Concurrence en conditions expérimentales

Entre 2011 et 2012, selon les données de l’Acerp [1], la facture mensuelle moyenne de celles et ceux d’entre nous qui ont un forfait de téléphonie mobile a baissé de 12,7% - de 31,5 euros HT à 27,5 euros HT. C’est la plus forte baisse jamais constatée depuis qu’il existe des forfaits de téléphonie mobile en France. Naturellement, c’est une moyenne et elle ne tient pas compte du service rendu en contrepartie : à titre personnel, le prix de mon abonnement à baissé d’un euro seulement mais je suis passé de deux heures d’appel à un forfait illimité.

Cette baisse des tarifs est naturellement liée au lancement de l’offre de Free Mobile sur le marché. Depuis janvier 2012, le nouvel opérateur a séduit pas moins de 5,2 millions de clients au 31 décembre 2012 tandis que les offres low-cost créées en 2011 par Bouygues Telecom (B&You), Orange (Sosh) et Sfr (Red) pour faire face à l’arrivée de ce nouveau concurrent affichaient environ 2,5 millions de clients. Au total, selon l’Acrep, ce sont près de 7,2 millions de consommateurs [2] qui ont changé d’opérateur tout en conservant leur numéro en 2012 - soit plus de deux fois plus qu’en 2011.

Mais ce n’est pas tout : comme n’importe quel manuel d’économie vous le confirmera, la baisse des prix a généré une hausse spectaculaire de la consommation. Au total, toujours selon l’Acerp, ce sont 4,55 millions de cartes SIM supplémentaires qui ont été activée en 2012 (+6,6%, la plus forte croissance du marché en dix ans). Par ailleurs, le nombre de minutes d’appel depuis des téléphones mobiles est en hausse de 13,6% à 119,8 milliards, le nombre de SMS émis augmente de 25,1% à 183,1 milliards et le volume de données mobiles transférées explose littéralement de 67,1% à 95,5 pétaoctets. C’est-à-dire que, rapporté aux services rendus, les prix n’ont pas baissés : ils se sont effondrés.

Pour ces 4,55 millions de nouveaux abonnés, c’est soit l’opportunité de remplacer leur carte prépayée par un véritable abonnement, soit un nouveau service qu’ils peuvent s’offrir mais pour les quelques 68,57 millions d’entre nous qui avaient déjà un abonnement en 2011, l’arrivée de Free Mobile va se traduire par un gain de pouvoir d’achat de 3,29 milliards d’euros par an - 3,29 milliards que nous allons pouvoir dépenser sur d'autres postes, qui vont créer à leur tour de la croissance et des emplois.

Ces catastrophes qui n’ont pas eu lieu

Les données de l’Acerp nous permettent également d’apporter une réponse chiffrée et précise aux anticapitalistes primaires qui dénonçaient cette ouverture du marché à la concurrence au motif qu’elle provoquerait un recul de l’emploi dans le secteur et une chute des investissements.

Commençons par l’emploi. Après dix ans de recul à peine interrompus par l’arrivée de Bouygues Telecom en 2004 (de 156 mille emplois en 1998 à un peu plus de 124 mille en 2009), il se trouve que, depuis l’attribution de la fameuse quatrième licence à Free (fin 2009), ne nombre d’emplois dans le secteur a augmenté de 3,7% : de 124 232 postes en 2009 à 128 810 aujourd’hui. Au moment où Xavier Niel lançait son offre, le nouvel opérateur comptait déjà 1 638 salariés et il semble que, contrairement aux prévisions apocalyptiques qu’ils se plaisaient à faire circuler dans la presse, les autres opérateurs n’aient pas réduit leurs effectifs mais les aient au contraire augmenté. À titre d’illustration, rien qu’entre 2011 et 2012, Sfr a embauché 27 personnes et a vu sa masse salariale augmenter de 28,5 millions d’euros (+6,1%).

Du point de vue de l’investissement, c’est encore mieux : non seulement les investissements des opérateurs augmentent pour la troisième année consécutive mais ils ont atteint, avec plus de 10 milliards d’euros en 2012 dont la moitié sur la téléphonie mobile, un nouveau record historique. Par exemple, selon les estimations de l’Acerp, les investissements des opérateurs dans le haut débit mobile (3G et 4G) aurait atteint 4 milliards d’euros en 2012 contre 2,4 milliards en 2011. Très simplement, dans un marché compétitif, le seul moyen de préserver ses marges, c’est d’améliorer le service apporté aux clients.

Cerise sur le gâteau

Entre des volumes qui explosent et des prix qui s’effondrent, ce sont ces derniers qui l’emportent : entre 2011 et 2012, les revenus générés par la téléphonie mobile affichent une baisse de 7,3% [3] à 17,6 milliards d’euros. Comme nous l’avons vu plus haut, cette baisse des revenus est entièrement à l’avantage des consommateurs n’a eu de conséquences négatives ni sur l’emploi ni sur l’investissement : elle a pesé, en revanche, directement sur les marges des opérateurs et donc sur les profits de leurs actionnaires. Le résultat net par action de Sfr passe de 7,64 euros en 2011 à 4,42 euros en 2012 (-42%), chez Orange il baisse de 1,46 euros en 2011 à 0,31 euros en 2012 (-79%) et chez Bouygues Telecom, on est passé d’un bénéfice de 9,13 euros par action à une perte de 0,39 euros.

