L’économie du cartel

Quand plusieurs entreprises se mettent d’accord pour éviter de se faire concurrence entre elles – accord sur les prix, la qualité… – on appelle ça un cartel. La logique économique qui préside à la signature de cet accord, c’est qu’en instaurant des règles qui limitent la concurrences entre elles, ces entreprises peuvent augmenter leurs marges sans risquer de réduire leurs ventes ; c’est-à-dire qu’elles peuvent faire plus de profits sans améliorer leurs offres.

Mais les cartels ont deux grandes faiblesses.

Le premier, c’est le dilemme du prisonnier : à chaque instant, chacun des membres du cartel a intérêt à trahir les autres. S’ils se sont mis d’accord sur les prix, il a tout intérêt à trahir en baissant unilatéralement les siens pour rafler des parts de marché. S’ils se sont mis d’accord sur une standard de qualité (i.e. obsolescence plus ou moins programmée), il a tout intérêt à trahir en améliorant ses produits et en dénigrant ses concurrents. C’est pour cette raison que, dans les faits, peu de cartels se forment : tous savent que si l’un d’entre eux trahi, ils y laisseront des plumes.

Mais admettons qu’un cartel voit le jour et que, pour une raison ou une autre, aucun des membres du cartel ne cède à la tentation.

Il reste un autre danger : le nouvel arrivant. Celui-là n’a pas signé l’accord et, parce qu’il a étudié le marché, sait qu’il peut produire pour moins cher et/ou de meilleure qualité. Bien sûr, sa marge ne sera pas aussi élevée que celles des membres du cartel mais, en leur sifflant leurs clients, il peut tout de même réaliser de confortables bénéfices. C’est pour cette raison que les quelques cartels durables dont l’existence est avérée (le Cartel Phœbus par exemple) ont fini par exploser : parce qu’un petit malin est venu rafler le magot.

Bien sûr, les membres du cartel ont toutes les meilleures raisons du monde de protéger leur pré carré. Lorsqu’un nouvel arrivant se présente, ils font en général feu de tout bois pour lui mettre des bâtons dans les roues ; il y a, pour ce faire, trois méthodes :

(i) Les membres du cartel font appel à quelques gros bras, des types peu recommandables, pour rendre une petite visite au nouvel arrivant sur le thème « nous savons où tu habites ». C’est pour éviter ce genre de choses que nous avons besoin d’une justice et d’une police : pour interdire l’usage de la violence ou de la menace (principe de non-agression) ;

(ii) Les membres du cartel s’allient pour faire faire faillite au nouvel arrivant. Typiquement, on appelle les fournisseurs et les distributeurs et/ou on vend à perte jusqu’à ce qu’il lâche l’éponge. Seulement voilà : tout cela coûte très cher et, à un moment ou un autre, on finit par réaliser que l’entretient du cartel coûte plus cher que ce qu’il rapporte ; c’est ce qui est arrivé au cartel de De Beers ;

(iii) Les membres du cartel, faisant valoir l’« intérêt général », en appellent aux pouvoir publics pour écarter l’indésirable. Cette méthode présente le double avantage d’être peu onéreuse (un peu de lobbying, quelques bakchichs…) et d’être d’une redoutable efficacité : raisons pour lesquelles c’est la plus usitée. Pour faire tomber le cartel, il n’y a pas d’autre moyen que de convaincre les pouvoirs publics – et donc, dans une démocratie, les électeurs – de sa nocivité ; ce qui peut, expérience de Free Mobile à l’appui, prendre un certain temps.

En conclusion, si nous voulons éviter la formation de cartels, nous avons besoin (a) d’un État qui assume pleinement ses fonctions régaliennes en protégeant, notamment, les droits des nouveaux arrivants et (b) d’un État strictement limité à ses fonctions régaliennes qui, notamment, ne se mêle pas d’économie. Dans l’option inverse (non-a et non-b), soyez certains que vous aurez des cartels et qu’un certain nombre d’individus – ceux qui ont l’oreille des puissants – sauront se constituer de considérables fortunes à vos dépens.

1 commentaire:

  1. Ce qui arrive avec la cigarette électronique ressemble beaucoup à cette description : les industries du tabac et du substitut nicotinique voient d'un mauvais oeil l'arrivée des cigarettes électroniques... Le nombre de fumeurs baisse enfin, alors qu'il était stable depuis des années.
    Comme ils n'ont pas un seul adversaire mais une multitude, on en appelle aux pouvoirs publiques, pour limiter l'hémorragie. Si la cigarette électronique devient un médicament (après que les pouvoirs publiques aient affirmé qu'elle n'avait pas d'effet sur l'arrêt de la cigarette), les seuls qui auront les moyens de se payer une AMM seront les gros industriels (cigarettiers ou pharmacie), certainement pas les vendeurs de ces produits.
    Les anciens fumeurs pourront dès lors reprendre leur consommation de cigarettes bien toxiques, avec l'aval de l'état (qui ne mérite aucune majuscule dans cette histoire).

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