La vie est un long apprentissage. Pendant longtemps, j’ai pensé – sans jamais vraiment chercher à le vérifier – qu’une immigration importante ne pouvait avoir qu’un effet négatif sur le salaire et le taux d’emploi des habitants d’un pays. Après tout, c’est le principe de l’offre et de la demande : si l’offre de travail augmente à demande constante les salaires doivent s’ajuster à la baisse et si les salaires ne peuvent s’ajuster (à cause d’un salaire minimum légal par exemple), un afflux d’immigrants devrait créer du chômage. Eh bien j’avais tort.
Les immigrés ne volent pas nos emplois
Il y a eut, ces dernières années, un regain d’intérêt remarquable pour les études économiques sur l’impact de l’immigration sur le marché du travail des pays accueillants. C’est un phénomène classique : en période de crise, les premiers accusés sont les immigrés qui viennent « voler nos emplois » et cette idée est d’autant plus facile à vendre – politiquement parlant – qu’elle a la couleur, le goût et l’odeur d’une simple remarque de bon sens. Seulement voilà, à chaque fois qu’on a essayé de mesurer objectivement cet effet, on a rien trouvé de significatif et – mieux encore – on a même souvent découvert un léger effet inverse. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce que nous disent les chiffres c’est qu’un fort taux d’immigration n’entraine pas de baisse des salaires (ou de montée du chômage) et peut même résulter en une légère hausse des rémunérations des travailleurs natifs (ou un recul du chômage).
Ce que démontrent les études c’est que les immigrants ne remplacent pas les natifs – c'est-à-dire qu’ils ne rentrent pas ou peu en compétition avec eux pour les mêmes emplois – mais augmentent le nombre total d’emplois dans l’économie. En d’autres termes, il existe un effet de complémentarité qui fait plus que compenser l’effet de substitution. Imaginez, par exemple, qu’une entreprise du bâtiment n’arrive pas à recruter d’ouvriers et se trouve, dès lors, dans l’obligation de licencier plusieurs de ses chefs de chantier. Si elle a en revanche la possibilité d’employer des ouvriers immigrés – qui, parce qu’ils sont moins qualifiés, acceptent de travailler pour moins cher ou d’exécuter des tâches moins gratifiantes que les natifs – elle peut accepter plus de chantiers et donc embaucher du personnel d’encadrement qui, notamment pour des raisons linguistiques, a toutes les chances d’être composé de natifs. Dans une note de synthèse de ses recherches sur le marché du travail étasunien [1], Giovanni Peri, un des spécialistes les plus reconnus en la matière, confirme que cet effet de complémentarité créé plus d’emplois pour les salariés nés américains que n’en « détruit » la compétition avec des immigrés. En approvisionnant l’économie américaine en maçons, ouvriers agricoles et autres chauffeurs de taxis, l’immigration permet aux entreprises étasuniennes d’accroître leurs capacités de production, de vendre plus et donc, d’embaucher plus de chefs de chantier, de responsables d’exploitation et de répartiteurs de taxis américains.
Au total, comme le note Giovanni Peri dans son résumé, l’immigration augmente la capacité productive d’une économie, stimule l’investissement et promeut la spécialisation qui, à long terme, améliore la productivité. Rajoutez à cela que lesdits immigrés vont bien évidemment devoir se nourrir, s’habiller et se loger et vous obtenez un bilan économique net de l’immigration aussi positif dans les faits qu’il est négatif dans l’imaginaire collectif.
L’Etat-providence a cassé la machine à intégrer
A ce stade, on est dans un monde harmonieux où des immigrés viennent compléter les capacités productives du pays accueillant, s’insèrent dans sa société par le travail et les relations sociales qui en découlent et adaptent d’eux-mêmes leurs us et coutumes pour augmenter leurs chances de succès dans leur nouveau pays. Seulement voilà : il semble que malgré cela, nous ayons vraiment un problème avec notre immigration et que ce problème n’est pas lié au nombre d’immigrants puisqu’en 2008, nous affichions un taux net de 1.48 immigrants pour mille habitants alors que des pays comme le Portugal ou l’Australie affichaient des taux de deux à quatre fois supérieurs sans que cela ne pose manifestement de problèmes insurmontables à leurs populations natives.
