Thomas Piketty nous annonce le retour des grandes fortunes héréditaires et dénonce le mythe selon lequel les milliardaires gagnent leurs fortunes. Sans grandes ambitions scientifiques, je vous propose une rapide analyse de la destinées des dix hommes les plus riches du monde en 1987 et des origines des dix hommes (et femmes) les plus riches d’aujourd’hui.
En 1987, donc, lorsque Forbes publie son premier classement des milliardaires, cinq des dix hommes les plus riches du monde sont japonais et sont arrivé là grâce à leurs activités dans le secteur immobilier. Dans l’ordre : Yoshiaki Tsutsumi, l’homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à (environ) 20 milliards de dollars, Taikichiro Mori (2nd, $15 milliards), Shigeru Kobayashi (4ème, $7,5 milliards), Haruhiko Yoshimoto (5ème, $7 milliards) et Yohachiro Iwasaki (9ème, $5,6 milliards). En troisième position, on trouve Sam Walton, le co-fondateur avec son frère James de Wall-Mart ($8,5 milliards), le sixième était saoudien (Salim Ahmed bin Mahfouz, $6,2 milliards), Hans et Gad Rausing, deux frères suédois (Tetra Pak), occupent la septième place ($6 milliards) ; ils sont suivis de près par les trois frères Reichmann (canadiens, Olympia & York) et c’est Kenneth Thomson (canadien, Thomson Corp.) qui clôturait ce classement avec une fortune personnelle estimée à 5,4 milliards de dollars.
Vingt-six ans plus tard, la plupart de ces gens-là sont morts. On peut néanmoins voir où en sont leurs héritiers. Commençons par nos samouraïs : souvenez-vous, nous sommes à la fin des années 1980 et la politique monétaire laxiste de la Banque du Japon a déclenché une gigantesque bulle spéculative qui touche à la fois les actions et l’immobilier. Malheureusement pour eux, la remontée des taux va brutalement siffler la fin de la récréation. Tsutsumi quitte définitivement de la liste des milliardaires en 2007, Kobayashi, Yoshimoto et Iwasaki disparaissent littéralement des radars ; seul Mori parvient s’en sortir : la famille Mori (dirigée par son fils Akira) est actuellement classée 378ème du classement de Forbes avec une fortune estimée à 4,1 milliards de dollars.
Les héritiers de Sam Walton s’en sortent beaucoup mieux. À sa mort en 1992, ses quatre enfants — Samuel (12ème, $35,9 milliards), John (mort en 2005, sa femme Christy est actuellement 9ème avec $38,7 milliards), Jim (10ème, $36,4 milliards) et Alice Louise (11ème, $35,9 milliards) — héritent de l’essentiel du groupe tandis que leurs cousines Ann et Nancy, les filles de James, avec des fortunes de 5,1 et 4,3 milliards de dollars occupent respectivement les 293ème et 359ème places du classement. Au total les six héritiers de Sam Walton détiennent collectivement plus de 156 milliards de dollars.
Lorsque Salim Ahmed bin Mahfouz s’éteint en 1994, c’est son fils Khalid qui hérite de la fortune paternelle et devient l’archétype du milliardaire saoudien (résidences luxueuses, baignoires en or, Boeing 767…) à tel point qu’à sa mort, en 2009, sa fortune avait pratiquement fondu de moitié. Aucun des deux fils de Khalid — Abdulrahman et Sultan — n’apparait dans la liste de Forbes.
Hans et Gad Rausing (Suède) n’ont pas démérité : en soixante ans, ils ont transformé la petite affaire familiale de six personnes en une multinationale de plus de 23 000 salariés. Gad est mort en 2000 et ce sont ses trois enfants — Kristen (288ème, $5,1 milliards), Finn (288ème ex-aequo, $5,1 milliards) et Jörn (269ème, 5.5 milliards) — qui ont hérité de sa fortune. Hans, qui a revendu ses parts au milieu des années 1990, est toujours vivant, il a fêté ses 88 printemps récemment, et reste à la tête d’une fortune personnelle estimée à 12 milliards de dollars (il est 94ème).
Pour les frères Reichmann, la fête a été de courte durée : c’est Canary Wharf qui va finalement avoir raison d’eux. Au travers d’Olympia & York, ils avaient investis massivement dans le futur quartier d’affaires de Londres mais ce dernier, en pleine récession, restant désespérément désert et leurs 20 milliards de dollars de dettes continuant à courir, ils ont dû se résoudre à mettre la clé sous la porte en 1992. Il semble que ces serial-entrepreneurs soient depuis retombés sur leurs pieds mais aucun d’entre eux n’apparait plus dans le classement des milliardaires.
