Le 1er janvier 2008, le bolivar fuerte remplace le bolivar à une parité de 1 pour 1 000 ; à cette occasion le gouvernement chaviste établi le taux de change de sa nouvelle monnaie à 2,15 Bs par dollar étasunien. Le 11 janvier 2010, le bolivar fuerte est dévalué de 50% à 4,3Bs/USD ; parallèlement, le Venezuela créé un second taux de change officiel, réservé aux importations de produits de premières nécessité, de 2,6Bs/USD. Un an plus tard, le 4 janvier 2011, ce second taux officiel est supprimé — il n’existe alors plus que la parité officielle de 4,3Bs/$ — et, le 13 février 2013, le bolivar est de nouveau dévalué à 6,3Bs/USD (-31,75%).
Nous sommes donc en janvier 2014, le taux de change officiel du bolivar est toujours fixé à 6,3Bs pour un dollar (soit une dévaluation officielle de 66% en 6 ans) et le président Maduro l’a promis, il l’a juré : il ne le dévaluera pas en 2014.
Techniquement, le contrôle des changes fonctionne de la manière suivante : pour se procurer des dollars, les vénézuéliens ont en principe l’obligation de s’adresser à l’administration créée à cet effet — la Cadivi [1] — qui change des bolivars au taux officiel. D’où la Cadivi tient-elle ses dollars ? Eh bien, pour l’essentiel, elle les achète à Petróleos de Venezuela (PDVSA), l’entreprise publique qui a la haute main sur le stock de pétrole et de gaz naturel vénézuélien ; l’un des plus importants au monde. C’est le principe : on échange du pétrole contre des dollars puis on revend ses derniers contre des bolivars au cours officiel – c’est-à-dire qu’on les brade.
Or, non seulement la production de PDVSA, qui ne recrute désormais que des militants chavistes, s’effondre littéralement mais en plus, il semble que, depuis au moins septembre 2012, la planche de la Banco Central de Venezuela tourne à plein régime pour financer la révolution bolivarienne. C’est-à-dire qu’il y a de plus en plus bolivars et de moins en moins de dollars et que Caracas doit piocher dans ses réserves de changes pour tenter de compenser (8 milliards de dollars, rien qu’en 2013).
En d’autres termes, à 6,3 bolivars pour un dollar, le taux de change officiel relève de la plaisanterie : au marché noir, le dollar se négocie aujourd’hui au-delà des 80 Bs. Pour mémoire, en août 2011, alors que la parité officielle était encore fixée à Bs 4,3, le dollar se négociait déjà aux alentours de Bs 8,5 : c’est-à-dire qu’en deux ans et demi, la décote du marché noir est passée de 49% à 92% et qu’en six ans, le bolivar « fuerte » a en réalité perdu environ 97% de sa valeur.
Selon les estimations de Steve H. Hanke, professeur d’économie appliquée à la Johns Hopkins University, cet écart entre le taux officiel et le taux de marché [2] implique une inflation de l’ordre de — tenez-vous bien — 333%. Chiffre à comparer au taux d’inflation officiel de 54,34% (octobre 2013) évoqué par Caracas ; lequel, étant donné le contrôle des prix qui se généralise, ne signifie absolument rien.
Le résultat, outre le développement du marché noir du bolivar, c’est que la Cadivi rationne sévèrement les billets verts ce qui implique que les entreprises et les particuliers qui souhaitent importer ce dont le Venezuela a cruellement besoin — c’est-à-dire à peu près tout sauf du pétrole — ne peuvent tout simplement plus le faire [3]. Bref, c’est la pénurie.
Pas plus tard qu’hier, Empresas Polar, le principal importateur de produits agroalimentaires vénézuélien, avertissait que, la Cadivi étant manifestement incapable de lui fournir les 463 millions de dollars dont elle a besoin pour régler ses fournisseurs, ces derniers lui coupaient ses lignes de crédit. Quelques heures plus tard, c’était la compagnie aérienne Air Canada qui, après American Airlines, Aeromexico, Avianca et Air Europa, annonçait qu’elle cessait de vendre des billets au Venezuela afin d’éviter de s’exposer plus encore à une devise manifestement aussi inconvertible qu’elle est surévaluée [4].
Naturellement, qui dit pénurie de biens et services dit envolée des prix ; laquelle est naturellement mise sur le dos des fameux spéculateurs et autres ennemis de l’intérieur ; ce qui entraine invariablement, lorsque l’on a affaire à de tels analphabètes, la promulgation de lois visant à contrôler les prix. Ainsi donc, après avoir organisé, manu militari, la baisse forcée des prix de nombreux biens de consommation courante — et, au passage, détruit encore un peu plus le tissu économique local — voilà que Maduro entend imposer un taux de marge maximum (30%) à l’ensemble de l’économie — ce qui ne va, bien sûr, faire qu’empirer les choses.
Entre temps, afin d’alléger un peu le poids du contrôle des changes sur certains secteurs (tourisme, compagnies aériennes…), l’administration chaviste a également créé un nouveau machin administratif, la Sicad, chargé de mettre aux enchères quelques dollars de plus à un prix plus élevé — environ 11,3Bs/USD au dernier pointage. L’objectif de la manœuvre ne trompe à peu près personne : le gouvernement Maduro prépare la prochaine dévaluation ; laquelle ne sera pas suffisante pour rétablir les importations mais largement assez importante (à 11,3Bs/$, cela ferait du -44,25%) pour ruiner encore un peu plus le pouvoir d’achat des vénézuéliens.
La révolution bolivarienne ne marche plus, elle court. La suite au prochain numéro…
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[1] La Comisión de Administración de Divisas, créée par Chavez le 5 février 2003 en même temps que le contrôle des changes lui-même.
[2] Voir la page du Troubled Currencies Project.L’équipe du Pr. Hanke utilise une parité de $ 1 = Bs 73,42 (19/01/2014).
[3] Ironie du sort, c’est aussi le cas de PDVSA qui, privé de ses dollars, ne peut plus investir sans s’endetter massivement.
[4] Au total les compagnies aériennes auraient l’équivalent de 3,3 milliards de dollars au taux officiel bloqués en bolivars pour cause de contrôle des changes. Les revendre au taux du marché signifierait une perte de 92% de ce montant.
C'est amusant, les même causes qu'en Argentine provoquent les mêmes effets.
RépondreSupprimerEspérons qu'un jour les apologètes de ces régimes cesseront de se cacher derrière leur petit doigt.
Il me semble que le Venezuela doit importer plus de 50% de ce qu'il consomme en pétrole. Donc même dans ce secteur, c'est le désastre.
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