et vous verrez que ce petit tour de prestidigitation disparaît comme par magie.

---
[1] En effet, arrondis à 5 décimales, cinq sixième de Π donnent 2.61799 tandis que le carré de Φ vaut 2.61803 — ça ne marche plus.
[1b] (Note supplémentaire du 2016-09-09) En fait, Grimault s'appuie sur une double coïncidence : le fait qu'un sixième de Pi donne une valeur proche des estimations courantes de la coudée royale et une coïncidence mathématique que j'explique ici. Il est pas mauvais le gars !
[2] Ça ne peut pas être les deux à la fois pour la simple et bonne raison que ça ne collerait pas avec l’angle d’élévation du pyramidion ; si on suppose que les côtés de la base mesuraient bien 3 coudées, ça donne une hauteur d’environ 1.10 mètres.
[3] Parce qu’il a été retrouvé à des dizaines de kilomètres de la pyramide de Khéops mais aussi parce qu’il ne respecte pas le même angle d’élévation.
[4] En 1621, Willebrord Snellius en était déjà à 34 chiffres après la virgule et, en 1630, Christoph Grienberger est arrivé à 38.
[5] Ramsès II, le plus grand des pharaons dont nous sommes en mesure d’apprécier la taille, mesurait vraisemblablement 1.73 m.
[6] Je rappelle à toutes fins utiles que quand on parle de l’histoire de l’Égypte ancienne, on parle de plusieurs millénaires : qu’une unité de distance connaisse quelques fluctuations n’a absolument rien d’étonnant.
[7] On vous invite à considérer la probabilité pour que le pyramidion fasse exactement un mètre de haut — très faible — alors que la vraie question est de savoir quelle est la probabilité pour qu’au moins un caillou taillé par les égyptiens ait au moins une dimension d'un mètre — ce qui relève d'une quasi-certitude.

Opération déboulonnage : la révélation des pyramides.

Je vous propose ici une démystification en règle des élucubrations des auteurs de La révélation des pyramides, chef d’œuvre de pyramidologie hautement ésotérique et un brin conspirationniste qui semble avoir acquis une solide base d'adeptes, au moins en France. Si vous découvrez la chose, le film est ici. Pour un passage en revue (et au vitriol), voyez Nioutaik. Si vous souhaitez participer à mon petit jeu (oui, ça n’est qu’un jeu : je fais ça pour m’amuser et, au passage, apprendre des choses), j’aurai plaisir à vous publier.

Les auteurs

Jacques Grimault, personnage un brin étrange (voir deux), semble être à l’origine du fond ; le fameux informateur dont on vous parle dans le film, c’est lui. La mise en forme est d’un certain Patrice Pooyard.

La théorie

à faire…

Déboulonnage

Pourquoi le mètre n’a rien à faire en Égypte ancienne
— Publié le 2016-09-05.

Il n’y a pas de Pi dans Pyramide
— Publié le 2016-09-07.

Pas le pyramidion que vous cherchiez
— Publié le 2016-09-07.

L’art subtil du pyramidologue
— Publié le 2016-09-09.

Gizeh n’est pas le centre du monde
— Publié le 2016-09-12.

Des dimensions de la pyramide de Khéops
— Publié le 2016-09-13.

Un peu de géométrie pyramidale
— Publié le 2016-09-15.

Lettre de Hémiounou à Khéops
— Publié le 2016-09-16.

La grande pyramide et la vitesse de la lumière
— Publié le 2016-09-19.

Petit répertoire des grandes théories du complot

Petit répertoire des grandes théories du complot. Work in progress, vos suggestions sont les bienvenues.

On n’a pas marché sur la Lune

Ce 20 juillet 1969, Neil Armstrong et Buzz Aldrin n’étaient pas sur la Lune mais dans studio de cinéma sur la terre ferme. En réalité, toutes les photos et les films que vous avez vus sont une œuvre de Stanley Kubrick tournée sur la base d’un scénario d’Arthur Clarke — le duo de 2001 : l’Odyssée de l’espace (1968) — et le tout a été financé par Walt Disney pour le compte de la NASA. Cette fable a été montée de toutes pièces pour permettre à l’agence spatiale de détourner l’essentiel des budgets qui lui ont été alloués et pour cacher au public qu’en réalité, la terre est plate [1].

