Officiellement, rien du tout. Les statistiques que l’on voit circuler sur le patrimoine des français comme les lois fiscales considèrent que les droits acquis pour le versement d’une rente garantie par l’État ne valent absolument rien. C’est évidemment stupide : ce n’est pas parce que vous ne pouvez pas vendre vos droits qu’ils n’ont pas, en réalité, une valeur économique.
La réalité étant, comme toujours en France, infiniment complexe et changeante, je vais illustrer ce raisonnement avec un exemple honteusement simplifié : nous allons estimer la valeur économique d’une rente fictive de 1 000 euros par mois, payable à partir du 22 mars 2018 jusqu’au 22 janvier 2048 (soit un peu moins de 30 ans) et garantie par un État noté AAA de la zone euro [1].
Le raisonnement financier classique consiste à se poser une question toute simple : « combien faudrait-il investir aujourd’hui pour reproduire les mêmes effets ? » Les effets, en l’occurrence, sont les suivants : nous sommes, par hypothèse, le 22 janvier 2018 et, à partir du 22 mars 2018, vous allez toucher 1 000 euros tous les mois jusqu’au 22 janvier 2048 et ce, avec une garantie d’État.
Pour reproduire cette série de cash-flows avec une certitude équivalente, il n’y a pas cinquante solutions : vous allez devoir investir sur des obligations dites zéro-coupon ; c’est-à-dire des obligations qui remboursent le capital et les intérêts en une seule fois, quand elles arrivent à échéance [2].
Concrètement, pour assurer votre premier versement de 1 000 euros dans 3 mois, vous allez devoir acheter une obligation zéro-coupon qui arrive à maturité le 22 mars 2018, pour le second versement vous achèterez une autre obligation qui arrivera à échéance le 22 avril 2018 et ainsi de suite jusqu’au 22 janvier 2048. Au total, ça vous fera un portefeuille de 358 obligations [3] ; chacune assurant, lorsqu’elle arrivera à maturité, un paiement de 1 000 euros exactement.
La question est donc de savoir combien vous devrez investir sur chacune de ces obligations ce qui, naturellement, dépend des taux d’intérêt et, plus précisément des taux spot (le taux des obligations zéro coupon) avec une garantie similaire à celle d’un État noté AAA. Fort heureusement pour nous, la Banque Centrale Européenne met cette information à notre disposition sur son site.
Par exemple, vous pouvez facilement vérifier qu’au 22 janvier 2018, le taux des obligations zéro coupon notée AAA à 30 ans (c’est-à-dire remboursable le 22 janvier 2048) était d’environ 1.3889%. Pour vous assurer de toucher exactement 1 000 euros le 22 janvier 2048, vous auriez donc dû investir la valeur actualisée ($C_0$) de 1 000 ($C_t$) à ce taux ($k$) sur 30 ans ($t$) [4] :
$$C_0 = C_t \times e^{-tk}$$Sous R :
> Ct <- 1000 > t <- 30 > k <- 1.389/100 > Ct*exp(-t*k) [1] 659.2187 >
Pour vous assurer de toucher vos 1 000 le 22 janvier 2048, il fallait donc acheter pour environ 659.22 euros d’obligation zéro coupon arrivant à maturité à cette date. Reste à faire le même calcul pour tous les 357 autres paiements futurs. Toutes les données dont vous avez besoin sont ici (remplacez url
par ce lien dans le code ci-dessous).
# Chargez tous les taux ZC en mémoire : source(url) # Montant à récupérer chaque mois : Ct <- 1000 # Temps qui nous sépare de chaque paiement en années : t <- yc$x/12 # Taux spot : k <- yc$y # Et nous devons investir... sum(Ct*exp(-t*k))
Ce qui nous fait un peu plus de 307 115 euros. C'est le montant que vous auriez dû investir sur des zéro coupon, le 22 janvier 2018, pour reproduire les paiements de notre rente fictive et c’est donc la valeur économique réelle de ladite rente. C’est-à-dire que, si vous pouviez vendre vos droits, c’est à ce prix qu’elle se négocierait : plus, vous faites une affaire ; moins, vous vous faites avoir.
Évidemment, ma rente fictive n’est pas tout à fait équivalente à des droits à la retraites. Pour commencer, elle garantit (presque) 30 ans de paiements à quiconque en est propriétaire — y compris vos éventuels héritiers si vous avez passé l’arme à gauche trop tôt — là où vos droits à la retraite sont garantis à vie mais ne bénéficierons à ceux qui restent que dans des conditions très restrictives et compliquées. Ensuite, elle ne sera pas réévaluée en cas d’inflation : vous vous êtes assuré de toucher 1 000 euros, quelle que soit la valeur de l’euro dans 10, 20 ou 30 ans, y-compris si l'euro ne vaut plus rien.
Enfin et peut être surtout, il existe une autre différence notable entre cette rente fictive et des droits à la retraites : propriétaire de ce portefeuille d’obligations, vous êtes tout à fait officiellement à la tête d’un patrimoine financier de 307 115 euros (notamment aux yeux de l’administration fiscale) tandis qu’avec vos droits à la retraite, vous êtes présumé pauvre comme Job.
Quand vous considérez les statistiques mondiales sur le patrimoine des uns et des autres, c’est un élément à prendre en compte : sauf erreur de ma part, les fonds de pensions de nos amis américains (par exemple) sont intégrés dans le calcul de leur patrimoine tandis que nos droits à la retraite, officiellement, ne valent rien.
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[1] La France n’est plus notée AAA. Inutile de me le rappeler.
[2] Avec des obligations d’État classique qui, comme les OAT françaises, paient des coupons, votre rendement réel dépendra du taux auquel vous réinvestirez lesdits coupons futurs ; taux qui nous est inconnu aujourd’hui.
[3] Dans la vraie vie, il est fort peu probable que vous trouviez toutes ces obligations mais peu importe.
[4] Note technique : les taux proposés par la BCE sont des taux composés en continu. D’où les formules que j’utilise.
Votre article sur les droits à la retraite est très intéressant. Cette démonstration de mathématiques financières mérite d'être soulignée : pourriez vous développer sur l'intérêt pour la France de développer un système de retraite par capitalisation?
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