(Cet article fait partie d’une série dans laquelle je m’amuse à démonter les théories ésotériques avancées par Jacques Grimault, principalement dans La révélation des pyramides.)
Tout l’art du pyramidologue (et de tous ceux qui font profession de nous vendre des théories ésotériques) se résume à faire émerger des constantes mathématiques ou physiques des dimensions d'un objet — avec une nette prédilection pour le nombre d’or et Pi — tout en enrobant ses calculs dans un épais brouillard de justifications ésotériques et autres procédés destinés à détourner notre attention. C’est, en somme, un exercice tout à fait comparable à celui du prestidigitateur à ceci près qu’en plus de l’aspect purement psychologique, le pyramidologue fait appel à des connaissances mathématiques (notamment en géométrie) et en histoire (notamment des religions).
La meilleure façon de convaincre le spectateur qu’il n’y a rien de surnaturel dans un tour de magie étant d’expliquer le truc veuillez trouver ci-après, chers lecteurs, une petite :
Recette de pyramidologique
D’abord, au regard du nombre de constantes mathématiques et physiques disponibles, il n’est évidemment pas très difficile d’en trouver partout. Notez que vous pouvez varier les unités dans lesquelles vous les exprimez à l’envie : par exemple, la vitesse de la lumière (299 792 458 mètres par seconde, par définition du mètre) peut avantageusement être exprimée en unités astronomiques (distance Terre-Soleil) ; c’est élégant et ça fait (presque) 499.00 par seconde.
Ensuite, n’oubliez pas que tout est affaire de précision : par exemple, pour la plupart des gens, Pi ($\pi$) c’est 3.14 et peu importe ce qui vient après ; vous pouvez donc vous contenter de chiffres qui se ressemble sans être vraiment égaux. Notez aussi que pour ceux qui réclament 4 décimales, vous avez le choix entre des valeurs arrondies ($\pi \approx 3.1416$) et des valeurs tronquées ($\pi \approx 3.1415$) : peu de gens vous reprendront là-dessus.
Après ça, vous avez aussi une multitude d’opérateurs et de transformations à votre disposition. Par exemple, prenons le nombre d’or ($\phi$, environ 1.6180) : vous pouvez l’élever au carré (2.6180), extraire sa racine carrée (1.2720), en calculer l’inverse (0.6180), trouver son exponentielle (5.0432) ou, tout bêtement, le multiplier par 10 (16.18) ou par Pi (5.0832) — et cette liste est loin d’être exhaustive.
Ceci étant fait, vous pouvez vous attaquer aux différentes dimensions de l’objet auquel vous souhaitez trouver des propriétés mystérieuses. Avec n’importe quelle figure géométrique, vous pouvez en trouver un paquet et ce, d’autant plus qu’elle est complexe. Tenez, par exemple : avec un simple cube, vous avez la longueur d’un côté, le (demi-)périmètre de la base, la diagonale d’une face, la diagonale interne, la surface d’une ou plusieurs faces, le volume total ou sa moitié, le périmètre ou la surface des cercles inscrits ou circonscrits… J’en oublie sans doute.
À ce stade, n’hésitez pas d’ailleurs à faire preuve de créativité : ce serait tout de même dommage de se priver des nombreux opérateurs mathématiques qui vous permettront, toujours avec notre cube, de soustraire la longueur d’un côté à celle d’une diagonale, de diviser une surface par un périmètre ou même de multiplier des angles avec des longueurs. Peu importe que ça n’ait, d’un point de vue mathématique, pas le moindre sens : tout se justifiera dès l’apparition d’une constante ou de quelque chose qui s’en rapproche et, avec un peu d’imagination, vous trouverez bien une raison parfaitement ésotérique à ce calcul.
Naturellement, qui dit dimension dit unité de longueur. C’est à ce stade que vous pouvez introduire quelques théories parfaitement fumeuses. Parce que des unités de longueur, l’histoire vous en offre une bordée : outre les multiples du mètre, vous avez les milles nautiques, les différentes sortes de pouces, de pieds ou de coudées, les brasses, les lieues, les pas, les toises et ce, à toutes les époques et dans toutes les nations. À ça, vous pouvez aussi rajouter quelques grandeurs physiques à forte portée symbolique comme, par exemple, l’unité astronomique évoquée plus haut ou une fraction de la longueur des méridiens terrestres (comme pour le mètre).
Vient alors la recherche d’une égalité approximative entre (i) l’une de vos constantes éventuellement modifiées et (ii) l’une des dimensions de l’objet considéré. Vous pouvez, pour noyer le poisson, enrober votre démonstration dans de savants calculs inutiles, un joli schéma tout aussi inutile, quelques références aussi mystérieuses qu'elles sont hors de propos et, enfin, bidouiller vos chiffres élégamment avec une des coïncidences mathématiques proposées ci-dessous (qui ne sont pas toutes d’un usage facile, j’en conviens).
$$ \frac{22}{7} \approx \frac{355}{113} \approx \pi $$ $$ \frac{4}{\sqrt{\phi}} \approx \pi $$ $$ \pi^4 + \pi^5 \approx e^6 $$ $$ e^\pi - \pi \approx 20 $$ $$ 5 \pi \approx 6 \phi^2 $$ $$ e^{e^e} \approx 1000 \phi $$Jeu :
Saurez-vous retrouver celle qu’a utilisé Jacques Grimault ?
