« The market economy needs no apologists and propagandists. It can apply to itself the words of Sir Christopher Wren’s epitaph in St. Paul’s Cathedral:
Si monumentum requiris, circumspice. »
— Ludwid von Mises, Human Action
Dans le monde des cash-flows certains ou présumés tels, la loi du prix unique (Law of One Price, LOP) règne en maîtresse absolue. La loi stipule qu’en l’absence de restrictions exogènes, un même actif doit se négocier au même prix sur tous les marchés où l’on peut le vendre ou l’acheter.
Mon illustration favorite, c’est l’action HSBC Holdings Plc ; laquelle se trouve cotée à Londres, Paris, Francfort, New-York et, naturellement, Hong Kong. À Londres et à l’heure où j’écris ces lignes, le 17 février 2016 à 15h00, heure de Paris, elle cote [1] aux alentours de 4.5275 livres sterling (en réalité elle cote en pences ; peu importe) tandis qu’à Paris comme à Francfort, on se l’échange pour 5.82 euros ; soit un rapport d’environ 1.2847 qui correspond exactement au cours de la livre sterling exprimé en euro au même moment.
De la même façon, si vous traversez l’Atlantique, vous trouverez que les titres HSBC valent 32.25 dollars des États-Unis ; convertissez ça en livre en utilisant la parité du moment (1 dollar pour 0.7019 livres) et vous obtenez 22.64 livres… pour 5 actions puisque les titres négociés à New-York sont des American Depositary Receipts qui représentent 5 actions chacun ; soit, encore, un prix quasiment identique à celui de Londres.
Reste enfin Hong Kong où l’actions HSBC vaut, selon mes écrans, 49.5 dollars de Hong Kong ce qui fait 4.455 livres sterling. Ah, me direz-vous ! Ça fait tout de même un bel écart avec le prix de Londres. Oui, c’est vrai ; à ceci près qu’à 15h00, heure de Paris, le marché de Hong Kong est fermé depuis belle lurette (il est 22 heure là-bas) et que le prix que vous observez est en réalité un cours de clôture qui date déjà de plusieurs heures.
Bref, où que vous alliez et quelle que soit la devise dans laquelle vous la négociez, l’action HSBC se négocie au même prix ; en application fidèle de la loi du prix unique.
Opportunités d’arbitrage
Comment ça fonctionne ? Eh bien c’est très simple : pour l’expliquer, il de procéder par l’absurde en partant de l’exemple précédent : supposez, par exemple, que l’écart de cours constaté entre Londres (4.5275 livres) et Hong Kong (l’équivalent de 4.455 livres) ait été observé alors que le marché asiatique était ouvert et demandez-vous ce qui se serait immanquablement passé.
Je ne sais pas pour vous mais, en ce qui me concerne, c’est très clair : j’aurais convertis quelques euros en dollars de Hong Kong, utilisé ces derniers pour acheter autant d’actions que possible à 49.5 dollars (de Hong Kong), revendu simultanément lesdits titres à Londres pour 4.5275 livres l’unité et reconverti les pounds ainsi obtenues en euros. Même en tenant compte des coûts de transaction (change et actions), il aurait sans doute eu de quoi réaliser un confortable profit, instantanément et ce, sans prendre le moindre risque. On appelle ça un arbitrage.
Or, sur les marchés financiers, il existe un nombre considérable d’arbitragistes qui, comme leur nom le suggère, passent leurs journées à chasser ce genre d’opportunité. C’est-à-dire que si une telle situation devait se présenter, vous pouvez être absolument certain qu’on assisterait immédiatement à une véritable ruée sur l’or : achat massif de dollars de Hong Kong, de titre HSBC sur la place asiatique et, au même moment, vente du même titre à Londres et revente de livre sterling. Ce serait sans doute une affaire de secondes.
Et si vous réfléchissez bien à ces transactions du point de vue de l’effet qu’elles auront logiquement sur les prix, vous obtiendrez (i) une hausse du cours d’HSBC à Hong Kong, (ii) une baisse du cours de Londres et (iii) une variation à la hausse du cours du dollar de Hong Kong contre la livre sterling. C’est-à-dire que l’exploitation d’une opportunité d’arbitrage tend à la faire disparaître ; raison pour laquelle il faut être (très) rapide — c’est typiquement le genre d’exercice auxquels se livrent les algorithmes de trading à haute fréquence.
Résultat des courses, si une telle opportunité s’était réellement présentée, vous n’auriez sans doute pas eu le temps de la voir : en quelques secondes et peut être même moins elle aurait été intégralement arbitrée. À vrai dire, il est même probable qu’elle n’aurait jamais eu lieu dans la mesure où les arbitragistes n’auraient pas attendu un tel écart pour se ruer sur l’occasion ; d’où, la loi du prix unique.
