En général, la (fonction de densité de la) distribution des salaires ressemble à quelque chose comme ça :
C’est-à-dire que relativement peu de gens touchent des salaires très bas (à gauche de la distribution), la plupart perçoivent un salaire proche du salaire médian (au milieu) et, plus on monte dans l’échelle des rémunérations (vers la droite), plus ça devient rare. Sur un graphique de ce type, le P.-D.G. d'une société du CAC 40 ou un joueur international de football se promènent à quelques dizaines de centimètres à droite de votre écran mais ces cas sont si exceptionnels que le trait bleu est invisible à l’œil nu.
Le point MinW indique le niveau du salaire minimum légal. À gauche de ce point, en rouge, vous trouvez toutes les personnes dont le travail vaut moins que le salaire minimum. Typiquement, ce sont des gens peu qualifiés, peu expérimentés et même souvent les deux. C’est-à-dire qu’étant donné le niveau du salaire minimum, ces gens-là sont tout simplement inemployables. C'est une des raisons pour lesquelles le taux de chômage des jeunes et des moins diplômés est considérablement plus élevé que la moyenne.
Une étude récente menée au Danemark illustre très bien cette idée en s’intéressant au taux d’emploi des jeunes autour de 18 ans. La raison en est qu’avant 18 ans, les différents accords de branche en vigueur au Danemark imposent un salaire minimum de 73 couronnes (DKK) en moyenne mais que, sitôt passé 18 ans, ce chiffre passe à 119 couronnes.
Un graphique résume parfaitement le résultat : à gauche, le salaire horaire moyen (en couronnes) des salariés de 16 à 20 ans en fonction de leur âge exact ; à droite le taux d’emploi correspondant. Très clairement : à 18 ans, le salaire moyen augmente de 40% — presqu’exclusivement à cause de la mise en œuvre des salaires minimum — et le taux d’emploi s’effondre de 33%.
Partant, vous comprenez sans difficulté qu’il y a deux façons de traiter le problème. La première, c’est de déplacer la zone rouge vers la droite c’est-à-dire de faire en sorte que ces gens acquièrent les compétences et/ou l’expérience qui leur manquent pour être employables à MinW. On parle, bien sûr, de formation et de tout dispositif propre à faire en sorte que les jeunes puissent mettre le pied à l’étrier et acquérir de l’expérience. L’autre solution, évidemment, c’est de baisser MinW (le déplacer vers la gauche).
Symétriquement, toujours selon la même idée, une hausse de MinW devrait toutes choses égales par ailleurs entraîner une hausse du chômage : ce sont les gens immédiatement à droite du salaire minimum qui vont voir leurs heures réduites ou carrément perdre leur travail.
Le contre-argument de celles et ceux qui plaident pour une augmentation du salaire minimum consiste à dire qu’en payant mieux les bas salaires — qui ont, habituellement, tendance à consommer une plus importante fraction de leurs revenus que les autres (qui en épargnent une partie) — on créé un surcroît de demande ; lequel va se retrouver dans le carnet de commande des entreprises qui, dès lors, embaucheront et compenseront l’effet décrit ci-dessus.
Tout le problème est là : cet effet revenu induit par la hausse du salaire minimum existe-t-il et si oui, compense-t-il l’effet prix sur les salaires ? En théorie, c’est assez difficile à dire mais une expérience en cours dans l’État de Washington apporte quelques éléments de réponse.
Comme vous le savez peut-être, le salaire minimum en vigueur à Seattle est passé de 9.47 dollars (USD) de l’heure à 11 dollars le 1er avril 2015 puis à 13 dollars le 1er janvier 2016 — une augmentation de plus de 37% en 9 mois — et il a atteint 15 dollars le 1er janvier 2018.
Or, il se trouve que l’État de Washington collecte des données extrêmement précises sur l’état du marché du travail local. En particulier, c’est un des rares États de l’union à recenser le nombre d’heures travaillées par les salariés. Un groupe de chercheurs de l’Université de Washington a donc profité de cette opportunité pour mesurer précisément l’impact des deux premières hausses du salaire minimum sur l’emploi des salariés les moins bien payés — en l’occurrence, celles et ceux qui touchent moins de 19 dollars de l’heure.
Si la première hausse — de 9.47 à 11 dollars, soit 16.2% — semble avoir eu un effet limité, la seconde — de 11 à 13 dollars — s’est accompagnée d’une réduction de 9% des heures travaillées par les bas salaires — soit qu’ils aient perdu leur emploi soit qu’on ait réduit leurs temps de travail. Au total, la hausse du salaire horaire ne compense pas cette perte d’heures et ces salariés ont subi, en moyenne, une perte de revenus de l’ordre de 125 dollars par mois.
C'est-à-dire que pour l'instant, il y a bien un effet revenu mais il est négatif. Le 1er janvier de cette année, le salaire minimum à Seattle est passé à 15 dollars ; on va voir ce que ça donne mais il a quelques raisons de ne pas être très optimiste. Les résultats devraient tomber ici.
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