Sur Atlantico.fr, Robin Rivaton attribue la fameuse « désindustrialisation » aux délocalisations et donc, à la mondialisation. Un petit détour par les faits s’impose.
D’après les chiffres de l’Insee, le poids de notre industrie manufacturière [1] est passé de 18% du PIB en 1970 à 8% en 2010. En 1970, ce secteur de notre économie employait environ 4.4 millions de personnes ; en 2010, ce chiffre est tombé à 2.3 millions – soit une chute de 48%. Voici donc pour les observations qui font penser et dire à certain que la liberté des échanges internationaux détruit notre industrie.
Voici quelques faits complémentaires.
De 1970 à 2010, après ajustement de l’inflation, la production et la valeur ajoutée de notre industrie manufacturière ont plus que doublé. En d’autres termes, si « désindustrialisation » il y a, cette dernière n’est que relative : notre industrie produit beaucoup plus qu’autrefois mais d’autres activités, en l’espèce les services, ont tout simplement progressé plus vite.
Autre remarque importante, ce phénomène de baisse du poids de l’industrie dans notre économie n’est pas récent. De 19.7% en 1960, le poids des branches manufacturières dans notre PIB baisse régulièrement depuis. Si le phénomène a été nettement plus marqué lors de la dernière décennie, il n’est pas nouveau pour autant. De la même manière, en matière d’emplois, le recul de l’industrie commence dans les années 1980 : par exemple, de 1980 à 1990, le secteur a « perdu » 754 mille emplois soit 15 mille de plus que ces dix dernières années.
Enfin – et je me base ici sur des données des Nations Unies – ce phénomène n’est pas spécifique à la France, ni à la zone Euro… Il est mondial. De 26.7% du PMB [3] en 1970, la part des industries manufacturières est tombée à 16.6% en 2009 – soit un recul de 10 points… comme en France. A moins donc d’accuser la concurrence déloyale d’une nation extraterrestre, il devient difficile d’accuser la mondialisation.
Alors quoi ?
Eh bien deux choses : la première s’appelle externalisation. C’est une des grandes mutations que les entreprises – notamment industrielles – ont connu ces dernières décennies ; elles se sont recentrées sur leurs métiers de base en confiant les tâches annexes à des entreprises spécialisées – et notamment des entreprises de services. Typiquement, si la propreté des sites industriels était autrefois assurée par le personnel des usines ; elle est désormais externalisée auprès d’entreprises spécialisées avec sa valeur ajoutée et son personnel.
Mais là n’est pas l’essentiel. Le véritable « coupable » c’est tout simplement le progrès technologique : en 40 ans, les industries manufacturières ont réalisé des progrès technologiques stupéfiants. Par exemple, en 1970, le salarié moyen de l’industrie française produisait l’équivalent de 74 000 euros par ans ; 40 ans plus tard, son fils produit plus de 273 000 euros – soit 3.7 fois plus. C’est donc avant tout l’automatisation des chaînes de production qui explique le recul des emplois industriels et c’est grâce aux gains de productivité qu’elle nous a permit de réaliser que la valeur réelle des biens industriels a également baissé. Depuis 1970, l’inflation qui touche les produits manufacturés en France est en moyenne de 3.2% contre 4.9% pour l’ensemble du PIB. C’est cette baisse de la valeur de la production qui explique le recul du poids de l’industrie dans notre économie ; c’est exactement le même phénomène que pour l’agriculture.
Si c’est là l’argument des tenants du protectionnisme, je crains fort qu’il ne soit urgent d’en trouver un autre.
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[1] J’utilise ici les chiffres de ce que l’Insee appelle les « branches manufacturières » ; ces dernières correspondent à l’industrie au sens large hors industrie agro-alimentaire et énergie.
[2] Ces chiffres correspondent à la valeur ajoutée d’origine manufacturière rapportée au PIB en euro courants (i.e. aux prix de l’époque).
[3] Produit Mondial Brut.
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Y a pas à dire Georges, on nage en plein ordre spontané ces derniers temps.
RépondreSupprimerps : sur ce, où que vous soyez, bonnes vacances tout de même.
C'est donc la hausse de la productivité de l'industrie qui est la cause de la diminution des emplois dans ce secteur.
RépondreSupprimerPeut être que la mondialisation y est pour quelque chose, mais les socialistes qui sont des partageux (on partage le travail : cf les 35 h) devraient être heureux de "partager" le travail avec des travailleurs étrangers qui n'en ont pas. Leur idéologie se mord la queue.
Aventin,
RépondreSupprimerA vous aussi.
