À l’occasion de la journée des droits de la femme, Alexandre Delaigue a reposté un de ses vieux papiers (Et si l’on créait un vrai congé de paternité ? sur liberation.fr, le 18 juin 2012), article qui, selon votre serviteur, mérite bien des louanges mais aussi quelques critiques — les premières se voulant objectives, les secondes tout à fait amicales.
L’immense mérite de cet article, c’est de tordre le coup à l’idée absurde selon laquelle les écarts de rémunération entre hommes et femmes seraient dus aux préjugés sexistes d’une société patriarcale ; le fameux « plafond de verre » qui expliquerait, selon certains, que ces dames soient aussi sous-représentées dans les directions d’entreprises comme à l’Assemblée Nationale [1].
Entendons-nous bien : que le phénomène existe ne fait pas le moindre doute. En cherchant bien, vous trouverez à coup sûr un employeur qui refuse de nommer des femmes aux postes qu’il juge stratégiques pour des raisons explicitement sexistes — c’est-à-dire parce qu’il pense que les femmes sont moins compétentes que les hommes — de la même façon que vous trouverez aussi des employeuses qui privilégient systématiquement les femmes (si si, j’ai des noms), des aristocrates qui ne recrutent que des noms à particules, des chinois qui ne s’entourent que de chinois et un bon paquet de gens qui préfèreraient se pendre plutôt que d’embaucher un magrébin. Bref, les préjugés des uns et autres jouent un rôle à l’embauche, c’est une certitude, mais ce n’est pas nécessairement ce qui explique les différences de salaires et de responsabilités entre hommes et femmes.
En réalité, écrit Alexandre, « la vraie inégalité n’est pas sur le lieu de travail, mais au sein du foyer : lorsqu’une famille a un enfant, la mère est bien plus susceptible de prendre des congés, d’interrompre sa carrière, ou de rentrer plus tôt, que le père. » C’est aussi simple que ça.
Demandez à n’importe quel dirigeant d’entreprise (mâle) et vous en aurez la confirmation : s’il hésite à nommer des jeune femmes — typiquement dans la tranche 25-35 ans — à des postes de responsabilité, ce n’est pas par sexisme, c’est simplement parce qu’il s’attend très rationnellement à ce que cette jeune femme souhaite, à un moment ou un autre, avoir des enfants ce qui signifie concrètement qu’il prend le risque de devoir se passer d’une personne clé dans son organisation et ce, pendant plusieurs mois.
Tenez par exemple : vous vous êtes déjà demandé à quoi ressemble l’Executive Team de Marissa Mayer ? Sur les treize personnes qui composent l’entourage direct de la patronne de Yahoo ! on ne compte que deux femmes. Doit-on en conclure que la belle Marissa [2] nourri des préjugés sexistes ?
De la même façon et je vous invite à faire le test si vous connaissez des jeunes mamans qui font carrière : demandez-leur comment elles vivent leurs horaires de cadre sup. Autour de moi, c’est la quasi-unanimité : mal, très mal. « Je ne vois pas grandir mes enfants, quand je rentre, ils sont déjà couchés et le week-end, je suis trop fatiguée pour profiter d’eux. » C’est une classique et le fait que monsieur ait mis sa carrière en sommeil pour permettre à madame de se consacrer à la sienne n’y change rien : les mamans sont, viscéralement et avant tout, des mamans.
La suite de l’histoire est d’une implacable logique : les enfants grandissent, madame peut enfin se consacrer à sa carrière mais le fait est que, d’un point de vue strictement professionnel, elle a pris du retard sur ses homologues masculins. Le résultat et même si Marissa Mayer est un magnifique contre-exemple [3], c’est que nos mamans, nos sœurs, nos épouses et nos filles sont, en moyenne, moins bien payées que des hommes. C’est un fait, on est tout à fait en droit de le regretter mais ça n’a rien à voir avec les soi-disant préjugés sexistes d’une société supposément patriarcale.
Mais là où je cesse de suivre Alexandre Delaigue c’est quand, reprenant les propositions de l’économiste Paul Seabright, il propose « un congé de paternité obligatoire, de la même durée que le congé de maternité. » Alors là, à mon humble avis, on entre de plein pied dans le département des vrais fausses bonnes idées.
D’un point de vue purement fonctionnel, Seabright et Delaigue ont raison : c’est sans doute le moyen le plus efficace de rétablir l’équilibre et c’est même peut-être, outre les approches coercitives à coup de quotas obligatoires et de grilles administratives, le seul moyen d’obtenir l’égalité salariale. Mais, mon Dieu, à quel coût ? Obtenir cette fameuse égalité est-il un objectif à ce point socialement désirable que nous sommes prêts à imposer les conséquences d’une telle idée à la société en général et aux jeunes couples en particulier ?
Concrètement, qu’est-ce que ça implique ? Eh bien ça signifie que les freins qui font que les employeurs hésitent à recruter des jeunes femmes à des postes de responsabilité s’appliqueront aussi à leurs conjoints — d’où l’égalité. C’est-à-dire que ces jeunes hommes, à l’âge où, justement, on construit sa carrière seront placés face à une alternative très simple : ils devront arbitrer entre une carrière professionnelle épanouissante (et rémunératrice) et avoir des enfants. Il ne sera, pour beaucoup de couples, plus possible de mener les deux de front.
