Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !!
On raconte que vers 1680 Jean-Baptiste Colbert rencontra un groupe de commerçants lyonnais et leur demanda ce que l’Etat pouvait faire pour les aider à faire prospérer leurs affaires. Selon la légende, le représentant des hommes d’affaires, un certain Monsieur Le Gendre, fît une réponse toute simple au ministre : « Laissez-nous faire ».
Trois siècles plus tard, Barack Obama, président de la première puissance mondiale, se demande à son tour ce que l’Etat peut faire pour stimuler l’économie. En février 2009, il signait le « American Recovery and Reinvestment Act », un plan de relance de 787 milliards de dollars destiné à stimuler l’économie américaine. Mais cela n’a pas fonctionné. La Federal Reserve a fait baisser les taux d’intérêt à zéro et enchainé deux plans de « Quantitative Easing ». Mais cela n’a pas fonctionné. Alors Monsieur Obama envisage un nouveau plan de relance de 447 milliards de dollars et sa banque centrale prépare un troisième plan de « Quantitative Easing » [1] et vient de mettre en œuvre une opération de « twist » [2] pour 400 milliards de dollars.
Mais cela ne fonctionnera pas.
Depuis que l’homme est homme, il doit lutter pour sa survie. Même dans les premières communautés de chasseurs-cueilleurs, il fallait chasser et cueillir, il fallait dépecer, plumer, écosser, cuire et entretenir le feu pour vivre une journée de plus. Voilà une réalité pratique et simple, un absolu, une règle intangible qui s’est toujours imposée à notre espèce : notre survie et notre bien-être matériel dépendent de notre capacité à produire. On m’objectera que ce sont là des considérations bassement matérialistes et que le spirituel, la métaphysique ou le rapport au divin sont des occupations autrement plus enrichissantes. C’est possible, mais sans production nous sommes morts. C’est aussi simple et brutal que ça.
L’économie, du grec ancien « administration du foyer », est depuis l’origine une affaire privée. L’économie, c’est l’ensemble des moyens mis en œuvre par les hommes, les individus, leurs familles, les entreprises et les associations qu’ils forment entre eux pour assurer les conditions de leurs existences dans un monde où règne la rareté. L’économie n’a pas été décrétée par un gouvernement ni insufflée par une quelconque puissance supérieure ; elle n’existe que parce que les hommes veulent vivre et cherchent inlassablement à vivre mieux demain qu’hier. L’humain est à la fois son moyen et sa seule fin ; toute organisation qui nie la nature des hommes et leur volonté est vouée à l’échec.
Au cours des siècles, les hommes ont appris à améliorer leurs méthodes de travail. Ils se sont spécialisé, ont perfectionné leurs organisation et ont réalisé de stupéfiants progrès technologiques. Produire le plus possible et le mieux possible en utilisant le moins possible de ressources et de travail. C’est le rôle de l’esprit humain et c’est la cause de ce que nous appelons la croissance, ce processus qui permet, dans un monde fini, de créer autant de richesses que nos esprits peuvent en concevoir. En procédant par essais et erreurs ; mus par leurs propres intérêts et leur propres rêves, les hommes continuent, encore aujourd’hui, de faire tomber une à une les limites de ce monde.
Nous n’avons eut besoin ni de gouvernement, ni de lois pour produire tout ceci. Nous n’en avons pas eut besoin parce que nous étions déjà soumis aux plus impitoyables des gouvernements, la nature, et aux plus sévères de ses lois, la rareté, la nécessité et la causalité. L’économie a toujours existé indépendamment de la volonté des hommes d’Etat et souvent malgré elle. La seule légitimité d’un gouvernement dans cette affaire par essence privée est d’assurer le respect du droit ; c'est-à-dire de protéger nos libertés, de garantir nos propriétés et de proscrire l’usage de la violence. Le reste n’est que négation de l’économie et donc de l’humain.
