À la lecture de la réponse de Théophane Le Méné, il m’apparait que je n’ai pas été bien compris. C’est certainement de ma faute ; sans doute me suis-je mal exprimé : comme tout bon ouvrier, je vais donc remettre mon ouvrage sur le métier.
Commençons par le commencement : qu’est-ce qu’un mariage ou, plutôt, d’où peut bien provenir cette vénérable institution ? Le fait est que la reproduction de l’homos sapiens implique nécessairement l’interaction de deux représentants sexuellement différentiés de notre espèces – par convention un mâle et une femelle. C’est un fait entendu ; il n’est point utile d’y revenir. Néanmoins, en quoi cette contrainte propre à notre nature explique-t-elle que nous formions des couples pérennes ? Après tout, l’acte sexuel en lui-même ne prend – modulo les performances des uns et des autres – que quelques minutes. Dès lors, pourquoi diable avons-nous prit, depuis la nuit des temps, cette étrange habitude qui consiste à former des couples qui durent infiniment plus qu’il n’est nécessaire à la procréation ? La réponse est extrêmement simple, elle est aussi dans notre nature : c’est parce que nos enfants, sans l’assistance prolongée de leurs parents, ne pourraient pas survivre. La fonction sociale du mariage et de la famille qui en découle n’est pas la procréation mais la protection et l’éducation de nos enfants.
C’est la stratégie K. Le modèle évolutif des espèces qui, comme nous, ne peuvent survivre et se développer qu’en investissant sur leur progéniture. Un modèle parfaitement indépendant de notre de mode de reproduction mais totalement dépendant de cette impérieuse nécessité qui nous pousse à prendre soin de nos enfants ; un modèle commun à toutes les cultures depuis l’aube de l’humanité, sacralisé par toutes les religions depuis toujours et qui, si l’on suit David Hume, est probablement le socle même de nos sociétés : les enfants, constatant au travers de leurs parents les bienfaits de cette organisation sociale élémentaire, perçoivent dès leur plus jeune âge l’intérêt d’une vie sociale. La société repose sur la famille qui elle-même repose sur le mariage ; il en est ainsi depuis la nuit des temps, bien avant les États et les lois et je ne crois pas trop m’avancer en disant que cela fonctionnait plutôt bien.
Et il a donc fallu que l’État s’en occupe…
Or voilà qu’un beau jour de septembre 1792, il est apparu utile au législateur de légiférer sur cette question et d’instaurer ce que nous appelons aujourd’hui le mariage civil. Est-ce que l’absence d’un cadre réglementaire empêchait les couples de se former et d’élever des enfants ? Nos prédécesseurs auraient-ils constaté de graves carences quant à l’éducation des enfants ? La société était-elle menacée par ce vide juridique ? Point du tout : la seule et unique justification de cette prise en main était de transférer aux pouvoirs publics la tenue des registres d’état civil qui étaient jusque-là une des prérogatives de l’Église. Vous aurez beau chercher : il n’y en a pas d’autre. Si le mariage civil existe c’est uniquement pour que l’État puisse dûment vous ficher en tant que couples officiels puis, le cas échéant, en tant que parents. C’est de cette nécessité, dont je vous laisse libres de juger si elle est légitime ou non, que découle la réglementation du mariage : les formes contractuelles qui vous sont imposées, l’interdiction qui vous est faite de vous marier devant un curé sans être passés au préalable devant un officier d’état civil, l’impossibilité pour deux personnes du même sexe de se marier et j’en passe.
Nous sommes, à ce que l’on dit, citoyens d’une République ; République de res publicae, la chose publique. Au nom de quoi pouvez-vous considérer que mon mariage et ma famille sont des choses publiques ? Au nom de quels principes vous autorisez-vous à vous immiscer dans mon lit conjugal, à dicter les conditions, les formes et les conséquences de mon mariage ? Où donc commence ma vie privée – si tant est qu’une telle chose existe encore – si même mon couple doit faire l’objet d’un débat public et des attentions du législateur ? Théophane Le Méné m’oppose, à juste titre d’ailleurs, que le fait accomplit ne saurait justifier à lui seul l’abrogation d’une loi. C’est tout à fait juste mais ce n’est pas ce que j’ai écrit : je ne fais que rappeler un vieux et vénérable principe, un « petit laïus bien connu », qui dit que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », que « ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi » et que « la Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. »
Je dis donc, en substance, que c’est à vous qu’incombe la charge de la preuve ; c’est à vous de prouver que le mariage civil, ses conditions, ses formes et ses conséquences ont une quelconque utilité ; c’est à vous de justifier que la formation d’une famille qui ne correspond pas à vos aspirations personnelles constitue une nuisance pour la société ; c’est à vous d’expliquer comment des politiciens dont les frasques de garçons de bain alimentent les pages people des magazines pourraient être les arbitres de nos couples ; c’est à vous de démontrer, puisque c’est de cela qu’il s’agit, que l’union légale d’un couple homosexuel et l’homoparentalité sont de nature à trouver la paix sociale ; c’est à vous d’établir qu’un tel couple ne sera pas capable d’élever des enfants, de les entourer de l’amour et des soins dont ils ont besoin ; c’est à vous d’apporter la preuve que les homosexuels sont assez stupides pour faire croire à leurs enfants qu’ils sont nés en dépit des règles les plus élémentaires de la nature. À moins, donc, que vous n’ayez quelques arguments solides qui justifient que vous vous mêliez de la vie des autres, j’ai quelques souhaits à formuler :
Dérégulons, privatisons !
