Non, la Fed n'est pas une banque privée

De toutes les rumeurs infondées qui trainent sur Internet, il en est une qui a le don de m’exaspérer tant, conformément à la loi de Brandoloni, elle semble absolument impossible à réfuter : c’est l’idée selon laquelle la Federal Reserve américaine serait un cartel de banques privées qui n’agirait que dans le sens des intérêts de Wall Street — et donc, implicitement, au dépens de Main Street. On est là dans la pure légende urbaine pour ne pas dire la théorie du complot ; voici pourquoi.

Avant toute autre considération, il faut bien comprendre que « la Federal Reserve » est un abus de langage. Lorsque vous entendez parler de la Fed, c’est en réalité du Federal Reserve System qu’il est question ; un système composé de douze Federal Reserve Banks (ci-après les FRBs) réparties au travers des États-Unis [1] et placées sous la direction d’une agence fédérale : le Board of Governors of the Federal Reserve System (ci-après le BoG). Le fameux Eccles Building sur Constitution Avenue à Washington n’est pas, à proprement parler, le « siège de la Fed » mais celui du BoG — ce qui, concrètement, revient au même comme nous allons le voir.

Mais d’où diable vient cette légende ? Il n’y a pas, disent les philosophes de comptoir, de fumée sans feu. En l’espèce c’est vrai : la rumeur se fonde sur une interprétation un peu simpliste des statuts des FRBs [2] ; statuts qui, il faut le reconnaitre, sont d’une bizarrerie et d’une complexité qui peut prêter à confusion. Il se trouve, en effet, que le capital des FRBs est souscrit par des banques privées mais, comme nous allons le voir, lesdites banques ne sont réellement actionnaires ni de fait ni même en droit.

Primo, si c’est un option pour les banques régionales, la souscription au capital de la FRB dont elles dépendent est obligatoire pour les banques nationales [3]. La loi, en l’occurrence le Federal Reserve Act de 1913, leur impose le montant exact qu’elles doivent souscrire — 6% de leur capital — et leur interdit de revendre ces actions ou de les utiliser comme garanties. Concrètement, ça signifie que la loi américaine contraint les banques nationales à capitaliser la banque centrale.

Deuxio, cette souscription obligatoire donne droit à un « dividende » annuel statutaire de 6% du capital souscrit et ce, quel que soient les profits engrangés par la FRB considérée [4]. Le reste, après constitution de réserves, est intégralement versé au Department of the Treasury (voir tableau ci-dessous). C’est-à-dire que si vous considérez que le propriétaire d’une entreprise est celui qui touche les bénéfices, alors, le vrai propriétaire des FRBs, c’est le département du trésor des États-Unis. Économiquement, les « actions » que détiennent les banques privées sont en réalité des obligations juniors perpétuelles.

Profits de la Fed
(milliards de dollars US)

Année Profits Dividendes US Treasury
2010 81.7 1.6 79.3
2011 77.4 1.6 75.4
2012 90.5 1.6 88.4
2013 81.4 1.6 79.6
2014 99.7 1.7 96.9

Tercio, le seul pouvoir que ces actions confèrent aux banques commerciales se résume à l’élection de six des neufs membres du board de chaque FRB ; lesquels agirons de toute manière sous les ordres et la supervision du BoG. Plus précisément, le board of directors de chaque FRB est composée de trois directeurs de classe A, trois directeurs de classe B et trois directeurs de classe C. Les directeurs de classes A et B sont élus par les banques la différence étant que les directeurs de classe B ne peuvent être des banquiers. Pour chacune de ces classes, on forme trois collèges — les petites, moyennes et grandes banques — qui élisent donc chacune deux directeurs sachant qu’une banque, indépendamment du capital qu’elle a souscrit, compte pour une voix. Les directeurs de classe C, quant à eux, sont désignés par le BoG [5]. Les présidents des FRBs, enfin, sont désignés par les membres de leurs boards respectifs mais leur élection doit être validée par le BoG pour être effective.