(notez tout de même la légère dose d’interventionnisme politique qui est à l’origine de cet énorme merdier…)
Pascale,
RépondreSupprimerSi l’économie est une guerre, un affrontement où il y aura des gagnants et des perdants, alors le rôle de l’Etat est de faire en sorte que « nous » soyons les gagnants. C’est un des grands points de convergence *des* socialismes – le socialisme de tradition marxiste et le national socialisme. En théorie, ils veulent « réduire les inégalités » (supposées être une conséquence du capitalisme) mais sont les premiers à s’opposer à l’immigration ou aux délocalisations dès lors qu’ils ont le sentiment ces dernières ne sont pas à l’avantage de leur base électorale.
Vous trouverez un autre exemple ubuesque de cette contradiction interne dans la réaction des « progressistes » de l’Etat de Washington (où on pratique le closed shop) qui veulent empêcher Boeing de construire une usine en Caroline du Sud (qui privilégie le Right-to-work) ; c'est-à-dire que, précisément, ils s’opposent à ce que le marché réduise les inégalités entre travailleurs de Caroline du Sud et travailleur de l’Etat de Washington.
@Mr Kaplan :
RépondreSupprimer+1000.
On se souviendra des torrents de boue xénophobe que les socialistes de droite comme de gauche ont déversés au sujet du "plombier polonais".
En fait les socialistes ne veulent pas voir que le monde a tout simplement changé et que les prolos qui faisaient jadis la fierté de leurs zoos de pauvres se font de plus en plus rares.
Si je comprends bien c'est, comme l'ecrit Pascale, "la hausse de la productivité de l'industrie qui est la cause de la diminution des emplois dans ce secteur" (et aussi l'externalisation).
RépondreSupprimerJe ne doute pas un instant que c'est une contribution significative.
Pour autant, n'y a-t-il pas tout de meme une part de cette diminution d'emplois qui soit due a la disparition pure et simple d'activites industrielles (ce qui n'a rien a voir avec la hause de notre productivite). Par exemple, La France produisait 155 millions de paires de chaussures en 1994 et n'en fabriquait plus que 53,3 millions en 2004. Cote automobile, si j'en crois le Point ce n'est pas tout rose non plus (http://www.lepoint.fr/economie/l-irresistible-declin-de-la-production-automobile-hexagonale-10-06-2011-1340908_28.php) : la production des constructeurs francais SUR NOTRE TERRITOIRE a baisse en 12 ans de 33%.
Il me semble que vous proposez (comme souvent) une analyse interessante mais biaisee (vous refusez de regarder l'ensemble des causes possibles).
Enfin, la comparaison avec l'agriculture n'est pas tres heureuse. Quoi qu'on en pense, la hausse de la productivite dans l'agriculture a abouti a ce que le pays soit "auto-suffisant". On est loin de l'auto-suffisance industrielle (on s'en eloigne plutot). Je ne pretends pas que cette auto-suffisance est necessaire... je veux juste pointer du doigt le fait que la comparaison agriculture/industrie est inappropriee.
professeurtournesol,
RépondreSupprimerIl va de soi, et personne ne le nie, que certaines activités industrielles ont été délocalisées ; typiquement – comme vous le notez très justement – l’industrie textile. En l’espèce, il s’agit d’industrie à faible valeur ajoutée et donc à faibles salaires. En conclure que la France se désindustrialise est, en revanche, une erreur : nous nous sommes spécialisés sur des activités qui nécessite une main d’œuvre qualifiée et donc bien payée.
Un exemple très significatif : l’iPhone. Le gadget génial de Steeve Jobs est assemblé en Chine : c’est un travail à la chaîne qui ne nécessite aucune compétence particulière et qui est donc mal payé selon nos standards. En revanche, tout le travail d’ingénierie est concentré aux Etats-Unis et chez les fournisseurs d’Apple (Corée du Sud, Japon, Allemagne…)… qui se taillent la part du lion sur le prix de vente d’un iPhone.
La question se pose donc en ces termes : si j’oblige Apple à assembler ses appareils aux Etats-Unis (i.e. protectionnisme), j’augmente considérablement ses coûts d’assemblage (personne outre-Atlantique n’acceptera de travailler pour un salaire chinois). Apple augmentera son prix de vente pour répercuter le surcoût sur ses clients, ce qui engendrera très probablement une baisse de la demande et donc, une baisse de la production. En résumé, vous avez sacrifié toute une série de bons métiers (i.e. bien payés, intéressants…) pour créer quelques métiers payés au lance-pierre.
Cher Georges,
RépondreSupprimerplusieurs questions apres votre reponse.
