Lettre ouverte à Najat Vallaud-Belkacem

Madame,

Vous souhaitez abolir la prostitution.

Je veux vous dire avant toute chose que je ne doute pas un instant de votre sincérité. J’ai bien pris note que votre position abolitionniste n’est ni moralisatrice, ni paternaliste ; qu’elle n’est motivée que par une sincère compassion pour ces jeunes femmes, souvent victimes de réseaux mafieux et de proxénètes violents, qui se prostituent non par choix mais parce qu’on les y oblige. Si ma raison, le peu d’intelligence dont je crois être capable, me suggérait qu’une telle politique avait ne serait-ce que la plus infime chance d’améliorer le sort de ces femmes, croyez bien que je vous soutiendrai corps et âme. Seulement voilà : je crois que vous commettez là une grave erreur et que la prohibition que vous appelez de vos vœux fera beaucoup plus de mal que de bien.

La première chose que vous devez admettre, c’est que vous ne parviendrez jamais à abolir la prostitution. Vous aurez peut être l’illusion d’y être parvenu ; mais ce ne sera jamais rien d’autre qu’une illusion qui ne trompera que celles et ceux qui voudront bien y croire. La prostitution, que l’on évoque souvent – et probablement à tort – comme « le plus vieux métier du monde », existe parce que certains hommes ne peuvent pas satisfaire leurs désirs dans le cadre d’une relation à titre gracieux et parce que certaines femmes, poussées par la pauvreté ou en quête d’indépendance financière, acceptent de leur vendre ce service. Le désir masculin, le fait que certains hommes aient plus de succès que d’autres auprès de la gent féminine, que des couples soient plus ou moins biens assortis, la pauvreté et le fait que certaines femmes acceptent de se prostituer sont autant de constantes qu’aucune politique ne fera jamais disparaître. Peut être parviendrez-vous à ne plus la voir mais soyez sûre que, même sous un régime prohibitionniste, la prostitution continuera à exister. La véritable question est de savoir dans quelles conditions.

En poursuivant les clients, vous les obligerez à se montrer plus prudents, vous forcerez ainsi les prostituées à trouver des solutions pour leur offrir plus de discrétion, plus de clandestinité. Bien sûr, l’organisation d’un marché clandestin implique des coûts et une organisation adaptée : très rapidement, les indépendantes disparaîtront au profit de réseaux organisés capables d’organiser de telles rencontres.

La demande et la concurrence se faisant plus rares, ces réseaux pourront compenser les risques induits par votre politique en augmentant leurs tarifs. Mais n’ayez aucune illusion : les prostituées, elles, ne toucheront pas un centime de plus ; bien au contraire, ce sont les réseaux mafieux qui seront les principaux bénéficiaires de la prohibition. Des clients qui acceptent de payer plus cher, une main d’œuvre désormais totalement dépendante : il n’en faut pas beaucoup plus pour que le proxénétisme devienne une activité extrêmement lucrative. Forts de leurs pactoles et des perspectives florissantes de leurs activités, les réseaux pourront alors investir pour éliminer physiquement la concurrence, organiser leurs trafics à plus grande échelle et capturer encore plus de victimes non-consentantes dans leurs filets.

À l’abri des regards, les prostituées seront désormais livrées pieds et poings liés à leurs proxénètes qui pourront leur imposer des conditions de travail encore plus indignes tandis que les clients devront se contenter de ce que leur offre le réseau qui aura su se faire connaître d’eux : hygiène dégradée, absence de préservatifs… Il est inutile, je crois, de pousser plus avant la description de l’abjecte cloaque que vous vous apprêtez à créer.

Les politiques de prohibition – de l’alcool, de la drogue comme de la prostitution – n’ont jamais eut d’autres conséquences que de nourrir le crime organisé au dépens du reste de la société. C’est le gouvernement des États-Unis qui a fait la fortune d’Al Capone plus que n’importe qui d’autre. Si, comme j’en suis sincèrement convaincu, votre objectif est d’aider ces jeunes femmes, c’est précisément la politique inverse qu’il vous faut mettre en œuvre : légalisez la prostitution et abrogez la loi de 1946 qui interdit les maisons closes. Vous porterez ainsi un coup fatal aux réseaux de proxénétisme clandestins et vous permettrez aux prostituées de travailler de leur plein grès et dans conditions d’hygiène acceptables.

Au-delà des partis-pris idéologiques et des impératifs de la communication gouvernementale, les décisions que vous vous apprêtez à prendre seront lourdes de conséquences pour la vie de milliers d’anonymes. Souvenez-vous, de grâce, que les bonnes intentions ne suffisent pas – l’enfer, dit-on, en est pavé – et que, comme l’écrivait Karl Popper, « nos plus grands problèmes trouvent leur source dans quelque chose d’aussi admirable et sensé que dangereux : dans notre impatience à améliorer le sort de nos semblables. [1] »

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[1] Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis (1945), préface de la deuxième édition.

5 commentaires:

  1. Vous avez raison sur le fond du sujet, tord de vouloir convaincre un socialiste.
    Un socialiste ne veut pas le bien d'un pauvre ou d'une prostituée. Il veut légiférer, créer une mesure coercitive. Une mesure coercitive, qui, comme elle ne donnera pas de résultat satisfaisant donnera lieu à d'autres mesures coercitives. Qui s'appliqueront d'ailleurs non pas ici aux proxenetes mais aux clients. Qui finiront en prison. Mais cela ne suffira évidemment pas. Et qui nous expliqueront que c'est lieu à la misère sexuelle, à la pauvreté, au chomage, aux riches exploiteurs ... et alors nos socialistes créeront de nouvelles mesures coercitives. Car l'homme doit être rééduqué et penser conforme. Et il faudra suffisamment de mesures et de lois pour que la pensée non conforme soit bannie. Méfiez vous!

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    1. L'abolition de la prostitution fera la part belle aux réseaux tout comme la régularisation des clandestins fait la part belle aux réseaux de passeurs qui se font du beurre sur le dos des candidats à l'exil. Il ne faut jamais oublier que les socialistes sont toujours du côté de la mort et qu'ils se délectent de la souffrance humaine qu'ils exploitent à leur profit et celui des voyous dont ils sont les complices.

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  2. EMMANUEL FRAGA26/06/2012 18:38

    Je suis d'accord sur le fait qu'interdire la prostitution ne fait que la clandestiniser d'avantage, on l'a constaté avec la loi dite "Marthe Richard" et exposer les femmes qui se prostituent par contrainte, à des sévices et à la violence des réseaux.
    On oublie "peut être dans une optique moralisatrice" que la prostitution peut être volontaire et par choix et n'est pas seulement féminine mais aussi masculine.
    Une femme qui se prostitue n’est pas plus condamnable qu’une femme qui se marie par intérêt, pour avoir reconnaissance et confort matériel, elle est seulement plus honnête.
    Il faut légaliser la prostitution –question de santé publique- et donner aux prostitue(é)s les mêmes droits que tous les citoyens à commencer par la protection judiciaire.

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  3. Quel aveu d'impuissance de la part d'un état qui accapare 56 % des richesses produites.
    Incapable de combattre le proxénétisme, incapable de remplir correctement ses taches régaliennes, l'état va gaspiller l'argent qu'il a volé aux Français pour emmerder des "adultes consentants".

    L'état va encore fabriquer des criminels ( au sens pénal) - les clients - alors qu'il n'y a pas de victimes.
    Lorsqu'un homme et une femme passe, sans contrainte, un contrat pour échanger de l'argent contre une prestation sexuelle, il n'y a pas de victime.

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  4. c'est une excellente lettre ouverte !

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