Quand, à peu près, le français s'est il imposé en Provence ?

Je me demandais juste depuis combien de temps, à peu près, on parlait français en Provence. Éléments de réponse volés à Auguste Brun, La Langue française en Provence (1927) :

Christophe de Villeneuve, Statistique du département des Bouches-du-Rhône, T. III, 1826 (pp. 197-198) :

« La langue française, introduite dans l’administration après l’acte de réunion [1], se répandit lentement dans la Provence. Pendant long-temps elle borna son influence à altérer le provençal de manière à le rapprocher du français [2] ; mais elle ne fut étudiée que des personnes qui étaient obligées de la savoir, et dans les meilleures sociétés de la Capitale on ne se servait que de la langue du pays. Cette répugnance qu’avaient les provençaux pour le français, ne tenait pas seulement au caractère de la nation ; le provençal avait beaucoup plus d’affinité avec l’espagnol et l’italien, et si d’un côté les Provençaux avaient le cœur français, de l’autre il leur était difficile, dans les commencemens, de s’accoutumer à une langue qui, surtout dans sa prononciation, contraste si fortement avec le provençal.

« On sait que lorsque le feu roi, n’étant encore que comte de Provence [3], vint visiter cette province, on eut de la peine de trouver dans plusieurs villes des personnes capables de le haranguer en français, et même à Marseille il y avait alors peu de négocians à qui cette langue fût familière. On l’enseignait dans les colléges, on l’écrivait, elle était même assez généralement connue dans les classes aisées, et cependant on n’avait pas l’habitude de la parler, et le provençal était toujours seul en usage dans les familles et dans les sociétés.

« La révolution, qui a changé tant de choses, eut seule le pouvoir de rompre les habitudes du pays. On donna tout à coup d’un excès dans un autre. Le peuple, qui ne savait que le provençal, crut savoir le français, parce que les orateurs des assemblées populaires affectaient de haranguer dans cette langue. D’ailleurs, la nécessité de l’apprendre se fit sentir tous les jours d’avantage, et toute la population se mit à la parler tant bien que mal. Alors elle se répandit avec une incroyable rapidité, et aujourd’hui la Provence est, sous ce rapport, de niveau avec les autres provinces méridionales.

« Cependant le peuple reste toujours attaché à la langue du pays, et on la parle habituellement, non-seulement dans les campagnes, mais encore dans les petites villes et même dans les chefs-lieux en tout ce qui concerne les usages communs de la vie. Tout le monde entend pourtant le français, mais la masse de la population tient à ses habitudes, et il s’écoulera encore bien des années et peut-être des siècles avant que la langue française devienne populaire.

« Dans la bonne société cette langue est seule reçue, et on la parle même avec pureté. Dans les classes moyennes on est dans l’usage singulier d’intercaler des mots provençaux dans le français, et cet usage est si général qu’il a gagné toutes les classes commerçantes et industrielles [4]. Cela est cause que les provençalismes sont très-communs et qu’on les emploie dans la conversation et même dans les lettres. Un recueil de ces provençalismes serait un ouvrage fort utile pour le pays. »

Dans le Tableau historique et politique de Marseille ancienne et moderne, 3ème édition, 1817 (p.161) :

« La langue favorite du pays est la Provençale, c’est-à-dire, un composé des Langues Grecques, Italienne, Espagnole et Française, assez dur et pourtant expressif […] : les habitans tiennent beaucoup à cet idiome patois : il n’y a pas bien long-temps qu’ils n’en connaissaient pas d’autre. Ce n’est que depuis une quarantaine d’années que la Langue Française est généralement accueillie par les Marseillais, et qu’on la parle dans les sociétés. La quantité d’étrangers dont la Ville abonde […] a beaucoup contribué à la répandre : bientôt les parens ont cru de leur devoir, comme de bon ton, d’en exiger l’usage de leurs enfans, en sorte que la langue que l’on parle dans toute l’Europe n’est plus étrangère pour la jeunesse Marseillaise. »

Dans les grandes lignes, les provençaux considéraient le français comme une langue étrangère jusqu’au milieu du XVIIIè siècle. C’est dans les toutes dernières années de l’ancien régime que l’aristocratie et la bourgeoisie s’y sont mises, pour faire chic, et il a fallu attendre la révolution pour que le commun des provençaux suive le mouvement. La plupart des provençaux nés avant la seconde guerre mondiale parlait encore provençal et ce n’est qu’à partir de la libération que le rouleau compresseur républicain a fait son œuvre ; jusqu'à faire pratiquement disparaître cette langue ancestrale.

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[1] L’union des États de Provence à la couronne de France en 1486.
[2] Principalement dans sa construction qui, d’italienne, devient plus française.
[3] Il s’agit du futur Louis XVIII qui visite la Provence en juillet 1777.
[4] C’est d’ailleurs toujours le cas : bien des marseillais utilisent fréquemment des mots provençaux ou d’origine provençale sans même le savoir : dégun (personne), cagnard (fort soleil), marroner (faire la tête), pèguer (coller), gabian (goëlan) etc. Notez aussi une bonne fois pour toutes qu’il ne faut pas écrire « kézako ? » (qu’est-ce-que c’est ?) mais qu’es acò.

3 commentaires:

  1. Il y a également eu un autre gros coup porté aux langues régionales, dont l'occitan (et dont le provençal en est un dialecte, malgré ce que peuvent dire certains Provençaux un peu chauvins :p): les lois de Jules Ferry qui en même temps qu'elles rendirent l'école obligatoire, imposèrent le français comme seule et unique langue. Dans certaines (beaucoup? d') écoles, les enfants pris en train de parler français était réprimandés voire punis.

    D'autre part, il semblerait que le terme "patois" ait été imposé, car il a une connotation péjorative, il dénote plus un "mauvais français" qu'une langue à part entière. L'idée était de dénigrer la langue, de la faire passer pour la langue des gens peu instruits, incultes, à l'opposé du français, langue des gens "civilisés", cultivés.

    PS: la plupart des exemples des exemples que tu donnes en [4] ne sont pas propres au provençal mais à l'occitan plus généralement. À Montpellier aussi, terre du languedocien, autre dialecte occitan, on pègue (de sueur) si on reste en plein cagnard ;)

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  2. Dans les campagnes béarnaises, l'arrêt de la transmission de l'occitan aux enfants par les parents (enfin du béarnais, en l’occurrence) semble un peu plus récente: d'après ma petite expérience ce serait plutôt la génération 60s-70s voire 80s qui en a perdu la compréhension "intégrale".

    Mais effectivement la perte du parler, encore plus en tant que langue maternelle, est plus ancienne, et effectivement la 2ème guerre mondiale semble être la charnière: ceux étant nés avant savent parler l'occitan vraiment couramment, ceux nés après en ont une moins bonne maîtrise, plus comme une deuxième langue qu'on aurait apprise à l'école.

    En tout cas d'après mon expérience en Béarn. En Languedoc, j'ai l'impression que l'abandon de l'occitan est plus ancien, on ne l'entend quasiment plus nulle part hormis dans des expressions. Mais cela est peut-être dû au fait que le Languedoc a connu une forte immigration au 20ème siècle, espagnole, italienne puis pied noirs.

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  3. Chris Titou08/08/2016 09:58

    Le patois lotois vie encore un peu par des associations qui maintiennent cette culture, mais il a souffert de la révolution et des réformes scolaires. Mon grand-père me disait que des vieux n'ont jamais parlé le français dans leurs vies, trop compliqué !!

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