+ en gros votre argument c'est celui de la specialisation des pays riches dans la "connaissance" et la haute valeur ajoutee. Je vois alors deux problemes :
1. que fait-on, dans nos pays, des 2/3 de la population qui ne font pas d'etudes superieures ? (que font faire les bataillons d'employes de ST microelectronics qui travaillent en salle blanche quand ST delocalisera sa production en Inde ou en Chine - vont-il faire une these ou passer un diplome d'inge ?).
2. les pays emergents nous concurrencent AUSSI et de plus en plus sur les metiers a haute valeur ajoutee (et en plus nous faisons betement du transfert de technologie).
+ il me semble que les protectionnistes raisonnables n'envisagent des quotas et des barrieres tarifaires que pour CERTAINS produits. L'iPhone est le prototype de produit sur lequel personne n'envisage la moindre barriere douaniere. Si j'ai bien compris le textil est un bon exemple car c'est justement ce type de produit qu'ils ciblent.
+ "En conclure que la France se désindustrialise est, en revanche, une erreur : nous nous sommes spécialisés sur des activités qui nécessite une main d’œuvre qualifiée et donc bien payée"
sur le dernier point, j'ai valide le commentaire avant de poser ma question, qui etait "sur quelles activites la France s'est elle specialisee ? Et dans quelles proportions ?"
RépondreSupprimerprofesseurtournesol,
RépondreSupprimerLa « spécialisation d’un pays » dans telle ou telle activité est une vision schématique, une simplification outrancière de la réalité qui cherche à ramener les problèmes économiques à des frontières nationale arbitraires. La France ne se spécialise en rien pas plus que les pays émergents ne nous font concurrence : ce sont des français, des chinois et des entreprises qui se spécialisent, qui se concurrencent ou qui travaillent ensemble sur des projets économiques.
Si des entreprises trouvent utile de délocaliser une partie de leur production en Chine, c’est qu’elles trouvent dans l’empire du milieu une main d’œuvre plus adaptée à leur besoins : elle est moins qualifiées que la main d’œuvre française et donc, beaucoup moins chère. Un exemple pour vous faire toucher du doigt cette réalité fondamentale : il y a quelques années, la plupart des grandes entreprises occidentales délocalisaient leurs services informatiques en Inde. En effet, les informaticiens indiens étaient loin d’avoir le niveau de leurs homologues américains ou européens mais avaient des compétences suffisantes pour des tâches simples (help desk, programmation basique…) : c'est-à-dire des métiers « bas de gamme » pour nos jeunes informaticiens. Mais rapidement, nos amis indiens ont appris. Ils sont devenus, eux aussi, de très bons informaticiens capables d’innover et d’assumer des missions équivalentes à celles que nous confiions à nos compatriotes. Que c’est-il passé ? Eh bien c’est très simple : leurs salaires se sont alignés sur des standards occidentaux.
De la même manière, quand un ouvrier chinois aura les compétences nécessaires pour travailler dans le décolletage de haute précision, il pourra aussi réclamer un salaire équivalent à celui de nos compatriotes de Haute Savoie ; et l’intérêt d’une délocalisation deviendra alors nul.
L’économie n’est pas une guerre ; c’est un processus collaboratif où la notion même de frontières nationales n’a aucun sens. Nous n’avons pas à « faire quelque chose » des « 2/3 de la population qui ne font pas d'études supérieures » ; ils trouveront eux-mêmes quoi faire en fonction de leur niveau de compétence et de la rémunération de ce niveau de compétence. Le nationalisme économique n’a jamais rien créé d’autre que de la misère et des guerres.
"Ils sont devenus, eux aussi, de très bons informaticiens capables d’innover et d’assumer des missions équivalentes à celles que nous confiions à nos compatriotes. Que c’est-il passé ? Eh bien c’est très simple : leurs salaires se sont alignés sur des standards occidentaux."
RépondreSupprimerJe veux bien des sources chiffrees sur ce point (les salaires des informaticiens indiens). Ici a l'ETH nous avons quelques collegues indiens a qui j'ai pose la question et qui sont un peu dubitatifs.
"De la même manière, quand un ouvrier chinois aura les compétences nécessaires pour travailler dans le décolletage de haute précision, il pourra aussi réclamer un salaire équivalent à celui de nos compatriotes de Haute Savoie ; et l’intérêt d’une délocalisation deviendra alors nul."
Au risque de vous froisser, je trouve que vous etes soudainement d'une naivete incroyable. On ne "reclame" pas avec la meme facilite un bon salaire suivant les regles du pays dans lequel on se trouve (existence de syndicats, libertes publiques, etc...).
