« Un mensonge fera le tour du monde avant que la vérité ait eu le temps de mettre ses bottes. »
— Charles Spurgeon
« Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres Effets à l’escompte de la Banque de France. »
— Loi sur la Banque de France du 3 janvier 1973
Depuis quelques années, cet article de la loi N°73-7 sur la Banque de France du 3 janvier 1973, l’article 25 pour être précis, fait l’objet d’une polémique alimentée par les extrêmes de droite comme de gauche. Pour ne citer que les principaux : Nicolas Dupont-Aignan, Marine le Pen, Alain Soral, François Asselineau, Jacques Cheminade et Jean-Luc Mélenchon estiment tous, à les écouter, que c’est cette simple phrase qui serait à l’origine de notre dette publique — laquelle serait dès lors illégitime.
Leurs analyses, essentiellement convergentes, peuvent se résumer comme suit : par cet article, la loi de 1973 interdit à l’État de se financer gratuitement (ou quasi-gratuitement) auprès de la Banque de France. Dès lors, l’État n’a eu d’autre choix que de se financer sur les marchés financiers (ou auprès des banques) et donc de payer des intérêts — lesquels expliquent le niveau actuel de la dette publique. À ce premier point, certains n’hésitent pas à rajouter que, ce faisant, Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ont sciemment vendu les intérêts de la France aux banques — raison pour laquelle cette loi est appelée loi Pompidou-Giscard (ou Pompidou-Giscard-Rothschild en référence au fait que M. Pompidou a travaillé pour la Banque Rothschild [1].)
J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici mais il faut manifestement le répéter : c’est absolument, irrémédiablement et sans l’ombre d’un doute faux. Entendez-moi bien : il n’y a même pas de débat possible. Tout ce que racontent les personnes susmentionnées à propos de cette loi et de ses présumées conséquences est au mieux la preuve de leur totale incompétence, au pire, un tissu de mensonges.
La vieille dame poussiéreuse
Lorsqu’il présente ce projet de loi devant le Sénat le 2 novembre 1972, Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’économie et des finances, est assez loin de déclencher une révolution : « La réforme qui vous est proposée aujourd’hui, dit-il, ne vise pas et ne prétend pas bouleverser le fonctionnement de la Banque de France. Il s’agit essentiellement d’une œuvre de codification, de mise à jour et de clarification qui vise à doter l’institut d’émission de statuts adaptés à la réalité financière actuelle et à l’évolution de nos pratiques contemporaines. »
De fait, les statuts de cette vieille dame datent de 1936 — de la loi du 24 juillet 1936, nous en reparlerons — et depuis, le moins que l’on puisse dire, c’est que de l’eau a coulé sous les ponts : une guerre mondiale, une nationalisation (loi du 2 décembre 1945 [2]), les accords de Bretton Woods qui ont vécu, le Serpent monétaire européen qui commence à peine à fonctionner et, naturellement, une évolution profonde des pratiques des banquiers centraux — au moment où Giscard d’Estaing s’exprime, la Banque de France n’utilise déjà plus la technique de l’escompte que de façon marginale et lui préfère depuis février 1971 les opérations dites d’open-market. Bref, un bon coup de dépoussiérage s’impose.
Quid de l’article 25 ? Eh bien lors de la première lecture au Sénat (2 novembre 1972) et de la première lecture à l’Assemblée Nationale (28 novembre 1972), on n’en trouve pas la moindre trace ou, plutôt, il y a bien un article 25 mais ce n’est pas celui qui nous intéresse.
Une sage précaution
Ce n’est que lors de la seconde lecture au Sénat, le 14 décembre 1972, qu’un amendement propose de compléter l’article 29 en y précisant que « le Trésor public ne peut présenter ses propres effets au réescompte de l’institut d’émission. » Cet amendement, première apparition du fameux article, est le fait de M. Yvon Coudé du Foresto, sénateur vétéran et par ailleurs rapporteur général de la commission des finances.
L’intéressé s’explique : « Je ne suis pas du tout hostile au texte de l’Assemblée nationale, mais notre attention a été attirée sur le fait qu’il serait possible, par le biais de la présentation de bons du Trésor au réescompte de l’institut d'émission, de tourner la législation sur les émissions de monnaie ou de quasi-monnaie.
