Si vous lisez ces mots, c’est que la fin du monde n’a finalement pas eut lieu et que vous êtes désormais entièrement absorbés par l’affaire la plus urgente du moment : dans quelques jours, ce sera Noël.
Comme chaque année, vous aller donc vous trimbaler un sapin et passer des heures à ramasser ses aiguilles. Comme chaque année, vous allez vous farcir quelques heures de cuisine pour préparer ces figures culinaires imposées que vous mettrez plusieurs semaines à digérer. Comme chaque année, vous allez courir les magasins pour tenter de dégoter in extremis ce cadeau absolument indispensable que vous réclame votre petit dernier.
Comme chaque année, enfin, vous allez devoir vous cogner le discours sentencieux du mauvais coucheur familial qui vous expliquera des heures durant que ces traditions païennes souillent la commémoration de la naissance du Christ ; que ces cadeaux ne sont que le signe de l’abject mercantilisme dans lequel baigne notre époque ; qu’en sacrifiant à ses coutumes factices, vous jouez le jeu du grand capital (mondialisé et néolibéral).
En cette (presque) veille de Noël, je vous propose donc quelques petits éléments de mise au point.
Ce fameux 25 décembre
Ce 25 décembre, donc, toute la chrétienté fêtera la naissance de Jésus Christ de Nazareth. Pourtant, il n’en fût pas toujours ainsi : Noël n’a été intégré au calendrier liturgique que tardivement, probablement entre l’édit de Milan (313) par lequel Constantin accordait la liberté de culte à ses sujets et 354, sous le pontificat de Libère, date à laquelle une première célébration de la nativité est attestée.
Naturellement, le 25 décembre n’a que très peu de chance (1 sur 365) d’être la véritable date d’anniversaire du Christ puisque rien, ni dans les écritures ni ailleurs, ne nous permet de dater précisément, fusse à un an près, cet évènement. Néanmoins, si cette date n’est que pure convention, elle ne doit rien au hasard : avant de devenir la date de naissance symbolique du Christ [1], le 25 décembre c’était le dies natalis solis invicti, le jour de naissance de Sol Invictus, le soleil invaincu devenu sous le règne d’Aurélien la divinité principale de l’empire. Désormais autorisée et même activement soutenue par le pouvoir impérial, la jeune Église n’avait de cesse que concurrencer les cultes païens ; c’est probablement [2] pour cette raison que le dies natalis de Sol Invictus est devenu le dies natalis du Christ ; le Natale italien.
Mais si la date de Noël s’impose si facilement dans l’empire, ce n’est pas tant grâce au dieu de synthèse d’Aurélien [3] car le 25 décembre, dans le calendrier julien [4], c’est le lendemain du solstice d’hiver, le moment où les jours recommencent à rallonger, un évènement déjà fêté depuis la nuit des temps dans de nombreuses cultures et notamment celles de l’Europe préchrétienne comme les celtes et les peuples germaniques qui célébraient ce même jour la fête de Yule. Notre Noël dérive ainsi très probablement du neue helle germanique, la « nouvelle lumière », le moment où le soleil gagne sur les ténèbres, la promesse d’une nouvelle année, de nouvelles récoltes, la vie qui poursuit son cours.
Noël est une extraordinaire collection de symboles païens. L’habitude de se réunir en famille autour d’un bon repas, les chants et les histoires que l’on raconte aux enfants sont des traditions bien antérieures à la christianisation de l’Europe. Ce sapin qui trône dans votre salon a très probablement des origines celtiques ; c’était autrefois un épicéa que nos lointains ancêtres décoraient de pommes, de blé, de guirlandes de gui et couronnes de houx. De même, bien avant qu’elle ne devienne un dessert, on avait coutume, ici comme en Scandinavie, de faire brûler une grosse bûche durant toute la veillée du solstice d’hivers. Enfin, bien sûr, on ne peut pas évoquer Noël sans parler de ce sympathique barbu qui, pour on ne sait quelle obscure raison, s’obstine à gâter nos têtes blondes.
De qui Père Noël est-il le nom ?
On ne sait pas qui il est celui-là. La seule chose dont on soit à peu près sûr, c’est qu’il est le résultat de la fusion, opérée au début du XIXe siècle aux États-Unis [5], entre le Father Christmas anglais et Saint Nicolas européen. Le premier, s’il a donné son nom à notre Père Noël, n’a eut que très tardivement pour fonction d’offrir des cadeaux aux enfants ; il est apparu au début du XVIIe siècle, vieux bonhomme bien nourri et vêtu d’une houppelande verte, et n’était rien de plus qu’une personnification de l’esprit festif de Noël. Les origines de Saint Nicolas, en revanche, sont mieux connues : c’est Nicolas de Myre, un évêque de l’actuelle Turquie, qui fût convoqué par l’Église pour devenir le protecteur des enfants et, accessoirement, le distributeur officiel de cadeaux du 6 décembre. Son nom, Sinter Klaas en vieil hollandais, est devenu Santa Claus aux États-Unis avant de fusionner complètement avec Father Christmas.
