Par Liberté, nous entendons la situation d’un homme qui peut agir sans être soumis à la volonté arbitraire d’un autre. Cette définition appelle plusieurs remarques importantes. Primo, il n’est pas ici question d’un état de fait théorique qui permettrait à un homme de faire tout ce qu’il veut ; nous restons contraint par la réalité qui, par exemple, interdit à nos semblables de voler par leurs propres moyens. Ce que nous appelons Liberté, c’est l’absence de coercition exercée par un autre homme ou un groupe d’hommes. Deuxio, il va de soi que cette définition présuppose d’existence d’un libre-arbitre : sans volonté comme moteur de l’action, la Liberté n’a aucun sens. Enfin, et c’est sur ce point que je souhaite insister, la Liberté est – par définition – individuelle.
La Société libre est une société dans laquelle les hommes sont libres individuellement. Il s’agit, bien sûr, d’un idéal vers lequel nous souhaitons tendre tout en sachant qu’il ne peut être atteint puisque que, comme le rappelle le vieil adage, « la Liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. » L’idéal d’une société aussi libre que possible repose donc sur l’existence d’un ensemble de règles et d’institutions qui garantissent qu’aucun homme n’est soumis à la volonté arbitraire d’un autre. C’est tout le sens de l’article IV de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui stipule que « l’exercice des droits naturels [1] de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. »
On lit souvent, généralement sous la plume de celles et ceux qui expriment par ailleurs leur méfiance ou leur réprobation de la Liberté telle que nous l’avons définie, les termes de « peuple libre » ou de « liberté politique ». Selon ces auteurs, un peuple est dit libre lorsqu’il dispose de libertés politiques ; c’est-à-dire qu’il est en droit, à divers degrés, d’influer sur les décisions publiques et leur mise en œuvre – principalement le choix du gouvernement, l’élaboration des lois et le contrôle de l’administration. C’est-à-dire qu’un peuple est présumé libre dès lors qu’il vit en Démocratie.
Ce dont il est ici question, c’est d’une liberté collective qui ne peut se comparer à notre définition de la Liberté que si et seulement si tous les citoyens votent d’une seule et même voix. De fait, comme le note Hayek, « un peuple libre en ce sens-là n’est pas nécessairement un peuple d’hommes libres » puisque la volonté arbitraire de uns – typiquement la majorité – peut contraindre la Liberté des autres – la minorité. Symétriquement, note l’auteur de la Constitution de la Liberté, « il n’est pas nécessaire non plus que quelqu’un ait part à cette liberté collective pour être libre individuellement » [2] ; c’est le cas, typiquement, d’un étranger qui ne dispose pas du droit de vote – et n’a donc pas de « libertés politiques » – mais vit dans un pays où les lois garantissent ses libertés individuelles.
Dans cette définition de la liberté, le peuple est considéré comme un tout, une entité supérieure et distincte de la réunion de ses membres. Le fait qu’un ou plusieurs membres de la Société ne soient pas en accord avec les choix « du peuple » y est, au mieux, ignoré et au pire sévèrement réprimé. L’histoire fourmille d’exemple de peuples libres qui ont usé de leurs libertés politique pour désigner des gouvernements qui, en retour, les ont privés de presque toutes leurs libertés individuelles [3] ; comme si des esclaves étaient présumés libres dès lors qu’ils peuvent élire leur maître.
La Démocratie, n’en déplaise à celles et ceux qui se paient de ces théories politiques fumeuses qui n’entretiennent avec la réalité qu’un rapport lointain (contrat social, consentement à l’impôt et tutti quanti), n’est en rien garante de nos Libertés. La Démocratie, disait Thomas Jefferson, n’est rien de plus que la loi de la foule, suivant laquelle 51% des gens peuvent confisquer les droits des 49 autres ; la « liberté politique », c’est le droit que s’arroge la majorité de priver la minorité de ses Libertés ; certains – peu nombreux il est vrai – n’hésitent pas à écrire que le peuple nord-coréen est libre.
