Lors d’un épisode précédent, nous avons vu pourquoi l’argument anti-euro qui veut que des économies dissemblables ne peuvent partager une même monnaie n’était, en réalité, par un argument anti-euro mais une critique de la politique monétaire en général.
Reste donc à traiter l’argument principal de ceux d’entre vous qui souhaitent abandonner l’euro pour revenir au franc : la monnaie unique, dites-vous, nous prive de notre souveraineté monétaire, revenir au franc c’est la recouvrer.
La souveraineté monétaire, comme vous le savez, c’est l’idée selon laquelle le pouvoir exclusif de battre monnaie est un attribut essentiel de la souveraineté d’un État — c’est-à-dire de sa capacité à exercer le monopole de la coercition sur son territoire. Au-delà de l’aspect purement symbolique, les raisons concrètes qui vous poussent à vouloir recouvrer cette part de souveraineté sont au nombre de deux ; voici vos arguments :
« En privant l’État de sa souveraineté monétaire, l’euro nous condamne à rembourser la dette publique. »
C’est tout à fait faux. Si votre politique consiste à renier les engagements que nous avons pris auprès de nos créanciers, il existe une méthode aussi simple, aussi radicale et à peine plus honorable : ça s’appelle un défaut de paiement.
En pratique, c’est à la portée de n’importe quel mauvais payeur : il suffit de déterminer les dettes que vous ne souhaitez pas honorer, de l’annoncer publiquement et de ne plus payer. C’est aussi simple que ça et vous n’avez naturellement rien à craindre de la « dictature des marchés » — Goldman Sachs, combien de bataillons ? — si ce n’est, bien sûr, qu’ils risquent de se montrer moins conciliants la prochaine fois que leur tendrez votre sébile.
La seule chose que l’euro vous oblige à faire en l’espèce, c’est de le faire franchement et d’assumer les conséquences de vos actes.
L’inflation, j’en conviens, est un outil bien pratique qui permet à un gouvernement « d’euthanasier les rentiers » discrètement tout en faisant porter le chapeau de son incurie à ses boucs émissaires traditionnels — spéculateurs, accapareurs et autres ennemis sans visage — mais ce n’est pas un outil digne d’une République. Si vous souhaitez euthanasier les rentiers, faites-le à visage découvert et taxez leur épargne.
Accessoirement, je précise que Madame Bettencourt n’a pas grand-chose à craindre d’une fiscalisation inflationniste. L’essentiel de son patrimoine est constitué d’actions — de l’Oréal — et se trouve par ailleurs géré par des professionnels tout à fait compétents qui sauront la mettre à l’abri. Les « rentiers » qui feront les frais de votre « euthanasie », se sont ceux dont le patrimoine est essentiellement constitué d’instruments monétaires ; c’est-à-dire les petits épargnants à commencer par ces retraités qui ont économisé toute leur vie pour améliorer l’ordinaire une fois l’heure de la retraite venue.
« En privant l’État de sa souveraineté monétaire, l'euro nous empêche de dévaluer pour améliorer notre compétitivité. »
C’est, là encore, parfaitement faux. Une dévaluation compétitive, en supposant que nos partenaires commerciaux ne répondent pas de la même manière, n’a d’effet sur la compétitivité à l’export d’une économie que si et seulement si les salaires ne s’ajustent pas. En d’autres termes, cette dévaluation du franc que vous vendez à votre clientèle politique n’est ni plus ni moins qu’une baisse générale des salaires réels.
Encore une fois : assumez que diable ! Si c’est ce que vous voulez faire, si vous envisagez sérieusement de saper le pouvoir d’achat des français dans le seul but de rétablir le sacrosaint équilibre de cette fable qu’est la balance commerciale, faîtes-le officiellement, votez une loi, et imposez une baisse générale des salaires.
La seule chose que l’euro vous empêche de faire, c’est de compter sur l’ignorance économique de nos compatriotes — surtout ceux qui n’ont pas connu les années 1950 — pour leur faire passer la pilule et, au passage, faire porter le chapeau aux boucs émissaires déjà évoqués plus haut.
Accessoirement, je signale que ce type de politiques n’a jamais enrichi que les actionnaires des banques et des entreprises exportatrices ; pour le commun des français, la dévaluation compétitive ne se traduira que par un effondrement de leur pouvoir d’achat.
Bref, si votre stratégie consiste à truander vos créanciers et à taper massivement dans l’épargne des français, faites-le au moins au grand jour et — de grâce — cessez d’accuser l’euro. Si votre stratégie consiste à imposer une réduction générale des salaires réels pour arrondir les fins de mois des entreprises exportatrices, là encore, de grâce, cessez d’accuser l’euro et assumez les conséquences de vos actes.
Bonjour
RépondreSupprimerSur le remboursement de la dette public M.Rothbard écrit " que l'État n'a pas d'argent qui lui appartienne et le remboursement de ses dettes signifie que les contribuables seront forcés de verser d'avantage d'argent aux porteurs d'obligations publics. (...)ce qui signifie d'avantage de coercition et d'atteinte à la propriété privée et l'innocence apparente du porteur de titres d'État disparait quand on se rend compte que ce qu'il a acheté n'est rien d'autre que d'investir dans le pillage et l'expropriation à venir des contribuables"
Sur le second point il me semble que les partisans de la dévaluation compétitive vise non pas le pouvoir d'achat mais la réduction du chômage.
Qu'en pensez-vous ?