La Terre est plate

La Terre n’est pas une planète mais un disque centré sur le pôle nord dont le périmètre est occupé par un immense mur de glace — l’Antarctique — qui permet d’éviter le débordement des océans au-delà des limites du monde. L’espace n’existe pas : le ciel est en réalité un dôme sous lequel tous les objets célestes — et notamment le Soleil et la Lune, deux sphères bien plus petites et proches qu’on nous le dit — suivent des anneaux magnétiques invisibles. On ne sait pas pourquoi les gouvernements, leurs agences spatiales et les scientifiques cherchent à nous cacher la vérité.

Les chemtrails

Les traînées de condensation (contrails en anglais) laissées par les avions qui volent à haute altitude sont anormalement persistantes : c’est parce qu’en réalité, elles ne sont pas constituées que de vapeur d’eau condensées comme on voudrait nous le faire croire mais contiennent des produits chimiques (d’où le chem de chemtrail) pulvérisés volontairement par des agences gouvernementales et les militaires dans un but inconnu ; sans doute pour mieux contrôler la population, la stériliser ou quelque chose d’encore pire [2].

La conspiration néolibérale

Une société secrète — le groupe Bilderberg, la Trilatérale, les Illuminati, les Skull and Bones (au choix…) — a pris le contrôle de l’économie mondiale et de la plupart des gouvernements. Leur objectif est, en toute simplicité, la domination du monde pour leur profit personnel et ils entendent y parvenir en imposant une combinaison de politiques économiques néolibérales — en traumatisant les populations, la Stratégie du Choc — et de systèmes de contrôle de masse — la NSA, les chemtrails etc. [3]

Le climategate

La théorie du réchauffement climatique anthropique n’est en réalité qu’un vaste complot gouvernemental mis en œuvre par l’ONU au travers du GIEC. Tous les modèles et les courbes qu’on nous présente pour justifier l’idée selon laquelle le climat se réchauffe à cause l’augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre ont été intentionnellement fabriquées ou truquées pour nous faire croire à cette fable. Au travers de cette conspiration, les politiques cherchent à s’attribuer plus de pouvoir jusqu’à établir une dictature [4].

(à compléter...)

---
[1] Une enquête menée par Harris Interactive en juin 2016 révélait que 6.5% des français croient en cette théorie, dont 2.5% de convaincus.
[2] Selon la même enquête, 22% des français y croient, dont 5% de convaincus.
[3] Même source : un français sur trois croit que l’économie mondiale est dirigée par une société secrète, dont 8% de convaincus.
[4] Même source : 17% des français pensent que le réchauffement climatique est une pure invention, dont 4% de convaincus.

Ceux qui croient vivre sous une cloche à fromage

J’ai un aveu à vous faire. Je nourris une passion aussi dévorante que coupable pour les théories ésotériques et complotistes. Ça date de l’enfance, juste après ma période science-fiction : je me suis mis à dévorer tous les bouquins de ce type qui me sont tombés sous la main, du Pendule de Foucault d’Umberto Eco au Da Vinci Code de Dan Brown en passant par des théories parfaitement fumeuses développées par des types qui y croyaient vraiment. J’adore ces trucs-là. J’y trouve à la fois le plaisir de m’évader dans une réalité alternative — point commun avec la science-fiction — et celui de déboulonner pièce par pièce la construction imaginée par l’auteur — c’est passionnant et ça permet d’apprendre un tas de choses.

Or, il se trouve qu’en procrastinant sur Twitter, je suis tombé par le plus grand des hasards sur des adeptes de la théorie de la terre plate, Flat Earth Theory (FET) dans la langue de Shakespeare. Il n’en fallait pas moins pour réactiver ma coupable passion et ce, d’autant plus que j’ai réalisé avec stupeur que non seulement ces gens-là sont beaucoup plus nombreux que je le croyais mais en plus, ils ont empaqueté leur délire dans une théorie du complot de la plus belle des factures.