Comme vous pouvez le constater, l’idée selon laquelle les grandes banques de Wall Street contrôle « la Fed » relève de la pure fiction : au mieux et à supposer qu’elles s’entendent entre elles, elles pourront désigner deux des neuf directeurs de la FRB de New York. En 1961, le professeur Michael D. Reagan résumait : « la ‘propriété’ des FRBs par les banques commerciales est symbolique ; elles n’exercent pas le contrôle exclusif associé à la notion de propriété, ni ne se partagent, au-delà du dividende statutaire, les "profits" des FRBs. » Ce qui nous amène à nous poser la seule question qui importe : qui détient vraiment le pouvoir ?

La réponse ne fait aucun doute : c’est le Board of Governors. C’est le BoG qui régule, contrôle et coordonne l’action des douze FRBs et qui leur délègue la régulation et le contrôle de l’ensemble du système bancaire américain. Le BoG est une agence fédérale composée de sept membres nommés par le Président des États-Unis (PotUS) et confirmés par le Sénat pour un mandat de quatorze ans non-renouvelable. Le chairman (actuellement Janet Yellen) et le vice-chairman (Stanley Fisher) sont désignés par le PotUS parmi les membres du BoG pour un mandat de quatre ans renouvelable dans la limite des quatorze années susmentionnées. Fait peu connu : le PotUS peut débarquer n’importe quel membre du BoG sans même avoir à se justifier.

Quant à la politique monétaire, hors politique macroprudentielle qui est une prérogative du BoG, elle est décidée au sein du Federal Open Market Committee (FOMC), un comité composé des sept membres du BoG, du président de la FRB de New York et de quatre autres présidents de FRBs qui tournent tous les ans — soit un total de douze membres. Traditionnellement, le chairman du BoG (donc, Mme Yellen actuellement) est aussi chairman du FOMC. Concrètement, ça signifie que les décisions de politique monétaire sont prises par un comité composé de sept membres d’une agence fédérale et de cinq types dont l’élection a été validée par cette même agence fédérale — c’est dire que le système est bien verrouillé.

Bref, l’idée selon laquelle la Fed est un cartel de banques privées est une pure fumisterie. Les membres du BoG, du moins ceux qui sont en poste actuellement, sont essentiellement des universitaires qui n’ont, jusqu’à preuve du contraire, aucun lien avec Goldman Sachs [6]. Que les dirigeants des grandes banques de Wall Street puissent trouver sept paires d’oreilles attentives au sein de la Fed, c’est tout à fait probable ; en conclure que le BoG obéit aux ordres de Wall Street revient à les accuser de corruption pour ne pas dire de trahison. C’est, bien sûr, une possibilité mais dans l’organisation actuelle de la Fed, c’est plutôt la question de son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique qui se pose.

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[1] Les Federal Reserve Banks d’Atlanta, de Boston, de Chicago, de Cleveland, de Dallas, de Kansas City, de Minneapolis, de Philadelphie, de Richmond, de San Francisco, de Saint Louis et, la plus grosse de la bande, de New York.
[2] Historiquement, il semble que le foyer originel soit un brulot conspirationniste publié en 1952 par un certain Eustace Mullins — Je vous laisse découvrir la bio du bonhomme.
[3] Les state chartered banks, qui sont régulées par un des États fédérés par opposition aux nationally chartered banks qui sont régulées à l’échelle fédérale (par le Office of the Comptroller of the Currency).
[4] La Fed, surtout ces dernières années, réalise d’énormes profits : elle créé des dollars ex-nihilo qui ne lui coûtent rien pour acheter des obligations qui paient des intérêts.
[5] C’est parmi ces trois-là que le BoG désignera le chairman et le vice-chairman de chaque FRB.
[6] Contrairement à Henry Paulson mais peut-être va-t-on finir par m’expliquer que le Trésor des États-Unis est, lui aussi, un cartel de banques privées.

17 commentaires:

  1. Si la Fed n'est pas privé, rien ne l'est ...

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  2. Voilà quelqu'un qui travaille dans le système financier. oui la fed est une institution privée et qui a été créée par les banquiers américains.