Et voici la partie la plus drôle : la valeur ajoutée brute du secteur des télécommunications, celle qui contribue à la mesure de notre Produit intérieur brut (PIB), est passée de 25,5 milliards en 2011 à 22,9 milliards ; soit une baisse de 10,2%. C’est-à-dire que du point de vue de la comptabilité nationale, l’arrivée de Free Mobile a provoqué une profonde récession du secteur.

Ce n’est, bien entendu, pas du tout le cas : ce à quoi nous assistons, c’est à la disparition d’une part fictive de notre PIB, une fausse croissance créée de toute pièce par les politiques protectionnistes du gouvernement Jospin (et suivants) ; une fausse croissance qui a permit aux trois opérateurs qui se partageaient le marché de nous faire payer pendant dix ans les abonnements téléphoniques les plus chers d’Europe et les coûts de fonctionnement d’une administration chargée de les surveiller.

Et pendant ce temps, ceux-là même qui participent jour après jour à massacrer un peu plus ce qui reste de notre économie nous expliquent que cette ouverture à la concurrence était une erreur.

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[1] Voir Acerp, Observatoire annuel du marché des communications électroniques en France (2012).
[2] Afin d’alléger la lecture de ce qui suit, nous considérerons qu’un consommateur = un abonnement. En réalité, c’est faux : il y a plus d’abonnements téléphoniques que d’habitants en France.
[3] La légère baisse de 2011 (-3,6%) est essentiellement fictive puisqu’elle correspond à une hausse de la TVA que les opérateurs, voyant Free arriver, ont choisi de ne pas répercuter aux consommateurs.

8 commentaires:

  1. Bonjour,
    Votre analyse est intéressante, mais resterait-t-elle la même si on inclut l'un ou l'autre des deux éléments suivants :
    1. L'arrivée de Free n'a pas seulement été 'rendue possible' par l'Arcep, mais a été imposée : le coût de développement d'un réseau complet étant prohibitif, Free n'aurait jamais pu se lancer seul s'il n'avait pas été imposé qu'un des opérateurs existant lui loue ses antennes.
    PS : je suis bien conscient que le fait de l'imposer répare en quelque sorte l'interdiction initiale, mais cela est-il vraiment comparable à l'introduction libre d'un 4e opérateur dès le début? Question ouverte...
    2. Supposons que dans l'année qui vient, SFR meurt (je ne crois pas que ce soit complètement farfelu comme hypothèse, mais à la limite si c'est juste une hyp. de travail): Free achète son réseau et reprend 60% de ses collaborateurs. On aura donc à peu de choses près 2 ans après un marché final qui sera le même que le marché initial : 3 opérateurs. Cependant le marché final sera nettement moins rentable : pensez vous que les prix repartiront à la hausse comme avant? Par exemple sous prétexte de 4G?

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  2. PS : désolé pour l'Anonyme, je n'arrive pas à mettre mon nom.
    Ben

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  3. Pour limiter les profits des actionnaires sans toucher à l'emploi et au pouvoir d'achat : le libéralisme et la concurrence. Voilà un paradoxe adorable, que même Mélenchon aurait du mal à nier !

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  4. @Anonyme votre 2 est fictif et putatif, l'article décrit la réalité de l'année passée ça fait une différence...

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  5. Pour ce qui est de l'emploi je ne suis pas d'accord il suffit de regarder une boîte comme phone house qui ferme et licencie 2700 personnes.

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  6. euh, vos chiffres sur les embauches de SFR sont, euh, n'importe quoi ?
    quant aux effets sur l'emploi, ils ne se voient véritablement que sur les effectifs 2013 (un plan de départs, ça demande un peu de temps à se mettre en place !)

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  7. Le plan depart de SFR avec 800 suppressions de postes, qui vient de se terminer, vous appelez ça des embauches ?

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  8. @LeJeuDeLaVie: C'est marrant comme chacun a envie de faire coller son idéologie.

    Maintenant petit rappel des faits : Le libéralisme c'est ce qu'on avait avant. Les ressources (fréquences) avaient été privatisées, soumises au marché. Ceux qui avaient acheté des fréquences pouvaient les louer à d'autres (MNVO) et se faire concurrence entre eux sur le service ou le prix.

    Le résultat ça a été les années où le prix du service a été le plus cher en Europe, avec très peu de migrations entre les opérateurs, et aucun nouvel entrant d'importance sur le marché (pas faute d'essayer, des nouveaux entrants MNVO il y en a eu plein).

    Ce qu'il s'est passé c'est qu'il y a eu *régulation* forcée et à corps défendant de toute l'industrie du secteur. D'abord pour imposer des limites aux terminaisons d'appel mobiles, puis pour imposer la portabilité du numéro et un plafonnement des coûts d'itinérance européenne, n'oublions pas la loi Chatel pour limiter les périodes d'engagement et empêcher le lock-in des abonnés, et enfin de la régulation pour imposer un nouvel entrant avec ses propres fréquences (si on avait laissé un libéralisme pur sans imposer de nouvel entrant lors de l'attribution des fréquences, ces dernières auraient été achetées à prix d'or par les opérateurs historiques pour assurer leur rente).

    Libéralisme ? foutaises. Le secteur est hyper réglementé, justement parce que le libéralisme n'a pas fonctionné. Tiens, la présence même de l'ACERP dont on parle ici, c'est justement de l'anti-libéralisme par définition.

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