Si Monsieur Obama était allé voir les hommes et les femmes qui font l’économie, il aurait compris la véritable source du mal qui frappe son pays. Il aurait appris que tous, du dirigeant de multinationale au boulanger, savent que ses plans de relance auront une fin comme ils ont eut un début. Il aurait appris que tous savent que ces plans ont été financés par de la dette publique et que cette dette publique devra, tôt ou tard, être remboursée avec leurs impôts. Il aurait appris qu’investir et embaucher sont des actes de confiance dans le futur. Il aurait appris que la Fed aura beau injecter des milliards de dollars dans l’économie et manipuler les taux d’intérêt, les entreprises n’investiront pas et les banques ne prêteront pas tant que cette confiance ne sera pas revenue. Il aurait appris, enfin, que la promesse de hausses d’impôts futurs et d’un cadre règlementaire incertain tuent cette confiance.
Si Monsieur Obama était allé voir les hommes et les femmes qui font l’économie, il saurait que l’économie n’est pas faite de grand agrégats abstraits mais d’êtres humains qui pensent, raisonnent et agissent. Il saurait que chacun de ses grands plans est voué à l’échec et ne fait que prolonger la récession de la même manière et pour les mêmes raisons que le New Deal de Franklin D. Roosevelt a échoué et prolongé la Grande Dépression des années 1930. Il saurait, enfin, que la réponse de l’économie n’a pas changée depuis Colbert et, à vrai dire, depuis la nuit des temps.
« Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !! »[3]
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[1] Certains estiment même qu’il a déjà commencé en catimini.
[2] Politique d’aplatissements de la courbe des taux qui consiste à revendre des obligations d’Etat à court terme pour racheter des obligations d’Etat à long terme.
[3] René de Voyer, Marquis d'Argenson dans ses « Mémoires » (citation complète : « Laissez faire, telle devrait être la devise de toute puissance publique, depuis que le monde est civilisé... Détestable principe que celui de ne vouloir grandir que par l'abaissement de nos voisins ! Il n'y a que la méchanceté et la malignité du cœur de satisfaites dans ce principe, et l’intérêt y est opposé. Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !! »)
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"les entreprises n’investiront pas et les banques ne prêteront pas tant que cette confiance ne sera pas revenue."
RépondreSupprimerEt si en plus, je sais que les taux d'intérêt vont rester longtemps bas, pourquoi me presser à investir ?
Le "Wait and See" est alors encore le plus approprié.
"l’économie n’est pas faite de grand agrégats abstraits mais d’êtres humains qui pensent, raisonnent et agissent"
RépondreSupprimerLe coeur de l'école autrichienne, qui considère une économie (et une société) organique(s) et non un assemblage de grandes variables à la sauce INSEE.
Josick d'esprit agricole,
RépondreSupprimerOui, tout à fait. C'est pour ça que certains, Valentin Petkantchin notamment, estiment que QE3 a déjà commencé.
Hohenfels,
Et pour cause :
"Seuls les individus pensent, seuls les individus raisonnent, seuls les individus agissent"
-- Mises
Bonjour GK,
RépondreSupprimerJ’avais de mon coté entendu une histoire très similaire :
De passage à Saint Malo, Louis XIV réunit les armateurs malouins concurrençant anglais et hollandais dans l’Indien, et leur demande ce qu’il pourrait faire pour les aider.
Réponse des bourgeois : « Surtout Sire, ne faites rien »
Pythéas
Pythéas,
RépondreSupprimerJe ne la connaissais pas celle là. A vrai dire je crois que l’anecdote du Sieur Legendre n'est absolument pas attestée.
Les individus ne font pas que penser, ils ressentent aussi. Dans ce ressenti rentre une part importante que l'économiste en générale minimise : l'irrationalité.
RépondreSupprimerToute entité constituée et mue par l'homme est donc nécessairement irrationnelle. Ceci est valable autant pour les gouvernements que pour les marchés.
Dès lors, il n'est pas si choquant au final que des investissements soient réalisés pour complaire à l'irrationnel de notre nature humaine. Cela a même sur le court terme un effet placébo assez salvateur. L'amérique de Roosevelt aurait-elle pu continuer sur le chemin de la démocratie sans le New Deal et ses effets induits pervers ? Rien n'est moins sur. Visiblement les électeurs ne voulaient plus du laissez faire absolu soutenu par l'administration précédente de Hoover. Quel aurait donc été le coût d'un mécontentement citoyen profond si Roosevelt n'avait pas mis en oeuvre le New Deal comme élu pour ?
Le danger est de confondre ce qui né de l’irrationnel avec ce qui est issu du rationnel. Là est la porte permettant à toute idéologie totalisante de s'introduire dans les esprits les plus raffinés.