Faut-il pour autant rejeter le principe démocratique ? Certainement pas. De Tocqueville à Hayek en passant par Winston Churchill qui l’a si magnifiquement résumé, on sait que la Démocratie est « la pire des formes de gouvernement – l’exception de toutes les autres. » Malgré tous ses défauts, le principe démocratique reste la forme de gouvernement qui présente les meilleures garanties contre l’arbitraire, le pouvoir d’un seul et la disparition des libertés individuelles. Ses faiblesses sont connues, ses défenses ont régulièrement cédé mais nous n’avons tout simplement pas de meilleure option, elle est, pour suivre Karl Popper, notre seul espoir.
La quête de celles et ceux d’entre nous qui veulent vivre dans une société libre et qui se reconnaissent sous l’appellation commune de libéraux [4] ne doit donc pas viser à dépasser la démocratie, à trouver une forme alternative de gouvernement, mais, bien au contraire, à découvrir les institutions démocratiques les mieux à mêmes de garantir la Liberté. Pour ce faire, nous bâtissons sur les épaules des géants qui nous ont précédés et c’est – fondamentalement – à un effort de synthèse que nous devons nous atteler. Je crois pour ma part que l’avènement de la Société libre passe en priorité par la redéfinition d’un contrat social – c’est-à-dire d’une Constitution qui repose clairement les droits des Citoyens ; une Constitution qui, inscrivant dans le marbre les principes supérieurs de la Loi, limite l’étendue de la « chose publique » et, par là même, le domaine de compétence de l’État.
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[1] La Liberté, malheureusement mal définie comme consistant « à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », étant expressément désignée comme le premier de ces droits.
[2] Friedrich Hayek, La Constitution de la Liberté, trad. Raoul Audouin et Jacques Garello.
[3] Hernando de Soto notait, non sans humour, que « le Pérou est un pays démocratique : tous les cinq ans, on y élit un dictateur. »
[4] Le terme de « libertarien » - outre le fait qu’il sonne affreusement – est un aveu d’échec. Charge à nous de redonner tout son sens au mot « libéral ».
Intéressante contradiction dans les termes entre les premiers et le dernier paragraphe qui ne parvient pas à faire directement le lien avec la réalité politique de cette contradiction.
RépondreSupprimerOn ne saurait mieux l'illustrer concrètement par le fait que la Constitution des USA, écrite au nom de "The People" est fondamentalement différente des constitutions européenne écrites au nom des "peuples".
En effet, "People", en américain, ne veut pas dire "peuple" au sens de, au hasard, le "peuple allemand". On a vu le retour du sens de ce mot en français avec l'entrée dans le vocabulaire de l'expression "les people" venu du magazine new-yorkais "People" qui veut bien dire "Les gens (célèbres ou célébrés)".
En américain, "People" veut donc bien dire "les gens", un ensemble d'individus différenciés mais réunis par un Etat.
La Démocratie Américaine ne défend donc pas la liberté d'un "peuple" indifférencié mais d'un ensemble d'individus dont le seul lien est d'avoir tous, absolument tous, les droits définis par l'Etat de droit lui-même défini par sa Constitution.
Rappelons à ce sujet que l'Europe vient de célébrer la naissance d'un garçon qui affirme clairement que non, les hommes ne naissent pas libres et égaux en droits en Union Européenne. Et qu'évidemment, il est toujours hors de question que ça change.
On peut aussi remarquer plus précisément comme l'article ne le fait malheureusement pas qu'aujourd'hui en Europe, le mot peuple n'est véritablement opérant que dans le vocabulaire des partisans du totalitarisme. Raison pour laquelle "le peuple" est une des expressions favorites de tous les démagogues comme la famille le Pen, Mélenchon ou les journalistes de l'Humanité.
Il n'est pas innocent que Friedrich Hayek, profondément Européen dans l'âme, n'est jamais parvenu à surmonter cette contradiction. Raison pour laquelle ses réflexions sur la Constitution restent nulles et non avenues, en particulier pour l'Europe. Il n'est pas innocent non plus qu'il finit par devenir fonctionnaire britannique alors qu'il eu la possibilité de devenir citoyen américain...
