Nous disposons d’un modèle qui prédit que demain, le soleil se lèvera à l’est et se couchera à l’ouest. Il y a deux manières de concevoir ce modèle. La première, la méthode empirique, consiste à réaliser un très grand nombre d’observations et à en induire une loi : en l’espèce, le soleil s’est levé à l’est et couché à l’ouest dans 100% des observations ; d’où notre modèle. Une autre manière de procéder consiste à comprendre la mécanique céleste. De fil en aiguille, on comprend que c’est la terre qui tourne autour du soleil et que ce phénomène s’explique par la rotation de notre planète sur elle-même. De là, on en déduit que, parce que la terre tourne vers l’est, le soleil se lèvera demain à l’est et se couchera à l’ouest.
Quelque soit la méthode utilisée, notre modèle de prévision va fonctionner. Pourtant, il existe une situation dans laquelle ces deux approches sont radicalement différentes dans leur capacité à prédire le futur : le black swan ; et si, pour une fois, le soleil se levait à l’ouest et se couchait à l’est ?
Du point de vue du positivisme logique, le modèle empirique est validé par l’expérience ; c’est-à-dire que le black swan n’est pas un état possible du futur ou, du moins, il n’est pas envisagé par le modèle de prédiction. Plus prudent, Karl Popper estimera que le modèle n’est pas validé mais non-réfuté jusqu’à preuve du contraire ; mais en pratique, les utilisateurs du modèle attendront d’observer un black swan pour intégrer cette possibilité au modèle de prédiction.
En revanche, le modèle déductif intègre - au moins implicitement - la possibilité d’un black swan. Il existe un état possible du monde dans lequel le soleil se lève à l’ouest et se couche à l’est : c’est ce qui arriverait si la terre se mettait à tourner dans l’autre sens. C’est-à-dire que l’équipe chargée de faire tourner le modèle peut intégrer dans ses calculs un ou plusieurs scénarios dans lesquels, suite à un évènement extrêmement improbable et jamais observé, la terre se met à tourner vers l’ouest. Bien sûr, ils peuvent oublier d’envisager un certain nombre de scénarios mais au moins, le modèle intègre la possibilité d’un black swan.
Ce n’est pas parce qu’un emprunteur n’a jamais fait défaut qu’il ne peut pas faire défaut. Même si vous considérez l’emprunteur le plus financièrement solide au monde, il existe toujours, quelque part dans l’univers des possibles, un ou plusieurs cas où il ne vous remboursera pas - ou, du moins, pas intégralement. De ce point de vue, Nassim Taleb a nécessairement raison. Tout nos modèles empiriques, quelque soit leur degré de sophistication, ne sont que des approximations fondées sur la même hypothèse : le futur ressemblera, éventuellement à quelques écart-types près, au passé.
Mais cela ne signifie pas, à mon sens, que la prédiction soit impossible pour peu que par prédiction on cesse d’entendre la description d’un scénario unique, une prédiction de la Pythie. Nous ne connaissons pas le futur. C’est un fait. Mais une chose que nous pouvons faire c’est prévoir les états possibles du futur - i.e. une liste de scénarios - et leur associer des probabilités de réalisation. Bien sûr, nous risquons d’oublier des scénarios et nos probabilités ex-ante ne seront jamais que des estimations mais, ne serait-ce qu’en intégrant la possibilité d’un black swan, ils sont sans doute supérieurs aux modèles empiriques.
Un de ces scénarios, c’est le crash test. C’est un black swan a priori : peu importe qu’il soit probable ou non, il suffit qu’il entre, par un moyen ou un autre, dans l’univers des possibles. Le crash test, finalement, ce n’est rien d’autre que ce que font la plupart des entrepreneurs ; c’est le “raisonnement en perte acceptable”, le deuxième principe de l’effectuation (voir Philippe Silberzahn, Effectuation: Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment). La seule chose dont vous puissiez être certain c’est qu’il appartient au champ des possibles que sa probabilité d'occurrence - peu importe les statistiques historiques - n’est pas nulle.
Le risque probabilisable au sens empirique du terme n’est qu’une vue de l’esprit, une béquille à laquelle nous nous raccrochons alors même que toute notre expérience nous démontre qu’elle est, pour l’essentiel, inopérante. C’est la Théorie Moderne du Portefeuille de Markowitz : elle fonctionne sauf quand vous en avez vraiment besoin. Là où Frank Knight (Risk, Uncertainty, and Profit, 1921) distinguait risque et incertitude, je ne vois qu’une chimère et une réalité concrète : peu importe que vous soyez entrepreneur ou trader à haute fréquence, le risque c’est l’incertitude et l’incertitude c’est le risque.
Merci pour cet excellent article. Eléments de discussion de d'approfondissement sur la distinction entre risque et incertitude ici: http://philippesilberzahn.com/2013/07/01/risque-incertitude-et-cygnes-noirs/
RépondreSupprimerJ'arrive :)
RépondreSupprimer