Veuillez donc trouver ci-dessous, chers lecteurs, un rapide résumé de ce que j’appellerais la Théorie de la Cloche à Fromage. Attention, ça pique un peu les yeux.

Le plateau

La Terre est un disque centré sur le pôle nord dont la circonférence est délimitée par un « mur de glace » (l’Antarctique) qui permet d’éviter que les océans débordent au-delà des limites du monde. Pour coller à peu près avec les observations de distances que chacun peut constater et aux cartes dont nous disposons, ce disque aurait un diamètre d’un peu plus de 40 000 kilomètres (c’est-à-dire le périmètre du globe terrestre) et donc une circonférence de l’ordre de 126 000 kilomètres. Schématiquement, on peut représenter les choses comme suit.

(Cliquez pour agrandir)

Au-delà du périmètre de ce disque, c’est le monde glacé de l’Antarctique, une terra incognita qui « échappe aux perceptions humaines ». Il existe manifestement deux versions : selon certains, l’Antarctique s’étend à l’infini (i.e. le monde connu est un contenu dans un cercle sur le plan terrestre) tandis que d’autres supposent l’existence d’un second mur de glace, infranchissable cette fois, qui marque la limite ultime du monde.

Naturellement, cette description du disque terrestre entraîne quelques conséquences amusantes. Par exemple, la longueur des côtes de l’Antarctique, habituellement estimée à 18 000 km, serait en fait de l’ordre de 126 000 km ; c’est-à-dire que Fedor Konyukhov, qui en a fait le tour à la voile en 102 jours, aurait navigué à plus de 50 km/h en moyenne ; pulvérisant ainsi tous les records de vitesse sur un monocoque [1]. De la même façon, sur une terre sphérique l’arc de cercle qui sépare Sydney de Santiago mesure environ 11 340 km mais, projetée sur une terre plate, cette distance devient une ligne droite d’environ 17 770 km de long. Étant donné que, chaque année, des centaines d’avions réalisent ce trajet en environ 14 heures (parfois moins), nous en concluons que ces derniers ne volent pas à 810 km/h mais à 1 269 km/h — c’est-à-dire qu’ils sont tous supersoniques.

La cloche

Au-dessus de ce disque, il y a un dôme à l’intérieur duquel [2] les objets célestes décrivent des mouvements elliptiques en suivant des anneaux magnétiques invisibles. Le Soleil et la Lune, en particulier, sont des sphères de 51.5 km de diamètre qui circulent ainsi à 4 828 km au-dessus du niveau la mer, plus ou moins à la verticale de l’équateur [3]. Dans ce modèle, les levers et couchers de soleil sont de simples effets de perspective — en réalité, le soleil est toujours au-dessus de la terre — et l’alternance des jours et des nuits s’explique par la portée limitée des rayons solaires ou le fait que le Soleil n’éclaire que vers le bas ou une combinaison des deux. À l’échelle :

(Cliquez pour agrandir)

Je devine les multiples questions qui fusent dans vos esprits. Comment expliquent-ils la gravité ? Comment les satellites artificiels tiennent-ils en l’air ? Pourquoi les phases de la Lune ? Qu’y a-t-il en dessous du disque ? Comme je ne suis pas un spécialiste, je me contenterai de répondre aux deux premières (pour le reste, je vous invite à consulter le site de la Flat Earth Society)

C’est bien simple, cette force que nous appelons gravité n’existe pas. Si les objets et la pluie tombent par terre, c’est parce que le disque terrestre, poussé par l’énergie sombre, accélère continuellement vers le haut, comme un ascenseur. La vitesse d’ascension du disque terrestre peut-elle, dès lors, dépasser un jour la vitesse de la lumière ? Croyez-le ou non, ils ont une réponse (spoiler : non) et la démonstration qui va avec. En revanche, si vous leur demandez par quelle sorte de miracle le Soleil et la Lune ne nous tombent pas sur le coin de la figure, la réponse des joyeux illuminés qui tiennent le forum de la FES est un « This is unknown. » à peu près aussi sec qu’un swagger stick de sergent-major de l’armée coloniale britannique.

