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2014-07-09 10:05 : C'est bon, vous pouvez publier.
« Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. »
— Article 25 de la loi 73-7 du 3 janvier 1973
Les détracteurs de la loi expliquent à qui veux bien l’entendre que c’est par cet article que le gouvernement — Giscard, Pompidou — a interdit au Trésor d’emprunter de l’argent à la Banque de France et, partant, a créé les conditions de notre dette publique actuelle. Je ne reviendrai pas sur le ridicule achevé des théories du complot en général et me contenterai d’un argument factuel et documenté. En résumé, tout ce que racontent les détracteurs de cette loi est faux.
Primo, cet article n’est pas d’origine gouvernementale. Il a été introduit à l’initiative du rapporteur général de la commission des finances du Sénat [1] puis rédigé dans sa forme définitive et institué comme un article à part entière lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale [2]. Jean Taittinger, secrétaire d’État au budget qui représente le gouvernement au Sénat comme à l’Assemblée se contente de ne pas s’y opposer [1, 2, 3].
Deuxio, cet article n’introduit rien de nouveau : l’interdiction qui est faite au Trésor de présenter ses propres bons à l’escompte de la Banque de France est un principe déjà communément admis de tous. Le législateur estimait que c’était une « sage précaution » afin d’interdire au Trésor de « tourner la législation sur les émissions de monnaie ou de quasi-monnaie » [1]. De fait, une disposition similaire est déjà présente dans la loi du 24 juillet 1936 [4].
Tercio et c’est le plus important, si le Trésor ne peut effectivement pas présenter ses effets à l’escompte de la Banque de France, il peut en revanche obtenir des avances et des prêts. C’est l’objet de l’article 19 de la loi de 1973 [5] qui précise que les modalités de ces prêts et avances feraient l’objet de « conventions passées entre le ministre de l’économie et des finances et le gouverneur » et que ces conventions devaient être « approuvées par le Parlement » (ce qui était d’ailleurs l’usage).
De fait, la convention du 17 septembre 1973, passée entre le ministre de l’économie et des finances (Valéry Giscard d’Estaing) et le gouverneur de la Banque de France (Olivier Wormser) et approuvée par la loi 73-1121 du 21 décembre 1973 [6] fixe les modalités des concours de trésorerie apportés par la banque centrale au Trésor : ce dernier peut emprunter jusqu’à 20,5 milliards de francs dont 10,5 milliards gratuitement et 10 milliards sur lesquels il paiera des intérêt très faibles [7]. L’article 5 de la loi prévoit que ces plafonds puissent évoluer selon une règle relativement complexe que je renonce à expliquer ici. Toujours est-il que la loi de 1973 n’interdit absolument pas au Trésor de se financer gratuitement ou quasi-gratuitement auprès de la Banque de France.
Mais à quoi correspond ce montant ? Pourquoi limiter les prêts de la banque centrale au Trésor à 20,5 milliards de francs ? La réponse est extrêmement simple : c’est tout simplement l’officialisation de ce qui existait avant. C’est ainsi que le rapporteur général le présente [8] et c’est effectivement la conclusion à laquelle on arrive en étudiant les séries historiques [9] : la loi de 1973 n’a fait que codifier, simplifier et officialiser une situation existante.
C’est l’essence et la raison d’être de cette loi : mettre au propre les statuts et le mode de fonctionnement de la banque centrale et, notamment, remplacer les bricolages opaques grâce auxquels le Trésor parvenait à s’endetter plus que ce qu’il devait auprès de la Banque de France [10] par un mécanisme officiel, transparent et sous contrôle parlementaire. L’idée selon laquelle elle aurait interdit ou même restreint la capacité de l’État à faire appel à sa banque centrale pour financer ses déficits est au mieux une erreur, au pire un mensonge pur et simple.
Ce qui s’est passé, très simplement, c’est qu’à partir de la relance de Chirac en 1975 et tout au long des quarante exercices budgétaires qui ont suivis, tous nos gouvernements, de droite comme de gauche, ont systématiquement voté des budgets déficitaires. Les dettes ce sont accumulées et, l’inflation aidant, le plafond fixé par la loi de 1973 est vite devenu dérisoire au regard des sommes en jeu. Aujourd’hui encore, ceux-là mêmes qui dénoncent la « dette illégitime » sont les premiers à rejeter tout retour à l’équilibre (sans même parler d’excédents !).