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  3. Sans rentrer dans le détail des très étranges statuts de la banque centrale des États-Unis, il faut rappeler que les banques privées nationales ont l’obligation d’être actionnaires, à hauteur d’un montant défini par la loi, d’une des douze banques régionales de la Fed , que ces actions ne sont pas transférables, ne comportent pas de droit de vote et ne donnent droit qu’à un dividende statutaire de 6% du montant investi. Par ailleurs, la politique monétaire est décidée au sein du FOMC qui est composé de douze membres dont sept (le Board of Governors) sont désignés par le Président des États-Unis et confirmés par le Sénat. La Fed n’est donc pas plus privée que notre Sécurité sociale : c’est bien une agence fédérale réputée – je dis bien réputée – indépendante.
    Pour faire simple, la Fed est un organisme d’économie mixte disposant d’un monopole du seul fait de la loi, organisme qui n’existerait pas sans la volonté des hommes de l’Etat.
    http://ordrespontane.blogspot.be/2011/08/la-fed-est-une-banque-privee.html

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  4. tellement naïf, vous pensez peut-être que les statuts vont expliquer en clair comment on entube le peuple ?! Pourquoi, d'après vous les gouverneurs de la FED sont toujours juifs ?

    http://aline.dedieguez.pagesperso-orange.fr/mariali/chaos/house.html

    apprenez d'abord à lire avant de venir écrire vos sottises ici !

    http://www.histoireebook.com/index.php?post/2012/02/22/Sutton-Antony-C-Le-complot-de-la-reserve-federal

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  5. et l'ordre s'éclaire spontanément :
    http://www.professeurforex.com/2013/11/tout-sur-la-fed-episode-2-qui-controle-la-fed-banque-privee-ou-federale/

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    1. Coucou débile profond par ailleurs antisémite,
      Tu réalises que le papier au bout de ton lien a été pompé à 80% sur un article que j'ai écrit ?

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  6. « la FED est une des institutions les plus corrompues du monde.il n'y a pas un seul homme dans le son de ma voix qui ne sait pas que cette nation est dirigée par les banquiers internationaux » Membre du Congrès Louis T. Mc Fadden

    (il faut comprendre que l'Empire Romain est toujours vivant : la spiritualité au Vatican, l'économie à la City de Londres, et l'armée à Washington. Ainsi la FED sera toujours sous le contrôle des banques anglaises, on verra bien où ils iront s'installer après le brexit...)

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  7. http://www.usagold.com/federalreserve.html

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  8. http://www.my2012.4t.com/index_1.html

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  9. Voici les "charts" rédigés par des employés de la FED eux-mêmes et non par Eustace Mullins, l'antisémite

    D'abord e rapport original de la FED pour ceux qui voudraient vérifier :
    1976 : https://ia600206.us.archive.org/18/items/FederalReserveDirectorsAStudyOfCorporateAndBankingInfluence/Federal_Reserve_Directors_A_Study_of_Corporate_and_Banking_Influence.pdf

    NB : je n'ai pas retrouvé le rapport original de 1983 qui fournit le chart n°2

    et la synthèse qui montre notamment comment les banques UK sont présentes dans la FED
    http://www.save-a-patriot.org/files/view/whofed.html

    pour les curieux vous apprécierez peut-être aussi ce rapport (1964) sur la monnaie :
    http://www.vlogolution.com/169-Questions-and-Answers-on-Money.pdf

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  10. Banks' Stock List Full of Surprises. New York Times, Sep. 23, 1914
    http://query.nytimes.com/mem/archive-free/pdf?res=9C0DE7D7143AE633A25750C2A96F9C946596D6CF

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  11. LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL N'A JAMAIS ÉTÉ PROPRIÉTAIRE D'UNE SEULE ACTION DE LA RÉSERVE FÉDÉRALE (FEDERAL RESERVE). AUTREMENT DIT, LA FED EST UNE PROPRIÉTÉ PRIVÉE À 100% (sur laquelle une étiquette "État" est collée)

    Paul Warburg, l'auteur secret du "Federal Reserve Act", écrit :
    Section 7
    "[...]Les banques de la Federal Reserve, incluant leur capital et surplus, ainsi que leur revenus, sont exemptées de taxation locale et d'État, à l'exception des taxes immobilières[...]"

    Nous savons par ailleurs que les immeubles gouvernementaux ne paient pas de taxes.

    Il faut "juste" comprendre que ces banquiers se considèrent au-dessus de l'État, et ne font que jouer la comédie... pour que les naïfs que nous sommes continuent de croire au père noël.

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