Cette fois-ci, c’est l’inénarrable Paul Jorion qui s’y colle dans un article publié le 26 septembre 2013 sur challenges.fr : « il faut, nous assène l’histrion médiatique, supprimer la spéculation. »
Nous-y revoilà. C’est une antique tradition. Déjà, sous l’Ancien Régime, on avait coutume de faire porter le chapeau des aléas climatiques et des politiques imbéciles aux accapareurs ; aujourd’hui, force est de constater que rien n’a changé et qu’on trouve toujours, à la barre du tribunal révolutionnaire, un accusateur public prêt à dénoncer les méfaits des spéculateurs. Si les prix montent, qu’on les pende ; si les prix baissent, qu’on promène leur tête au bout d’une pique ! Au royaume du mensonge, la dénonciation de l’ennemi du peuple tient toujours lieu de pensée.
Plutôt que de rentrer dans un débat théorique, je vous propose une approche purement expérimentale, une vérification empirique qui, si elle ne satisfait sans doute pas les conditions requises sur une paillasse – c’est le lot commun des sciences sociales – a au moins le mérite de mettre nos inquisiteurs dans une position quelque peu inconfortable.
Il se trouve que la providence et le lobbying des producteurs d’oignons américain nous ont offert un cas d’école tout à fait exceptionnel : c’est le Onion Futures Act, législation étasunienne entrée en application le 22 août 1958, qui interdit purement et simplement la négociation de contrats futures sur les oignons.
Nous allons donc comparer la variabilité du prix des oignons [1] à celle du prix d’une matière première régulièrement décriée pour l’intense spéculation dont elle fait l’objet, j’ai nommé le pétrole [2], de février 1986 jusqu’à décembre 2010 [3].
Voilà à quoi ça ressemble :
Juste pour vous donner un ordre de grandeur, le prix du sac d’oignons de 50 livres est passé de 12,99 dollars en février 2010 à 25,75 dollars le mois suivant. D'une manière générale, l’écart-type des variations mensuelles de prix sur le marché hautement spéculatif – celui du pétrole – atteint 9,97% ; sur le marché dûment protégé de la spéculation par le législateur, il atteint 26,17%.
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[1] Source : USDA, Prix de gros des oignons frais à Chicago (données mensuelles de 1970 à 2010, en USD par sac de 50 livres).
[2] Source : EIA, prix FOB du West Texas Intermediate (WTI) (données quotidiennes de 1986 à aujourd’hui, en USD par baril).
[3] N’y voyez aucune malice : je prends les dates disponibles.
Edit 2013-09-27 @ 16:05 :
À la demande générale, les oignons conte l’indice S&P 500 (Jan 1970 – Dec 2010).
Guillaume, n'aurais-tu pas les mêmes données pour les oignons avant et après le 22 août 1958?
RépondreSupprimerJe crains que non. Je n'arrive pas à remonter au-delà de 1970.
RépondreSupprimersacré Paul !
RépondreSupprimerBonjour, Ne serait-il pas plus pertinent de comparer la volatilité du prix de l'onion avec celui d'une autre denrée périssable, et dont la production est fortement impactée par les conditions climatique (par exemple le mais) ?
RépondreSupprimerDes informations sur la volatilité de l'époque sur
http://naldc.nal.usda.gov/download/CAT73370219/PDF
En effet cet article procède d'une grossière erreur de raisonnement en comparant deux « volatilités » dont les causes sont peut-être sans relation aucune.
SupprimerQue le marché de l'oignon soit à la l'abri de variations spéculatives n'exclut nullement qu'il soit soumis à d'autres causes de variations…
Si j'ai bien suivi ce que dit Paul Jorion, dont le magazine Challenge donne une version erronné, il ne demande absolument pas d'abroger la spéculation mais la spéculation qui se fait sur la spéculation. Ainsi, spéculer sur les prix du kilo d'oignon ne pose pas de problème en revanche spéculer sur la variation du prix du kilo d'oignon en pose un.
RépondreSupprimerCe qu'il a le plus dénoncé ces dernières années, et à juste titre, ce sont par exemple les naked credit swaps qui s'apparente ni plus ni moins à des paris. Quand une banque se lance dans ce type de spéculation, elle ne cherche nullement à couvrir son risque mais à se faire de l'argent sur la base d'informations qu'elle est seule (ou pas) à détenir. Cela conduit à des crises parfaitements inutiles et qui ne représentent n'a plus aucun lien avec l'économie réelle. Il faut lire le blog de Jorion pour bien comprendre ce qu'il raconte.
Dans le lien vers wikipedia que vous donnez, il y a un début de discussion sur l'effet de la prohibition des futures sur la volatilité des cours.
RépondreSupprimerLa question semble assez difficile à trancher dans les années 60, aucune thèse ne l'emportant sur l'autre.
Mais: "In the 2000s (decade), onion prices were significantly more volatile than corn or oil prices. This volatility led the son of a farmer who initially lobbied for the ban to advocate a return to onion futures trading."
A partir des années 2000, le cours de l'oignon devient "significativement" plus volatile que celui du maïs ou du pétrole.
Le fils du fermier qui avait milité pour la prohibition des futures serait aujourd'hui un fervent avocat de la déréglementation.
Et ça, c'est indépendant des polémiques sur la mesure du phénomène, qu'on pouvait encore avoir dans les années 60, parce que le phénomène de plus grande volatilité est "significatif" à partir des années 2000.
D'où la question: qu'est-ce-qui s'est passé en 2000?