Paul est un jeune médecin qui souhaite se mettre à son compte pour exercer le très noble et très utile métier de médecin généraliste. Paul est jeune, plein d’enthousiasme et, comme la plupart des gens de son âge, il souhaite croquer la vie à pleines dents, se marier, avoir des enfants, avoir une vie sociale, gagner correctement sa croute et, dans le même temps, préserver sa vie personnelle. Bref, rien de très original. Paul a deux options.
Nice vs. Bélesta
La première consiste à s’installer à Nice. À Nice, il vivra dans une grande ville avec – outre le climat, la Méditerranée et les Alpes du sud – toutes les commodités que ça implique : commerces à portée de main, loisirs, jolie filles à draguer et, éventuellement, écoles pour les enfants à venir. Par ailleurs, à Nice, Paul sait qu’il aura accès à un confortable gisement de clients – notamment des retraités de la région parisienne – qui disposent de revenus relativement élevés ; il sait que ses clients viendront faire la queue dans son futur cabinet ou, dans le pire des cas, lui demanderont une visite à domicile à moins de 5 minutes de chez lui et il sait, enfin, qu’il pourra partir en vacances tranquillement : des collègues pour le remplacer, ça ne manque pas.
La deuxième option : Paul a aussi la possibilité de s’installer à Bélesta, jolie petite bourgade ariégeoise à deux pas de Montségur, qui se trouve par ailleurs être un de ces fameux déserts médicaux dont on nous parle depuis quelques temps. Bélesta, c’est la nature, le calme, la forêt de basse montagne, les Pyrénées et la Méditerranée pas trop loin… Bref, que du bonheur mais à quelques petits détails près. Primo, pour ce qui est des dépassements d’honoraires, ça ne va être possible : les clients du cru n’ont pas trop les moyens. Deuxio, pour ce qui est des activités culturelles, des loisirs, des rencontres et des écoles, Paul devra réduire quelque peu ses exigences. Tertio, les clients, il va falloir aller les chercher sur les petites routes de la montagne ariégeoise qui sont – certes – très jolies en été mais pas toujours praticables. Enfin, pour ce qui est de partir en vacances, si Paul s’installe à Bélesta, il devra s’habituer à une contrainte un peu particulière, il n’y aura qu’un seul médecin : lui-même.
Direction la promenade des anglais…
Alors évidemment, pour Paul comme pour tant d’autres jeunes médecins, le choix est assez vite fait : ce sera Nice et tant pis pour les châteaux cathares, les forêts pyrénéennes et les ariégeoises. Que voulez-vous : on a beau être médecin, on n’en est pas moins un être humain.
De cette constatation, nos politiciens ont déduit qu’il fallait soit forcer les jeunes médecins à s’installer à Bélesta – on imagine d’ici l’effet d’une telle mesure sur les vocations et la motivation de nos praticiens – soit les subventionner à coup d’argent gratuit des contribuables pour les inciter à combler les trous. C’est manifestement cette dernière option qui a été retenue par l’actuel gouvernement qui, comme ces prédécesseurs, ignore – ou feint d’ignorer – la véritable raison qui fait qu’il y a, dans notre beau pays, des déserts médicaux alors qu’en Allemagne, par exemple, il n’y en a pas.
Les raisons qui poussent Paul à s’installer à Nice plutôt qu’à Bélesta sont évidentes – nous venons d’en lister quelques unes. La véritable question est : sachant cela, comment est-il possible que le marché niçois ne soit pas saturé depuis longtemps ? Après tout, les conditions de vie en général et les conditions d’exercice de la médecine généraliste en particulier étant ce qu’elles sont, on devrait observer une concurrence féroce entre médecins sur toute la cote d’azur ; à l’exception de quelques stars, les tarifs des uns et des autres devraient être écrasés par l’effet de cette concurrence, rendant ainsi beaucoup plus attractive une installation dans le village ariégeois suscité où, justement, de la concurrence il n’y en a pas. C’est un mécanisme classique du marché : la concurrence fait baisser les marges des producteurs rendant ainsi plus attractives les zones où il n’y a pas de concurrent.
