Pulp libéralisme

Je fais parti avec quelques autres d’une toute petite communauté : celle des libéraux français. Nous ne sommes pas d’accord sur tout – il y a, parmi nous, des anarcho-capitalistes, des minarchistes, des objectivistes randiens, des libéraux-conservateurs, des libéraux de gauche et, me semble t’il, une majorité relative de libéraux classiques – mais s’il y a un point qui nous rassemble, outre notre attachement aux libertés individuelles et notre méfiance vis-à-vis de la chose publique – c’est le sentiment profondément ancré en nous que la plupart de nos compatriotes n’ont pas la moindre idées de ce qu’est le libéralisme.

Soyons clairs : vous avez tout à fait le droit de penser que Nicolas Sarkozy et François Hollande sont des ultralibéraux, que l’Union Européenne, le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale sont des organisations d’inspiration libérales ou que des entreprises comme Goldman Sachs, a.k.a. la pieuvre, le groupe Lagardère et la Société Générale font pression sur nos gouvernants pour qu’ils mettent en œuvre des politiques libérales. C’est votre droit mais, vu de notre fenêtre, ce n’est pas seulement faux : c’est grotesque.

Aucun de ces personnages publics et aucune de ses organisations ne se réclame du libéralisme et pour cause : tous et toutes n’ont de cesse que de réclamer ou de plaider en faveur d’une intervention accrue des pouvoir publics dans nos vies, à commencer par leurs dimensions économiques. Du point de vue d’un libéral, MM. Sarkozy et Hollande ne sont pas des libéraux, l’UE, le FMI et la Banque Mondiale ne sont pas des organisations libérales et la pieuvre, le groupe Lagardère et la Société Générale sont de parfaits exemples de capitalisme de connivence.

Et c’est pourtant bien l’idée que véhicule notre classe politique unanime, les journalistes subventionnés de la presse officielle et pratiquement tout ce que compte notre beau pays d’intellectuels. Selon l’opinion publiée [1], de Joffrin à Zemmour, de Todd à Michéa, de Demorand à Sapir, de Polony à Pulvar, les malheurs de notre pays seraient dus à la pensée unique – forcément libérale. On demande des noms ? Pas de problème : voilà Jacques Attali, Alain Minc et même BHL promus au grade infâmant de représentants du dogme libéral. Même si le verbe n’est pas vraiment approprié : on croit rêver !

Albert Camus, qui n’était pas lui non plus un grand libéral, disait très justement que « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. » Alors voilà : avant que nous puissions entamer une passionnante discussion sur le libéralisme, il peut être utile que nous nous mettions d’accord en donnant à ce mot son véritable sens. Pour ce faire, il me semble tout à fait honnête de vous suggérer de vous reporter à une description du libéralisme écrite par des libéraux plutôt que par leurs adversaires les plus farouches.

Mais, me direz-vous, l’été n’est pas une période propice à la lecture d’un traité de philosophie politique ; j’en suis bien d’accord mais il se trouve justement qu’il existe désormais une solution idéale pour s’informer sur ce qu’est vraiment le libéralisme sans pour autant passer pour un rat de bibliothèque perdu sur la plage. Ça s’appelle Pulp libéralisme (Tulys), c’est (très bien) écrit par Daniel Tourre, divisé en 36 courts chapitres qui déminent l’un après l’autre les clichés les plus courants sur le libéralisme et – cerise sur le gâteau – c’est drôle, divertissant et illustré de près de 230 vignettes de bandes dessinées américaines des années 1950 avec monstres improbables, demoiselles en détresse et autres génies du mal machiavéliques [2]. Vous n’avez plus aucune excuse.

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[1] « Il n’existe rien de tel qu’une opinion publique ; il n’existe qu’une opinion publiée » (Winston Churchill)
[2] À celles et ceux qui n’ont pas l’intention de bouquiner sur la plage et qui cherchent une œuvre plus académique, je recommande chaudement l’excellent Dictionnaire du libéralisme de Mathieu Laine (Larousse).