« C’est la raison pour laquelle nous avons tenu à préciser que le Trésor public ne peut présenter ses propres effets au réescompte de l’institut d’émission. Je pense que c’est une sage précaution et je serai certainement beaucoup plus intransigeant au sujet de cet amendement que sur les autres, monsieur le secrétaire d’État. »
Jean Taittinger, secrétaire l’État chargé du budget qui représente le gouvernement, répond : « Cet amendement énonce une règle relative à la politique de gestion de la trésorerie publique. Or, il s’agit d’un projet de loi sur la Banque de France et non sur le Trésor. Rappeler cette règle-là et pas d’autres pourrait laisser penser qu’il y a un problème ou un risque dans le domaine considéré, ce qui ne semble pas le cas.
« L’amendement laisserait par ailleurs supposer que la Banque pourrait accepter de se prêter à la pratique que l’on condamne, ce qui n’est pas flatteur pour elle. »
« Cependant, dans un souci de conciliation, j’accepte volontiers l’amendement de la commission. »
Cette réponse de M. Taittinger permet de souligner deux choses importantes : d’une part, elle confirme que cette disposition n’est pas d’origine gouvernementale puisque le représentant du gouvernement se contente de ne pas s’y opposer dans un souci de conciliation — bref, MM. Giscard d’Estaing et Pompidou n’y sont pour rien. D’autre part, et c’est le plus important, le secrétaire d’État laisse très clairement entendre que le fait, pour le Trésor, de présenter ses propres effets à l’escompte de la Banque de France et une pratique proscrite et même franchement honteuse.
Rien de nouveau
Et pour cause : c’est effectivement une pratique interdite depuis au moins le 24 juillet 1936 et la loi Tendant à modifier et à compléter les Lois et statuts qui régissent la Banque de France. Dans son article 13, on peut lire « tous les Effets de la dette flottante émis par le Trésor public et venant à échéance dans un délai de trois mois au maximum sont admis sans limitation au réescompte de l’Institut d’Émission, sauf au profit du Trésor public. » Signé par Albert Lebrun, président de la République, Léon Blum, président du Conseil et Vincent Auriol, ministre des finances.
De fait, en 1972, personne n’y trouve rien à redire et l’amendement de M. Coudé du Foresto est adopté dans l’indifférence générale.
De retour à l’Assemblée Nationale le 18 décembre 1972, Jean Capelle, député UDR de la 2e circonscription de la Dordogne, en modifie légèrement le texte : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France » et propose d’en faire un article à part entière à insérer après l’article 24. Guy Sabatier, rapporteur général de la commission des finances, et Jean Taittinger, secrétaire d’État chargé du budget, y sont favorables. L’amendement est adopté.
le jour même, enfin, lors d’une troisième lecture au Sénat : M. Coudé du Foresto s’étonne avec humour de cette modification qu’il pense être d’origine gouvernementale. Jean Taittinger lui explique que non. On passe à autre chose.
Voilà d’où vient, sources à l’appui, ce fameux article 25 : c’est une simple mesure de précaution introduite par la commission des finances du Sénat pour réinscrire dans le marbre de la loi un principe déjà admis par tout le monde depuis au moins 1936. Et pour cause…
Escompter des effets
Le fait est que « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres Effets à l’escompte de la Banque de France, » pour la plupart des gens, c’est parfaitement incompréhensible. Rassurez-vous, ça n’a rien d’anormal : des générations entières ont vécu de longues et saines vies sans avoir la moindre idée de ce signifie présenter des effets à l’escompte d’une banque. Sauf que là, dans le contexte, une rapide explication s’impose.
L’escompte, pour faire simple, c’est une antique technique bancaire qui permet aux entreprises de se procurer de la trésorerie auprès des banques en leur refourguant une créance — typiquement une créance sur un client. On ne parle donc pas de financement à long terme mais de gestion de trésorerie. Quant aux « Effets » du Trésor évoqués par l’article 25, ce sont des bons du Trésor — c’est-à-dire des obligations émises par le Trésor ; parce que oui, au risque d’en étonner quelques-uns, l’État empruntait de l’argent sur les marchés financiers bien avant 1973.
