« Les gouvernements et parlements européens se sont efforcés, depuis plus de soixante ans, de gêner le jeu du marché, d'intervenir dans la vie économique et de paralyser le capitalisme. […] Ils ont dressé des barrières douanières ; ils ont encouragé l'expansion de crédit et une politique d'argent facile ; ils ont eu recours au contrôle des prix, aux salaires minima et aux procédés subsidiaires. Ils ont transformé la fiscalité en confiscation et expropriation ; ils ont proclamé que les dépenses imprudentes étaient le meilleur moyen d'accroître richesse et bien-être. Mais quand les conséquences inévitables de telles politiques […] devinrent de plus en plus évidentes, l'opinion publique ne porta pas son blâme sur ces politiques chéries, elle accusa le capitalisme. Aux yeux du public, ce ne sont pas les politiques anticapitalistes mais le capitalisme qui est la cause profonde de la dépression économique, du chômage, de l'inflation et de la hausse des prix, du monopole et du gaspillage, du malaise social et de la guerre. »
Nous sommes en 1944. Lorsque Ludwig von Mises écrit ces quelques lignes qui introduisent son « Omnipotent Government » [1] où il décrit les causes de la montée du national-socialisme en Allemagne et les politiques qui ont précipité le monde dans une des guerres les plus sanglantes et les plus destructrices de l’histoire, les gouvernements du monde libre préparent la signature des premiers accords de libre-échange du GATT (qui seront signés en 1947 à Genève) et, le 22 juillet de cette même année, la mise en œuvre des accords de Bretton Woods. Dans l’esprit de ceux qui ont vécu les années qui précèdent la seconde guerre mondiale, la condition ultime de la paix dans le monde – rien que ça – ne fait aucun doute : il faut à tout prix éviter un retour au nationalisme économique, au protectionnisme et aux politiques de dévaluations compétitives d’avant guerre.
Le système de Bretton Woods prévoyait que chacun des pays signataires s’engage à maintenir une parité fixe de sa monnaie nationale par rapport au dollar américain, lequel était garanti par une quantité d’or à raison de 35 dollars pour une once. En d’autres termes, en signant cet accord, les différents gouvernements acceptaient de maintenir la valeur de leurs monnaies respectives par rapport à l’or ; c'est-à-dire qu’ils s’interdisaient de dévaluer leurs monnaies nationales. Mais au cours des années 1960, le gouvernement des Etats-Unis [2] créé une inflation sur le dollar américain qui se transmet mécaniquement à toutes les autres monnaies du système. Le 15 août 1971, les Etats-Unis suspendent unilatéralement la convertibilité du dollar en or – c’est le « Nixon Shock » ; la fin de l’étalon-or. Le système de taux de changes fixes devient intenable est s’effondre définitivement en mars 1973 pour laisser place à un système de parité flottantes. A partir de ce moment plus rien ne limite la capacité de création monétaire des Etats [3]. Nous sommes définitivement rentrés dans l’ère de la « fiat monnaie » ; une monnaie-papier dont la valeur n’est garantie par absolument rien d’autre que par le bon vouloir de nos gouvernements et de nos banques centrales.
Si, depuis la nuit des temps, les Etats ont cherché à contrôler la monnaie c’est tout simplement que le contrôle de la monnaie, c’est l’arme fiscale absolue. L’inflation est un impôt. C’est un impôt qui permet, en faisant « tourner la planche à billet » [4] et donc en dévaluant la monnaie, de transférer la richesse de ceux qui disposent d’économies vers ceux qui sont endettés – et au premier titre, vers l’Etat. Lorsque Bretton Woods disparait, nos gouvernements, enfin libérés de cette contrainte, vont découvrir un nouveau moyen de financer la dépense publique : on peut désormais se passer partiellement de lever des impôts, il suffit d’enchaîner déficit budgétaire sur déficits budgétaires – c'est-à-dire de créer de la dette – et de dévaluer la monnaie. Quelques chiffres pour la France : de 1973 à 1983, la dépense publique passe d’un peu moins de 40% du Produit Intérieur Brut à plus 50% du PIB. Sur la même période, le franc français va perdre plus de 65% de sa valeur : c'est-à-dire, par exemple, qu’une Renault 5 qui coûtait 10 800 francs en 1973 vaudra 30 700 francs dix ans plus tard [5]. A partir de 1975, les gouvernements qui ont successivement présidés aux destinées de ce pays n’ont pas voté un seul budget à l’équilibre. Pas un seul.
