De prime abord, monsieur Rouvillois semble regretter que le Dictionnaire du libéralisme rédigé sous la direction de Mathieu Laine ait été écrit par des libéraux. Ça se conçoit mais vous conviendrez avec moi qu’un bouquin sur le libéralisme écrit par des antilibéraux ça n’aurait pas été très original. Peut-être qu’un livre à plusieurs mains avec, par exemple, Laurent Joffrin, Éric Zemmour, Nicolas Demorand, Emmanuel Todd et Jean-Claude Michéa aurait été plus au goût de monsieur Rouvillois mais, en matière d’objectivité et de connaissance du sujet, je crains que le qualificatif de dictionnaire aurait alors été quelque peu usurpé. C’est un petit peu comme si on demandait à un taliban d’écrire un dictionnaire du judaïsme ; l’exercice ne manque peut-être pas d’intérêt mais je doute que le lecteur y apprenne quoi que ce soit de valable sur la religion d’Israël. Bref, ce premier regret me semble plutôt un point positif.
Deuxième point noir : monsieur Rouvillois s’étonne de ce que le libéralisme ne soit pas décrit comme une forme de conservatisme de droite, voire d’extrême droite. Étant moi-même libéral, je puis vous confirmer que je n’estime pas être de droite, pas plus que je ne pense être de de gauche. Je m’inscris là dans la tradition libérale française qui, lorsque ma famille de pensée était encore représentée à l’Assemblée nationale, siégeait au centre et votait, selon les sujets, avec la gauche ou la droite. De la même manière, il eut été étonnant que les auteurs du dictionnaire présentent le libéralisme comme « un nouveau totalitarisme » ; on peut ne pas être libéral sans pour autant tenir des propos à ce point incohérents. Sur l’anarchisme, enfin, je nuancerais : notre famille de pensée comporte bien quelques anarchistes – les anarcho-capitalistes (voir Gustave de Molinari ou Murray Rothbard) – pour autant, l’immense majorité des libéraux admettent la légitimité d’un l’État – pour peu que ses pouvoirs soient clairement délimités – et ne sont donc pas, de fait, anarchistes.
Monsieur Rouvillois note à juste titre que le dictionnaire ne comporte aucune entrée pour le terme d’« ultralibéralisme ». Je ne crois pas trahir la pensée des auteurs en affirmant que c’est parce que ce terme, à moins qu’on veuille faire référence par là aux anarcho-capitalistes que j’évoque plus haut, n’a rigoureusement aucun sens du point de vue des libéraux : ultralibéralisme est un anathème qui est au discours politique contemporain ce que procès en hérésie était à l’inquisition. Si vous êtes à la recherche d’un écrit qui utilise cette notion à tout bout de champ, je vous suggère le programme du Front de Gauche (où c’est l’UMP qui est ainsi cloué au pilori) ou celui du Front National (qui estime manifestement que le PS est ultralibéral). Passons…
Quatrièmement, monsieur Rouvillois s’étonne de ce que la loi Le Chapelier (1791) ne soit évoquée qu’une fois alors qu’elle est, selon ses termes, un « aboutissement logique du libéralisme des Lumières ». Je crains que la vérité ne soit un peu plus complexe. Si le décret d’Allarde, qui cherche à établir la liberté d’entreprendre, s’inspire évidemment des idées des Lumières et notamment de celles de Turgot, la loi Le Chapelier qui le suit de quelques mois est, à l’image de son promoteur, d’inspiration nettement plus jacobine. En effet, si le démantèlement des corporations est bien une idée libérale, l’interdiction qui est faite par ladite loi aux salariés de s’associer entre eux et de faire grève ne l’est pas du tout. La raison pour laquelle les libéraux s’y opposent, vous la trouverez notamment chez Adam Smith ou chez Jean-Baptiste Say qui notaient fort justement qu’un salarié isolé n’avait que peu de pouvoir de négociation face à son employeur. Dès lors, et très logiquement, ce sont donc les libéraux, à l’image de Frédéric Bastiat [1], qui vont se faire les champions de la liberté d’association et du droit de grève et donc, les plus fervents détracteurs de cette loi. Ce sont d’ailleurs deux libéraux, Émile Ollivier et Pierre Waldeck-Rousseau, qui, malgré l’opposition farouche des conservateurs et des socialistes [2], finiront par obtenir le droit de coalition (1864) et la liberté syndicale (1884).