Kenneth Thomson, enfin, s’en est très bien sorti : quand, en 1976, il a hérité du groupe fondé par son père Roy, on estimait déjà la valeur de Thomson Corp. à quelques 500 millions de dollars ; 30 ans plus tard, à la mort de Kenneth, le groupe valait 29,3 milliards — un héritier, certes, mais qui n’a pas démérité, loin s’en faut ! C’est désormais David Thomson, fils aîné de Kenneth, qui préside aux destinées du groupe au nom des sept petits-enfants de Roy ; collectivement, leur fortune est estimée à 23,2 milliards de dollar et ils sont 26èmes du classement 2014.
Résumons : dans le meilleurs des cas [1], ce top dix de 1987 qui, à l’époque, était à la tête d’une fortune totale de 155,1 milliards de dollars actuels dispose aujourd’hui d’environ 217 milliards de dollars. C’est-à-dire que là où Piketty nous annoncerait que les super-riches se sont enrichis de 4,6% par an (plus que les autres), ce millésime 1987 ne s’est en réalité enrichis que de 1,3% par an en moyenne (moins que les autres). Et encore, si vous tenez compte de l’asymétrie en excluant les Walton, les neuf autres familles se sont appauvries de 3% par an (en moyenne).
Évidemment, démarrer dans la vie avec plus d’un milliards de dollars en poche, met en principe à l’abri d’un certain nombre de difficultés et il est très vraisemblable qu’aucun des héritiers de ce millésime de 1987 ne vit aujourd’hui dans des conditions qui s’approchent, de près ou de loin, de ce que nous qualifierions vous et moi de misérables. Ils vivent sans doute plus que confortablement mais, à l’exception des familles Walton, Rausing et Thomson et ce, sans même tenir compte de la division des héritages, tous ce sont appauvris.
Passons maintenant, aux super-riches d’aujourd’hui et — à tout seigneur tout honneur — au champion de la bande qui fait cette année son grand retour en tête du classement, j’ai nommé : Bill Gates. Soixante-dix-sept milliards de dollars à la pesée qui, ça ne vous a pas échappé, prennent essentiellement la forme d’actions de Microsoft ; entreprise créée en 1975 par Gates et son ami d’enfance Paul Allen (55ème, $16 milliards). Ni Gates ni Allen n’ont jamais connu les affres de la misère — ils sont tous deux issus de la bonne bourgeoisie de Seattle — mais ne correspondent en rien au portrait que nous brosse Piketty. Pas plus que Carlos Slim Helú (2nd, $71,9 milliards), le mexicain qui vient de se faire ravir la première place du podium par Gates, ni même Warren Buffet (3ème, $64 milliards), dont le père était bien membre du congrès des États-Unis mais n’a jamais rien légué à sa progéniture qui puisse s’apparenter à une fortune.
Viennent ensuite des personnages comme Amancio Ortega Gaona (4ème, $63,3 milliards), héritier d’un cheminot espagnol, qui — dois-je le préciser ? — ne dois pas grand-chose à la fortune paternelle. Pas plus d’ailleurs que Larry Ellison (5ème, $50,3 milliards) qui n’a d’ailleurs jamais connu son père puisque ce dernier l’a abandonné avant que sa mère, incapable de subvenir aux besoins d’un enfant, ne l’abandonne à son tour. De la même manière, Sheldon Adelson, dernier du classement avec $38,4 milliards, est le fils d’un chauffeur de taxi et d’une petite commerçante de Boston. Je crois pouvoir dire sans risquer de me tromper que le prêt de deux-cent dollars accordés par son oncle lorsqu’il avait douze ne fait pas de lui un héritier au sens de Piketty.
En revanche, les frères Koch, Charles et David, 41,2 milliards de dollars chacun et 6èmes ex-aequo, peuvent effectivement être considérés comme les héritiers de leur père qui leur laissa effectivement de quoi vivre confortablement. On notera néanmoins que les frères Koch n’ont rien de deux oisifs qui se contentent de vivre sur les acquis de leur géniteur : depuis qu’en 1967 ils ont pris les rênes de ce qui allait devenir Koch Industries, ils ont multiplié la taille de l’entreprise paternelle par un facteur de 2 600. Il nous reste donc Jim (10ème, $36,1 milliards) et Christy Walton (8ème, 38,4 milliards) qui, pour le coup, sont vraiment des héritiers puisqu’ils sont respectivement le plus jeune des fils et la belle-fille de Sam Walton.
