Pardon pour cette platitude mais le succès d’Emmanuel Macron c’est avant tout l’expression d’un désir de renouvellement de notre classe politique. Je ne crois pas, si vous me permettez cette hypothèse personnelle, que la plupart de ses électeurs aient voté pour son programme et je suis même convaincu que très peu l’ont lu. Emmanuel Macron est avant tout l’incarnation de ce que nombre de nos concitoyens attendent : une nouvelle tête — un candidat dont les débuts en politiques n’ont pas été photographiés en noir et blanc [1] — et, à tort ou à raison, une rupture avec le système politique hérité de la Libération.
Et c’est précisément ça qui a, je crois, tué la candidature de François Fillon. Face à Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, lors de la primaire, il pouvait aisément passer pour le candidat du renouvellement de la droite et ce, d’autant plus qu’il tenait à l’époque un discours très libéral au regard de ce à quoi nous sommes habitués de la part des Républicains [2]. Seulement voilà : non seulement son discours s’est nettement normalisé dès sa désignation mais le flux incessant d’affaires le concernant [3] n’a que trop rappelé aux électeurs ce « système » dont, justement, ils ne veulent plus.
Alors oui, sans doute y a-t-il dans la candidature d’Emmanuel Macron une dimension opportuniste : il a senti l’air du temps, il a tenté sa chance et ça a marché. Vous pouvez le lui reprocher mais n’oubliez pas, toutefois, que c’est exactement ce qu’a fait François Fillon aux primaires de la droite, que Jean-Luc Mélenchon a suivi exactement le même plan d’action [4] et que Marine le Pen, en bonne héritière du business paternel, n’a pas eu à se donner cette peine. C’est ainsi : la politique est une affaire de marketing et il faut être d’une naïveté confondante pour y voir l’expression des convictions sincères des candidats.
La fin d’une ère ?
S’il ne faut pas, dit l’adage, vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, on est tout de même tenté de parier sur une fin prochaine des grands appareils politiques du XXème siècle — la SFIO et le RPF. Si ce dernier pourrait encore se relever de la défaite de François Fillon au prix d’un aggiornamento spectaculaire — en clair : en renouvelant ses têtes de files et en cessant, une bonne fois pour toutes, de faire le grand écart entre son centre gaulliste et ses ailes conservatrices et nationalistes — le futur du Parti dit Socialiste semble bien sombre.
Beaucoup de commentateurs — souvent à droite — ont vu dans l’émergence d’En marche une stratégie géniale orchestrée par les éléphants du PS ou par François Hollande lui-même. L’idée, en substance, est que l’aile centriste du PS aurait délibérément abandonné le parti aux « frondeurs » pour mieux renaître, blancs comme neige, dans la formation d’Emmanuel Macron tandis que Benoît Hamon se partagerait le vote de la gauche de la gauche avec Mélenchon et quelques autres comiques troupiers. Je suis pour le moins dubitatif. De fait, personne n’a abandonné quoi que ce soit : Benoît Hamon a simplement remporté la primaire de gauche face à Manuel Valls.
Devinant probablement ce qu’il adviendrait de la candidature de Benoît Hamon, Emmanuel Macron s’est engouffré dans la brèche ; récupérant ainsi les suffrages de l’aile modéré du PS, d’une bonne partie du centre et même du centre-droit. On peut bien sûr imaginer que les éléphants et même François Hollande l’aient encouragé en ce sens mais de là à présenter Macron comme un simple pion il y a un gouffre. À titre personnel, je pense que le fondateur d’En marche a réussi une OPA magistrale sur tout le centre gauche et que c’est une grave erreur de le sous-estimer.
Or, si j’ai raison, c’est une excellente nouvelle. Ça signifie que le paysage est désormais entièrement recomposé : les scories de la vielle aile gauche marxisante — principalement Mélenchon et ce qui reste du PS — font désormais leurs vies seules dans leur coin et qu’une gauche moderne et potentiellement libérale est en train de voir le jour en France. Enfin ! Avec un peu de chance et encore une fois si je ne me trompe pas En marche pourrait devenir notre New Labour et Macron, un véritable Tony Blair à la française. En soi c’est un motif de réjouissances.
La stratégie de l’immobilisme
J’ai entendu plusieurs fois, depuis hier soir, des déçus du clan Fillon déclarer qu’ils voteraient le Pen au second tour. Leur stratégie, en substance, semble se fonder sur l’idée selon laquelle l’héritière de Saint Cloud n’aura aucune majorité parlementaire sur laquelle s’appuyer ce qui, selon eux, la forcera à l’immobilisme pendant 5 ans. C’est, à mon sens, de la folie pure et simple.
Qu’Emmanuel Macron ne soit pas un grand libéral, j’en conviens volontiers. Reste qu’il l’est nettement plus que le Parti Socialiste et même que les Républicains. J’entends bien vos commentaires sur le programme de Fillon que vous jugez meilleur mais, d’une part, j’ai quelques doutes sur la conversion tardive de votre candidat favori [5] et, par ailleurs, il est désormais éliminé. Le choix qui s’offre à nous, aujourd’hui, c’est un candidat de centre-gauche somme toute tout à fait raisonnable et une Marine le Pen qui non seulement pourrait bien trouver suffisamment de soutiens pour mettre une partie de son programme délirant à exécution mais dont la seule élection suffirait à mettre le pays à feu et à sang.