7 commentaires:

  1. Concept intéressant, je pense que je me laisserai tenter...

    Par contre j'avais lu quelque part qu'il était assez contradictoire de s'attendre à ce que le citoyen moyen s'informe sur sur les différents aspects de la vie politique et économique (concepts, histoire, enjeux etc)car cela serait un choix irrationnel. En effet le coût d'acquisition de cette information lecture, recherches ...) est souvent bien plus important que le bénéfice qui en découle (Même si il est très informé, la voix du citoyen a un impact relatif très faibles lors des élections par exemple)


    Donc si on décide que les choix électoraux d'un seul citoyen définira définiront la politique économique de son pays, celui-ci aura avantage à bien s'informer car ses décisions auront un impact certains sur son futur. En revanche, quand il est noyé dans la masse des votant, celui n'a pas avantage à s'informer et cela lui est même souvent trop coûteux.

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  2. @ Alexis

    C'est ce qui a été formalisé par l'école dite des choix publics. Et ça s'appelle "l'ignorance rationnelle".

    Sinon, j'ai reçu le livre avant-hier, et la qualité est au rendez-vous!
    Quant au contenu, je n'en suis qu'au début, mais ça ne peut être qu'excellent connaissant la plume de Daniel Tourre. Et une (bonne) partie des textes ayant servis de base à l'écriture de ce livre sont disponibles sur l'excellent "libéralisme pour les débutants": http://www.dantou.fr

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  3. Robert Marchenoir29/06/2012 01:28

    C'est excessivement cher.

    37 € est le prix d'un livre d'art, pas le prix d'un essai de vulgarisation politique, ni celui d'une BD.

    Sans compter que Daniel Tourre est très bon, il a beaucoup de talent pour expliquer le libéralisme de façon convaincante et drôle, mais il ne s'agit pas ici d'un travail de recherche original qui aurait demandé plusieurs années d'études.

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    1. Salut Robert,

      Le problème de Jorge c'est une stupéfiante aptitude à lire les mauvais livres. Alors que Julian Freund, par exemple... Il reste que Jorge est divertissant, ce qui est l'essence de la civilisation libérale, dès lors que l'on met de côté sa capacité définitive à tuer la beauté, la décence, la vérité et l'âme.

      Célébrer la marchandise et la marchandisation a un prix...

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    2. Qui est ce "Jorge" ? C'est George Kaplan ? Qui est ce "Julian Freund" ? Julien Freund ? Que signifie "la civilisation libérale" ? Dans quelles contrées sévit cet Empire des Ténèbres ? Il semble pourvu d'une capacité de nuire proprement diabolique, puisqu'Il va jusqu'à "tuer [...] l'âme". Dans quelles régions du monde la "beauté", la "décence", la "vérité" se déversent-elles d'une corne d'abondance sans fond ? Je veux y courir toutes affaires cessantes. Que signifie "célébrer la marchandise" ? Convient-il mieux de célébrer la pénurie ? La pénurie des sociétés traditionnelles, la pénurie des pays socialistes (vous avez visité des magasins moscovites même en 1989 ?).

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    3. D'accord, ça coûte entre deux et trois fois le prix d'un Blake & Mortimer (je prends cet exemple, parce que c'est une BD à texte assez fourni). D'un autre côté, d'après les exemples de pages données sur le site de l'éditeur, ce n'est pas une BD, mais un texte copieux, avec illustrations para-BD pour titiller, et l'éditeur n'a pas pignon sur rue. J'ai tout de même envie de l'acheter pour ma progéniture, qui renâclerait peut-être à lire des livres bons, simples, mais moins alléchants. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre.

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  4. @ Curmudgeon

    Oui, je te confirme que ce n'est vraiment pas une BD. Certes il y a des illustrations à chaque page, mais elles ne sont là que pour accompagner le texte, très fourni, et rajouter un peu d'humour.

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