L’idée d’une primaire des français a toute ma sympathie. Je suis, comme manifestement trois français sur quatre, convaincu que la professionnalisation de la politique a totalement coupé ceux qui sont supposés nous représenter et nous servir de la réalité quotidienne du plus grand nombre. C’est une véritable aristocratie d’État qui s’est créée sous la Vème République, une classe politique (sic) presqu’exclusivement composée de hauts fonctionnaires — le circuit Sciences Po - ÉNA — et de juristes, un parti du tout-État homogène pour ne pas dire stéréotypé [1] pour qui rien ne saurait exister en dehors de la chose publique ou au-delà de nos frontières.
Le parti du tout-État
Je voudrais, pour illustrer mon propos, citer quelques morceaux choisis du rapport sur le concours externe d’entrée à l’ÉNA pour l’année 2015 tel qu’il a été présenté par M. Jean-Paul Faugère. Verbatim :
Page 11 : « Les candidats donnent souvent l’impression de réciter un devoir dont ils ont déjà travaillé le sujet en préparation. Les copies sont alors identiques (même plan, même introduction, mêmes développements, même conclusion). Ces devoirs sont ternes et démontrent que le candidat n’a pas une bonne maîtrise du sujet : il se contente de réciter car il ne sait pas expliquer. »
Page 12 : « Faut-il rappeler que la présence de la « culture générale », à l’écrit du concours d’entrée à l’ENA, ne vise pas à vérifier que les candidats ont bien appris leurs leçons et qu’ils savent réciter les mêmes connaissances que tous les autres, mais que leur hauteur de vue, leur lucidité et leur individualité les rendent aptes à exercer les fonctions auxquels ils aspirent ? »
Et enfin, page 18, le coup de grâce : « Convaincu que le futur domaine professionnel concentre tout ce qui a de la valeur en ce bas monde, ils ramènent trop systématiquement l’ensemble des sujets à la Fonction Publique, au rôle de l’Etat et des fonctionnaires, à la France, à l’actualité immédiate… » Fermez le ban !
Entendez moi bien : il n’est pas question, ici, de donner dans le populisme de comptoir et de réclamer la fermeture de l’ÉNA. C’est stupide. Nous aurons toujours besoin de fonctionnaires compétents et ce, d’autant plus que notre machinerie administrative et règlementaire est infiniment complexe [2]. Il n’est même pas nécessairement question, comme se fût longtemps le cas, de déclarer inéligibles celles et ceux qui vivent d’argent public ou, comme c’est encore le cas dans de nombreux pays, d’exiger qu’ils démissionnent pour exercer un mandat public [3].
Ce dont nous avons besoin, aujourd’hui, c’est de candidats issus de la société civile ; de gens qui, comme vous et moi, exercent un vrai métier [4], paient des impôts et n’envisagent l’exercice d’un éventuel mandat que comme une parenthèse dans leur vie personnelle et professionnelle. Ce dont nous avons besoin, fondamentalement, c’est d’élus qui soient en mesure d’appréhender concrètement les conséquences de leurs décisions sur la vie concrète de leurs concitoyens.
Je n’ai, à l’heure où j’écris ces lignes pas de solution précise à proposer mais l’objectif me semble clair : il ne doit plus être possible de « faire carrière » en politique, de passer une vie entière à enchainer et cumuler des mandats, de décider à la place des autres sans jamais en subir les conséquences à titre personnel. C’est pour ça qu’en attendant une solution structurelle, le soutiens la Primaire des Français.
La tentation du diable
Le grand paradoxe auquel nous sommes confrontés est assez bien résumé par cette constatation trouvée sur le site de la Transition : « 3 Français sur 4 veulent que ça change et pourtant rien ne bouge. »
Le paradoxe n’est bien sûr qu’apparent. Schématiquement, sur ces trois français qui veulent que ça change, le premier veut tourner à gauche, le second pense qu’il faut tourner à droite et le troisième préfère continuer tout droit. C’est aussi simple que ça : nous voulons tous que ça change mais nous ne sommes pas d’accord sur la nature de ce changement.
Si vous voulez bien vous repasser le film des dernières décennies, vous observerez qu’à chaque tentative de réformes — aussi homéopathiques soient-elles — la même histoire se répète systématiquement : un de nos trois français descend dans la rue, manifeste bruyamment et fini souvent par faire plier notre classe politique qui, le plus souvent, en conclue qu’il vaut mieux ne rien changer. C’est donc finalement notre quatrième français, le partisan du statu quo, qui obtient gain de cause : rien ne bouge.