Fort de ce qui précède, démontrons ensemble que les proportions de la grande pyramide de Khéops n’ont été conçues ni avec $\pi$ ni avec $\phi$ mais avec $e$, le nombre d’Euler.
Suivie d'une démo
Si vous n’avez jamais entendu parler de $e$, sachez que ça n’a rien d’étonnant : ce nombre qui vaut $2.718$ [1] est essentiellement connu des mathématiciens [2] et, bien qu’on ignore son origine [3], il est non seulement à la source de la plupart de nos technologies modernes [4] mais aussi la base du logarithme naturel [5].
Le schéma
1 — Nous savons que la base de la grande pyramide de Khéops (ABCD) forme un carré parfait [6] de 440 coudées royales de côté et que sa hauteur (OS) était de 280 coudées exactement [re-6].
2 — De là, avec un peu de trigonométrie, nous pouvons facilement [7] déterminer la valeur des angles OgS et OSg qui mesurent respectivement 51.84 et 38.15 degrés [8].
3 — En d’autres termes, les sections nord-sud et est-ouest de la grande pyramide [9] peuvent être représentées par deux triangles isocèles identiques (iSg et jSh) avec, au sommet, un angle de 76.3 degrés (deux fois 38.15) et, de part et d’autre de la base, des angles de 51.84 degrés [10].
4 — Nous avons donc trois angles : 76.30 degrés au sommet et deux fois 51.84 degrés de part et d’autre de la base ; angles qui forment 2 triangles, un sur l'axe nord-sud, l'autre sur l'axe est-ouest [11]. Or, 51.84 + 51.84 divisés par 76.30 [12] donne 1.359 : ce qui, multiplié par 2, nos deux triangles, donne le $e$ : $1.359 \times 2 = 2.718 = e$, CQFD.
Et voilà le travail ! Merci, mesdames et messieurs, pour votre attention. Une hôtesse va passer dans vos rangs pour vous soulager de quelques euros.
---
[1] À peu près…
[2] … et de moi-même.
[3] Jacob Bernoulli en 1683 alors qu'il travaillait sur les intérêt composés.
[4] Ahem…
[5] A.k.a. le logarithme népérien mais c’est moins impressionnant ; notez aussi que cette dernière affirmation, qui est exacte, vient après une série d'affirmations très contestables pour mieux vous les faire oublier (règle 132, bien connu des pros du marketing).
[6] N’hésitez pas à en rajouter même si ça n’est pas tout à fait vrai (si quelqu’un vérifie, vous mettrez ça sur le compte d'une licence poétique.)
[7] Quoi ? Vous avez oublié vos cours de trigo ?
[8] … et sont discrètement arrondis à deux décimales.
[9] Petite référence à son alignement sur les points cardinaux au passage.
[10] Notez comment, avec des arrondis, on arrive à une somme des angles de 179.98 degrés au lieu de 180.
[11] Je vais avoir besoin d'un 2 dans un instant. Ça se voit ?
[12] Oui, on divise couramment des angles entre eux pour calculer l’âge du capitaine.
Solution du jeu :
C’est $ 5 \pi \approx 6 \phi^2 $. Il se trouve que la longueur estimée des coudées royales utilisés dans la grande pyramide (52.350 cm) est un chiffre très proche d’un sixième de $\pi$ (env. 52.360 cm) ; encore faut-il, naturellement, expliquer pourquoi les « Grands Anciens » auraient divisé $\pi$ par 6. Pourquoi pas 5 ? Pourquoi pas 7 ? C’est là que cette coïncidence mathématique se révèle fort utile puisque les cinq sixièmes restants donnent à peu près $\phi^2$ ; ce qui permet à Grimault de nous vendre l’idée selon laquelle la coudée royale valait $\pi - \phi^2$ (env. 52.356 cm).
Je ne sais pas ce que tu utilises pour écrire les formules mathématiques, mais si ça passe très bien sur Chrome (Windows 7), c'est complètement illisible sur iPhone (iOS 9): on voit par exemple "$$ \frac{22}{7} \approx \frac{355}{113} \approx \pi $$ $$ \frac{4}{\sqrt{\phi}} \approx \pi $$ $$ \pi^5 + \pi^5 \approx e^6 $$ $$ e^\pi - \pi \approx 20 $$ $$ 5 \pi \approx 6 \phi^2 $$ $$ e^{e^e} \approx 1000 \phi $$"
RépondreSupprimerau lieu de:
227≈355113≈π
4ϕ√≈π
π5+π5≈e6
eπ−π≈20
5π≈6ϕ2
eee≈1000ϕ
Zut, cela a "traduit" les formules et les a rendu lisibles.
SupprimerBref, on voit des $$, des backslash, des accolades, des formules (sqrt, approx, etc.), des constantes en toutes lettres ("pi", "phi", etc.) de partout, le tout dans nu méli mélo illisible.
Oui, je sais. C'est un plug-in qui permet d'écrire des maths comme sous LaTeX.
Supprimer