L’ironie de cette histoire est double. D’abord, il est pour le moins piquant de voir de prétendus gaullistes dénoncer ce complot chimérique alors que s’il y a eu complot, le comploteur en chef c’était de Gaulle lui-même. Dès son retour au pouvoir en 1958, la position du général était on ne peut plus clair : rembourser la dette, mettre fin aux politiques inflationnistes et créer un franc fort (le nouveau franc) pour acter le tout. En effet, si la Banque de France finançait environ 28% de la dette publique au cours des années 1950, ce chiffre chute à 16% entre 1960 et 1973 [9] : c’est donc bien Charles de Gaulle qui a poussé le Trésor à s’endetter sur les marchés.
Enfin, deuxième ironie, je ne doute pas un instant que ces quelques mots seront balayés d’un revers de main dédaigneux par tous ceux que Dupont Aignan, le Pen et Mélenchon ont déjà convaincu. C’est une manifestation de ce que j’appelle la loi de Brandoloni : « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une connerie est un ordre de grandeur plus importante que celle utilisée pour la produire ». Les théories du complot ont ceci de doublement terrible qu’elles sont extrêmement faciles à élaborer et à colporter mais presqu’impossibles à réfuter totalement.
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[1] M. Yvon Coudé du Foresto propose cet amendement le 14 décembre 1972 (voir page 10, Article 29).
[2] Par M. Jean Capelle, le 18 décembre 1972 (voir page 4, « Après l’article 24 »).
[3] Le lecteur peut se référer à l’excellent résumé de Magali Pernin et Lior Chamla, Idées reçues sur la loi du 3 janvier 1973, dite « loi Rothschild » sur Contrepoints.
[4] Voir page 209, article 13.
[5] Le texte intégral est disponible sur Légifrance.
[6] Le fac-similé est ici.
[7] En l’occurrence, le « taux le plus bas pratiqué par la banque à l’occasion de ses interventions les plus récentes, au jour le jour ou à très court terme, sur le marché monétaire » (voir note précédente).
[8] Assemblée nationale, séance du 12 décembre 1973, (page 37).
[9] Éric Monnet, Politique monétaire et politique du crédit en France pendant les Trente Glorieuses, 1945-1973, thèse de doctorat, EHESS, page 155 et suivantes.
[10] La situation qui prévalait avant la loi de 1973 était codifiée par la loi du 28 décembre 1959, signée de la main même du général de Gaulle, au titre de laquelle les prêts et avances de la Banque de France au Trésor étaient limitées à 11,5 milliards de nouveaux francs.
Primo : ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Dire que les "théories du complot" sont efficaces par leur simplisme est d'une effroyable stupidité. Au contraire si elles sont difficiles a démonter, c'est justement a cause de la complexité des mécanismes mis en jeu.
RépondreSupprimerSecundo : il est pour le moins paradoxal de prétendre que De Gaulle aurait poussé la France a s'endetter, puis de dire que c'est grâce a lui qu'elle s'est désendettée ... Ainsi, il n'est pas illogique de penser que le ratio d'emprunt diminue proportionnellement avec l'endettement lors des 30 glorieuses ... mais bon, quand on se cantonne à la réfutation du "grand diable complotiste", on ne va forcement pas chercher bien loin...
Tertio : "à partir de la relance de Chirac en 1975 blablabla" oui, ou alors du choc pétrolier de 1973, cet évènement expliquant en grande partie que les défauts de trésorerie ont rendu ces conventions, permises par cette loi de 73, obsolètes dès leur 1ère application... la "modernisation" des lois existantes était morte dans l'oeuf, cette loi a donc été particulièrement mortifère par la rigidité qu'elle introduisait. Il y avait un usage, certes, mais qui ne restait rien d'autre qu'un usage.
La preuve est d'ailleurs dans votre texte : "la BdF finançait environ 28% de la dette publique au cours des années 1950"
puis
"[10] La situation qui prévalait avant la loi de 1973 était codifiée par la loi du 28 décembre 1959 [NB : ah ... donc pas 1936 ? mince...], signée de la main même du général de Gaulle, au titre de laquelle les prêts et avances de la Banque de France au Trésor étaient limitées à 11,5 milliards de nouveaux francs."
Quatuor : "Pourquoi limiter les prêts de la banque centrale au Trésor à 20,5 milliards de francs ?" [et plus loin :] "L’idée selon laquelle elle aurait interdit ou même restreint la capacité de l’État à faire appel à sa banque centrale pour financer ses déficits est au mieux une erreur, au pire un mensonge pur et simple."