Ne jouez pas, je vous en conjure, avec le feu et ce d’autant plus que les scores de Marine le Pen et de Jean-Luc Mélenchon ne sont pas, contrairement à ce que j’ai lu, le produit de la seule présidence de François Hollande mais celui de quatre décennies d’immobilisme, de reproduction endogame de l’élite politique et de compromis clientélistes. De gauche, comme de droite. Une cohabitation — à supposer qu’elle ait lieu — avec Marine le Pen à la présidence, c’est la dernière chose dont nous ayons besoin : des deux candidats en lice, le seul à être capable de rassembler au-delà de son parti et de faire, comme on dit, bouger les lignes, c’est Macron.
Je vais donc voter pour Emmanuel Macron sans la moindre hésitation. Je vais le faire non pas parce que je crois en lui [6] mais parce que dans l’alternative qui nous est offerte, c’est — et de très loin — la meilleure option. Une chance, fût-elle infime, c’est toujours mieux qu’aucun espoir. Partant, ma ligne de conduite sera celle de Frédéric Bastiat en son temps : peu importe qu’une politique soit labellisée de gauche ou de droite ; je soutiendrai les bonnes et m’opposerai aux mauvaises.
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[1] De fait, il est jeune puisqu’il est plus jeune que moi.
[2] L’ADN des Républicains, si vous me permettez ce raccourcis, reste celui du RPF de Charles de Gaulle ; c’est-à-dire une ligne à la fois conservatrice et sociale.
[3] Blague de campagne : « Breaking : aucune nouvelle affaire Fillon depuis 24 heures. » Une bonne partie de la presse s’est acharnée ? Sans doute. Peu importe maintenant : ce qui est fait est fait.
[4] Une formation politique ad’hoc — la « France Insoumise » — construite autour de son seul candidat et une campagne de communication décentralisée à l’américaine.
[5] Et je dis ça d’autant plus librement que j’ai voté pour lui au premier tour pour tenter d’éliminer le Pen et Mélenchon — Caramba ! Encore raté !
[6] Ce qui ne m’est, d’ailleurs, jamais arrivé.
Quand on parle de renouvellement, il faut distinguer le renouvellement des personnes et celui des idées.
RépondreSupprimer- Macron l'année dernière avait envoyé quelques signaux intéressants d'un libéralisme de gauche, progressiste. Mais dans sa campagne, il a surtout défendu des idées social-démocrates très classiques, et en fin de compte m'est apparu comme un homme nouveau portant de vieilles idées.
- Fillon a porté des idées plutôt neuves, dans la mesure où ça fait bien longtemps qu'un candidat n'avait pas été aussi cash sur l'ambition de réduction des dépenses publiques et du rôle de l'Etat. Certes au fur et à mesure de la campagne ça n'était plus aussi vigoureux que pendant les primaires, mais ça tenait encore à peu près la route. Fillon était plutôt dans le rôle de l'homme ancien avec des idées neuves, en symétrique de Macron
Bref, je voterai Macron au 2nd tour, sans autre attente que celle d'un Chirac bis - ni moins bien, ni mieux - Evidemment je serai heureux d'être surpris!
Je suis d'accord avec Etienne. Avec les 'conseillers' tel que Attali, Alain Minc, Pisani-Ferry, et tant d'autres étatistes, il faut m'expliquer comment Macron va mener des reformes. Si tu peux me rassurer sur ce point je voudrais bien, mais sinon je ne vois qu'une chose arrivait - un nouveau mur de charges et d'impôts et la continuation de l’explosion des dépenses d'état.
RépondreSupprimerPeut-être. Peut-être pas. De toute façon, avec le Pen, la catastrophe est une certitude. C’est pas comme si on avait le choix.
SupprimerOn avait le choix, il suffisait de voter Fillon au premier tour. Mais tout le monde a préféré le "gendre ideal". Je trouve ça pathétique.
SupprimerJe suis d'accord avec votre analyse et conclusion, même si je votais pour Fillon. Mais ce n'est pas si mal, la campagne est une chose et ce qu'il fera M. Macron une autre. Les deux avaient du positif et Macron doit à présent gagner, il ne faut pas voter 'contre' lui comme malheureusement en 2012 contre N. Sarkozy, où les sympathisants de la droite, du centre et même des libéraux, déçus de trop d'étatisme et parfois du comportement de N.Sarkozy (moi aussi, mais je pensais qu'il faut lui donner la deuxième chance) ont préféré de s'abstenir ou même voté Hollande afin que le système s'écroule complètement. On voit le résultat aujourd'hui ; quel gaspillage et perte de temps, d'énergie et de moyens pour votre pays, Pour F.Fillon pareil, j'estimais qu'il était mûr à présent pour changer certaines choses mais il est devenu aussi dérangeant pour toute la classe politique actuelle . Et j'avoue que je craignais déjà la vague des mouvements sociaux venue de la gauche, dans le cas de Macron ça sera peut-être moins violent. Le FN ça serait la destruction de tout, même de ce qui était à peu près bien, le protectionnisme ne mène nulle part.
RépondreSupprimerAvec tous les flans-Macron qu'il attire, dont toutes les fines équipes de Flanby en recasage express, je ne partage pas votre optimisme, même mesuré...
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