Question : combien vaut une rente de 1 000 euros annuels, payables dans un an et pour les 17 années suivantes, le tout assortie d’une garantie publique notée Aaa ?
Une manière simple de répondre à cette question consiste à reproduire le portefeuille d’obligations d’État qui permettrait d’obtenir le même résultat. En l’occurrence et sur la base des données de la BCE (au 19 mai 2014), il vous faudra placer un total de 14 640,5 euros répartis (je vous passe les détails) sur des émissions à 1, 2, 3, … 16 et 17 ans.
Maintenant, prenons le cas d’un groupe d’individus qui, en moyenne, prennent leur retraite à 65 ans, peuvent compter sur une espérance de vie de 82 ans [1] et touchent une pension garantie par l’État de 32 400 euros par an. Comme précédemment, on peut estimer la valeur actualisée de cet avantage à environ 474 353 euros. C’est-à-dire que lorsqu’un des membres de ce groupe théorique [2] part à la retraite, il reçoit sous forme de rente l’équivalent de près d’un demi-million d’euros ; sachant, vous l’aviez compris, que plus les taux sont bas, plus la valeur actuelle nette du package est élevée (et je vous passe les aspects fiscaux).
En gardant cette idée en mémoire, demandez-vous pourquoi l’homo sapiens typique cherche à se composer un patrimoine durant toute sa vie active. Bien évidemment et dans l’immense majorité des cas, il essaie de se constituer un socle de capital qui, une fois l’heure de la retraite venue, lui permettra de cesser de travailler et de profiter de ses vieux jours. Il existe, bien sûr, d’autres motifs à plus court terme — épargne de précaution (assurance santé ou chômage), études des enfants, projet d'acquisition… — mais vous me permettrez de me limiter à celui qui me semble le plus important : l’épargne-retraite [3].
De là, vous pouvez imaginer le cas de Paul et Jacques, deux individus qui, le même jour, prennent leur retraite. Ils ont tous les deux 65 ans, peuvent tous les deux compter sur une espérance de vie de 82 ans et, l’un comme l’autre, se sont arrangés pour toucher un revenu annuel de 32 400 euros pendant dix-sept ans. Seulement voilà, là où Paul a épargné toute sa vie et vient de constituer le portefeuille obligataire que j’évoquais plus haut, Jacques, lui, bénéficie d’un système de retraite publique.
Vous me direz, au risque que prend Paul de vivre au-delà de 82 ans près [4], leur situation est identique.
Pas tout à fait : la grande différence, c’est que du point de vue de l’administration fiscale — et de Piketty — Paul est un riche qu’il convient de taxer lourdement pour réduire les inégalités de patrimoine tandis que Jacques, lui, est un pauvre qu’il convient sans doute de subventionner pour la même raison. Notez bien que l’un comme l’autre sont riches d’une créance sur l’État et que la seule chose qui diffère entre leur deux situations c’est que ladite créance apparait au bilan de Paul tandis que pour Jacques, c’est du hors-bilan ; c'est du shadow capital [5].
De manière assez amusante — pour peu que vous ayez l’humour grinçant — il semble que les grands pourfendeurs des inégalités de patrimoine considèrent que la valeur actualisée des retraites publiques est nulle. Pour un peu, on pourrait croire qu’ils cherchent à nous faire passer un message…
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[1] On suppose une parité hommes/femmes.
[2] Toute ressemblance avec nos députés est naturellement fortuite.
[3] Il va de soi que vous pouvez reproduire le même genre de calculs pour toutes les formes d’assurances.
[4] Le risque a un prix : en l’occurrence, Paul devra amasser un peu plus de capital ou prendre un peu plus de risques pour couvrir celui-là.
[5] Je viens de l'inventer (ou, du moins, je crois).
Excellent ! Je fais suivre...
RépondreSupprimerCe capital hors bilan accumulé par les fonctionnaires et les politiciens devrait entrer dans le calcul de l'ISF, histoire d'arroser l'arroseur.
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