Qui achète des obligations à taux négatifs ?

En novembre dernier, Veolia a emprunté pour 500 millions d’euros sur les marchés via l’émission d’une obligation qui arrivera à maturité le 23 novembre 2020 (dans 3 ans). Jusqu’ici, rien d’extraordinaire : avec un endettement financier de l’ordre de 8.5 milliards d’euros, Veolia est un intervenant régulier sur le marché du crédit et les notes des agences — BBB selon Standard & Poor’s et Baa1 selon Moody’s — si elles ne témoignent pas d’une qualité de crédit exceptionnelle, place tout de même le groupe dans la catégorie des émetteurs dits investment grade.

Ce que cette émission a d’extraordinaire, c’est que le taux coupon proposé par Veolia à ses créanciers Le taux d’intérêt que le groupe se propose de payer sur lesdits 500 millions d’euros était d’exactement 0% ! — c’est-à-dire le taux d’intérêt que le groupe se propose de payer sur lesdits 500 millions d’euros — était d’exactement zéro pourcent (0%) ! Mieux encore : cette proposition a eu un tel succès (Veolia a reçu 4 fois plus d’offres qu’initialement demandé) qu’elle s’est finalement vendue à 100.078 ce qui se traduit par un taux d’intérêt de -0.026%.

Concrètement, cela signifie que les investisseurs ont payé 100 078 euros pour une obligation qui ne leur versera pas le moindre intérêt et sera remboursée 100 000 euros dans 3 ans. On est naturellement en droit de se demander qui, avec de telles conditions, irait prêter à Veolia.

Une explication possible consiste à supposer que les investisseurs anticipent une importante déflation ; c’est-à-dire qu’ils pensent qu’un euro dans quelques années aura plus de valeur (de pouvoir d’achat) qu’un euro actuel de tel sorte que le taux réel, ajusté de la déflation à venir, serait en réalité positif. C’est une façon intéressante de voir les choses mais elle souffre néanmoins d’une faille importante. Si tel est le cas, si les investisseurs anticipaient effectivement une importante déflation, ils avaient une solution à la fois simple et plus rémunératrice : ne pas investir du tout.

Il y a, en réalité, deux facteurs qui expliquent le succès de l’obligation Veolia.

Le premier, est de nature réglementaire : il se trouve que la réglementation impose aux gérants de fonds (les OPCVM en droit français) de ne pas détenir plus de 10% de liquidités. En d’autres termes, quelles que soient les conditions du marché, nous sommes légalement tenus d’investir au minimum 90% des actifs qui nous sont confiés. Or, dans un environnement où les taux des obligations d’État sont très largement en territoire négatif (à l’heure où j’écris ces lignes, les obligations d’État françaises à 3 ans affichent un taux d’environ -0.25%), l’obligation Veolia est une des moins mauvaises options disponibles.

Deuxième élément d’explication : quand la Banque Centrale Européenne pratique des taux d’intérêts négatifs sur les avoirs que les banques détiennent auprès d’elle, ces dernières font la même chose avec nous. Concrètement, si le compte bancaire en euro d’un fonds est créditeur, il se verra appliquer un taux égal à celui du taux de dépôt au jour le jour de la BCE (la Overnight Deposit Facility) soit, actuellement, -0.40%. C’est-à-dire que, même si nous pouvions ne pas investir, nos liquidités subiraient un taux nettement plus négatif que celui de l’obligation Veolia.

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[1] Note technique : le prix d’une obligation est toujours exprimé en pourcentage du pair lequel est, pour faire simple, le capital qui sera remboursé à maturité. Dans le cas qui nous intéresse, par exemple, c’est 100.078% de 100 000 euros soit 100 078 euros.

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