La dévaluation, cette infamie.

Au-delà des théories économiques — auxquelles, malheureusement, la plupart de nos concitoyens ne comprennent rien — je voudrais rapidement vous raconter l’histoire du franc depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Notre histoire commence le 21 juin 1948, date à laquelle le deutschemark (DEM) rejoint le système de Bretton Woods avec une parité d’un dollar pour DEM 3.33. À ce moment-là, le franc (FRF) qui fait déjà partie du système a déjà été dévalué une fois [1] face au dollar américain (USD) et il faut désormais compter 2.1439 francs [2] pour un dollar. Ce qui fait que le 21 juin 1948, le franc vaut 1.5532 deutschemarks.

18 octobre 1948, le franc est de nouveau dévalué de 18.6% : il faut désormais compter 2.6352 francs pour acquérir un dollar. Comme le deutschemarks reste stable, le franc vaut maintenant 1.2637 deutschemarks.

27 avril 1949, le franc est dévalué pour la troisième fois mais cette fois-ci d’un modeste 3% : le dollar américain vaut maintenant 2.7221 francs et, le deutschemark n’ayant pas bougé, le franc vaut désormais DEM 1.2233.

18 septembre 1949, date remarquable : cette fois-ci, c’est le deutschemark qui est dévalué de près de 21%, un an et trois mois après avoir rejoint le système de BW. Le dollar vaut désormais DEM 4.2 et donc le franc, qui reste au même niveau par rapport un billet vert, vaut DEM 1.5429 pendant deux jours.

En effet, le 20 septembre 1949, deux jours plus tard, le franc suit son voisin d’outre–Rhin dans la dévaluation : il perd 16.7% de sa valeur à 3.5 francs par dollar soit exactement DEM 1.2 pour un franc.

Cet équilibre de 1.2 francs pour un deutschemark va durer presque 8 ans jusqu’à ce que, le 11 août 1958, le franc soit dévalué pour la cinquième fois de 16.7% — le dollar à 4.2 francs — de telle sorte que deutschemarks et francs s’échangent exactement à un pour un.

Cette cinquième dévaluation du franc est importante en ce sens que l’histoire tend à la mettre au crédit de de Gaulle. C’est faux. En réalité, elle la conséquence de l’opération 20% de Félix Gaillard, ministre des finances de la IVème République (voir les détails ici), et Antoine Pinay ne fait que reconnaître les faits le 23 juin 1958.

La sixième dévaluation du franc intervient le 27 décembre 1958. Celle-ci est bien du fait de de Gaulle qui souhaite, dans la foulée, créer son nouveau franc. Le général, désormais revenu aux affaires, souhaite ainsi aligner la valeur officielle du franc sur celle qui est communément admise sur les marchés et ainsi repartir sur des bases saines.

Il faut désormais compter 4.9371 (nouveaux) francs pour un dollar et donc, puisque le deutschemark vaut toujours 4.2 dollars, 0.8507 francs pour un deutschemark. C’est-à-dire qu’à ce stade, le franc de 1948 a déjà perdu plus de 45% de sa valeur face à la monnaie allemande.

Le nouveau franc, introduit le 1er janvier 1960, restera stable face au billet vert de l’Uncle Sam pendant un peu plus de 9 ans, toute la présidence de Charles de Gaulle. Ce n’est qu’avec la réévaluation de 5% du mark, le 6 mars 1961 [3], que la parité du franc concèdera quelques centimes à sa voisine d’outre-Rhin à 0.8102 francs pour un mark.

Le 10 août 1969 intervient la très contestée septième dévaluation du franc de Chabran-Delmas et Pompidou : il faudra désormais 5.55 francs pour acheter un dollar ce qui fait que notre nouveau franc, que le général voulait fort, cède 11% par rapport au mark à 0.7207 francs pour un deutschemark jusqu’à ce que la monnaie allemande soit à nouveau réévaluée de 9.2% le 25 octobre 1969, deux mois plus tard, à DEM 3.663 pour un dollar et donc 66 centimes de franc pour un mark.

