Je te mets au défi, Ô lecteur, de me m’expliquer comment fonctionne nos services de renseignement en matière de lutte antiterrorisme. Sans tenir compte de l’aspect judiciaire ou de l’organisation des forces d’intervention (le RAID, le GIGN et la BRI…), je te mets au défi de me décrire, ne serait-ce que de manière succincte et approximative, comment la République s’est organisée pour repérer les cellules djihadistes qui nous menacent.
Ça fait un an et demi que j’essaie. Je n’y comprends toujours rien. À chaque fois qu’un schéma organisationnel s’est frayé un chemin jusque sous mes yeux de modeste citoyen, il n’a pas fallu plus de 24 heures pour qu’un spécialiste du sujet explique qu’il était faux ; sans que, soit dit en passant, ledit spécialiste ne prenne le risque de m’éclairer.
Au mieux et en croisant plusieurs sources, suis-je parvenu à dresser une liste des différentes structures qui, à des degrés divers, semblent participer à cet effort si essentiel. Voici ce que j’ai trouvé :
— La Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE). Créée en 1982, elle est placée directement sous l’autorité du Ministère de la Défense. C’est le service de renseignement extérieur de la France, chargé de l’espionnage et du contre-espionnage et donc aussi de la lutte anti-terrorisme.
— La Direction du Renseignement Militaire (DRM). Créée en 1992, elle dépend du Chef d’État-Major des Armées (CEMA) qui est lui-même placé sous l’autorité du Président de la République et du Gouvernement. Elle est chargée du renseignement tactique et stratégique sur les théâtres d’opération.
— La Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD). Créée en 1981, elle dépend directement du Ministère de la Défense. Elle intervient manifestement « en matière de sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles. »
— La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED). Créée en 1988, elle est rattachée à la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects (DGDDI) du Ministère des Finances et des Comptes publics. Elle est chargée de mettre en œuvre la politique du renseignement, du contrôle et de la lutte contre la fraude en matière douanière.
— Le service Traitement du Renseignement et de l’Action contre les Circuits Financiers clandestins (Tracfin). Créé en 1990, c’est une des directions du Ministère Finances et des Comptes publics, au même titre que la DGDDI. C’est un service qui enquête sur la fraude financière, notamment dans le cadre du financement du terrorisme.
— La Direction générale de la Sécurité Intérieure (DGSI). Créée en 2014 pour remplacer la DRCI elle-même issue de la fusion de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et de la direction centrale des Renseignements Généraux (RG) en 2008. Elle dépend directement du Ministère de l’Intérieur et est chargée du contre-espionnage et de la lutte antiterroriste à l’intérieur de nos frontières.
— La Sous-Direction Anti-Terroriste (SDAT). Créée Dieu seul sait quand, elle dépend de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) au sein de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN) du Ministère de l’Intérieur. Installée dans les mêmes locaux que la DGSI, elle est manifestement chargée des enquêtes liées au terrorisme.
— Le Service Central du Renseignement Territorial (SCRT). Créé en 2014, il dépend de la Direction Centrale de la Sécurité Publique (DCSP) au sein de la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN) du Ministère de l’Intérieur. Ce service reprend manifestement les missions autrefois confiées aux Renseignement Généraux.
— La Direction du Renseignement de la Préfecture de Police de Paris (DRPP). Créée en 2008, elle fait partie de la Préfecture de Police de Paris qui est elle-même placée sous l’autorité du Ministère de l’Intérieur. Il semble qu’elle assure les mêmes missions que le SCRT mais à Paris et dans la petite couronne.
— Le Bureau de la Lutte Anti-Terroriste (BLAT). Créé en 2003, il dépend la Sous-Direction de la Police judiciaire (SDPJ) qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, dépend de la Direction Générale de la Gendarmerie nationale (DGGN). Le BLAT intervient dans le renseignement et la répression anti-terroriste.
— La Sous-Direction de l’Anticipation Opérationnelle (SDAO). Créé en 2013, elle dépend aussi de la Direction Générale de la Gendarmerie nationale (DGGN). La SDAO est un service de renseignement qui interviendrait, si j’ai bien compris, « en soutien » au BLAT.
— Enfin, le Bureau du Renseignement Pénitentiaire (BRP). Créé allez savoir quand, il dépend de la Sous-Direction des Missions de la Direction de l’Administration Pénitentiaire du Ministère de la Justice. Comme son le nom le suggère, le BRP est chargé des activités de renseignement dans les prisons.
Bref, si tu veux bien me pardonner l’expression, Ô lecteur, c’est un innommable bordel. En supposant — et rien ne me permet de l’affirmer — que cette liste est exhaustive, je compte douze structures ; douze structures dont les missions et attributions me semblent parfois largement redondantes ; douze structures qui ont, pour autant que je puisse en juger, leurs propres chaînes de commandement, leurs propres organisations, des systèmes peu ou pas partagés ; douze structures qui, si j’en crois ce que je lis, ne collaborent que partiellement quand elle ne se tirent pas carrément dans les pattes.
J’en veux pour preuve, si tu avais encore un doute, que cette organisation porte le sceau infâmant des machins administratifs qui ne fonctionnent pas : une Structure de Coordination. Pardon, pas une structure mais trois. Sauf erreur de ma part (et, mon Dieu, c’est bien possible pour ne pas dire probable), la coordination de nos efforts de renseignement est assurée par :
— Le Conseil National du Renseignement (CNR). Créé en 2008 et présidé par le Président de la République, il assure la coordination des six services constituant la « communauté française du renseignement » (i.e. la DGSE, la DGSI, la DRM, la DPSD, la DNRED et Tracfin.)
— L’Unité de Coordination de la Lutte AntiTerroriste (UCLAT). Créée en 1984 et rattachée au cabinet du directeur général de la Police Nationale (Ministère de l’Intérieur), elle est supposée — si j’ai bien compris — coordonner la DGSI, la DGSE, le BLAT, la DNRED, le BRP et la DPSD.
— L’État-Major Opérationnel de Prévention du Terrorisme (EMOPT). Créé en 2015 et directement rattaché au ministre de l’Intérieur, qui — d’après ce que j’ai lu — coordonne le suivi des « personnes radicalisées » pour « s’assurer que celui-ci est bien effectif. »
Je n’ai, Ô lecteur, aucune prétention en matière de renseignement en général et de lutte contre le terrorisme en particulier. Néanmoins, m’intéressant à la théorie des organisations depuis quelques années et en ayant vu quelques-unes fonctionner (ou pas), je puis avec certitude te dire une chose : un bordel pareil n’a aucune chance de fonctionner. Même avec les meilleurs spécialistes équipés des meilleurs outils, mêmes en partant du principe que tous collaborent en mettant leurs égos de côté, même en multipliant les financements et les dispositifs légaux : ça ne peut pas marcher. Même pas en rêve.
Dans son rapport publié le 5 juillet, la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme proposait — je cite — de « créer une agence nationale de lutte antiterroriste, rattachée directement au Premier ministre, en charge de l’analyse de la menace, de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle. » Cette proposition ne m’inspire qu’une seule réflexion : comment est-il seulement possible que ce ne soit pas déjà le cas ?
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