Il n’existe pas trente-six manières de sortir de ce blocage, je n’en connais que deux. La première consiste à attendre le dernier moment, le pied du mur, et à désigner en catastrophe celui ou celle à qui nous confierons les pleins pouvoirs pour nous sortir de l’ornière. C’est ce que nous avons fait avec de Gaulle en 1958 et ça a relativement bien fonctionné mais si vous voulez bien y réfléchir, vous admettrez que c’est un pari très risqué. Clairement, nous avons eu beaucoup de chance : de Gaulle était tout sauf un fanatique, c’était un type bien et il a respecté scrupuleusement ses engagements. Tenter le diable une seconde fois peut être une option mais ça doit rester la dernière.
L’autre façon de faire, la plus difficile mais aussi la moins dangereuse, c’est de trouver un terrain d’entente. La difficulté de l’opération, pour reprendre les proportions évoquées plus haut, c’est que les trois français qui veulent que ça change ne sont pas d’accord sur la route à prendre : entre celui qui rêve tout changer pour une utopie socialiste, celui qui ne jure que par un retour aux traditions séculaires et celui qui, comme moi, prône un virage radicalement libéral, il va être pour le moins compliqué de trouver un terrain d’entente.
Que vous le vouliez ou non, toute déclaration politique commençant par « les français veulent ceci » ou « les français attendent cela » relève de la pure fumisterie. La seule chose que trois français sur quatre veulent, c’est un changement. Mais sur la nature de ce changement, il n’existe aucun accord. Et pourtant, à moins de laisser gagner les partisans du statu quo et de tenter le diable encore une fois, il va bien falloir que nous trouvions une solution.
Le plus petit dénominateur commun
Voilà où je veux en venir : si vous y pensez, à l’échelle de n’importe quelle communauté humaine, la seule façon de s’accorder sur un projet commun dès lors que les membres de la société ne sont pas d’accord sur tout, c’est de trouver le plus petit dénominateur commun.
C’est-à-dire que nous devons en revenir aux fondements de notre République : une association de citoyens libres et égaux en droits qui s’accordent avant toute autre considération sur ce qui relève de la chose publique, du projet commun, et donc sur ce qui doit rester du domaine privé, à la discrétion de chacun. C’est à ce prix que nous pourrons refaire société, en trouvant ce plus petit dénominateur commun — ce qui implique de le chercher. Voilà à quoi doit nous servir cette primaire.
Or voilà, en l’état actuel des choses, face à la complexité aberrante de notre système, tout débat est impossible. Aucun citoyen de ce pays — pas même la représentation nationale — ne peut prétendre connaitre nos lois ni savoir combien lui coûte, en net, le fonctionnement de notre fameux système social. Puisque l’heure est venue de trouver des terrains d’entente, je m’en trouve au moins un avec Thomas Piketty (qui l’eut cru ?) : il faut tout repenser pour aller dans le sens d’une simplification radicale.
À titre personnel (et qui m’aime me suive !), j’adresse donc un message simple à toutes celles et ceux qui se présenteront à cette primaire : épargnez-nous, par pitié, les ajustements à la marge du modèle existant. Sortez du cadre ! Partez d’une feuille blanche ! Prenons tous ensemble du recul et que cette primaire, si elle ne débouche sur aucune élection, soit au moins l’occasion d’un grand renouvellement d’idées.
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[1] Et je vous invite, encore une fois, à lire ou relire Philippe Silberzahn à ce propos.
[2] Je l’ai déjà dit et je le répète : je prétends qu’aucun être humain normalement constitué ne peut connaitre nos lois ; c’est-à-dire que l’adage qui veut que « nul n’est censé ignorer la loi » relève purement et simplement de la théorie.
[3] À toutes fins utiles, je rappelle que la République est association de citoyens et que, comme dans toute association, être à la fois dirigeant et salarié, c’est être juge et parti : le conflit d’intérêts est évident.
[4] Les fonctionnaires exercent un vrai métier. Le mot important, ici, c’est le verbe exercer : notre personnel politique semble trop souvent croire que le statut fait le moine.
Effectivement la nature du changement, ou plutôt le type de politique qui "devrait" être menée ne fait pas l'unanimité chez les 3 Français sur 4 qui veulent un changement plus ou moins radical. Et il faut en effet essayer de trouver le plus petit dénominateur commun.
RépondreSupprimerMalheureusement, celui que tu proposes est en soi un type de politique, libéral en l'occurrence. Or, beaucoup de Français, pour ne pas dire la majorité VEULENT contraindre leur voisin. Les uns veulent décider de la façon doit il doit s'habiller ou non, les autres veulent le forcer à "donner" x% de son salaire pour financer telle ou telle lubie, d'autres veulent le forcer à s'assurer auprès d'un organisme de santé monopolistique et n'acceptent pas qu'il puisse être libre de choisir, d'autres encore veulent l'empêcher de se marier avec une personne du même sexe etc. etc. La liste est sans fin, et la grande majorité des Français veulent forcer tel ou tel groupe à faire ceci ou cela ou l'empêcher de faire ceci ou cela.
