Concrètement, l’organisation de la lutte anti-terroriste en France, c’est une usine à gaz qui ne peut pas fonctionner. Peu importe la qualité des gens que vous y mettrez et peu importent les milliards que vous y engouffrerez, ce genre de structure est voué à l’échec.
Entendez moi bien, je l’ai dit et je le redis encore : je ne connais rien à l’anti-terrorisme. Je ne suis, au mieux, qu’un citoyen lambda qui s’intéresse à la chose depuis une grosse année et, comme je n’y connais rien, mon réflexe standard consiste à essayer de combler autant de lacunes que possible en lisant ce qu’en racontent des gens qui, eux et de toute évidence, savent de quoi ils parlent.
En l’espèce, le jugement péremptoire que je porte en introduction, c’est – entre autres -- celui d’Abou Djaffar (a.k.a. Jacques Raillane) : notre système de lutte anti-terroriste est une collection d’administrations « lourdes, centralisées, à peine gérées » qui non seulement sont incapable de travailler de concert mais, pire encore, semblent avoir une fâcheuse tendance à se tirer dans les pattes.
Mais vous n’avez pas besoin d’être un spécialiste de l’anti-terrorisme pour comprendre que cette organisation est voué à l’échec. Un rapide coup d’œil à l’organigramme officiel convaincra toux ceux d’entre nous qui ont un minimum d’expérience en matière d’organisations humaines qu’une structure de ce type n’a absolument aucune chance de fonctionner et ce, quoi que vous vouliez lui faire faire. Appliquez ce schéma à n’importe quel projet et vous pouvez être absolument certain que ça ne fonctionnera pas.
On pourrait évoquer la structure hiérarchique du machin, le découpage purement administratif des différents services (la DGSE à la Défense, la DGSI à l’Intérieur) mais c’est, en vrai, tout à fait inutile puisque que cette structure porte tout à fait officiellement le sceau des organisations défaillantes : la cellule « coordinateur ». C’est imparable, quel que soit l’organigramme que vous considérez, si quelqu’un a jugé utile d’y faire apparaitre une cellule de coordination, vous pouvez arrêter vos investigations : c’est certain, ça ne fonctionne pas et tout le monde, au moins en interne, le sait.
Nous avons donc une Unité de Coordination de la lutte Antiterrorisme (UCLAT) chargée de la « coordination opérationnelle des services appelés à lutter contre le terrorisme » (source : site de la DGPN). Mais il y a mieux encore : figurez-vous que je viens d’apprendre sous la plume d’Abou Djaffar qu’en juin 2015, nous nous sommes aussi dotés d’un État-Major Opérationnel pour la Prévention du Terrorisme (EMOPT) dont le rôle est « de piloter la totalité du dispositif de détection et de suivi » (Bernard Cazeneuve, rapporté par lepoint.fr). C’est-à-dire que nous n’avons pas une cellule de coordination mais deux structures distinctes dont on imagine bien mal comment elles pourraient ne pas être redondantes ; la création de la seconde sonnant comme un aveu d’échec de la première qui n’en cesse pas pour autant d’exister.
Bref, si notre lutte anti-terroriste a failli (quoi qu’en disent les ministres), c’est essentiellement parce qu’elle est terriblement mal organisée (par lesdits ministres, de droite comme de gauche). Quelle conclusion opérationnelle en ont-ils tiré ? Eh bien ils ont créé encore plus de complexité, des plateformes d’appel téléphonique, des comités de réflexion, une nouvelle cellule de coordination et, bien sûr, une bordée de lois aussi inutiles que nuisibles (renseignement, déchéance de nationalité…) – toutes ces gesticulations n’ayant, somme toute, que deux grands points commun : ne pas s’attaquer sérieusement au problème et, naturellement, assurer une présence médiatique continue aux gesticulateurs.
Il va de soi, vous l’aurez compris, que le problème dépasse largement le cadre de la seule lutte anti-terrorisme. C’est notre mode de fonctionnement standard : il n’est, à ma connaissance, pas un seul domaine de l’action publique qui échappe à cette course effrénée à l’entropie maximale, à la prolifération d’agences et d’administrations, de lois si nombreuses, complexes et changeantes que même l’administration chargée de les faire appliquer ne parvient plus à suivre le rythme et, naturellement, de nouvelles lignes budgétaires qui, selon un principe désormais bien établit, viennent s’ajouter aux précédentes sans jamais les remplacer.
Notre chose publique toute entière est devenue une gigantesque usine à gaz. Il n’existe pas, y compris parmi les juristes les plus chevronnés, un seul citoyen qui puisse prétendre connaitre les lois de notre pays. Il n’y pas, y compris au sein même de notre représentation nationale, un seul citoyen qui soit capable d’établir une liste de la multitude d’agences, administration, conseils, unités, cellules, centres et autres observatoires qui vivent de nos deniers. Il n’y a pas non plus et enfin, un seul citoyen français qui soit en mesure de dire combien ce gigantesque bazar lui coûte et encore moins comment cet argent est utilisé.
Voilà, concrètement, où nous en sommes et, encore une fois, c’est vrai où que votre regard puisse se porter. L’autre jour, c’était notre syndic de propriété qui s’en plaignait faisant échos à un ami médecin croisé la veille : cet invraisemblable magma administratif et législatif a phagocyté jusqu’à la moindre de nos activité et j’attends avec impatience que l’un d’entre vous s’en dise satisfait – au moins un peu. Ça ne fonctionne pas, nulle part. Dites-vous bien que ces lourdeurs administratives, législatives et fiscales qui rendent votre vie impossible, les agents chargés de la lutte anti-terroriste les subissent aussi et peut être même plus que vous.
L’ironie de la situation, lorsque l’on entend ceux de nos concitoyens qui se plaignent de « l’impuissance publique » et appellent de leur vœux un « État fort », c’est qu’ils parviendraient presque à nous faire croire que c’est par manque d’administration, de lois et de moyens. Ça ferait presque sourire qui ça n’était pas si désespérément triste. Le fait est que nous n’avons pas encore atteint le stade du diagnostic. Comme le font, sans doute justement, remarquer les spécialistes de l’anti-terrorisme que nous comptons dans nos rangs : nous sommes, encore et toujours, dans le déni ; l’idée même d’une remise en cause de nos choix collectifs n’est pas encore sur la table.
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