Si j’en crois le portrait que nous brosse Monsieur Déniel, une bonne partie de l’industrie cinématographique française produit des films qui peinent manifestement à remplir les salles obscures alors même que la fréquentation globale desdites salles se porte mieux que jamais. Je n’ai aucune raison de remettre en cause la véracité des faits mais il me semble, en revanche, utile de m’appesantir quelques instants sur leur interprétation.
Ne prenons pas de pincettes : si ces « grands et beaux films ne rencontrent pas leur public », c’est principalement parce que ce public n’existe pas ; ou si peu. Nous parlons de films qui, pour le peuple vulgaire dont j’ai l’honneur de faire partie, sont en général classés dans la catégorie des « pensums pour intellos, emmerdants comme la pluie, à réserver aux troisièmes parties de soirée sur Arte ». Très clairement : si l’on exclue Monsieur Déniel et quelques spécialistes, les gens n’ont tout simplement pas envie de voir ces films et ce, d’autant plus qu’ils devraient s’acquitter du montant d’un billet de cinéma pour s’infliger cette souffrance.
Je sais, je ne suis pas gentil.
Nous parlons de films qui rencontrent un public si restreint qu’ils ne pourraient tout simplement pas être produits s’ils n’étaient pas maintenus sous perfusions par le Centre National du Cinéma [1], qu’ils n’auraient aucune chance d’être projetés ailleurs que dans des salles subventionnées et qu’ils ne seraient vraisemblablement jamais diffusés sur aucune chaine de télévision si l’État français n’était pas propriétaire d’un des plus vastes services publics télévisuel du monde. Rappelons une évidence : un film commercial c’est un film qui vous plait assez ou porte en lui suffisamment de promesses de vous plaire pour que vous ayez envie de vous offrir une séance ; un film qui n’est pas commercial c’est un film que personne n’a envie de voir – ou du moins pas en payant son entrée – et que nous finançons de force au travers de diverses taxes et réglementations [2] parce que le producteur a des amis au ministère ou qu’un obscur fonctionnaire a validé le dossier de demande de financement.
Disons les choses telles qu’elles sont : voilà une industrie cinématographique qui a été organisée de façon à pouvoir exister et prospérer dans des salles vides. Voilà une industrie cinématographique, soumise au bon vouloir de celles et ceux qui décident de notre politique culturelle, où tous en sont réduits à tout attendre d’un geste du ministre ou d’une décision administrative. Voilà une industrie cinématographique où l’on se congratule entre artistes subventionnés et pourvoyeurs de deniers publics à l’occasion de cérémonies glaciales dument relayées par la télévision d’État.
L’éducation à l’image
L’avis du public ? L’avis des masses incultes qui s’agglutinent bêtement dans les multiplex où ils consomment du « blockbusters américains » et des « comédies télévisuelles françaises souvent vulgaires » ? Vous n’y pensez pas ! La culture est une affaire bien trop sérieuse pour être abandonnée à de vulgaires consommateurs ; c’est une affaire de spécialistes dûment appointés par les autorités compétentes. Au mieux, si le film rempli les salles, on louera le bienfondé des décisions de l’administration culturelle ; au pire, s’il n’attire que les journalistes de Télérama, on fustigera le manque d’« éducation à l’image » d’un public incapable de juger de la « qualité » des films et dont le « degré de connaissance » ne cesse de décliner. Bref, nous explique Monsieur Déniel, il faut que l’État intervienne.
Nous y voilà. Les subventions, réglementations et autres quotas n’ayant finalement – Ô surprise – pas produit les effets escomptés [3], voilà qu’on en conclue qu’il nous faut des commissaires du peuple à l'instruction publique. Cela ne fait jamais que cinq décennies [4] que nos gouvernants se piquent d’éduquer nos goûts ; cinq décennies de politiques culturelles qui aboutissent aujourd’hui à des résultats pour le moins contrastés. Après tout, si ça ne marche pas c’est sans doute qu’on n’en a pas assez fait.
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[1] Et l’assurance chômage – rappelons un ordre de grandeur : les intermittents du spectacle c’est 3% des cotisants et 30% des déficits.
[2] Taxe spéciale additionnelle sur le prix des billets, taxe sur les diffuseurs télévisuels et taxe sur l'édition vidéo perçues par le CNC pour financer le soutien de la filière, obligations d'investissement et quotas de diffusion imposés aux chaînes de télévision… J’en passe.
[3] Anecdote : saviez-vous pourquoi on entend autant de rap sur les ondes radios françaises ? Eh bien parce que l’administration culturelle a jugé bon d’imposer des quotas de chansons francophones : pour éviter de perdre leurs jeunes auditeurs qui goutent peu les Sardou et autres Souchon, les chaines ont programmé du rap francophone…
[4] Le ministère de la culture a été créé en 1959. Avant cette date, la France devait souffrir d’un grave déficit en la matière.
Pour le rap, vous illuminez mes ténèbres. J'abomine l'essentiel du rap, sauf quand il est humoristique. Mon fils s'en gave. Alors c'est à la politique culturelle décidée "en haut lieu" que je dois cette pollution acoustique qui provient de sa chambre ! Je découvre grâce à vous la politique du rap français sur Skyrock. En ce qui me concerne, c'est un cas d'école pour les "effets pervers", voire les "dommages collatéraux".
RépondreSupprimerEt que dire des tonnes de "toiles de maîtres" payées par le contribuable et que personne ne pourra jamais "admirer" faute de place.
RépondreSupprimerMerci de rappeler les méfaits de cet étatisme qui consomme tant d'argent public, empêchant en même temps les vrais talents d'éclore.
"Le ministère de la culture a été créé en 1959. Avant cette date, la France devait souffrir d’un grave déficit en la matière."
RépondreSupprimertres bon !
@ Le Parisien Libéral
RépondreSupprimerElle n'est pas de moi :(
C'est de Daniel Tourre
@ Curmudgeon
RépondreSupprimerLe plus drôle c'est que j'ai appris ça sur France Inter (si si)
@ artoum
RépondreSupprimerOn peut s'amuser à faire une liste... je propose les "oeuvres d'art" qui habillent nos rond-points...