Pendant des décennies nous avons dépensé, pendant des décennies nous avons empilé dette sur dettes pour financer des systèmes sociaux de plus en plus coûteux, une pléthore d’emplois publics plus ou moins utiles, un mille-feuille administratif digne de l’Ancien Régime, le programme Rafale de M. Dassault, les subventions de la presse et – « last but not least » – le sauvetage des banques. En 2010, la dépense publique atteignait ainsi 56,6% du PIB : à ce niveau, elle n’est vraisemblablement même plus finançable par l’impôt. Avec une des pressions fiscales les plus élevées du monde, aucun citoyen français ne sait ni combien d’impôt il paye, ni à quoi ses impôts servent. Une étude récente [6] calculait qu’entre charges, impôt sur le revenu et impôts indirects, un salarié français moyen ne disposait librement que de 43,6% de son salaire.
Pendant des décennies, nous avons réglementé à tour de bras. Winston Churchill disait que « si vous avez dix mille règlements, vous détruisez tout respect pour la loi » ; nous sommes désormais bien au-delà de ce chiffre. Nul n’est supposé ignorer la loi mais, pardon, je crains fort que nous soyons tous dans ce cas – juristes professionnels inclus. Nos lois sont devenues un tel maquis d’une telle instabilité que, de l’aveu même du médiateur de la République, même l’administration chargée de les faire appliquer s’y perd. Nous vivions autrefois dans un Etat de droit, où un homme pouvait compter sur un environnement stable pour faire des projets et mener sa vie ; nous vivons désormais dans l’attente de la prochaine lubie, de la prochaine mode et des pages de règlementations qu’elle enfantera.
Pendant des décennies, enfin, nous avons fondé tout notre système financier sur ce qui n’est rien d’autre qu’un système de planification monétaire centralisée auquel nous avons enlevé son seul garde-fou : l’étalon-or. Nous avons construit un système qui favorise explicitement les cigales dépensières et sanctionne les fourmis économes, nous avons demandé à nos banquiers centraux de piloter l’économie à coup de manipulation des taux d’intérêts. Et qu’avons-nous obtenus ? Des monnaies dont la valeur s’est effondrée, du surendettement, des bulles spéculatives et des récessions. A l’heure où j’écris ces lignes, nos banques centrales sont en train de préparer ce qui sera selon toute vraisemblance la plus gigantesque bulle spéculative jamais observée ; celle-là non plus ne sera pas une « crise du capitalisme ».
Et aujourd’hui que ce système s’effondre, vous accusez le capitalisme d’être la source de vos malheurs, vous réclamez la « démondialisation » et le retour du nationalisme économique, vous réclamez votre « souveraineté monétaire » et la dévaluation à qui elle sert de faux nez, vous réclamez un « Etat fort », l’avènement d’un homme (ou d’une femme) providentiel. Vous réclamez, en sommes, de compléter le tableau que Mises dresse au début de cet article – point par point.
L’histoire ne se répète pas à ce qu’on dit mais elle a une forte tendance au bégaiement. J’agirais en conséquence pour ma famille et moi-même mais, comme il se trouve que j’aime ce pays, je me fais un devoir de vous transmettre l’avertissement de celui qui avait fait siens les mots de Virgile : « Tu ne cede malis sed contra audentior ito » [7].
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[1] « Omnipotent Government : The Rise of the Total State and Total War », une excellente traduction est disponible en ligne ici.
[2] Qui cherche notamment à financer la guerre du Viêt Nam et la conquête de l’espace.
[3] C’est dans ce contexte que Valéry Giscard d'Estaing va faire voter la fameuse loi n°73-7 du 3 janvier 1973 qui interdit au Trésor Public de se financer directement auprès de la Banque de France ; c'est-à-dire par émission monétaire.
[4] C’est une image ; la monnaie est aujourd’hui essentiellement électronique.
[5] Véridique.
[6] Institut Economique Molinari – « Fardeau fiscal de l’employé lambda au sein de l’UE » (Juin 2011).
[7] Tu ne cèderas pas au mal mais le combattra avec courage.
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L'amour du pays ? Comme celui du prisonnier qui n'a d'autre choix que d'aimer son geolier, cela pour survivre dans de meilleures conditions.
RépondreSupprimerEt aussi cette remarque : les français aiment leur sécu, ils y sont attachés, ligotés même.
C'est une erreur d'aimer la France. C'est morte désormais qu'on l'aime. Rayons la France de la carte mondiale.
