Vous connaissez sans doute la pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs, et des producteurs de suif, huile, résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l’éclairage, pièce d’anthologie écrite par Frédéric Bastiat en 1845 pour dénoncer comment une corporation bien organisée — nous dirions aujourd’hui un lobby — peut, en invoquant l’intérêt général, amener les pouvoirs publics à lui s’assurer de confortables bénéfices aux dépens de tous les autres.
Je veux ici, sans rentrer dans les détails et sans espérer arriver à la cheville de l’immense Frédéric, vous proposer une version modernisée de la pétition. Nous allons, pour mieux coller à l’actualité, remplacer la concurrence déloyale du soleil par la fraude fiscale et les fabricants de chandelles par les constructeurs de caisses enregistreuses et autres éditeurs, distributeurs et installateurs de systèmes d’encaissement.
S’il vous arrive, ne serait-ce que ponctuellement, de sortir de votre tour d’ivoire — ce qui exclue tout naturellement l’ensemble de notre personnel politique et une bonne partie de nos universitaires — vous savez sans doute qu’un nombre que je me bornerais à qualifier de considérable de nos artisans et petits commerçants ne s’en sortiraient tout simplement pas s’ils n’avaient la possibilité de camoufler une partie de leur activité à la citadelle de Bercy.
C’est ce que l’on appelle vulgairement le black. C’est ce qui arrive quand, par exemple, votre plombier vous propose une facture moins salées si vous acceptez de le régler en liquide ou, chose moins connue, quand votre magasin préféré fait disparaitre quelques transactions payées en espèces sonnantes et trébuchantes de sa caisse enregistreuse. Dans un cas comme dans l’autre, vous économisez de la TVA, de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu et même, s’agissant d’un employé, des charges sociales.
Le black, c’est les panama papers à côté de chez vous. Tout le monde est au courant, tout le monde suspecte que le phénomène est loin d’être marginal et, à l’exception des personnes susmentionnées, tout le monde sait bien que sans ça, des dizaines de milliers de commerçants et d’artisans mettraient la clef sous la porte. « Tu te rends compte ? me disait l’autre jour un ami expert-comptable, elle déclarait tout ! Pas étonnant qu’elle ait déposé le bilan. »
Mais, comme on dit chez nous, le malheur des uns fait le bonheur des autres. À condition de bien maîtriser les rouages politiques français, il y a moyen d’utiliser le maquis règlementaire et le matraquage fiscal à son avantage afin d’en tirer de confortables bénéfices. Voici, en pure théorie, comment s’y prendre en supposant que vous soyez un des fabricants de caisses enregistreuses (et autres systèmes d’encaissement) annoncés en introduction.
La première étape consiste à former une association destinée à regrouper les membres de votre corporation ; association que vous pourriez appeler, par exemple, Association des constructeurs, éditeurs, distributeurs, installateurs de systèmes d’encaissement ou, pour faire plus court et pour sacrifier à notre grande tradition des acronymes, l’Acédise.
Une fois ce lobby constitué, constituez un dossier dans lequel vous démontrerez, à l’aide de quelques estimations au doigt mouillé, que la fraude fiscale coûte — mettons — entre 5 et 10 milliards d’euros par an et qu’il est tout à fait urgent et conforme à l’intérêt général d’imposer une norme très stricte qui impose à tous les commerçants, artisans et restaurateurs de n’utiliser que des caisses enregistreuses et logiciels conçus selon cette même norme.
Ne commettez pas l’erreur de débutant qui consiste à proposer une norme internationale : votre objectif, vous l’avez compris, est d’obtenir de l’État qu’il force ce demi-million de petits entrepreneurs à acheter vos produits ; pas ceux de vos concurrents américains ou chinois. Vous devez donc insister — lourdement si possible — pour cette norme soit nationale (une NF quelque chose comme NF 525 par exemple) et vous devez, bien sûr, participer au groupe de travail chargé de la créer de telle sorte qu’elle soit le plus difficile possible à mettre en œuvre par des concurrents étrangers.
Votre dossier bien ficelé, envoyez-le au sommet de l’État, tout au sommet : non seulement c’est gratuit mais les lois de la gravitation universelle font que plus un dossier tombe de haut plus il a de chances d’être pris en considération. Parallèlement, n’omettez pas de le distribuer aussi à notre paresseuse presse qui, trop contente d’avoir un chiffre impressionnant sous la main pour plaider la cause de la main qui la nourrit, s’empressera de relayer l’information sans, soyez en sûr, prendre la peine de vérifier quoi que ce soit ni même de s’interroger sur votre neutralité.
À ce stade, c’est comme à la pêche, il faut faire preuve de patience et savoir ferrer le poisson dès qu’il mord. Le poisson, en l’occurrence, c’est le ministre qui va vous répondre et vous inviter à se rapprocher de ses services pour faire avancer votre noble cause. C’est là que le processus législatif commence ; c’est le moment crucial où vous allez devoir obtenir que l’on impose votre norme urbi et orbi. Soyez prévenus, ça peut prendre un peu de temps : il faut donc être très discret pour éviter d’attirer l’attention de vos futurs clients forcés.
En principe, si vous vous y prenez bien, vous devriez donc facilement obtenir une loi qui, tout à la fois, imposera à un bon demi-million de commerçants, artisans et autre restaurateurs d’acheter vos produits, vous protègera efficacement de la concurrence et, cerise sur le gâteau, sera sans doute mise sur le dos du régulateur bruxellois. C’est facile, ça ne coûte presque rien et ça peut rapporter très gros.
Il est d’usage de conclure :
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Quel talent! C'est le NF 525 qui m'a mis la puce à l'oreille.
RépondreSupprimerQuand la réalité dépasse l'affliction...
Et sinon Guillaume, tu es pour moi avec Vincent Bénard, et sans flagornerie aucune, la plume la plus convaincante de la blogosphère libérale francophone.
Et puis elle change de celle de certains dont le droitisme vieille France agit comme repoussoir pour toute personne âgée de moins de 60 ans (dans sa tête). Tu veux pas la mettre au service d'un parti ou d'un think tank? ;)
PS: on ne peut toujours pas poster de commentaire sur ton blog depuis un iPhone sous Safari / iOS 9.3.1
Merci :)
Supprimer(Aucune idée pour les coms...)
Il est vrai qu'avec les nouvelles obligations nous avons connu un tournant dans les métiers traditionnels, en tout cas pour ceux qui pensaient avoir encore le temps d'adopter le numérique. Avec l'obligation pour 2018, le logiciel de caisse sera presque la norme hormis les autoentrepreneurs...
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