Il faudra attendre le Nixon Shock et les accords de Washington, le 18 décembre 1971, pour que le mark et le franc soient réévalués face au billet vert de 13.7% et 8.6% respectivement de telle sorte qu’un dollar valle désormais 3.662 marks et 5.55 francs ; soit un deutschemark pour 0.6307 franc — ce n’est, officiellement, pas une dévaluation mais le franc cède encore 4% face au mark.

Les accords de Bretton Woods sont moribonds et déjà se profile le serpent monétaire européen. Le franc et le mark rentrent dans le reptile le 24 avril 1972 avec une parité centrale de 0.6399 franc pour un mark jusqu’à ce que la devise allemande soit réévaluée de 3% le 19 mars 1973 puis de 5.5ù le 26 juin 1973 de telle sorte que le franc vaut désormais 0.5797 marks.

Le 19 janvier 1974, le franc sort du serpent. Il y revient le 10 juillet 1975 puis ressort définitivement le 15 mars 1976. Pendant 3 ans, pour la première fois depuis la Libération, il flotte librement face au mark jusqu’à ce qu’il intègre le Système Monétaire Européen le 13 mars 1979 avec une parité centrale de 0.433 francs pour un deutschemark ; soit une nouvelle dépréciation de plus de 25%.

Ce nouveau système va fonctionner jusqu’à la mise en place de l’euro. Entre dévaluations du franc —le 5 octobre 1981, le 14 juin 1982, le 21 mars 183, le 6 avril 1986 et le 12 décembre 1987 — et réévaluations du deutschemark, le franc gaullien va perdre encore 31% de sa valeur face au mark. Le 31 décembre 1998, alors que sont fixées les parités irrévocables des différentes devises face à l’euro, le franc ne vaut plus que 0.2982 deutschemark c’est-à-dire qu’il a perdu 65% de sa valeur de 1960.

Au total, depuis le 21 juin 1948, le franc a perdu plus de 80% de sa valeur face à la monnaie de nos voisins allemands. De 1.5532 mark à 0.2982 marks pour un franc. Même notre nouveau franc, dont de Gaulle rêvait de faire un nouveau franc germinal, s’est finalement effondré à coup de dévaluations, comme la monnaie d’une vulgaire république bananière, d’un pays faible, sans puissance ni crédit.

C’est toute l’ironie cruelle de l’histoire qui veut que, de nos jours, les soi-disant patriotes ne rêvent que de nous faire subir une nouvelle fois cette infamie. Je ne suis pas gaulliste mais j’ai ceci de commun avec le grand Charles que je suis profondément convaincu que notre franc germinal, ses 290.25 milligrammes d’or fin pendant 111 ans, était un formidable symbole de la puissance de notre pays ou, du moins, du crédit de notre État.

C’était l’époque où nous étions grands, quand nous regardions avec confiance vers l’avenir, quand notre culture rayonnait sur le monde sans le moindre ministère, quand nos scientifiques faisaient référence dans toutes les universités du monde quand, en somme, être français, de naissance ou d’adoption, était un motif de fierté.

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[1] Le franc avait rejoint le système de BW le 26 décembre 1945 avec une parité de 119.11 pour un dollar, il a été dévalué une première fois le 26 janvier 1948 à 214.39 franc pour un dollar (soit une dévaluation de 44%).
[2] Pour simplifier la lecture j’ai convertis les francs d’avant 1960 en nouveau franc. En réalité, il fallait 214.39 anciens francs pour acheter un dollar.
[3] Le deutschemark est réévalué à 4 marks pour un dollar.

2 commentaires:

  1. Celui-la, il envoit du bois ! Félicitations pour l'article ;)

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  2. Une grande partie de l'article inverse franc et mark.
    Ainsi, dans la conclusion : "De 1.5532 mark à 0.2982 marks pour un franc.", et là c'est dans le bon ordre. Et un peu partout ailleurs avant "soit un deutschemark pour 0.6307 franc", et là c'est assez probablement le contraire, un franc pour 0.63 mark.

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