Et donc, « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres Effets à l’escompte de la Banque de France », ça signifie que le Trésor ne peut pas émettre une dette sur lui-même et s’en servir pour présenter cette dernière à l’escompte de la Banque de France. En gros, c’est comme si vous écriviez une reconnaissance de dettes à vous-même et alliez voir votre banque pour lui demander de vous racheter ce papier. C’est-à-dire qu’on ne fait ici que ré-interdire un bidouillage parfaitement malsain ; bidouillage qui, semble-t-il et comme le rappelait M. Coudé du Foresto, aurait permis au Trésor fût un temps de « tourner la législation sur les émissions de monnaie ou de quasi-monnaie. »
L’article 19
Et ce, d’autant plus que, contrairement à ce que racontent les Dupont-Aignan, le Pen, Mélenchon et autres Asselineau, cette loi n’interdit absolument pas au Trésor d’emprunter — y compris gratuitement — de l’argent à la Banque Centrale. Une simple lecture du texte intégral de la loi permet de découvrir l’article 19 qui stipule que « les conditions dans lesquelles l’État peut obtenir de la Banque des avances et des prêts sont fixées par des Conventions passées entre le Ministre de l’Économie et des Finances et le Gouverneur, autorisé par délibération du Conseil général. Ces Conventions doivent être approuvées par le Parlement. »
De fait, la convention du 17 septembre 1973, passée entre le ministre de l’économie et des finances (Valéry Giscard d’Estaing) et le gouverneur de la Banque de France (Olivier Wormser) et approuvée par la loi 73-1121 du 21 décembre 1973 fixe les modalités des concours de trésorerie apportés par la banque centrale au Trésor : ce dernier peut emprunter jusqu’à 20,5 milliards de francs dont 10,5 milliards gratuitement et 10 milliards sur lesquels il paiera des intérêts très faibles [3].
Mais à quoi correspond ce montant ? Pourquoi limiter les prêts de la banque centrale au Trésor à 20,5 milliards de francs ? La réponse est extrêmement simple : c’est tout simplement l’officialisation de ce qui existait avant. C’est ainsi que le rapporteur général (Maurice Papon !) le présente et c’est effectivement la conclusion à laquelle on arrive en étudiant les séries historiques : les 10,5 milliards gratuits c’est simplement la limite précédente des avances directes de la Banque de France à l'État et les 10 milliards par chers correspondent à une évaluation du maximum de ce que le Trésor empruntait de façon opaque.
Accessoirement, la loi prévoit une règle qui permette de faire évoluer ses plafonds. Dans son compte rendu de 1974, par exemple, la Banque de France précise que le plafond des concours gratuits au Trésor est passé à 13,7 milliards de francs le 31 janvier 1974. Le 23 janvier 1992, quelques jours avant la signature de l’accord de Maastricht qui mettra un terme définitif au financement des États par leurs banques centrales, il était encore porté à 40,3 milliards.
Le patient zéro
Bref, tout est faux. L’article 25 de la loi de 1973 n’est que la réaffirmation d’un principe déjà communément admis depuis au moins 1936 et le reste de la loi ne fait que codifier et encadrer les relations du Trésor avec la banque centrale sans rien changer au financement du Trésor si ce n’est le mode opératoire. Une question reste néanmoins en suspens : par quelle sorte de miracle cette imbécilité a pu se frayer un chemin jusque dans les programmes [4] de plusieurs candidats aux élections présidentielles ?
Je tiens à avertir ici le lecteur que la partie sérieuse est terminée et que la suite pique un peu les yeux. Vous poursuivez à vos risques et périls.
Même s’il semble exister des sources plus anciennes et avec toute la prudence qui s’impose dans ce genre d’exercices, il semble bien que le patient zéro, celui qui, plus que tout autre, a contribué à populariser cette fumisterie soit un certain André-Jacques Holbecq (a.k.a. AJH ou Stilgar).
Ne cherchez pas M. Holbecq dans les annuaires académiques : c’est un ancien pilote d’Air France qui, une fois à la retraite, s’est livré corps et âme à ses deux grandes passions : l’ufologie (il passe pour un des plus grands spécialistes du langage ummite [5]) et l’économie, option anticapitaliste, version new age. Sur ce second thème, il publie pas moins de 9 bouquins de 2002 à 2014 et multiplie les blogs et sites sur lesquels il développe son concept personnel : l’écosociétalisme.
Or voilà, chemin faisant et sans doute au début de l’année 2007 [7], M. Holbecq découvre le ‘pot aux roses’. Sur son site principal du moment, il écrit : « Depuis 1973 (l’article 25 de la loi du 3 janvier précise que ‘Le trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France’. Ce qui signifie que notre pays s’est interdit de permettre à la Banque de France de financer le Trésor Public… » Nous y voilà !
Comme une traînée de poudre
Très rapidement, notre ufologue va faire partager sa découverte au plus grand nombre possible et notamment à l’inénarrable Étienne Chouard, qui, ‘découvrant’ le scandale à son tour, le relaie sur son site en mai 2007. S’installe alors entre nos deux compères un tango bien huilé : Chouard fait la promotion des travaux de Holbecq et ce dernier utilise l’aura d’économiste [8] de Chouard pour donner du poids à ses conclusions.
