L’injection massive de liquidités à laquelle nous avons assisté ces dernières années – la base monétaire du dollar, par exemple, est passée de 852 milliards le 10 septembre 2008 à 2,69 trillions au 1er janvier 2014 – ne semble avoir eu pour ainsi dire aucun effet sur l’indice des prix à la consommation – le Consumer Price Index (CPI) ne progresse que de 1,2% YoY en novembre.
De cette constatation, de nombreux observateurs déduisent que la théorie quantitative de la monnaie a cessé d’être une description satisfaisante de la réalité, qu’il est désormais possible d’accroître indéfiniment l’offre de monnaie sans que la valeur de cette dernière ne s’en trouve impactée. Une rapide mise au point s’impose :
Une croissance de la base monétaire ne se traduit pas nécessairement par une croissance de l’offre de monnaie.
La base monétaire est créée par les banques centrales. Elle est composée principalement de deux éléments : les pièces et billets en circulation dans l’économie auxquels s’ajoutent les réserves des banques auprès des banques centrales. Par offre de monnaie, on désigne un agrégat monétaire (M1, 2, 3) censé mesuré la quantité de monnaie effectivement en circulation dans l’économie. L’offre de monnaie est composée des pièces et billets en circulation ainsi que des dépôts issus des crédits accordés par le système bancaire.
La période récente est, à ce titre, particulièrement intéressante. En principe, lorsque la banque centrale créé de la base monétaire, les banques commerciales – ou banques de second rang – qui reçoivent cet argent sous forme de dépôts de leurs déposants en réservent une part pour constituer des réserves (obligatoires à hauteur d’un minimum de 10% des dépôts aux États-Unis) et prêtent le solde à leurs clients à la recherche de financements. Ce faisant, elles créent de nouveaux dépôts qui permettent, à leur tour, de créer de nouveaux crédits et, de proche en proche, de démultiplier l’injection monétaire initiale.
Typiquement, on peut facilement démontrer qu’avec un ratio de réserves obligatoires de 10%, une injection de $100 de la Federal Reserve (monnaie centrale) permet au système bancaire de porter la masse monétaire, l’offre de monnaie totale, à un maximum de $1 000.
Encore faut-il, bien sûr, que les clients des banques souhaitent s’endetter et que ces dernières acceptent de prêter. Si tel n’est pas le cas, si entreprises et particuliers, craignant pour leur avenir, préfèrent stocker des liquidités sur leurs comptes plutôt que de s’endetter et si les banques, échaudées par quelques récents évènements, se montrent volontiers plus prudentes qu’à l’accoutumée, il va de soi que ce phénomène multiplicateur ne fonctionne plus.
En de telles circonstance et ce, particulièrement si la banque centrale se pique de rémunérer les dépôts des banques commerciales, l’injection de base monétaire ne se transforme pas en crédits – et donc en nouveaux dépôts – mais en réserves des banques commerciales auprès de la banque centrale. C’est-à-dire que les banques, sitôt la base monétaire nouvelle créée reçue, s’empressent de la créditer sur leurs comptes ouvert chez le banquier des banquiers : la base monétaire augmente mais l’offre de monnaie, celle qui circule dans l’économie, reste (relativement) constante.
Et c’est précisément ce à quoi nous assistons depuis cinq ans. Sous l’effet, notamment, des rounds successifs de Quantitative Easings, la base monétaire du dollar a augmenté de $1,8 trillions mais, dans le même temps, les réserves des banques auprès de la Federal Reserve se sont accrues de $1,5 trillions dont 95% de réserves excédentaires, c’est-à-dire de réserves constituées par les banques de leur propre chef, sans aucune contrainte règlementaire. En d’autres termes, l’écrasante majorité (83%) de l’injection monétaire de la Fed ne circule pas dans l’économie et n’a, dès lors, aucune raison de provoquer la moindre forme d’inflation.
Une croissance de l’offre de monnaie ne passe pas nécessairement par le panier de la ménagère.
Pourtant, une part restreinte de l’injection monétaire de la Federal Reserve – probablement de l’ordre de 300 milliards de dollars tout de même – a bel et bien trouvé son chemin jusque dans l’économie et a donc contribué à gonfler les agrégats monétaires. Depuis le début de la crise, M2, par exemple, progresse de 9,1% par an contre 6% en moyenne entre mars 2000 (explosion de la bulle internet) et septembre 2008. Pourquoi cela ne créé-t-il pas d’inflation ?
Il n’y a, là encore, aucun mystère : il suffit de considérer la nature de l’outil qui nous permet de mesurer l’inflation par la hausse généralisée des prix, les fameux indices des prix à la consommation et, dans le cas étasunien, l’indice CPI (headline ou core). Ce que ces indices cherchent à faire, c’est mesurer le prix moyen pondéré des biens qui composent le panier de la ménagère dans le temps et donc, par déduction, le rythme de dépréciation de la monnaie.
Or, il y a là un présupposé qui veut qu’une augmentation de l’offre de monnaie se traduise, par un moyen ou un autre, par un accroissement de la quantité de monnaie dont dispose la ménagère. En effet, pour que la valeur relative du kilo de carottes par rapport dollars se trouve modifiée par une augmentation de l’offre de dollars, il faut nécessairement que ce gonflement de la masse monétaire atteigne le marché où l’on échange des kilos de carottes contre des dollars – c’est-à-dire les poches de la ménagère, puis celles du maraicher.
Mais l’histoire récente prouve – si besoin en était – que ce n’est pas nécessairement le cas. Typiquement, de 2003 à 2007, les injections monétaires de la Fed, dûment aiguillées par la règlementation étasunienne, ont essentiellement alimenté les crédits immobiliers de telle sorte que ce n’est pas le prix des carottes qui a monté mais celui des biens immobiliers. C’est ce que nous appelons une bulle.
Une « bulle spéculative » n’est jamais rien d’autre que de l’inflation à ceci près que, ne passant jamais par les poches de notre ménagère, cet accroissement de la masse monétaire ne se traduit pas par une hausse du CPI mais par une envolée des prix d’autres actifs, le type d’actifs qu’achètent ceux qui bénéficient encore de la capacité de crédit d’une économie étouffée par le poids des taxes et des règlementations ; typiquement des actifs financiers.
Pour résumer : il y a, là-dehors, une gigantesque montagne de cash qui n’attend que quelques signes positifs pour se transformer en crédits et qui, au regard de l’état de nos économies occidentales, a toutes les chances d’alimenter la plus spectaculaire des bulles jamais observées.
C'est aussi ce que dit Jean-Pierre Chevallier sur son blog. Voici un lien vers son dernier article parlant de la FED : http://chevallier.biz/2013/12/bilan-de-la-fed-de-4-000-milliards-de-dollars/
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