Beaucoup veulent moins de règles et de lois SAUF dans tel ou tel domaine, où ils veulent plus de contraintes, ce qui évidemment conduit à l'inflation législative dans tous les domaines, au final.
La loi et la contrainte fait partie de leur culture, parce qu'ils ont été formatés comme cela, la liberté en est exclue.
Mais malgré tout, on PEUT je pense trouver un plus petit dénominateur commun à ces 3 Français sur 4.
RépondreSupprimerD'abord le constat:
Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ne sont pas réellement séparés, et c'est d'autant plus vrai avec la concomitance des élections présidentielles et législatives. Sauf cataclysme électoral, le président de la république, le gouvernement et le parlement sont du même bord. Le parlement se contente d'entériner, avec éventuellement quelques retouches (pouvant tout de même aller jusqu'à vider de sa substance la proposition initiale) ce que le gouvernement propose, officiellement ou officieusement. Il n'est plus qu'une chambre de validation de ce que propose le pouvoir exécutif.
Absolument rien ne garantit que celui pour qui on a voté fera ce qu'il a promis. Dans les faits, il ne fait que rarement ce qu'il a promis, et jamais tout ce qu'il a promis. Bien trop souvent, il fait l'inverse. D'où la principale raison du rejet de la classe politique
Dès lors c'est la façon dont fonctionne système politique qu'il faut changer, et non ce que produit le système (les différents types de politique, ou le sens du "virage" que Guillaume évoque).
Dans l'absolu, et je ne peux qu'être d'accord, un retrait pur et simple de l'État, donc de la politique, de tous les domaines où il n'a rien à faire serait la seule vraie solution fonctionnelle respectueuse de la liberté de chacun. Mais force est de constater que ce n'est malheureusement pas ce que veut la majorité des Français, loin de là. Tous ou presque veulent le renforcement de la coercition dans un domaine au moins.
Il existe une autre solution, qui pourrait je pense faire consensus chez ces 3 Français sur 4: la démocratie "directe", la vraie, dans laquelle le peuple vote directement les lois, et non ceux qui sont censés les représenter. La technologie le permet.
RépondreSupprimerIl s'agirait donc de supprimer purement et simplement le parlement et de remplacer sa fonction par le vote direct des citoyens, par internet.
Tout le monde n'étant pas intéressé à la chose politique au point de voter chaque jour ou presque, chaque citoyen pourrait déléguer son droit de vote à un tiers, et pourrait révoquer cette délégation de droit de vote à tout moment, et simplement.
Les citoyens pourraient non seulement voter mais également proposer des lois. Pour être entérinée une loi devrait non seulement recueillir la majorité des votes des votants mais également devoir atteindre un seuil minimum de votants ou de votes "pour". Les citoyens pourraient également proposer la suppression de lois.
Une loi votée par les citoyens devrait ensuite passer par la validation de "juges de constitutionnalité", eux-mêmes élus, mais devant impérativement être titulaires d'un diplôme prouvant leur expertise juridique de la Constitution, afin de s'assurer que la loi ne viole pas la Constitution et s'assurer qu'elle atteint un niveau minimum de qualité rédactionnelle pour être applicable. En cas de retoquage, les juges pourraient proposer une version remaniée de la loi aux citoyens.
Le pouvoir exécutif se contenterait de mettre en application les lois votées par le peuple, mais pourrait tout de même soumettre à la validation de celui-ci des projets de lois ou de suppression de lois.
Enfin, le budget annuel serait également voté par les citoyens. Également, chaque nouveau projet proposé par l'exécutif, chaque création de nouvelle administration, institution, autorité et autre comité Théodule devrait être soumis à la validation par le vote de son budget.
Ce système permettrait:
Une réelle séparation des pouvoirs
Que les élus du pouvoir exécutif fassent uniquement ce pourquoi ils ont été élus: dès qu'ils tenteraient autre chose, ils seraient immédiatement retoqués par les citoyens
Limiterait l'inflation législative
Limiterait l'ardeur des politiques à faire des projets ou à créer de nouvelles institutions
De fait tout ceci provoquerait une dé-professionnalisation de la politique
On pourrait enfin étendre le vote du budget et les projets à chaque échelon, régional, départemental, communal etc.
RépondreSupprimerLe département ou la région voudrait construire un nouveau stade? Très bien, mais le budget de sa construction sera soumis à la validation des citoyens.