Je ne souhaite pas, contrairement à ce que pense Théophane Le Méné, que l’État légifère mais, tout au contraire, qu’il délégifère ; je ne souhaite pas que le législateur nous produise une version modifiée du mariage civil, je souhaite que le mariage civil soit purement et simplement abrogé ; je ne souhaite pas que l’on légalise le mariage civil de deux personnes du même sexe, je souhaite que l’institution plusieurs fois millénaire du mariage soit enfin débarrassée de cette grotesque farce postrévolutionnaire qu’est le mariage civil. Je veux pouvoir signer, avec la personne de mon choix, le contrat qui nous plait. Je veux pouvoir en fixer la forme, les conditions et les conséquences. Je veux que nos enfants – biologiques ou pas – soient reconnus comme tels. Je veux pouvoir déterminer comme bon me semble les règles qui dirigeront notre vie commune. Je veux pouvoir désigner moi-même qui héritera de ce que nous laisserons derrière nous et qui devra s’occuper de nos enfants si un malheur devait nous arriver. La seule chose que je demande à l’État – à vous tous donc – c’est de reconnaitre ce contrat comme légitime et de constituer la puissance publique comme garante de ce choix qui est le notre.
Ne l’appelez donc pas « mariage » si ça vous chante ; puisque l’étatolâtrie est devenue la première religion de France et qu’il vous faut un mot réservé à votre religion, donnez-lui le nom que vous voudrez. Mais, de grâce, laissez-donc celles et ceux qui ne partagent pas votre fois vivre leur vie comme bon leur semble. La tolérance ne consiste pas à admettre du bout des lèvres que d’autres soient différents ou puissent vouloir vivre différemment pourvu qu’ils restent cachés ; ça, c’est de l’hypocrisie. La tolérance consiste à reconnaitre à chacun le droit de mener sa vie comme il le souhaite avec pour seules limites qu’il vous rende la pareille et respecte à son tour vos droits. L’intolérance, c’est l’exact contraire : c’est refuser aux autres de vivre comme bon leur semble et admettre par la même occasion que ces derniers puissent aussi légitimement diriger votre propre vie. À bon entendeur…
George Kaplan, si vous me permettez il votre raisonnement me semble entaché d'un contresens historique : il n'y avait aucun "vide juridique" ni "absence de cadre réglementaire" avant l'instauration du mariage civil, pour la simple raison que sous l'ancien régime les actes d'église avaient force de loi. Les révolutionnaires n'ont fait qu'opérer un transfert d'autorité et d'enregistrement. Dans nos sociétés occidentales, le mariage et les affaires familiales ont toujours fait l'objet d'une réglementation très précise et très contraignante. Nous sommes tout simplement passés de la tutelle de l'église à celle de l'état. Y-avons nous perdu ? Je n'en suis pas certain mais c'est un autre débat.
RépondreSupprimerAutre point un peu curieux : votre deuxième paragraphe "Commençons par le commencement" me semble constituer un réquisitoire contre le mariage homosexuel dont il souligne le caractère absurde si l'on suit votre propre démonstration...et même d'ailleurs un réquisitoire indirect contre le divorce sauf en cas d'union stérile, ce qui était peu ou prou le cas des mariages d'avant 1792.
RépondreSupprimerLa seule préoccupation de la Loi devrait être la protection des enfants, voire des conjoints, ce à quoi un contrat du type du PACS suffit, de la même manière que l'on protège les actionnaires minoritaires et les créanciers avec la législation et les statuts-types des sociétés.
RépondreSupprimerVotre position est intéressante.