Mais à ce stade, alors qu’André-Jacques Holbecq s’apprête à publier un bouquin [9] pour populariser ses idées, l’affaire peine encore à décoller : il lui faut une plateforme plus médiatique ; plateforme qu’il va trouver avec le blog de Paul Jorion. Il y débarque en avril 2008 et s’y lance dans un grand débat sur la monnaie [10] grâce auquel, petit à petit, il se constitue une audience.
Et là, c’est le drame : début 2010, un certain nombre de bloggeurs souverainistes — dont, notamment, des proches de Nicolas Dupon-Aignan [11] — tombent dessus et s’empressent de relayer l’info. En quelques mois c’est une traînée de poudre : le scandale de la loi de 1973 est dans tous les discours de Marine le Pen à Jean-Luc Mélenchon. La légende urbaine est lancée et, conformément à la loi de Brandolini, elle devient pratiquement impossible à réfuter.
Épilogue
La conclusion de tout ça, c’est que cette loi n’a pas empêché le Trésor d’emprunter gratuitement à la Banque de France et n’est donc absolument pour rien dans notre dette publique. Si nous sommes endettés, c’est simplement parce que depuis plus de 40 ans maintenant, tous nos gouvernements, de droite comme de gauche, ont systématiquement voté des budgets déficitaires. Si nous sommes endettés, c’est parce que la simple idée d’exercer un seul budget à l’équilibre — sans même parler d’excédents — est systématiquement qualifié de politique d’austérité, à commencer — comble de l’ironie — par ceux-là même qui estiment que la dette publique est illégitime.
De ce qui précède, j’ose espérer que le lecteur attentif aura retenu au moins une chose : toute personne, physique ou morale, qui relaie ce hoax lamentable est au mieux parfaitement incompétente et au pire un menteur.
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[1] C’est tout à fait exact : M. Pompidou a été directeur de Rothschild frères de 1954 à 1958.
[2] Jusque-là, la Banque de France appartenait à des actionnaires tout ce qu’il y a de plus privés (c’est d’ailleurs l’origine du mythe des « deux-cents familles, » en référence aux principaux actionnaires de la banque) et si vous voulez en savoir plus sur les origines de l’institution, j’en parle ici.
[3] En l’occurrence, le « taux le plus bas pratiqué par la banque à l’occasion de ses interventions les plus récentes, au jour le jour ou à très court terme, sur le marché monétaire. »
[4] Par exemple, l’abrogation de cette loi est toujours présente dans le programme de Nicolas Dupont-Aignan (ce qui est parfaitement idiot puisqu’elle a déjà été abrogée en 1993.)
[5] C’est notamment le créateur du site ummo-sciences.org (source) et il a préfacé Ummo, un Dieu venu d'ailleurs ? (Agnières, JMG éditions, « Science-conscience », 2004) de Christel Seval.
[6] Au moins sapiensweb, yhad.fr, societal.org (et le wiki associé), fauxmonnayeurs.org et son blog officiel : postjorion.
[7] L’article a été remanié (d’où les dates postérieures) mais Chouard poste un lien qui pointe dessus le 14 juin 2007 à 22:44.
[8] En l’occurrence, M. Chouard n’a qu’une maîtrise en droit et ses lettres de noblesse d’économiste, il les doit à son poste de professeur d’économie-gestion et de droit fiscal, puis d’informatique, au lycée Marcel-Pagnol à Marseille.
[9] La dette publique, une affaire rentable (éditions Yves Michel, 2008) avec Philippe Derruder.
[10] Il intervient d’abord sous le pseudo de Stilgar avant de révéler son véritable nom (tout l’historique des messages est ici).
[11] Je ne cite pas de noms ici dans la mesure où, se rendant compte qu’ils avaient relayé une théorie du complot parfaitement indéfendable, ils ont tous fait amende honorable — et certains se sont même donnés un mal de chien pour remettre les pendules à l’heure.
Notes complémentaires
- Je dis, sans insister dessus, que l’escompte est un moyen de se procurer de la trésorerie. C’est important : en présentant ses propres bons à l’escompte de la Banque de France, le Trésor n’aurait pu, si c’était autorisé, qu’emprunter à court terme — juste de quoi compenser des décalages de trésorerie entre le paiement des traitements des fonctionnaires et la perception du produit de l’impôt, par exemple. Cette technique ne permettait donc pas de financer des investissements à long terme. Par ailleurs, il est bien évident que la Banque de France aurait chargé un intérêt (en payant moins cher que ce que le bon présenté valait vraiment).