On créerait une situation dans laquelle, au moment précis où la famille s’agrandit (déménagement, équipement etc.), les deux membres du couple vont devoir arrêter toute activité professionnelle pendant quoi ? Seize semaines ? Qui va s’occuper des dossiers en cours ? On trouvera bien quelqu’un d’autre pour assurer l’intérim dites-vous ? Oui, dans les grandes boîtes mais dans une PME, pardon, ça risque d’être un peu plus compliqué [4] et non, tous les salariés ne sont pas interchangeables à volonté sur n’importe quel poste : loin de là.
Alors oui, on obtiendra enfin cette égalité salariale hommes-femmes si désirée mais, ce faisant, on créera une nouvelle fracture : les couples avec enfants qui, sauf exceptions, devront se satisfaire de petits métiers et donc de petits revenus et les couples qui auront choisi de donner la priorité à leurs carrières et qui attendront, sauf exceptions, la quarantaine pour fonder une famille [5]. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Voulons-nous vraiment d’une société dans laquelle un bébé arrivé à l’improviste devient une catastrophe professionnelle ? Sommes-nous vraiment prêts à payer ce prix pour obtenir cette nouvelle égalité de fait ?
Et si, tout simplement, on laissait le choix aux gens ? Et si, tout bêtement, le fait, pour une jeune femme, de sacrifier sa carrière à ses enfants résultait d’un choix conscient et assumé ? Et si, finalement, le fait d’imposer par le haut un modèle uniforme à des millions de couples différents dans le seul but de satisfaire nos ingénieurs sociaux finissait par causer plus de tort que de bien ? Laissez faire, morbleu ! Laissez faire ! Est-ce à ce point difficile d’admettre que chaque couple s’organise au mieux de ses intérêts et de ses envies ?
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[1] 423 hommes pour seulement 150 femmes.
[2] Oui, en tant que mâle hétérosexuel, je trouve que Marissa Mayer est une très belle femme. Si vous y voyez une remarque sexiste ou machiste, c’est vous qui avez un problème.
[3] La force de Mayer, c’est qu’elle est montée en grade à une vitesse proprement stupéfiante : ces trois enfants sont nés alors qu’elle était déjà patronne de Yahoo!
[4] Je vous laisse imaginer le genre de distorsions que cette simple réalité peut générer.
[5] Et la maternité à 40 ans, là aussi, je vous laisse deviner.
« la vraie inégalité n’est pas sur le lieu de travail, mais au sein du foyer : lorsqu’une famille a un enfant, la mère est bien plus susceptible de prendre des congés, d’interrompre sa carrière, ou de rentrer plus tôt, que le père. »
RépondreSupprimerLà aussi, je doute que ce soit par sexisme: un couple rationnel aura tendance, toutes choses égales par ailleurs, à choisir d'interrompre la carrière du membre le moins bien rémunéré, afin de minimiser les pertes financières. Or, il se trouve que c'est le plus souvent Madame qui gagne le moins de façon absolue (i.e. sans vouloir corriger les inégalité en fonction du poste ou du niveau d'études par ex.).
La raison principale est, je pense, que le femmes ont tendance à s'orienter vers des études / formations / métiers moins rémunérateurs que les hommes. Par ex. plus d'hommes dans les filières de sciences dures (notamment dans l'informatique, où c'est caricatural: il doit y avoir de 1 à 5 au bas mot), les métiers "physiques" mais rémunérateurs etc.
PS: il y a un souci avec le postage de commentaire sur iPhone
Salut Mateo,
SupprimerJe ne pense pas et ce n'est pas ce que disent les chiffres. Au départ, il n'y a pas vraiment de différence mais, comme il se trouve que ce sont les femmes qui tombent enceintes, le gap se creuse au premier enfant. Après, c'est un effet boule de neige (que tu décris) : l'écart de rémunération va en grandissant.
Ah bon? Tu penses que si on ne corrige pas les différences de rémunération en fonction du niveau d'étude, du métier ou du poste, les salaires des hommes et des femmes sont sensiblement les mêmes en début de carrière (avant le premier enfant)? Je suis étonné, car ce n'est pas ce que je constate autour de moi: dans la grande majorité des cas Monsieur gagne plus que Madame (en début de carrière et avant le premier enfant, donc).
RépondreSupprimerMais peut-être que mon entourage est biaisé avec une sur-représentation des métiers manuels physiques (bâtiment) ou "scientifiques".
J'aimerais tout de même bien voir les chiffres.
Je crois que h16 a écrit un truc là-dessus...
SupprimerTrès bonne émission sur le sujet du "gender pay gap" ici : http://freakonomics.com/podcast/the-true-story-of-the-gender-pay-gap-a-new-freakonomics-radio-podcast/
RépondreSupprimer[2] On ne trouve pas que c'est sexiste, simplement que c'est un peu déplacé, voire maladroit.
RépondreSupprimerc'est vrai quoi, pôv'naze, dire que Marissa Mayer est une jolie femme, et puis quoi encore ?
Supprimerencore un dérapage incroyable de ce type et j'appelle Caroline de Haas.
reprenez vous mon petit Guillaume. vite.
Pardon. Je suis juste humain.
SupprimerDéplacé ? maladroit ?
RépondreSupprimerJe peux vous assurer que si ma patronne, en plus de me considérer comme un bon professionnel, me trouve beau mec, je ne trouve pas ça "déplacé" !
Est-ce à dire que vous éprouvez une attirance coupable pour votre patronne ? N’est-ce pas – comment dire ? – un peu déplacé ?
Supprimer(Je plaisante)