Bref, parmi les dix personnes les plus riches du monde, nous avons aujourd’hui deux véritables héritiers (les Walton), deux autres (les Koch) que l’on peut, avec un peu de mauvaise foi, assimiler à des héritiers et six types issus de la middle class — plutôt aisée dans le cas de Gates, Slim et Buffet, plutôt pauvre pour ce qui est d’Ortega, Ellison et Adelson — qui ne correspondent en rien à l’image que Piketty cherche à donner d’eux. Bien sûr, on m’objectera qu’on ne tire pas de généralité d’un échantillon aussi restreint ; c’est tout à fait vrai : je vous invite donc à descendre le classement de Forbes et à juger par vous-même si Li Ka-shing, Michael Bloomberg, Larry Page, Sergey Brin, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg — pour ne citer que quelques noms — correspondent à ce que vous appelleriez des héritiers.
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[1] Faute de mieux, je suppose que tous ceux qui ont disparu du classement des milliardaires disposent aujourd’hui d’une fortune de 999,999999 millions de dollars.
Bravo et merci pour cet article intéressant.
RépondreSupprimerDe cet état de fait, deux questions essentielles et liées peuvent se poser, l'origine de la richesse, et celle des porte-feuilles si élevés. Quand on comprend les mécanismes des marchés et d'entrepreneuriat, ce constat ci-dessus est logique pour le phénomène d'hyper-richesse. A noter que ce phénomène est créé (ou pour le moins amplifié) par les politiques, on le sait, et qu'il est dans la nature même du capitalisme de permettre aux générations suivantes d'être plus riches (quand il ne s'agit pas ce genre d'anomalie où l'inverse est observé car logiquement inéluctable).
Par ailleurs, regardons les héritiers en politique, ils sont eux, réels, et tout aussi logique quand on comprend le mécanisme, cette fois-ci, du pouvoir politique.
Bref, Piketty, pique-là, prend dans les poches, et puis s'en va.
Le délire de Piketti sur les héritiers est assez rigolo, s'agissant d'un Français, dont l'Etat taxe les fortunes de 1,5% chaque année, puis prélève 45% à la mort de la personne. Son analyse vaut sans doute pour le monde entier hors France? lol
RépondreSupprimerLa France de Flamby n'est pas la France, c'est l'Amérique, cet empire déjà sur le déclin, si bien résumé par la phrase de Clemenceau. La France attend, patiemment.
SupprimerJe vous assure que les super héritages ne sont pas taxé à 45% en France et encore moins 1,5% par an...Ce sont juste des taux officiels.
SupprimerL'optimisation fiscale (et je ne parle même pas de l'évasion fiscale) permet des prouesses vous savez?
A quoi sert d'avoir, sur son relevé bancaire, une somme accumulée de 7, 8 ou 10 chiffres ?
RépondreSupprimerA partir de combien est-on capable d'écrire 'Phèdre' ?
Et Platon, il a hérité de combien ?
Ce n'est vraiment pas la question. Etes vous un de ces petits intellos qui détestent le libéralisme parce qu'il ne saurait pas reconnaître à leur juste prix vos éminentes qualités ?
SupprimerOui, l'argent ne fait pas tout. C'est un truisme. Et alors ? Qu'est-ce que cela a à voir avec le thème de ce billet ? Je ne vois nulle part que l'auteur ferait une équivalence entre qualités humaines et niveau de fortune.
Mais l'inverse est vraie : on peut être riche sans être automatiquement un salaud.
Piketty a effectué une étude sur la moyenne. Or avec 1645 milliardaires dans le monde (selon Forbes) et 12,5 millions de High Net Worth Individuals (HNWI) (personnes disposant d'un capital de 1 millions à investir dans l'instant). Difficile de dire que la dizaine de cas cités dans votre article correspondent à l'ensemble de la population.
RépondreSupprimerDe plus vous omettez un point essentiel de son analyse : celle du placement de ces fortunes et de leur rendement supérieur (en moyenne) au taux de croissance mondial. Logiquement, ces richesses accumulées ont tendance à augmenter plus vite que celles des autres individus (r>g). Cette équation expliquerait, en partie, cette hausse des "super-héritiers" - il y aussi le fait qu'ils sont souvent "super-cadres" pour diverses raisons.