- Je passe rapidement, en introduction, sur l’idée selon laquelle ce sont les banques qui prêteraient à l’État. C’est évidemment ridicule : aucune banque n’a intérêt à financer l’État pour la bonne est simple raison que l’État se finance toujours moins cher qu’une banque privée (elles y perdraient donc de l’argent). Pour la même raison, l’État n’a aucun intérêt à emprunter aux banques : les marchés financiers lui réservent de bien meilleures conditions. La seule raison qui, aujourd’hui, pousse les banques à détenir des obligations d’État, c’est la règlementation : elles en ont besoin pour pouvoir emprunter auprès de la BCE.
- Certains commentateurs, sur Twitter, affirment que Jean-Luc Mélenchon n’a jamais relayé cette intox. Je cite ici un extrait du programme du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon lors des présidentielle et législatives de 2012 : « Par ailleurs, dès 1973 l’État a renoncé à sa prérogative de battre monnaie. Ne pouvant se financer directement ni auprès de la Banque de France ni aujourd’hui auprès de la BCE, il est ainsi obligé de s’adresser aux banques privées, qui prélèvent des intérêts au passage. »
- Depuis l’introduction du nouveau franc (1er janvier 1960), trois postes du bilan de la Banque de France retracent les avances gratuites consenties par la Banque de France au Trésor : les « Prêts à l’État », les « Avances à l’État » et les « Bons du Trésor sans intérêt ». Les situations hebdomadaires de la Banque de France permettent de vérifier que, du 31 décembre 1959 au 20 décembre 1973, ces trois comptes cumulés varient entre 6.2 et 11 milliards de francs avec une moyenne à 9.2 milliards. Le 21 décembre 1973, la loi 73-1121 approuve la convention passée entre le ministère des finances et la Banque de France : les trois comptes sont regroupés en un seul compte intitulé « Concours au Trésor Public » et, comme expliqué plus haut, la convention fixe une limite de 20,5 milliards de francs dont 10,5 sans intérêts. Dès le 17 janvier 1974, le compte « Concours au Trésor Public » passe à 10,5 milliards de francs. À partir de ce moment, le Trésor va emprunter très précisément l’enveloppe gratuite prévue par les conventions successives (laquelle variera à la hausse comme à la baisse au grès des besoins). En revanche, il semble que l’État n’ai pas utilisé les 10 milliards supplémentaires (et payants) : c’est sans doute qu’il trouvait moins cher ou plus pratique de ses financer directement sur les marchés.
- S’agissant de la pratique que cherche à proscrire l’article 25 de la loi de 1973 (et l’article 13 de la loi de 1936), il semble qu’elle ait eu cours entre mars 1915, en pleine première Guerre Mondiale, jusqu’en juin 1928, au moment de la dévaluation qui introduit le franc Poincaré (1/5e du franc germinal). Elle a donc probablement contribué à tuer le franc germinal (la base monétaire exprimées en points de PIB, a été multipliée par deux rien qu’entre 1913 et 1920 !) : raison probable pour laquelle on a voulu l’interdire (d’autant plus que, selon Vincent Duchaussoy et Éric Monnet, elle l’était déjà en 1915 !) Notez qu’une autre ligne semble prendre la suite : les « Bons négociables de la Caisse Autonome d’Amortissement » et disparait à son tour en 1952.
- De 1960 à 1973, les relations entre la Banque de France et le Trésor sont fondée sur la convention de trésorerie du 29 octobre 1959. Cette dernière prévoit deux types de financement : les prêts à l’État et les avances à l’État. Au moment où la loi de 1973 est votée, ces deux dispositifs essentiellement gratuits sont respectivement limités à 5.45 milliards de francs (convention du 3 mai 1962) et 3.452 milliards (convention du 4 décembre 1969). Par ailleurs, en application des conventions des 8 juin 1972 et 7 juin 1973, la Banque de France détient également entre 1.46 et 1.57 milliards d’Bons du Trésors sans intérêts. Au total, de 1960 à 1973, ces trois sources de financement gratuit (ou presque : la Banque de France prélevait tout de même une commission de 0.125%) représentent entre 6.2 et 11 milliards (moyenne à 9.2). Lorsque la loi est votée, on en est à un peu moins de 10.5 milliards de francs : c’est précisément le montant qui est retenu par la convention du 17 septembre 1973. À ces mécanismes officiels s’ajoutent deux sources plus opaques et sur lesquelles le Trésor paie des intérêts (la mobilisation des obligations cautionnées et la mobilisation d’effets représentatifs de prêts spéciaux à la construction par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts et Consignations) pour un montant estimé à 10 milliards en 1973. Ça nous fait donc bien un total de 20.5 milliards dont 10.5 sans intérêts.