Notez que la loi n’est valable qu’en l’absence de restrictions ; c’est-à-dire quand il vraiment une possibilité d’arbitrage. Un exemple remarquable est celui des actions émises par certaines entreprises chinoises qui sont cotées à la fois en Chine continentale (Shenzhen ou Shanghai) et à Hong Kong. L’état des lois actuelles de l’Empire du Milieu fait qu’un même investisseur ne peut pas intervenir sur ces deux marchés à la fois ou, du moins, que c’est extrêmement compliqué [2]. Le résultat, c’est que les prix constatés pour des titres en tous points similaires divergent, parfois de manière assez spectaculaire ce qui ne constitue pas un cas de rupture de la loi puisque ses conditions d’application ne sont pas réunies.
Rational Pricing
Par extension de la loi du prix unique, on sait aussi que deux actifs ou combinaisons d’actifs et de contrats qui, selon toute vraisemblance, devraient générer des cash-flows identiques devraient aussi se négocier au même prix. Dans la littérature, vous trouverez ce principe sous le nom de rational pricing mais ça n’est concrètement qu’une simple extension de LOP ; le principe à l’œuvre est rigoureusement le même : les prix s’équilibrent naturellement de telle sorte qu’aucun arbitrage ne soit possible.
Un des exemples les plus fascinants, c’est l’équilibre entre les taux (et donc les prix) des obligations qui versent des coupons — mettons les taux des Treasuries [3] par exemple — et ceux des zéro-coupons qui, par définition, remboursent le capital et les intérêts en un seul paiement. Il se trouve qu’on peut facilement reproduire tous les cash-flows attendus d’une obligation classique (dans notre exemple, le paiement d’un coupon fixe semestriel augmenté, à échéance, du principal) avec un portefeuille de zéro-coupons : il suffit, pour ce faire, d’émettre des zéro-coupons dont les dates d’échéances collent exactement aux dates de paiement de l’obligation que l’on souhaite reproduire [4].
Et c’est là que la loi rentre en jeu : puisque nous pouvons reproduire exactement la même série de cash-flows avec une obligation classique ou un portefeuille de zéro-coupons, il faut nécessairement que les taux (et donc les prix) des zéro coupons soient mathématiquement liés à ceux des obligations classiques sans quoi, il y aurait une opportunité d’arbitrage. Par exemple, s’il était possible d’émettre le susdit portefeuille de zéro-coupons à des taux inférieurs aux taux d’équilibre, les arbitragistes en profiteraient pour emprunter un maximum d’argent par ce biais et placer les sommes ainsi engrangées sur des obligations d’État : il en résulterait un profit supérieur au taux sans risque sans le moindre risque qui serait immédiatement arbitré pour les raisons évoquées précédemment.
En conséquence de quoi, les taux des obligations classiques et ceux des zéro-coupons de qualité similaires sont liés mathématiquement et il existe même une méthode (bootstrapping) qui permet de déterminer précisément le taux des zéro-coupons pour toutes les échéances possibles et ce, même s’il n’en existe pas un seul dans le marché. De la même façon, on peut construire un équilibre entre taux spot (taux auxquels on prête ou emprunte de l’argent maintenant) et taux forward (taux auxquels on s’engage à prêter ou emprunter de l’argent à une date ultérieure). C’est encore le même principe qui nous permet d’établir le prix des contrats futures en fonction du prix de leurs sous-jacents [5], le prix des options d’achat en fonction des options de vente ou encore les parités des contrats de change à terme.
Bref, de proche en proche, la loi du prix unique est le fondement de ce que j’ai coutume d’appeler la structure de base des marchés financiers ; une improbable suite de relations parfaitement mathématiques qui lient un nombre tout aussi improbable de marchés entre eux. C’est d’une logique implacable qui n’est, malheureusement, pas toujours accessible à ceux qui ne disposent pas d’un minimum de connaissances techniques (et mathématiques) mais, une fois ces écueils levés, le spectacle est proprement stupéfiant. Si vous cherchez un exemple d’ordre spontané, je vous conseille chaudement celui-là et essayez donc d’imaginer comment un planificateur pourrait bien s’y prendre pour reproduire un tel monument.
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[1] Attention, abus de langage : il s’agit ici du prix de la dernière transaction connue le 17 février 2016 à 15h00, heure de Paris, selon Bloomberg : vous n’avez absolument aucune garantie de pouvoir acheter ou vendre à ce prix.
[2] Les marchés mainland sont réservés aux investisseurs chinois tandis que les investisseurs internationaux n’ont normalement accès qu’à celui de Hong Kong. Un système avait bien été mis en place fin 2014 pour créer une sorte de passerelle mais il semble que sa complexité administrative ne la rende pas très praticable.
[3] Les obligations émises par le U.S. Department of the Treasury, c’est-à-dire l’État fédéral étasunien.
[4] C’est exactement ce que font les émetteurs de STRIPS aux États-Unis : il émettent toute une série de zéro-coupons et utilisent le montant ainsi emprunté pour acheter une obligation d’État.
[5] En principe, c’est simplement un taux d’intérêt éventuellement modifié si le sous-jacent verse des cash-flows intermédiaires (dividendes) ou si sa possession physique engendre des coûts de stockage (une tonne de riz).
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