Le blog de Philippe Silberzahn est, à mon humble avis et cela soit dit sans aucune flagornerie, une source intarissable d’idées intéressantes, de sujets de réflexion et d'inspiration. Dans un article récent, Philippe nous propose une critique du concept d’anti-portefeuille (lire Capital risque et investissements manqués : Pourquoi la notion d’anti-portfolio est erronée, 28 mars 2016) qui m’inspire quelques remarques.
L’idée d’un anti-portefeuille consiste, pour un investisseur (principalement un capital-risqueur), à comparer la performance des investissements auxquels a effectivement participé avec celle de ceux qu’il a refusé. La démarche est analogue à celle du benchmarking — quand un investisseur en actions cotées se compare à un indice de marché — à ceci près qu’il n’existe pas de benchmark universel dans le non coté ; raison pour laquelle l’anti-portefeuille n’est constitué que d’une sélection de projets d’investissements.
Le point que fait Philippe pourrait, toutes proportions gardées, s’appeler le principe d’incertitude appliqué à la mesure de performances : c’est-à-dire que la décision d’investissement ou de non-investissement a une influence sur les résultats du portefeuille comme sur ceux de l’anti-portefeuille ce qui rend la mesure fondamentalement imprécise. Philippe évoque deux influences possibles :
Primo, la dimension qualitative de l’investisseur — i.e. sa capacité à apporter un soutien non financiers aux entreprises dans lesquelles il a investi (conseils, contacts, logistique…) Pour reprendre l’exemple de l’article, le fait de ne pas avoir investi dans Captain Train impacte positivement l’anti-portefeuille d’ISAI (i.e. Jean-David Chamborédon est passé à côté d’une belle opportunité) mais, nous dit Philippe, rien ne nous permet d’affirmer que cette startup aurait connu le même succès avec ISAI : il est tout à fait possible que les investisseurs qui ont suivi Captain Train aient eu un impact non-négligeable sur la performance de leur investissement.
C’est juste mais, en y repensant, c’est limiter le rôle du capital-risqueur à celui d’un sleeping partner. Dès lors que l’anti-portefeuille est un outil de reporting, il ne me semble pas déraisonnable d’intégrer les dimensions : la sélection des projets, d’une part, mais aussi la capacité à soutenir les entreprises dans lesquelles on a investi. L’incertitude porte sur la distinction entre ces deux effets mais l’idée de comparer la performance globale de ces deux portefeuilles me semble assez robuste — d’autant plus que la stratégie de sortie est une dimension essentielle du métier de capital-risqueur.
Mais là où Philippe marque un point à mon sens imparable, c’est sur le biais du survivant : le fait d’investir permet à l’entreprise de se développer tandis que ne pas le faire peut peser significativement sur son développement ; ce qui tend à biaiser le portefeuille d’ISAI à la hausse et son anti-portefeuille à la baisse. Là, pour le coup, l’argument me semble difficilement contestable dès lors qu’on utilise la gap portefeuille/anti-portefeuille comme mesure de la valeur ajoutée du gérant (sauf, éventuellement, à les comparer sur cette base).
Mais je voudrais aussi verser au dossier une autre observation : l’anti-portefeuille de l’investisseur ne tient compte que des projets qui lui ont été présentés. C’est-à-dire qu’il y a aussi un biais de sélection qui me semble très important : une partie significative du gap portefeuille/anti-portefeuille est totalement indépendante du talent du gérant et peu même, dans certain cas, dire le contraire de ce que l’on cherche à mesurer. Il suffit, pour s’en convaincre, d’imaginer qu’un capital-risqueur se soit vu proposer quelques projets évidemment voués à l’échec tandis que son concurrent ne reçoit que des dossiers solides. Le premier pourra arguer d’un anti-portefeuille aux performances abyssales mais pas le second ; pourtant, c’est bien avec ce dernier que vous avez envie d’investir.
Bref, tout bien considéré, je rejoins Philippe : l’effort de transparence est honorable et l’idée marketing est excellente mais le concept anti-portefeuille est très biaisé. Une solution, peut-être, consisterait à créer une sorte de portefeuille fictif (un benchmark) constitué de tous les investissements réalisés par tous les investisseurs (professionnels) en France — ce qui implique, naturellement, que tout le monde joue le jeu.
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