Et voilà que monsieur Rouvillois s’insurge de ce que l’on puisse affirmer que les conditions de vie des prolétaires se soient considérablement améliorées au cours des XIXème et XXème siècles. Que dire ? C’est ce que tous les travaux de recherche menés sur ce sujet ont conclu : mesurez ça en niveau de revenu, en espérance de vie, en taux de mortalité infantile, en prévalence de la malnutrition ou en occurrence de famines – peu importe – les résultats seront les mêmes. Que les interventions gouvernementales comme la loi Le Chapelier évoquée plus haut ou le fameux livret d’ouvrier aient contribué à freiner cette évolution, j’en conviens volontiers mais nier ce fait majeur de l’histoire relève de l’aveuglement. Ludwig von Mises avait entièrement raison de dénoncer cette pseudo-paupérisation, « l’une des plus grandes falsifications de l’Histoire » : songez seulement qu’entre le moment où Friedrich Engels publie La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845) et la publication du premier tome du Capital (1867), le niveau de vie moyen des anglais avait progressé de près de 44% [3].
Enfin, sixième et dernière remarque de monsieur Rouvillois : les libéraux ne sont pas d’accord sur tout, y compris sur des sujets fondamentaux. C’est tout à fait vrai et c’est d’ailleurs ce qui fait toute la différence entre le dogme d’une religion et la démarche d’un courant de pensée fondé sur la Raison et « cette quête constante de la vérité » qu’évoque Mathieu Laine dans son introduction. En effet, même sur un sujet aussi central que la démocratie, les avis divergent, les arguments s’affutent et les discussions vont bon train. D’Alexis de Tocqueville à Hans-Hermann Hoppe, de Karl Popper à Friedrich Hayek et – en l’espèce – de Jean-Philippe Feldman à Raymond Boudon, on pourrait remplir des bibliothèques entières sur le traitement de la question démocratique par des auteurs libéraux. C’était, il me semble, précisément l’objectif de Matthieu Laine lorsqu’il a entreprit ce travail titanesque : montrer ce qu’était vraiment le libéralisme, dans toute sa richesse et toute sa diversité. Mais après tous, comme note très justement monsieur Rouvillois, « ce pluralisme n’est un défaut que pour les amateurs de certitudes. »
Cela fait donc six petits points plus ou moins négatifs sur 640 pages et 267 articles. Ma foi ! C’est bien peu ! C’est que ce Dictionnaire du libéralisme, auquel, je tiens à le préciser, l’auteur de ses lignes n’a pas participé, doit être une réussite. Bonne lecture !
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[1] Voir notamment son discours à l’Assemblée nationale du 17 novembre 1849.
[2] Notamment de Jules Guesde qui voyait dans le projet de loi de Waldeck-Rousseau une « loi de police » au motif que les syndicats ainsi légalisés devaient déposer à la mairie leurs statuts et la liste de leurs administrateurs.
[3] Sur la base des données d’Angus Madisson.
Pas de politique culturelle américaine ? Pas d'impérialisme américain en la matière? Allons, allons Monsieur Kaplan, foin de ces boniments ... S'il y a bien un pays qui a fait d'une certaine forme de culture son domaine régalien, son arme de domination culturelle, ce sont bien les Etats-Unis.
RépondreSupprimerConsidérez les accords Blum-Byrnes de 1946. Regardez donc ici http://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_Blum-Byrnes comment ces accords, parfaitement léonins (une France épuisée, et encore occupée par les Américains) violent le "marché" français de la production culturelle et regardez donc par qui ils ont été signés: l'inénarrable Jean Monnet, ce « petit financier à la solde des Américains » selon De Gaulle, qui avait paisiblement passé la guerre à l'abri chez Oncle Sam ...
Demandez vous pourquoi aujourd'hui le Français moyen ne voit quasi jamais de film indien, chinois, russe, serbe, marocain, brésilien, chilien, ou même anglais ....
Et demandez vous à qui sert la vision du monde véhiculée par la grosse production américaine, cette soupe à base de héros bodybuildés qui abattent l'adversaire en riant, de violences chorégraphiées qui ne font jamais mal, cette obsession du toujours plus grand/toujours plus fort (si ça marche pas avec mon petit fusil, je reviens avec un gros tank ...), de ces modèles familiaux décadents où la mère assume les rôles paternels et maternels face à des enfants rois et des adolescents haineux à jamais envers des pères chétifs et veules, ayant abandonné toute virilité aux supercops et autres agents ...
Et surtout, surtout cette hideuse glorification perpétuelle de l'argent et de la consommation, du mode de vie américain, de "l'Amérique Monde".
Vous aurez compris à qui profite le crime. Les Américains sont nos alliés, pas nos maîtres.