RépondreSupprimerNéanmoins, et vous avez raison, le mariage civil est un non-sens pour un Etat. Son le seul but était de se suppléer à l'Eglise dans le cadre de la grande purge révolutionnaire.
Reste que dans tout système, il faut des règles et des normes, ne serai-ce que pour des raisons de simplifications fiscales. Ainsi, si, comme vous le préconisez, tout à chacun est libre de faire ce qu'il veut, il deviendrait impossible à l'Etat et à la justice, de suivre et de faire valoir les lois nécessaires à toute société humaine.
Donc, il faut annuler le mariage civil et reconnaître uniquement les mariages religieux, comme c'est le cas depuis des millénaires. Pour les non-croyants, et bien, ils ne se marient pas, voilà tout. Un statut de concubin, ouvrant les mêmes droits.
Quant aux "unions" homo, polygames, et autres zoophiles, ils doivent être hors la loi, de façon à assurer la stabilité de la cité et éviter la décadence des moeurs, préjudiciable à tout empire...
Ou alors reconnaissons que nos ancêtres étaient des "cons" !
Vous dites "Ne l’appelez donc pas « mariage » si ça vous chante". Le terme "mariage" pour un couple homosexuel serait une négation de la définition du mot "mariage". C'est en pervertissant les mots qu'on pervertit la pensée.
RépondreSupprimerAvant 1150, en France, le mariage était une cérémonie privé. Ni Eglise, ni Etat. Puis l'Eglise catholique a étendu sa puissance en faisant du mariage un sacrement. Dans un concile en 1350, l'Eglise confirmait que le mariage est un sacrement.
Chacun peut vivre son couple comme il veut, certes. Mais l'Etat a le pouvoir exorbitant de changer le sens des mots. Il en use et en abuse pour illusionner le peuple. C'est plus grave que ce vous dites.
Libertaire et libertarien....
RépondreSupprimerLa liberté est sans doute le sujet philosophique, politique, sociologique et religieux le plus difficile à aborder de nos jours.
Pour partie, la difficulté tient aux différentes acceptions du mot.
Mais en réalité, plus que le sens donné au mot lui-même c'est la projection du bonheur à laquelle il renvoie qui divise. La liberté c'est faire ce que je veux pour être heureux...
Mais tout le monde n'est pas heureux de la même façon, ni pour les mêmes motifs.
La difficulté survient classiquement en politique (sous régime démocratique ou non d'ailleurs) lorsque le pouvoir veut imposer une certaine vision du bonheur.... "La liberté ou la mort" : première devise de la République....
La privatisation de tout, sous prétexte de liberté, est à mon sens aussi stupide que de vouloir normaliser, au sens d'établir une norme nouvelle.
La liberté n'a de sens que dans un cadre intangible, sinon il n'y a plus de liberté qui suppose un choix, mais seulement un aléa...
Le positivisme, c'est à dire l'adaptation permanente de la norme à des pratiques changeantes, induit une insécurité énorme comme toujours en matière d'inflation législative.
Il est certain que se voir appliquer des normes conjugales par des queutards finis.... relève en plus de l'absurde... Comme d'ailleurs celui de vouloir interposer un juge dans les mêmes histoires (c'est un autre débat)...
Le mariage faisait partie des droit naturels et sacrés. Il ne s'agit pas nécessairement d'une définition religieuse, ou d'un renvoi à Antigone... La notion de Droit Inaliénable Naturel et Sacré, est également visée dans la déclaration de 1789 et fait partie du bloc de constitutionnalité.
Le mariage est une institution se confondant avec l'origine de l'humanité, à la fois en tant que norme sociale puis dans un second temps en tant que norme juridique.
Aujourd'hui, il ne s'agit que d'un droit subjectif pour réaliser son bonheur....
Ce n'est donc plus une norme juridique, il est vrai que ce n'était déjà plus une norme sociale....
Mais de là à le privatiser...
Non! La liberté consiste dans le choix de ne pas se marier ou de se marier. Changer profondément le mariage, ou le privatiser constitue une atteinte à l'engagement de ceux qui précisément ont choisi de se marier, pour ce qu'était le mariage au jour de leur engagement.
Merde.....
Évidemment, on peut soutenir que le mariage civil était depuis le code de 1804 une imposture, nécessaire pour se marier religieusement.....
Au quel cas, n'ayant jamais eu de valeur institutionnel, ce bout de papier.... peut entériner tous les choix individuels.
Et effectivement s'agissant d'un simple contrat chacun y met ce qu'il veut....
Mais après une tel choix ne me parlez pas de protection des enfants....
De grâce.