Le fromage

Comment les satellites artificiels tiennent-ils en l’air ? Là aussi c’est très simple : ils ne tiennent pas en l’air parce qu’ils n’existent pas. C’est ici que la théorie du complot promise plus haut entre en jeux : tout ce que vous avez appris est faux, c’est une gigantesque conspiration organisée par la NASA et le gouvernement étasunien pour vous faire croire que nous vivons sur une planète sphérique qui tourne autour d’une étoile comme les autres.

Toutes les photos de la terre depuis l’espace ? C’est du Photoshop. Neil Armstrong qui marche sur la Lune ? C’est un film de Stanley Kubrick selon un scénario d’Arthur Clarke [4] et financé par Walt Disney (je n’invente rien). La Station Spatiale Internationale observable à l’heure prévue avec une simple paire de jumelle ? Une simple projection de la NASA sur le dôme. Le statut spécial de l’Antarctique qui interdit qu’on le survole [5] ? C’est pour vous empêcher d’atteindre le grand mur de glace et donc le bord du monde ; il n’a pas d’autre objet que de maintenir le secret.

Mais là où ça touche réellement au sublime, c’est lorsqu’on interroge les adeptes sur les raisons qui motivent tant de gens à nous cacher la vérité. Même si certains évoquent le profit — « ils détournent l’argent de la soi-disant conquête spatiale » — et d’autre la volonté des États-Unis (ou des Illuminati) de contrôler le ciel — des engins de guerre en orbite — la réponse officielle de la Flat Earth Society est : « le mobile de ‘La Conspiration’ est inconnu. » Voilà, on ne sait pas et si vous y réfléchissez bien, c’est encore pire ! C’est La Conspiration !

Allégorie

Voilà, j’espère que cette petite virée dans l’esprit de ceux qui ne sont pas tout à fait seuls dans leur tête vous a diverti sans trop saper votre productivité. Je l’espère d’autant plus que je risque de remettre ça de temps en temps avec d’autres théories bien délirantes mâtinées d'obscurs complots terrifiants. Vous êtes prévenus.

---
[1] Le record actuel est détenu par Casey Smith sur Comanche en juillet 2016 : une transatlantique de 2 880 miles nautiques (5 334 km) parcourus en 5 jours, 14 heures et 21 minutes soit une moyenne à 21.44 nœuds (un peu moins de 40 km/h).
[2] Version alternative : les objets célestes sont des projections sur la surface du dôme.
[3] D’où le fait, Dr Watson, qu’il fait plus chaud sous l’équateur que dans le grand nord ou le grand sud ; le « plus ou moins » expliquant l’alternance des saisons. Notez aussi l’évolution par rapport aux modèles antiques : il est désormais plus difficile d’expliquer que le Soleil passe en dessous de la Terre.
[4] Kubrick et Clarke, c’est l’équipe de 2001, l’Odyssée de l’espace, sorti l’année précédente (1968).
[5] Vous ne saviez pas ? C’est normal : c’est faux. Au départ de l’Australie, c’est un plaisir que vous pouvez vous offrir à partir de 1 119 dollars australiens (754 euros).

Note : pour autant que je puisse en juger, il semble que les flatearthers soient aussi adeptes d’à peu près toutes les théories complotistes qui trainent (les chemtrail, la stratégie du choc, lady Diana a été assassinée etc.) et flirtent allègrement (Ô surprise !) avec les partis politiques extrêmes.

Arrêtés anti-burkini et conséquences inattendues

« One of the great mistakes is to judge policies and programs by their intentions rather than their results. »
— Milton Friedman

La première chose que m’inspire les arrêtés « anti-burkini » dans les Alpes-Maritimes, c’est que ce genre de loi est inapplicable. Tenez par exemple : pour reprendre les termes de l’arrêté cannois, « l’accès aux plages et à la baignade est interdit […] à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité » (je vous passe le couplet hygiène et sécurité). Qu’est-ce qu’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ? En l’absence de définition légale claire et précise, comment les policiers de la baie des Anges sont-ils supposés distinguer ce qui relève d’une amende de 38 euros ou pas ?

