Lorsque Jean de la Fontaine publie son recueil de fables en 1668, voici à quoi ressemblait La Grenoüille qui ſe veut faire auſſi groſſe que le Bœuf :
Une Grenoüille vid un Bœuf,
Qui luy ſembla de belle taille.
Elle qui n’eſtoit pas groſſe en tout comme un œuf,
Envieuſe s’eſtend, & s’enfle & ſe travaille,
Pour égaler l’animal en groſſeur ;
Diſant, Regardez bien, ma ſœur,
Eſt-ce aſſez ? dites-moy : N’y ſuis-je point encore ?
Nenny. M’y voicy donc ? Point du tout. M’y voila ?
Vous n’en approchez point. La chetive pecore
S’enfla ſi bien qu’elle creva.
Un peu moins d'un siècle plus tard, dans une édition de 1755, la conjugaison du verbe voir s'affirme, des i remplacent certains y et les accents commencent à se mettre en place (n'eſtoit → n'étoit ; s'eſtend → s'étend) :
Une grenouille vit un Bœuf,
Qui lui ſembla de belle taille.
Elle qui n'étoit pas groſſe en tout comme un œuf,
Envieuſe s'étend, & s'enfle, & ſe travaille,
Pour égaler l'animal en groſſeur,
Diſant : regardez bien, ma ſoeur,
Eſt-ce aſſez ? Dites-moi, n'y ſuis-je point encore ?
Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà ?
Vous n'en approchez point. La chetive pécore
S'enfla ſi bien, qu'elle creva.
Dans l'édition de 1788, Le s-long disparaît au profit du s-rond, les esperluettes (&) deviennent des et, les accents progressent encore et on fait des essais de ponctuation :
Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'étoit pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur ;
Disant : Regardez bien, ma sœur,
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ? =
Nenni. = M'y voici donc ? = Point du tout. = M'y voilà ? =
Vous n'en approchez point. La chétive pécore
S'enfla si bien, qu'elle creva.
C'est vers 1813 que l'imparfait prend sa forme moderne et que les règles de ponctuation commencent à se fixer :
Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur ;
Disant : Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ? -
Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ? -
Vous n'en approchez point. La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Pour la fine bouche, si la Fontaine avait écrit ces vers au début du XVIIe siècle, voici ce à quoi ils auraient probablement ressemblé :
Une Grenoüille vid vn Bœuf,
Qui luy ſembla de belle taille.
Elle qui n’eſtoit pas groſſe en tout comme un œuf,
Enuieuſe ſ’eſtend, & ſ’enfle & ſe trauaille,
Pour égaler l’animal en groſſeur ;
Diſant, Regardez bien, ma ſœur,
Eſt-ce aſſez ? dites-moy : N’y ſuis-ie point encore ?
Nenny. M’y voicy donc ? Point du tout. M’y voila ?
Vous n’en approchez point. La chetiue pecore
S’enfla ſi bien qu’elle creua.
Pour finir, voici la version actuelle qui ne se distingue de la version de 1813 que par l'utilisation des guillemets typographiques :
Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s’étend, et s’enfle et se travaille,
Pour égaler l’animal en grosseur,
Disant : « Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
- Nenni. - M’y voici donc ? - Point du tout. - M’y voilà ?
- Vous n’en approchez point. » La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva.
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