Avec un Price-to-Earnings Ratio (cours sur bénéfices nets) désormais nettement supérieur à 20, le marché des actions américaines apparaît désormais très cher et même, selon nombre de commentateurs, trop chers. Cela fait plusieurs mois que le mot en B (« bulle ») a été prononcé [1] et force est de reconnaître que, sur la seule base de ce ratio, c’est effectivement le cas. Néanmoins, un rapide retour sur la théorie de la valorisation donne un éclairage tout à fait différent.
Si le PER est un ratio très couramment utilisé sur les marchés, les chercheurs qui s’intéressent à la valorisation des actions utilisent plus volontiers son inverse : le Earnings Yield. En notant $E$ le niveau actuel des bénéfices nets et $P$ le prix du marché, le Earnings Yield s’écrit simplement :
$$\frac{E}{P} $$C’est donc la même mesure mais exprimée sous forme de taux plutôt que de ratio. Si nous utilisons plus volontiers cette présentation c’est que, contrairement au PER, elle a une signification très précise. En substance, si vous considérez le modèle d’actualisation de cash-flows suivant :
$$ P_0 = \sum_{t=0}^\infty \frac{E_t}{(1+k)^t} $$Et si vous supposez de surcroît que les bénéfices net ($E_t$) resteront constant (c’est-à-dire que tous les $E_t$ sont égal à un seul et unique $E$) alors, le taux d’actualisation du modèle ($k$) nous est donné par le Earnings Yield. En d’autres termes, dans un modèle d’actualisation de bénéfices nets constants, le Earnings Yield est, par définition, le taux de rendement interne de l’action ou du marché considéré.
À fin juin, sur la base des estimations de Standard & Poor’s, le Earnings Yield du S&P 500 était de l’ordre de 9.55% — ce qui reste relativement faible au regard de l’histoire sur longue période.
Mais la valorisation du marché des actions ne saurait être considérée isolément des autres actifs. En tant qu’investisseurs, nous ne cherchons pas tellement à savoir si les actions sont chères ou bon marché : nous souhaitons surtout avoir s’il vaut mieux investir sur des actions ou sur une alternative peu risquée comme, typiquement, les obligations d’État à long terme. En d’autres termes et puisque nous disposons d’une estimation grossière du taux de rendement interne des actions, nous souhaitons comparer ce dernier au taux des obligations.
Voici, par exemple, le Earnings Yield du S&P 500 comparé au taux des obligations d’État américaines à 10 ans (10-Years Treasuries) depuis 1988.
Comme vous pouvez le constater, le Earnings Yield du S&P 500 est, ces dernières années, nettement plus attractif que le taux des Treasuries à long terme. Très concrètement, ça signifie qu’en supposant que les bénéfices nets des actions qui composent le S&P 500 restent constants, nous avons les meilleurs raisons du monde d’investir que le marché des actions plutôt qu’en obligations d’État.
Néanmoins, ce graphique pose un problème : jusqu’au milieu des années 2000, le taux de rendement interne des actions était inférieur à celui des obligations d’État. Non seulement ça ne correspond pas du tout à la réalité des rendements observés depuis mais c’est théoriquement impossible : les actions étant plus risquées que les obligations souveraines, leur taux de rendement ex-ante devrait être supérieur ; c’est-à-dire que la prime de risque des actions devrait toujours être nettement positive.
Cette apparente contradiction s’explique très simplement : les coupons et la valeur d’amortissement d’une obligation à taux fixe restent constants dans le temps mais, dans le cas d’une action, nous avons quelques raisons d’anticiper que les dividendes, les résultats net et le prix iront croissant dans le temps. De fait, si on limite l’analyse aux trente dernières années, les bénéfices enregistrés par le S&P 500 ont augmenté d’environ 5% par an.
Nous sommes donc fondés à modifier notre modèle de valorisation du marché des actions pour y intégrer un taux de croissance ($g$) des bénéfices. C’est une variante du Gordon Growth Model avec $E_1$ le niveau estimé des bénéfices nets dans 1 an :
$$ P_0 = \frac{E_1}{k-g} $$Avec un peu d’algèbre, vous pouvez facilement vérifier que notre taux de rendement interne ($k$) s’écrit simplement :
$$ k = \frac{E_1}{P_0} + g $$En retenant un taux de croissance des bénéfices ($g$) de 5%, voici les taux de rendement interne du S&P 500 et des Treasuries à 10 ans depuis 1988 :
Cette fois-ci, la prime de risque des actions est bel et bien positive (5.2% en moyenne) — ce qui, incidemment, est conforme à la superformance à long terme du S&P 500 par rapport aux Treasuries à 10 ans. Graphiquement, voici l’évolution de la prime de risque du S&P 500 depuis 1988 :
Évidemment, ça reste une estimation grossière (il faudrait, notamment, lisser les bénéfices pour ne pas tenir compte des mouvements de court terme comme la chute de 2009) mais vous conviendrez que, vu sous cet angle, le marché des actions est nettement plus attractif que ce que suggère un simple PER considéré isolément.
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[1] Ça viendra mais je pense que nous n’y sommes pas encore.
Il faut aussi prendre en compte la manipulation des taux d’intérêts, donc le coût du risque, donc les prix, par la FED (et la BCE)...
RépondreSupprimerSi les prix sont manipulés, si le coût de l'argent est manipulé, toute la démonstration, au demeurant mathématiquement et financièrement parfaitement juste, peut se révéler économiquement fausse...
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