Or voilà : si, lors de la christianisation des peuples germaniques et scandinaves, l’Église a ressenti le besoin d’invoquer Nicolas de Myre, ce n’est sans doute pas sans raison. C’est certainement qu’il y avait, là aussi, une tradition païenne à christianiser ; une tradition qui impliquait qu’un personnage aussi invisible que mythique distribue des cadeaux aux enfants. Nous entrons ici dans le domaine de la conjecture et, n’ayant aucune prétention en matière historique, je vais me contenter de vous raconter un conte ; un conte de Noël, cela va de soi.
Il y a bien longtemps, avant que l’Europe ne devienne chrétienne, les mortels comme les dieux d’Ásgard avaient coutume de célébrer dignement la nuit du solstice d’hivers, la fête de Yule. C’est cette nuit qu’Odin, « père de Yule », choisissait pour traverser le Bifröst et, chevauchant Sleipnir, son fier destrier à huit pattes, il parcourait le ciel en chassant. Naturellement, les prouesses de l’animal – qui pouvait voler et parcourir d’immenses distances en un rien de temps – avaient vite fait de l’épuiser ; il fallait donc le nourrir. Sachant cela, les enfants avaient pris l’habitude de remplir leurs chausses de carottes et de blé à l’attention Sleipnir et de les déposer près de l’âtre avant d’aller se coucher. Toujours selon la légende, Odin, sensible à cette délicate attention, ne manquait jamais de les remercier en remplaçant ces victuailles par des friandises et des cadeaux.
Qu’avons-nous là ? Un vénérable barbu (« longue barbe » est un des nombreux noms d’Odin), manifestement d’origine nordique (vous admettrez avec moi que le traineau de notre Père Noël et sa houppelande y font penser au moins un peu), qui chevauche un cheval (comme Saint Nicolas) à huit pattes (comme les huit rênes du Père Noël) qui a la faculté de voler et qui passe la nuit de Noël à distribuer des cadeaux (comme le Père Noël) aux enfants qui ont eut la gentillesse de nourrir sa monture (comme Saint Nicolas). Le moins que l’on puisse dire c’est que notre sympathique petit papa Noël entretient quelques similitudes frappantes avec le maître d’Ásgard.
L’esprit de Noël
Quoiqu’il en soit – et ça c’est une certitude – cette habitude qui veut que nous offrions des cadeaux à nos enfants le jour du solstice d’hivers n’a rien d’une déformation mercantiliste de Noël ; elle lui est, de loin, antérieure. Ce faisant, à l’image de nos sapins et de nos bûches de Noël, nous ne faisons que perpétuer les traditions séculaires de notre vieille Europe. Pensez-y quand vos monstres surexcités ouvriront leurs cadeaux : même si vous n’êtes pas chrétien, même si vous ne vénérez aucun dieu, ce que vous célèbrerez ce soir là, en famille et au travers de la joie de vos enfants, c’est la vie qui continue.
Joyeux Noël à toutes et à tous !
---NB : J’ai évoqué plus haut Odin, Ásgard et le Bifröst sans vraiment vous en dire plus : si vous ne connaissez pas ces choses là, demandez à n’importe quel gamin de 10 ans et il vous l’expliquera. Par ailleurs, si vous demandez comment un gamin à peine vieux d’une décennie peut connaître aussi bien la mythologie scandinave, c’est très simple : c’est grâce aux comics de Marvel et à Hollywood qui les a remit au goût du jour ces dernières années (i.e. ravages du capitalisme, édition culturelle).
NB (2) : Celles et ceux qui utilisent un autre calendrier que celui de Rome – notamment nos amis orthodoxes – voudront bien me pardonner : ce texte est déjà trop long.
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[1] Pour ce qui est de l’année, Denys le Petit s’est sans doute trompé de quelques années – même Benoît XVI l’admet volontiers.
[2] Il n’existe aucune certitude à ce propos ; bien que probable, cette interprétation reste sujette à débats.
[3] Sol Invictus a été créé de toute pièce en reprenant des attributs d’Apollon et du dieu indo-iranien Mithra à qui il doit notamment sa date de naissance.
[4] Dans notre calendrier actuel, le solstice d’hivers a habituellement lieu entre le 21 et le 22 décembre.
[5] Profitons-en pour tordre le coup à une idée reçue : ce n’est pas Coca-Cola qui a inventé le Père Noël ni même la couleur rouge de sa houppelande. La firme d’Atlanta, dans sa campagne publicitaire de 1931, n’a fait qu’utiliser à son profit une iconographie déjà existante en privilégiant la couleur qui l’arrangeait le mieux.
Je croyais que le capitalisme tuait la culture...bravo et joyeux Noël à vous Georges Kaplan !
RépondreSupprimerBelle leçon! Bien récité !... Pleine de rêves...et "vive" l'anthropomorphisme...et le reste!!!... En attendant... un peu de chaleur humaine, c'est déjà cela!!
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