Cordialement
Bonsoir,
RépondreSupprimer2 nuances : l'inflation (si elle ne dégénère pas) est tout de même un système de spoliation moins brutal et moins porteur de risque systémique qu'un défaut. Si l'on a emprunté dans sa devise nationale, elle a en plus l'avantage de ne pas spolier que les épargnants nationaux mais de faire participer les créanciers étrangers.
La différence importante entre baisse des salaires et dévaluation compétitive est que la première fait baisser le pouvoir d'achats vis-à-vis de tous les biens et services, alors que la seconde fait baisser le pouvoir d'achat vis à vis des biens importés. L'effet sur l'économie nationale n'est pas le même.
Bonjour Alain,
RépondreSupprimer(i) L’inflation touche tous les créanciers de la même manière qu’un défaut (total ou partiel). Les seules différences sont (a) qu’en faisant défaut l’état peut « sélectionner » les dettes qu’il ne rembourse pas et (b) l’inflation agit sur toutes les dettes, pas seulement celle de l’état.
(ii) Si vous voulez (ce peut être une question de dosage). Une autre manière de voir les choses consiste à créer des droits de douane : le consommateur subventionne par une perte de pouvoir d’achat les résultats des entreprises exportatrice.
Merci pour cet article et les commentaires construits.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerQuelques remarques espérons constructives:
(i) l'augmentation de la masse monétaire ne se traduit pas nécessairement par de l'inflation (si l'augmentation de productivité est supérieure, on peut très bien avoir une déflation parallèle à une augmentation de la masse monétaire, en théorie comme en pratique: au Japon depuis l'éclatement de la bulle de 89)
(ii) Si inflation il y a, elle allège le fardeau de la dette qui pèse sur les classes moyennes (gros obstacle à la consommation et à la prise de risque), elle revalorise l'equity (ce qui favorise les épargnants, les entrepreneurs, et au sens large les gens qui bossent), finit - voire parfois débute - par l'inflation des salaires et encourage dans tous les cas la circulation du capital: si l'inflation a des inconvénients certains, elle a aussi des avantages et l'Histoire a bien montré qu'elle était parfaitement compatible (voire même corrélée) avec la croissance et la prospérité. A l'inverse de la déflation, comme chacun sait.
(iii) ... mais en pratique l'inflation est peu probable pour 3 raisons au moins: a/ l'output gap est très élevé, b/ le deleveraging du secteur privé n'est pas terminé (et c'est une force très déflationniste) et le plus important c/ le supply-side est de plus en plus élastique et en sur-capacité pour de plus en plus de biens et de services: là où une augmentation de la demande devrait, théoriquement, se traduire par une augmentation des prix, la quantité de prix administrés, appareil productifs scalables ou sur-scalés, et l'existence de stock modèrent cette hypothèse; sans parler du fait que la robotisation / logicielisation en cours de l'économie ne va qu'accentuer cette élasticité du supply, rendant une hausse des prix toujours plus improbable face à une simple augmentation du supply.
(iv) revenir à une monnaie nationale (en France) se traduirait automatiquement (lire: sans intervention étatique) par une dévaluation de ce nouveau franc: le marché reviendrait pricer à la baisse, comme il se doit, le taux de change qui est aujourd'hui arbitrairement fixé par les technocrates européens. En tant que libéral je ne peux qu'approuver: une bonne monnaie voit sa valeur flotter librement contre celles des monnaies voisines, en fonction de la productivité réelle de chaque zone économique: c'est justement le blocage de ce prix de marché fondamental par la puissance publique qui a conduit à la crise de l'Euro. Sur un marché libre, des zones économiques dont la productivité changent voient leur monnaie se réévaluer en permanence, lorsque l'on bloque ce mécanisme on détraque tous les prix, et comme l’expliquait très bien Charle Gave, ça aboutit à trop d'usines en Allemagne, trop d'immobilier en Espagne, et trop de fonctionnaire en France. Le résultat, lorsque la réalité vient régler d'un coup ce que le marché aurait lissé par le mécanisme des prix libres, c'est la déflation, l’explosion du chômage, et les extrêmes qui se rapprochent du pouvoir, comme cela s'est déjà passé lors des multiples catastrophes liées à l'étalon-or. On peut critiquer les monnaies nationales en soi, bien entendu, mais on ne peut pas crédiblement préférer un taux de change fixe face à un taux de change flottant.
(v) la dette publique est plus un épouvantail qu'autre chose: on peut très bien en réduire le stock tout en faisant des déficits pour peu que la croissance soit suffisante, c'est à dire pour peu que les lois, réglementations, et atmosphère légale en vigueur encouragent la prise de risque entrepreneuriale et la natalité. L'état US n'a quasiment jamais fait de surplus en 300 ans d'existence (et à chaque fois qu'il en a fait, il a causé une récession en pompant le surplus financier du privé, comme c'était comptablement prévisible). Les bonds sont des actifs sans risques sans lesquels le système financier moderne ne peut fonctionner, ce que le modèle chartaliste décrit très bien depuis plus d'un siècle: la dette publique n'a pas vocation à être remboursée, c'est juste un outil pour que les marchés soient plus liquides donc les prix plus justes, rien de plus.
RépondreSupprimerLe péril européen, dans l'aspect monétaire comme ailleurs, c'est son travail constant de destruction de la subsidiarité. Il nous faut plus de monnaies en concurrence, pas moins.
Bien à vous.
Bonjour et merci pour ce commentaire. Je vais essayer d’y répondre mais via des papiers ici même.
SupprimerNb : je ne suis pas un fan de l’euro et pas opposé, dans l’absolu, à un retour au franc : tout dépend du pourquoi.