On trouve évidemment la conséquence de cette problématique dans la soit-disant "constitution" européenne dont le préambule commence à ce sujet par une invocation (PERSUADÉS que les peuples d'Europe...) qui dit bien quelle est la véritable nature de ce projet politique.
http://constitution-europeenne.info/texte.htm
C'est la raison pour laquelle on peut légitimement comprendre la soit-disant "constitution" européenne comme la dernière pierre du mur érigé en Europe contre la Démocratie. Imposée contre une majorité de citoyens de l'Union Européenne sous le nom de traité de Lisbonne, elle symbolise à elle seule plus de deux siècles de défaites de la Démocratie en Europe.
Contradiction que l'auteur de l'article, Européen entre les Européens, ne parvient pas à résoudre faute de parvenir à l'ancrer dans la réalité.
C'est un bon exemple d'une des principales raisons, entre de nombreuses autres, qui fait que la Démocratie reste vaincue en Europe.
Dommage.
Anonyme,
RépondreSupprimerJe ne vois pas très bien où vous voyez une contraction. Je ne fais, à aucun moment, référence à la constitution européenne et il me semble avoir clairement dénoncé cette imposture qui consiste à désigner « le peuple » (quel qu’il soit) comme une entité monolithique réputée unie dans sa liberté collective.
Le peuple, pour Hayek, comme pour Hamilton, Madison et les autres rédacteurs de la Constitution des États-Unis et comme ceux qui ont rédigé notre DDHC, n’a jamais rien été d’autre que l’assemblé des Citoyens, hommes libres, sur l’agora de la Cité. Que le nationalisme européen lui ait donné, par la suite, un sens métaphasique n’y change rien.
Typiquement, lorsque vous évoquez le « peuple allemand », vous semblez confondre la vision construite à partir de Bismarck, celle-là même qui servira de viatique à Hitler, de celle qui lui préexistait (lire, à ce propos, Le Gouvernement omnipotent de Mises).
Quant à votre remarque sur Hayek, enfin, il faut se souvenir qu’avant d’émigrer à Chicago, il avait été citoyen britannique pendant près de 20 ans, que c’est le Royaume Uni qui l’avait accueilli alors que son Autriche natale était désormais sous le joug des nazis et qu’Hayek se définissait lui-même comme un Hold Whig, s’inscrivant ainsi dans une tradition intellectuelle et politique libérale typiquement anglaise – laquelle se trouve être une des principale source d’inspiration de We The People etc…
Pour répondre simplement.
RépondreSupprimerHayek,a eu le choix entre vivre la Liberté concrètement, sous "We The People", ou revenir au Royaume-Uni, contre lequel s'est défini "We The People".
Parce que la principale inspiration venue de la politique typiquement anglaise, y compris la politique dite "libérale", c'est un rejet total par "We The People".
C'est typique du "libéralisme" qui ne conçoit le discours sur la "Liberté" que comme un discours sans la moindre exigence de le faire passer dans une réalité concrète.
C'est en ce sens que le "libéralisme", comme le "socialisme", tous deux nés vers 1820 en héritage de l'Ancien Régime, en particulier l'héritage de l'Ordre des Clercs, n'est qu'un discours.
Il refuse catégoriquement de le confronter à des échéances politiques du présent.
Excellent billet, merci.
RépondreSupprimerUn point sur votre note 4. Nous libéraux français sommes un peu déformés par notre statut ultraminoritaire. Nous avons trop tendance à chercher la difficulté "for the sake of it".
Le mot libéral est mort, chargé de tous les maux par toute la classe politico-médiatique.
A contrario le mot liberté a toujours une excellente image, et de plus en plus.
Pourquoi s’arque-bouter sur la réhabilitation de "libéral"? Parlons de liberté. Parti de la liberté, partisan de la liberté.
Vous avez intitulé votre billet "de la liberté politique". C'est bien plus puissant que "du libéralisme".