Ou comment dire tout et son contraire dans le même article... bref, là c'est moi qui renonce : cet article pue tellement la mauvaise foi, les "oublis volontaires" et autres approximations, qu'il est à peu près aussi crédible que les "théories du complot" qu'il prétend combattre... un beau morceau de démagogie pseudo-rationaliste, où il suffit d'avoir l'air sur de soi pour faire croire qu'on a raison.
Age
Primo, permettez-moi de ne pas être d’accord : la force de ce genre de théories, c’est qu’elles expliquent l’état du réel par la démarche volontaire d’un certain nombre d’individus (i.e. trahison, volonté de nuire etc.) ce qui est infiniment plus facile à raconter à un auditoire techniquement limité.
SupprimerDeuxio, de Gaulle a poussé le Trésor à s’endetter sur les marchés (plutôt qu’auprès de la bdF) et, dans le même temps, a désendetté l’État en générant des excédents budgétaires. C’est aussi simple que ça, ce n’est en rien contradictoire, je vous renvoie votre compliment.
Tertio, la loi de 1973 ne change rien à l’affaire : si vous connaissiez un peu le sujet, vous sauriez que ce type de convention entre le ministre des finances et le gouverneur, validées par le parlement, est le mode de fonctionnement normal de la BdF depuis — au moins — 1857. Si le plafond n’a pas été relevé, c’est une volonté politique liée, notamment, aux engagements pris avec nos amis européens (serpent monétaire, SME puis l’euro).
Quatuor, il est question de la loi de 73 qui, en l’espèce, ne modifie aucunement le plafond en usage. Je vous renvoie au Tertio.
Bref, outre votre magnifique mise en pratique de la Greater Internet Fuckward Theory, vous n’avez manifestement rien compris et, pire encore, c’est sans doute volontaire. Je vous invite donc à éviter ce blog à l'avenir.
Ces réfutations techniques sont évidemment les bienvenues, mais il convient aussi de réfuter la campagne de propagande contre "la loi Pompidou-Rothschild" sur le terrain des idées. Et là, du coup, c'est beaucoup plus simple et accessible à tout le monde, ce qui a son utilité.
RépondreSupprimerLes théoriciens de "la dette illégitime", autrement dit les partisans de "la dette, riennafout', de toute façon on la remboursera pas", qui sont les mêmes que les inventeurs du "scandale de la loi Pompidou-Rothschild", sont simplement des gens qui tentent d'accréditer la thèse de l'argent gratuit.
Ils tentent de convaincre les gens qu'on peut créer des richesses sans travailler à cet effet.
Il suffirait de "faire imprimer de l'argent par la Banque de France", l'Etat donnerait l'ordre "d'injecter" cet argent par de mystérieux mécanismes dans "l'économie", et puis roule ma poule, le "pouvoir d'achat" se retrouverait comme par miracle dans la poche des "travailleurs".
C'est ni plus ni moins qu'un avatar supplémentaire de l'arnaque communiste, selon laquelle il suffirait de prendre les richesses aux "bourgeois" pour les redistribuer au "peuple".
Le communisme n'est qu'une longue suite d'échecs, et toujours il s'est trouvé des gens pour prétendre qu'on n'avait pas encore essayé assez fort, qu'il fallait trouver d'autres moyens de l’appliquer, qu'on allait bien finir par y arriver.
Au début du XXème siècle, les ouvriers européens eux-mêmes ont rejeté le communisme : les bolcheviques ont alors essayé de l'instaurer dans un pays sans ouvriers.
Dans les années 30, l'Ecole de Francfort, à la suite de Gramsci et Lukacs, décida que les ouvirers étaient vraiment trop cons, et qu'il fallait tenter d'instaurer le communisme par la subversion de la culture et de la société en général ; c'est l'origine de l'idéologie anti-raciste.
Après la Seconde guerre mondiale, les intellectuels d'Europe de l'Ouest s'imaginèrent qu'ils étaient capables de faire le communisme sans communistes, et ce fut la social-démocratie : rapport Beveridge en Grande-Bretagne, création du statut des fonctionnaires et de la Sécurité sociale en France sous l'égide des chefs du PCF et de la CGT nommés ministres, etc.
Mai 68 appliqua les théories de l'Ecole de Francfort et les popularisa dans la société, en France comme aux Etats-Unis.
Tout cela a spectaculairement échoué.
Et maintenant, on a une énième itération de l'illusion communiste. Nous sommes dans l'ère de la finance, c'est donc par la finance que les néo-communistes essaient de nous refourguer leur marchandise avariée : il "suffit" de "faire financer les besoins de l'Etat par la Banque de France".