Politiques publiques et conséquences inattendues
Sauf que nos politiciens, au début des années 1970, ont eut l’idée géniale d’instaurer un numerus clausus qui limite administrativement le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine et donc, le nombre de diplômés et donc, le nombre de praticien sur le marché. On refait le match : en 1971-72 ce quota était de 8 588 étudiants, il a baissé jusqu’à 3 500 en 1992-93 avant de remonter à 7 500 pour l’année universitaire en cours. C'est-à-dire que, alors que la population française a augmenté de 23% et a vieilli entre temps, le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine chaque année à baissé de pratiquement 13%. C’est donc très clairement une politique de raréfaction volontaire de l’offre qui a été mise en œuvre depuis quatre décennies.
Peu importe les raisons, les effets d’une telle politique relèvent de l’évidence : primo, en réduisant la concurrence, on a soutenu artificiellement le niveau de vie des médecins (via, notamment, les fameux dépassements d’honoraires) ; deuxio, quelques milliers d’étudiants qui auraient sans doute pu faire d’excellents médecins se sont fait éjecter du cursus ; tertio, nous avons créé des déserts médicaux. Carton plein !
Bienvenue au royaume d’Ubu
La situation est d’autant plus ridicule qu’avec l’obligation qui a été faite à nos pouvoirs publics de reconnaitre les autres diplômes européens – et notamment les diplômes roumains – on assiste à deux phénomènes parfaitement ubuesques : d’un coté, nous trouvons des maires de villages qui, pour faire face aux départs en retraite et à la pénurie de remplaçants, cherchent désespérément à recruter des médecins roumains ; de l’autre, on observe un nombre croissant d’étudiants recalés au concours français qui vont s’inscrire dans une des excellentes facs de médecines roumaines… avant de revenir s’installer en France (à Nice). Au total, 27% des médecins qui se sont inscrit au tableau de l’ordre en 2012 avaient un diplôme étranger.
Et pendant ce temps, Marisol Touraine combat les « dérives du laisser-faire de ces dernières années » (on croit rêver…) en enchainant les « pactes territoire santé » et les négociations sur les dépassements d’honoraires. En revanche, c’est très clair au ministère comme au conseil de l’ordre : il est tout à fait exclu de revenir sur le numerus clausus ; circulez, il n’y a rien à voir.
"Peu importe les raisons"... Ben si, ça aide à comprendre quand même... Si c'est parce que vous les ignorez : le numerus clausus est un moyen de réduire les dépenses de la Sécurité sociale (moins de médecins = moins de prescriptions).
RépondreSupprimerbof moins de médecins, plus de patients= plus d'erreurs et autres maladies détectées trop tard= augmentation très importantes des dépenses de sécurité sociale !!
RépondreSupprimerla prévention et les pathologie précocement diagnostiquées coutent moins chères bcp moins chères.
Le ministère de la santé, c'est comme le ministère de l'agriculture: on remplace les médecins (agriculteurs) par des fonctionnaires qui "gèrent", bcp de fonctionnaires et autres experts !
le cout n'a pas d'importance, seul l'augmentation des gestionnaires publiques compte cf canada Angleterre (étatisation de la santé)
il suffit de voir le nombre d'irm et autres matériels haut de gamme(par habitant) en France je crois que la Turquie nous a dépassée
Supprimer le numerus clausus ET faire payer les études leur juste prix.
RépondreSupprimerSi on tient à faire de l'intervention, payer les études à ceux qui s'engagent à s'installer en zone rurale (ça peut être l'état, ou les collectivités locales, ou des groupes d'habitants qui "se payent" un médecin en remboursant son crédit étudiant).
Cet article ne prend le problème que par le petit bout de la lorgnette, en oubliant une évolution majeure depuis les années 70. A cette époque, les jeunes médecins généralistes tout fraîchement sortis de la fac (et d'une seule année de travail hospitalier, on n'appelait pas encore ça internat de médecine générale) désiraient à 85% s'installer en activité libérale, et le faisaient. En 2010, les mêmes jeunes médecins généralistes, après 3 années d'activité d'interne hospitalier, ne souhaitent plus que pour 30% d'entre eux s'installer en activité libérale, un jour, et 12% franchissent le pas. Il est apparu une multiplicité des offres de carrière en milieu hospitalier, professionnel, administratif et autre qui attirent près de 70% des jeunes médecins, avec des horaires confortables, des congés payés, des situations géographiques urbaines. Certes la rémunération n'est pas folichonne, mais comme ce n'est plus un critère pour nombre d'entre eux/elles.
RépondreSupprimerNous aurons de nouveau des généralistes dans nos villes et dans nos campagnes le jour où les divers organismes publics et territoriaux arrêteront de les happer au passage.