Évidemment, dans le contexte, c’est le fameux burkini qui est visé. Il est dès lors très facile aux agents municipaux de verbaliser quiconque se présente sur une plage cannoise avec un des vêtements de plage créés par madame Zanetti. Sauf qu’à long terme — et le long terme commence dès la saison prochaine — vous pouvez parier votre chemise et votre caleçon qu’on va voir fleurir toutes sortes de pseudo-burkinis qui vont rendre l’application de ce genre d’arrêtés absolument cauchemardesque.

Rien n’est plus facile, toutes les surfeuses et plongeuses du monde vous le confirmeront : des combinaisons intégrales légères, ça existe déjà (pour homme aussi d’ailleurs) ; rajoutez un paréo autour de la taille et vous reproduisez les effets du burkini sans porter de burkini. Bref, ça va vite devenir totalement ingérable et ce, sans même compter les plaisantins — j’attends avec gourmandise celui ou celle qui viendra vérifier si un déguisement de Batman constitue une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité.

Le deuxième aspect intéressant de cette affaire, c’est la prodigieuse publicité qu’ont assuré ces arrêtés maralpins à l’objet même qu’ils entendaient faire disparaitre. C’est une variante de l’effet Streisand : avec ce battage médiatique inespéré, les ventes de burkini ont explosé. C’est simplement un effet publicitaire : au début de l’été, la plupart d’entre nous ignorions l’existence du burkini et à l’heure où j’écris ces lignes, il faut vraiment vivre dans une grotte pour ne pas savoir que ça existe.

De là, deux effets : le premier est un classique de la psychologie sociale ; on appelle ça de la réactance. Concrètement, vous pouvez parier une seconde chemise et un autre caleçon que le nombre de musulmanes arborant des burkinis ou des pseudo-burkini sur nos plages va exploser. De la même façon et pour les mêmes raisons que les sweatshirts « Manif pour Tous », cette interdiction jugée illégitime et liberticide va lancer la mode pour de bon.

Mais là où ça devient encore plus drôle, c’est que de nombreuses non-musulmanes, découvrant le burkini, y ont vu le vêtement de bain idéal qu’elles recherchaient depuis des années : elles vont pouvoir enfin profiter de la plage tout en se protégeant du soleil. Selon Madame Zanetti, il semble qu’une part substantielle de ces nouvelles clientes ne sont pas du tout musulmanes mais simplement des femmes à la peau fragile et notamment des survivantes du cancer.

Enfin, je conclue avec un dernier constat : ces arrêtés servent la propagande de Daesh. Tous les spécialistes de la jihadosphère vous le confirmeront : ça fait des années que les partisans de l’État Islamique martèlent l’idée selon laquelle il est impossible à un musulman d’être un bon musulman en France — raison pour laquelle il doit émigrer en terre d’Islam — et ces arrêtés n’ont fait qu’apporter de l’eau à leur moulin. « Regardez, disent-ils en substance, comment la France (croisée, ennemie de l’Islam) humilie cette musulmane. »

Ce que ça signifie, dans la pratique, c’est que si nous avions voulu créer une ambiance favorable au recrutement de djihadistes sur notre territoire, nous n’aurions pas fait autrement. Si l’idée était de relancer la mécanique infernale de la radicalisation et donc du terrorisme, c’est une immense réussite et la suite, je le crains, me donnera raison.

Bref, nous avons voulu faire disparaître les burkinis au prix de quelques libertés ; nous perdrons ces libertés, nous aurons plus de burkinis et nous récolterons quelques djihadistes supplémentaires en prime. La machine à perdre tourne à plein régime, qui sera capable de l'arrêter ?

---
Moi, si j'étais le gars qui s'occupe de remplir les rayons de Decathlon, je serais déjà au téléphone avec mes fournisseurs. Je dis ça je dis rien.

Votre mot de passe

On ne va pas épiloguer pendant 150 ans, vous avez besoin : De mots de passe très forts (à partir de 128 bits), un par site (sauf, éventuel...