Mon "Une crise peut en cacher une autre" (Belles Lettres, 2010) examine les diverses causes de la crise actuelle.
RépondreSupprimerPierre,
RépondreSupprimerJe crois justement que nous aurons l'occasion d'en discuter de vive voix chez un ami commun ;)
@Josick,
RépondreSupprimerJe loue l'esprit de concorde qui émane de votre message. A défaut d'avoir goûté votre prose si délicate, on jurerait que vous appelez à un génocide culturel. Mais manifestement, tout cela passe très bien. La haine de mon pays suscite l'enthousiasme, et l'on annonce même que bientôt tout cela, cette culture - qui vaut tout de même un peu mieux que le burger, le coca-cola et le fordisme, mais passons - sera rayé de la carte. De fait, nous ne pouvons que conclure que nous avons affaire à une âme enchanteresse et poétique, tournée vers la contemplation et une rayonnante spiritualité. Il est vrai que le camarade Mao était aussi poète. Vous ne seriez pas également peintre par hasard ? Parce que là aussi... enfin bref...
@Aventin
RépondreSupprimerPas besoin d'appeler à un génocide culturel, cette France est déjà morte... car ayant perdu l'une de ses mamelles, celle du labourage, ce qui est d'esprit agricole. Ne reste que la mentalité pastorale du pasteur-ceuilleur se promenant dans les rayons de super-marché.
Et non, je ne suis pas peintre... de nature morte. Pas au sens propre du moins, peut-être au sens figuré. Mais vue la fréquentation de mon blog, je suis loin de faire fureur, si c'est ce que vous sous-entendez si délicatement. Avez-vous subit dans votre chair la violence étatique française ?
Je dirais plutôt que je fais dans la destruction-transformatrice... et vous ne voyez que le sacrilége qu'est le retournement de la sacro-sainte prairie fondement du monde pastoral. Horreur d'un sol mis à nu, horreur qui pourtant prélude à l'émergence d'un tout nouveau champ de blé, inédite concentration énergétique pas sur patte et qui va conduire à la sédentarisation et à la concentration urbaine.
Ce qui est en germe ? Là est la question.
@Aventin
RépondreSupprimerQuand à la contemplation, mon dernier travail a consisté à être couvreur-tacheron avec un ancien compagnon du tour de France, Rennais, de 28 ans (tandis que j'en avais 52). Cela veut dire deux maisons et demi couvertes à deux par semaine, cela sans aucune assistance matérielle.
Par la suite ce dernier s'est mis "à son compte" (illusion française) et là j'ai du faire l'appoint pour cause de manque de main d'oeuvre compétente, appoint qui ne pouvait que s'inscrire dans la durée. Contribuer à assurer la survie d'un monde en perdition est absolument sans intérêt, j'ai donc pris le large après comme avoir expérimenté un camp de redressement par le travail. Là je suis aux Philippines dans une famille de six enfants qui n'avaient pas même les moyens d'acheter un parapluie pour les petites ne pouvant alors pas aller à l'école lorsqu'il pleuvait des cordes. Qu'est-ce qui est le mieux : entretenir un systéme de fonctionnaire ou épauler directement une famille qui maintenant a un terrain et un toit bien à elle ?
Dois-je signer "le dictateur ne serait-ce qu'en herbe" pour vous faire plaisir ?
@Josick
RépondreSupprimerVous couvriez en ardoise ou en tuiles ?
Nord Loire, tuiles. Couvreur, un bien beau métier. Ca a une autre gueule que d'être trader chez JP Morgan ou économiste à la Banque Mondiale. Notre pays a bien des défauts, son administration est parfois bien désespérante voire soviétoïde, mais il reste que la France est encore un de ces rares endroits dans le monde où ce que l'on appelle traditionnellement liberté peut encore avoir un sens.
Aventin,
RépondreSupprimerVoilà un point intéressant. D’où tenez-vous que le libéralisme est « un système de compréhension des phénomènes humains qui réduit l'Homme à ses seuls facultés d'échanges horizontaux » ? D’une manière générale, que savez-vous du libéralisme ? Qui vous a appris ce que vous en savez ? Je connais la réponse : ce que vous savez du libéralisme se limite à ce que vous en ont dit ses adversaires.
Les libéraux, dans notre France contemporaine, sont si peu nombreux qu’ils se connaissent presque tous. Nous ne sommes qu’une poignée.