Comment n'y avait-on pas pensé !
En réalité, il y a deux moyens -- et seulement deux -- de s'enrichir, que ce soit pour un individu ou une nation : travailler, c'est-à-dire créer ces richesses, ou voler. Pendant des millénaires, le vol a été, pour les nations, un moyen légitime de s'enrichir : ça s'appelait le pillage des nations conquises.
RépondreSupprimerAujourd'hui, la moralité communément admise réprouve le pillage d'Etat comme le vol individuel. Ceux qui cèdent à l'éternelle tentation de s'enrichir en volant le bien d'autrui s'illusionnent donc, en exigeant de l'Etat qu'il vole à leur place.
Pendant quarante ans, en France, ils se sont gavés en creusant la dette. Maintenant que le mur s’approche et que le tuyau d’argent gratuit menace de se tarir, les mêmes drogués à la dépense publique demandent au « politique » d’inventer de nouvelles formes de pillage par le biais de tripatouillages financiers. Pire, hommes politiques ou énarques, ils trompent la population en couvrant ce mythe de leur autorité sociale.
Il serait plus honnête que Mélenchon ou Marine le Pen proposent : faisons donc la conquête du Bamboulistan, et approprions-nous son pétrole, son uranium et ses terres à blé.
Là, au moins, on pourrait avoir une discussion franche, et dire : d'accord ou pas d'accord. Tout le monde comprendrait. Au lieu de cela, des personnages qui occupent tout de même d'éminentes fonctions nous enfument avec "la loi Pompidou-Rothschild" -- et son délicieux fumet de transgression anti-sémite, qui est la cerise de crotte sur le gâteau de caca.
Une paysanne illettrée du XIXème siècle comprendrait qu’on ne peut pas vivre en cueillant des billets de banque sur les arbres. De nos jours, des gens qui se croient bien plus intelligents ont du mal à accéder à ce degré zéro du bon sens.
Il y a défaut d'axe, Marchenoir.
SupprimerCe ne sont pas les drogués de la dépense publique qui sont en cause mais les dealers que sont les politiciens, depuis toujours en démocratie.
La seule façon d'accéder aux prébendes les plus juteuses est d'acheter les votes par des "mesures sociales". En Afrique ou ailleurs c'est du cash ou un emploi pour le grand gamin de la famille ; chez nous, c'est sophistiqué, mais ça revient au même.
Les grands principes sont des éléments de langage pour faire résonner les préaux, mais tout le monde s'en cogne, sauf les jeunes qui découvrent l'aisance d'un tribun et décident de... cotiser. Ah les cons !
Ecouter les frondeurs socialistes est un rare moment de pénétration dans l'univers de dame Bêtise dont le règne est si méconnu mais bénéficiaire pour les happy few. 1973 est un piton dialectique auquel se pendent les trafiquants d'assistance.
Sans blague, Catoneo ? Les dizaines, pour ne pas dire les centaines de millions de Français qui ont profité de la dépense publique depuis 1945, qui se sont battus bec et ongles pour rester au-dessous du tuyau d'argent gratuit des autres, qui n'ont reculé devant aucune lâcheté, aucun mensonge, aucune exaction, aucune injustice ni même aucun meurtre pour conserver au-dessus de leurs têtes la bienfaisante douche d'argent étatique, ceux-là n'auraient aucune responsabilité ?
SupprimerComme c'est commode ! Comme je reconnais là l'éternel refus des Français d'assumer la moindre once de responsabilité ! C'est toujours la faute des autres ! Des chefs ! Des politiciens ! Des riches ! Des Américains ! Des Juifs !
Toujours un bouc émissaire sous la main, hein ?
@ Robert M.
SupprimerEntièrement d'accord. Bonne synhèse.
@ Robert Marchenoir et Catoneo-Je vous donne raison à tous d’eux, les politiciens n’étant pas des hommes d’Etat, mais uniquement des opportunistes qui sont majoritairement imposable à l’ISF avec de l’argent public c'est-à-dire de l’argent privé, que l’Etat, c'est-à-dire ses pseudos représentants qui se servent dans nos poches et nous font payer toutes leurs impérities mais les votants ne sont que de pauvres imbéciles qui croient à ce qu’on leur raconte, par exemple : c e sont les salariés qui font la richesse des patrons, et Thomas Piketty d’écrire (le capital au XXIe siècle) que l’Etat doit se réapproprier en une génération la fortune de tout individu par l’impôt sur le patrimoine et les droits de mutation à titre gratuit.
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