Tout le monde parle de la financiarisation de l’économie. C’est l’idée selon laquelle le secteur financier — banque, assurance, placements… — a pris une part croissance dans nos économies modernes et occuperait aujourd’hui une place prépondérante. Juste pour mettre quelques chiffres sur cette idée, j’ai téléchargé les données du Bureau of Economic Analysis et fait quelques calculs.
Voici la valeur ajoutée du secteur Finance and insurance (ligne 55) rapportée au PIB étasunien depuis 1947 [1] :
Comme vous pouvez le constater, la financiarisation d’après-guerre c’est un secteur financier qui passe pratiquement en ligne droite de 2.3% du PIB en 1947 à 7.7% en 2001 puis, semble marquer le pas et même décliner avec, notamment la crise de 2006-08. Notez que selon des sources à plus long terme (voir ce papier de Thomas Philippon), la part de l’industrie financière était bien plus élevée avant-guerre qu’elle ne l’était en 1947 : ce que vous voyez ici n’est qu’une partie de l’histoire mais c’est effectivement une histoire de financiarisation.
Voilà donc les États-Unis avec une industrie financière qui pèse 7% du PIB en 2014. Est-ce si énorme que ça ? Pour vous donner un point de comparaison, la part de l’industrie (Manufacturing, ligne 12) après désindustrialisation [2], ça reste quand même 12.1% (contre un bon quart de l’économie U.S. en 1947). Comment se fait-il qu’un secteur présumé disparu ait un poids économique supérieur à un secteur présumé dominant ?
Autre comparaison intéressante, voici la financiarisation (même série que précédemment) comparée à l’évolution de la part du secteur santé et assistance sociale (Health care and social assistance, ligne 76, tirets) :
Comme vous pouvez le voir, on part de 1.5% en 1947 pour atteindre 7.1% en 2014 — soit légèrement plus que le secteur financier. C’est-à-dire que si on cherche une évolution marquante des sources de valeurs ajoutées de l’économie américaine, la croissance du secteur santé et assistance sociale et au moins aussi importante que celle de l’industrie financière. Manifestement, personne ne juge utile d’en parler et encore moins de s’en émouvoir.
Bref oui, la part de l’industrie financière dans le PIB américain a bel et bien augmenté au même titres que les autres services [3] et non, on ne peut pas objectivement dire que l’économie étasunienne soit « dominée par la finance ».
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[1] Ces chiffres incluent, naturellement, les activités de la Fed.
[2] Comme je l’ai déjà expliqué, le terme est impropre : il n’y a pas eu de désindustrialisation mais une tertiairasation de l’économie et c’est un phénomène mondial.
[3] Accessoirement, on rappellera que la finance américaine est très largement internationalisée : c’est-à-dire que les firmes de New-York rendent des services financiers à des clients du monde entier.
Très intéressant mais je pense que lorsqu'on parle de financiarisation de l'économie, on veut plutôt dire que la prise de décision devient de plus en plus guidée par des considérations purement financières, au dépend d'autres (mais lesquelles?)
RépondreSupprimerIl serait intéressant d'étudier cette affirmation car elle est la base d'une forte critique contre le capitalisme "moderne".
Justement, c’est un vrai sujet : tous ceux qui parlent de financiarisation ne sont pas d’accords sur le sens du mot… L’idée de la part dans le PIB me semble la plus répandue mais je peux me tromper.
SupprimerVeuillez pardonnez mon outrecuidance mais je pense effectivement que vous vous trompez.
SupprimerJe pense pour ma part que par "financiarisation" on entend la part que l'industrie financière à pris dans l'économie, pas seulement en terme de pourcentage de PIB mais en terme de politique.
Le QE de la BCE par exemple n'a pour effet que de soutenir les marchés financiers (et encore, essentiellement les actions).
"La finance" a, il me semble, une influence infiniment plus importante qu'avant.
Les volumes d'argent qui s'échangent dans l'industrie financière sont sans commune mesure avec la plupart des autres échanges des autres industries.
Il me semble que c'est plus cet aspect que les gens perçoivent qu'un simple rapport au PIB.
Et surtout, veuillez pardonner ma lamentable orthographe...
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