"Nous n’avons pas à « faire quelque chose » des « 2/3 de la population qui ne font pas d'études supérieures » ; ils trouveront eux-mêmes quoi faire en fonction de leur niveau de compétence et de la rémunération de ce niveau de compétence"
Il trouveraient quoi faire si ils etaient aussi mobiles que des marchandisent, ce qui n'est pas le cas (les individus s'attachent a des lieux, a d'autres individus, etc...). Il n'y a pas de marche du travail mondial (c'est une fiction), contrairement a ce qui se passe par exemple pour les matieres premieres ou pour beaucoup de marchandises. C'est cette asymetrie dont votre raisonnement economique abstrait ne tient pas compte.
"L’économie n’est pas une guerre ; c’est un processus collaboratif où la notion même de frontières nationales n’a aucun sens."
Je ne sais pas si l'economie est une guerre, mais que vous le vouliez ou non les fromtieres et les nations existent (ce n'est pas un jugement, c'est un constat) et ont des consequences economiques.
Vous ne pouvez pas raisonner abstraitement en feignant d'ignorer que des pays s'autorisent a triturer le cours de leur monnaie quand d'autres ne le font pas.
Vous ne pouvez pas faire comme si les sentiments identitaires n'existaient pas (les sovietiques ont essaye....).
Vous ne pouvez pas oublier que la protection sociale n'est pas la meme dans tous les pays (et que le choix d'avoir tel ou tel type de protection sociale ne se resume pas a un simple calcul economique).
Sans parler de nationalisme, le patron d'une entreprise reside dans un lieu concret et il a interet a ce que la population qui partage ce lieu de vie ne soit pas trop pauvre, sans quoi sa qualite de vie a lui va diminuer. Meme en faisant l'hypothese simplificatrice de l'homo economicus rationel, l'interet d'un agent economique X ou Y prend en compte son environnement immediat.
Une petite precision : j'ai clairement moins de competenceque vous pour parler de ce sujet. En general lorsque je connais mal un sujet j'essaie de faire confiance aux experts. En l'espece, les experts (en economie) ne semblent pas d'accord entre eux et j'essaie tant bien que mal de me faire une idee.
RépondreSupprimerVoici ma methode. Je me fie a deux choses :
- la logique interne du raisonnement presente (pour l'essentiel vos positions sont coherentes).
- l'adequation des hypotheses de depart avec ce que je connais de la realite (vos hypotheses me semblent un brin simplificatrices : un peu comme si en ballistique on decidait arbitrairement de negliger les forces de frottement). .
- l'adequation des conclusions et predictions avec des choses tres concretes (comme des situations historiques ou des donnees chiffrees). Ici encore je suis dubitatif concernant certaines de vos affirmations.
professeurtournesol,
RépondreSupprimerTrès rapidement.
1/ Oui, en effet, la seule chose qui empêche les salaires de s’ajuster (à la hausse comme à la baisse) c’est l’interventionnisme politique ; cela dit, pour ce qui est du cas de la Chine, il semble que la hausse est tout à fait spectaculaire depuis quelques années (aucune source statistique fiable).
2/ Les individus sont relativement peu mobiles mais les entreprises, elles, le sont beaucoup plus ; c’est précisément ce qui vous gène dans les délocalisations n’est-ce pas ? Eh bien c’est exactement ce qu’il se passe : quand Boeing veut ouvrir une usine en Caroline du sud plutôt que dans l’Etat de Washington, il le fait parce que les salaires sont plus bas en Caroline du sud que dans l’Etat de Washington ; mais ce faisant, il fait monter les salaires en Caroline du sud et réduit donc l’écart entre les conditions salariales dans ces deux Etats. En Chine c’est pareil mais en plus grand.
3/ Le fait que les frontières politiques existent ne justifie pas l’ingérence de l’Etat dans les affaires privées et pacifiques des hommes. Quand le gouvernement chinois maintient une parité du Yuan artificiellement basse, c’est au peuple chinois qu’il cause du tort ; pas à nous. En gros, il fait subventionner à ses citoyens nos importations de produits chinois. En ce qui me concerne, je refuse que l’on baisse artificiellement et unilatéralement mon salaire réel pour augmenter le pouvoir d’achat des américains.
Merci pour vos reponses.
RépondreSupprimerAu passage, concernant le point numero 2, ce n'est pas que ca "me gene" que les individus sont moins mobiles que les entreprises...c'est plutot que je considere naivement que c'est un parametre a prendre en compte. Histoire de filer la metaphore, on a parfois des effets de rupture lorsqu'un fluide non-visqueux est entoure d'un liquide visqueux.