Comme la plupart des libéraux français, j’ai découvert ces idées un peu par hasard. Elles ne m’ont pas été enseignées à l’école ; elles y étaient même largement dénigrée comme vous le faite vous-même. Elles ne sont pas venues à moi par les médias, ni par le discours des politiques ni même par les livres que vous trouvez aujourd’hui dans les rayons des bibliothèques et des librairies.
Comme la plupart des libéraux français, j’ai découvert Bastiat, Turgot, Constant ou Molinari (pour ne citer que quelques auteurs francophones) en *anglais* ; il était littéralement impossible de trouver ces livres dans la langue de Molière. Comme la plupart des libéraux français, j’ai longtemps vécu en ayant le sentiment que défendre mes idées ne m’attirerait que des ennemis. Comme la plupart des libéraux français, j’ai du me forcer à soutenir des thèses que je haïssais profondément dans mes devoirs pour éviter la sanction idéologique de mes professeurs (mon prof d’économie au lycée était ouvertement marxiste).
Je ne vais pas répondre à votre question. Vous avez un choix personnel à faire : soit vous aimez votre apriori au point que vous refusez de le remettre en question, soit vous décidez d’apprendre ce qu’est le libéralisme (je n’ai pas dit d’y adhérer, juste apprendre ce que c’est).
Aventin,
RépondreSupprimerLe trader de JP Morgan et le couvreur ont un point commun essentiel. Chacun de ces deux hommes a des compétences qu’il utilise dans le but de produire des richesses que ses contemporains acceptent d’échanger contre le fruit de leur propre travail. Chacun de ces deux hommes subvient à ses propres besoins en mettant son savoir-faire et le produit de son travail à disposition de ceux qui en ont besoin. Aucun de ces deux hommes ne vole ce qu’il a. Aucun de ces deux hommes ne vit aux dépens des autres. L’un et l’autre, en poursuivant leurs propres intérêts, participent au bien être du plus grand nombre.
La différence entre le couvreur et le trader c’est que vous savez ce qu’est un couvreur et à quoi sert son métier mais vous ne savez pas ce qu’est un trader et à quoi sert son métier.
Je ne suis pas omniscient. Je ne connais pas tous les métiers qui existent à la surface de cette planète mais il y a une chose que je sais : si quelqu’un accepte librement d’échanger le fruit de son travail contre ce que produit un autre homme, c’est que le métier de ce dernier est utile, c’est qu’il accroît notre bien être à tous et que si ce métier venait à disparaître à la suite d’une décision gouvernementale, nous en paierions tous le prix.
@Aventin
RépondreSupprimerCouverture en ardoise canadienne (la meilleure) sauf pendant la période tacheron (du fibro évidemment).
Je ne sais pas si on peut dire "que la France est encore un de ces rares endroits dans le monde où ce que l'on appelle traditionnellement liberté peut encore avoir un sens."
Si vous aviez eu mon expérience française, vous ne pourriez absolument pas dire cela : voici un mauvais texte qui l'illustre en surface http://amourpiegale3.blogspot.com/2011/07/lenvers-du-decor.html car la réalité profonde est encore plus triste, France du viol.
@GK,
RépondreSupprimerQue diriez-vous GK des valeurs que produisent ces deux hommes, de leur utilité sociale, et du rapport entre la valeur dans son acception financière et la valeur d'usage ?
Aventin,
RépondreSupprimerVoilà à quoi sert l’économie. Notamment à comprendre ce qu’est la valeur et, dès lors, à réaliser que dans un marché libre, il n’y a pas de différence entre « valeur financière » et « valeur d’usage ».
Puis-je permettre de vous renvoyer ici ou là avant de poursuivre cette discussion ?
@GK,
RépondreSupprimerIl faudra que vous m'expliquiez GK comment tant d'intelligence et de bonne volonté peuvent si facilement se perdre dans un nuage théorique à mille lieux de la vie qui est là. Ah, si seulement vous finissiez par voir GK, que vous partez d'une mauvaise définition de l'Homme - nous en avons déjà discuté -, et que cela vicie le reste de vos louables efforts. Il faut lever la tête au ciel, se connaître soi-même, tout est là.
ps : je confesse ne pas croire tant que cela à ce que l'on appelle communément "intelligence". La grâce du "simple" passe toutes les démonstrations mathématiques.
Aventin,
RépondreSupprimerUne "définition de l'Homme" ?
Primate bipède intelligent.
Voilà pour moi.
@GK,
RépondreSupprimerJe juge tout avis respectable, si juger veut dire quelque chose. Sinon, je dirais Cf. St Jean.
;-)