La réalité de notre monde c’est que l’occident, l’Europe et la France sont des îlots de prospérité perdus au milieu d’un océan de pauvreté. C’est de moins en moins vrai au fur et à mesure que les pays dits émergents émergent effectivement depuis qu’ils ont rejoint le concert de l’économie de marché et de la mondialisation mais ça reste une réalité tangible de ce monde. Une autre réalité, cette fois ci une réalité française, c’est que nous avons un Etat-providence qui, dans un moment de faiblesse, a décrété que ses largesses ne se limitaient pas aux seuls Français mais à toute personne vivant sur notre sol. Or voilà : dans ce monde tel qu’il est, offrir à des étrangers la possibilité de profiter de nos systèmes sociaux pour peu qu’ils viennent s’installer chez nous a au moins deux effets évidents : ça attire du monde et ces gens ne viennent pas pour travailler et s’intégrer mais pour profiter de l’aubaine.
Entendons nous bien : moralement, humainement, nous n’avons pas le droit de reprocher à un tunisien ou à un algérien de fuir la misère de son pays pour venir profiter de nos aides sociales. Ce faisant, il ne fait rien d’immoral et se comporte au contraire en bon père de famille qui cherche à assurer une vie meilleure à ses enfants. De quel droit le lui reprocherions-nous ? Ne ferions nous pas exactement la même chose à sa place ? Nous avons créé une règle du jeu ; les gens utilisent cette règle au mieux de leurs intérêts : c’est aussi simple que ça. Les seuls fautifs dans cette histoire, c’est nous.
Apporter une solution au problème impose de commencer par identifier correctement la nature du problème et en l’espèce, le problème n’est pas l’immigration en tant que telle mais l’immigration créée par notre d’Etat-providence. Notre système n’est non seulement pas viable financièrement – nous ne pouvons pas, comme on dit, accueillir toute la misère du monde – mais il a aussi et surtout brisé le mécanisme d’intégration naturel de notre société civile. C’est pourtant si simple, si évident : pour vivre, il faut travailler et pour travailler, il faut s’adapter, coopérer et s’intégrer à la communauté dans laquelle on prétend vivre. C’est ce mécanisme qui a fonctionné pendant des millénaires durant lesquels nous nous sommes très bien passés de ministères de l'immigration, de l'intégration ou de l’identité nationale et c’est ce mécanisme qu’il s’agit de remettre en état aujourd’hui.
---
[1] « The Effect of Immigrants on U.S. Employment and Productivity » G. Peri (2010).
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Votre mot de passe
On ne va pas épiloguer pendant 150 ans, vous avez besoin : De mots de passe très forts (à partir de 128 bits), un par site (sauf, éventuel...
-
(Cet article fait partie d’une série dans laquelle je m’amuse à démonter les théories ésotériques avancées par Jacques Grimault, principale...
-
Over the last few weeks, this picture has been circulating on the Internet. According to RationalWiki , that sentence must be attributed t...
-
Le sujet n’en finit plus de faire débat : j’ai donc reconstruit une série du prix de la baguette (de 250g) en France (les données concernent...
Cette analyse a le mérite de prendre des distances avec le slogan suivant lequel c'est "le patronat" seul qui a fait venir les immigrés. A un certain moment peut-être. Mais aujourd'hui on ne peut pas se contenter de cette vision.
RépondreSupprimerDans le cas de la France, les caractéristiques de l'immigration "récente" sont telles, que, selon diverses analyses, l'immigration représente une charge et non un atout (et en se bornant à une analyse purement économique, sans aborder les graves problèmes culturels que chacun connaît) :
http://blog.sami-aldeeb.com/2011/02/08/les-francais-de-plus-en-plus-sceptiques-face-a-limmigration/#comment-12939