En 1970, 8,6 millions de français – soit 17,9% de la population – vivaient sous le seuil de pauvreté [1] c'est-à-dire avec un niveau de vie mensuel inférieur à l’équivalent de 465 euros actuels. En 2009, ils étaient 8,2 millions à vivre avec moins de 954 euros par mois et ne représentaient plus que 13,5% de la population. C'est-à-dire qu’en 39 ans, le taux de pauvreté a reculé de 4,4% tandis que le seuil de niveau de vie à partir duquel un français est considéré comme pauvre a plus que doublé. Qu’on cesse une bonne fois pour toute de nous rebattre les oreilles avec l’âge d’or de la France industrielle des seventies. En 1970, il y avait des bidonvilles à la sortie de Paris et, malgré toutes les imbécilités politiques que nous avons enchaîné depuis, nous vivons infiniment mieux aujourd’hui qu’alors. Mieux encore, il est très probable – et je le tiens même pour certain – que les statistiques ci-dessus sous-estiment les progrès que nous avons réalisé en matière de réduction de la pauvreté.
Il peut être utile de rappeler que la notion de niveau de vie, telle que calculée par l’Insee, est très dépendante de la structure de la famille considérée. Evidemment, le niveau de vie d’un célibataire qui gagne 2 000 euros par mois n’a rien à voir avec celui de son voisin qui, avec les mêmes revenus, doit nourrir son épouse et trois jeunes enfants. C’est pour cette raison que, pour calculer le niveau de vie des membres d’un foyer, l’Insee divise les revenus de la famille par le nombre d’« unités de consommation » [2]. Dans notre exemple, le célibataire qui compte pour une unité de consommation a un niveau de vie mensuel de 2 000 euros tandis que le couple et ses trois enfants (soient 2,4 UC) doivent se contenter d’un niveau de vie 833,8 euros. Le seuil de 954 euros correspond donc au seuil de pauvreté pour une personne seule. Pour une mère qui élève seule un enfant de moins de 14 ans le seuil de pauvreté retenu par l’Insee est fixé à 1 240 euros par mois et pour un couple avec deux enfants de 14 ans ou plus, c’est en deçà de 2 385 euros qu’ils sont considérés comme pauvres.
Cette petites note méthodologique étant posée, il est peut être aussi utile de rappeler que la structure des familles françaises à considérablement évolué depuis les années 1970 et notamment, les français divorcent plus. Au cours des dernières décennies, les familles monoparentales (majoritairement dirigée par des mères célibataires) et les pères divorcés qui vivent seuls (du moins officiellement) sont devenus un véritable phénomène de société. On peut y voir à bon droit une conséquence de mai 1968 ; peu importe : le fait est que le phénomène est là. Or, il se trouve qu’en matière de statistiques de pauvreté, les divorces et l’émergence de ces nouvelles structures familiale ne sont pas neutres du tout. Démonstration :
Paul et Sophie sont mariés et ont deux jeunes enfants. Comme Paul et Sophie gagnent tous les deux le Smic et perçoivent 121 euros d’allocations familiales, leurs revenus mensuels s’élèvent à 2 267 euros. Selon le barème de l’Insee, cette famille compte 2,1 unités de consommation (1 pour le premier adulte, 0.5 pour son conjoint et 0,3 pour chaque enfant) ce qui porte le niveau de vie de la petite famille à 1 080 euros par mois ; rien d’ostentatoire mais c’est 13% de plus que le seuil de pauvreté. Mais Paul et Sophie ne s’entendent plus et décident de divorcer ; Sophie récupère la garde de ses enfants et Paul doit lui verser une pension alimentaire de 248 euros par mois. Ainsi Sophie et Paul forment deux nouveaux foyers qui gagnent respectivement 1 442 euros (un Smic, les allocations familiales et la pension payée par Paul) pour 1,6 unité de consommation et 825 euros pour une unité de consommation. Résumé : avant le divorce, il y avait un ménage qui vivait au dessus du seuil de pauvreté ; après le divorce, il y a deux familles et quatre personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté.
La pauvreté des familles monoparentales est un fait de société absolument incontournable. Aux difficultés professionnelles que rencontre naturellement une jeune mère de famille [3] qui doit aussi élever seule ses enfants, se rajoute des pertes d’économies d’échelles parfois substantielles – notamment en matière de logement. Deux ordres de grandeur : une famille monoparentale sur trois vit sous le seuil de pauvreté et une personne pauvre sur cinq est issue d’une famille monoparentale. Quelque soit l’ampleur réelle du phénomène, l’exemple proposé plus haut démontre que dans les statistiques que nous commentons, le phénomène ne peut pas de pas avoir d’incidences.
La vie de couple, en tant que telle, constitue une source d’amélioration ou de maintient de nos niveaux de vie ; une famille c’est aussi une association économique. Le mot « économie » nous vient du grec ancien et signifie « administration du foyer ». Pendant des millénaires, outre le poids des traditions et des religions, la contrainte économique a obligée des générations de femmes à supporter leur vie durant des conjoints qu’elles n’aimaient plus (ou qu’elles n’avaient jamais aimé). Une des raisons qui peut expliquer la fragilité des couples modernes est probablement à chercher de ce coté : il est devenu économiquement possible – pour une femme – de divorcer et d’élever seule ses enfants. Reste qu’en prenant ce phénomène en compte, il est probable que le taux de pauvreté « à structure familiale constante » ait régressé nettement plus que de 4,4%.
---[1] J’utilise ici le seuil fixé à 60% du niveau de vie médian ; avec un seuil à 50%, la proportion de nos compatriotes qui vivaient sous le seuil de pauvreté est passée de 12% en 1970 à 7,5% en 2009.
[2] Le premier adulte du ménage compte pour 1 UC, les autres personnes âgées de plus de 14 ans comptent pour 0,5 UC et les enfants de moins de 14 ans comptent pour 0,3 UC.
[3] 85% des familles monoparentales sont dirigées par des femmes.
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