En 1981, j’avais six ans. À l’époque et comme sans doute la plupart des enfants de ma génération, ma maman avait un argument massue pour m’obliger à finir cette fichue soupe : « tu sais, me disait-elle, il y a des millions d’enfants qui ne mangent pas à leur faim dans le monde. » C’était l’ultima ratio matres, l’argument qui ne souffrait aucune contradiction : même haut comme trois pommes, aucun enfants de ma génération ne pouvait ignorer que nous vivions sur un îlot d’abondance perdu au milieu d’un océan de misère.
Au début des années 1980, juste pour vous resituer le contexte, les cambodgiens qui y avaient survécu se réveillaient à peine du cauchemar khmers rouges, la politique de collectivisation des terres mise en œuvre par la junte du Derg provoquait la pire famine qu’ait connu l’Éthiopie en un siècle et l’espérance de vie à la naissance d’un indien n’atteignait pas 56 ans. Cette misère dont nous, les pays dits développés, avions mis près de deux siècles à sortir restait le lot commun de l’immense majorité.
Un chiffre : en 1981, selon les estimations de la Banque Mondiale, près de 2 milliards de nos semblables vivaient avec moins de 1.9 dollar par jour (à parité du pouvoir d’achat en 2011) — soit 44% de l’humanité.
Mais ces mêmes années 1980 sont aussi un tournant. Vous êtes sans doute nombreux à penser à Margaret Thatcher, à Ronald Reagan et à ce que les détracteurs des idées libérales appellent la révolution néolibérale — néologisme qui, je le rappelle, ne renvoie à aucune définition précise et dont personne ne se réclame — mais vous commettez là une erreur : les années 1980, c’est les réformes économiques de Deng Xiaoping qui ouvrent l’économie chinoise au monde, c’est l’effondrement du bloc soviétique après l’échec monumental du onzième plan et c’est le début du mouvement de libéralisation de l’économie indienne qui prendra toute son ampleur au cours de la décennie suivante.
C’est ça, la vraie vague libérale des années 1980. Si l’action de Margaret Thatcher a effectivement permit de redresser une économie britannique en plein déclin, à l’échelle de l’humanité, ça n’est rien. Un épiphénomène. Ce qui change vraiment au cours de cette décennie, c’est que plus personne ne peut ignorer l’échec total de la planification économique, des politiques protectionnistes ou, en un mot, du socialisme réel. Quand le mur de Berlin tombe en 1989, ce n’est qu’un symbole : la grande vague libérale mondiale, la vraie, déferle déjà depuis une bonne décennie.
Voilà, sur la base des données de la Banque Mondiale, ce qui s’est passé depuis :
Dès 1990, alors que la population mondiale explose, la proportion de l’humanité vivant sous le seuil de pauvreté extrême à 1.9 dollar par jour passe sous 37%. C’est à cette époque qu’on commence à disposer de statistiques relativement fiables sur les conditions de vie de nos semblables : selon la FAO, plus d’un milliard d’individus — 19% de la population mondiale — souffrent encore de sous-alimentation : en 2014, ce chiffre est tombé à moins de 800 millions soit 10.9% de la population mondiale. Selon l’OMS, le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans atteignait 90 pour 1 000 en 1990 ; en 2013, ce chiffre est passé sous la barre des 46 pour 1 000 et, sur la même période, l’espérance de vie à la naissance est passée de 64 ans à 71 ans [1].
Voilà la réalité concrète des quatre dernière décennies, de cette mondialisation libérale dont seul un aveugle atteint de surdité peut oser dire qu’elle a été « mortifère ». C’est le plus gigantesque enrichissement que l’humanité ait connu et, à tout point de vue, la période la plus pacifique dont nous ayons connaissance depuis, au moins, l’invention de l’écriture. Jamais, aussi loin que notre mémoire collective nous porte, on avait assisté à un tel recul des maux qui accablent notre humanité depuis la nuit des temps : famines, maladies, misère, guerres, dictatures [2]…
Au dernier pointage, celui de 2012, la pauvreté extrême ne touche plus que 900 millions d’individus soit 12.7% de la population. Mieux encore : non seulement le mouvement ne ralentit pas mais il accélère ; à ce rythme, dans cinq ans tout au plus, il faudra définir un nouveau seuil faute de quoi il n’y aura plus rien à mesurer. L’âge d’or du genre humain, c’est aujourd’hui et sous vos yeux.
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[1] Sur une échelle encore plus longue, il faut se rendre compte qu’en 1950, l’espérance de vie à la naissance à l’échelle mondiale n’excédait pas 47 ans.
[2] Faut-il rappeler au lecteur ce qu’a été, au hasard, la famine provoquée par le Grand Bond en Avant de Mao ? Faut-il se lancer dans le décompte macabre des victimes de la peste noire ou de la grippe espagnole ? Faut-il, une fois encore, faire le bilan des deux guerres mondiales ? Doit-on rappeler ce qu’est vraiment une dictature ?
Je remarque que le revenu moyen des français est tombé à son niveau de 2008. Donc voilà, la France va dans la direction OPPOSEE du monde.
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