Ci-dessous, un premier article de mon camarade Yul qui, je l'espère, interviendra régulièrement sur ordre spontané.
GK
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Alors il faut que je raconte comment se passe le business des subventions dans la viticulture. Je précise qu’il ne s’agit nullement d’une enquête. C’est le condensé d’anecdotes, et surtout le souvenir de conversations ou de coups de gueule. Fondamentalement c’est inexact, sans doute exagéré. Je vous prie donc de ne pas le prendre pour argent comptant, mais plutôt comme la restitution d’une ambiance ; une ambiance dépressive qui se propage, je le crois, parmi tous les agents économiques.
Tous les ans, voire plusieurs fois dans l'année, il y a une nouvelle norme écologique ou phytosanitaire plus sévère que la précédente. Européenne ou française, peu importe, l'un et l'autre sont mêlés dans l'opacité.La roue de transmission ce sont les organisations professionnelles, AOC et syndicat. Les Vignerons Indépendants, très efficace en matière d’information. Les viticulteurs eux-même s'imposent parfois par anticipation des contraintes encore plus drastiques. Par exemple la traçabilité: comme elle permet de savoir quels produits ont été employés et quelles cuves ont été traitées de telle manière, les viticulteurs pratiquaient la traçabilité pour améliorer la qualité. Sauf que la traçabilité "officielle" c'est un temps incroyable à tenir des registres vérifiables, jusqu'à un temps équivalent passé à la production. Nul être humain soucieux de faire quelque chose d’utile de son existence n’aime ça. Il y aussi la lutte raisonnée. Avant on ciblait énormément les traitements, pour la très simple et très bonne raison qu'ils coûtent cher. De fait, les taxes sont dites écologiques, elles s’empilent, et effectivement, elles ont un effet très dissuasif déjà que les traitements n’ont rien de gratuit. Un poste lourd. Il faut traiter : depuis que le mildew a anéanti les plants de vigne européens il y a un siècle, on ne dispose plus que d’hybrides certes relativement résistants au champignon nord-américain, mais très fragiles. Sinon il y a le cuivre qui ne coûte pas cher en dépit du cours du métal, il est massivement employé dans le bio parce que c’est le seul traitement autorisé par le label, et il transforme pour des siècles la terre en désert où même la vigne pousse mal, c'est de la bouillie bordelaise en plus concentré. J’insiste sur la dimension séculaire du cuivrage : pour récupérer une parcelle cuivrée il n’y a guère comme solution que prendre un bulldozer et racler. Ca n’empêche pas les viticulteurs bio de perdre quand même environ les deux tiers de leur raisin les bonnes années, ils achètent alors leur récolte aux viticulteurs plus honnêtes, et le bio se résume à une vinification sans emploi du souffre (une autre hantise des écolos, le souffre, alors que les volcans en crachent !), qui donne invariablement un vin dégueulasse qui ne peut se boire sans un bourrage de crâne préalable. Les viticulteurs, sauf dans le bio, ne sont pas des irresponsables, ils ne veulent pas pourrir leurs domaines ou finir avec un cancer à 50 ans. On cible toujours énormément, sauf qu'on tient des registres en plus.
Le pendant de toute réglementation plus sévère, c'est la subvention, parce que toute réglementation va impliquer un investissement, parfois même des travaux importants et de l'achat de matériel superflu à la production ou même à la protection de la santé de l'exploitant lorsque le prétexte est invoqué. Le bon viticulteur renifle donc la subvention tandis que le mauvais viticulteur se prend la réglementation dans les dents, ne comprends pas la comédie que je vais décrire, et finit par baisser les bras et tenter de vendre ses terres sauf que personne n'en veut sauf parcelle exceptionnelle (l’exposition et le type de sol jouent un rôle important), parce que personne n'a les moyens de s'étendre même à vil prix, car le véritable coût n'est pas dans la terre mais dans les impôts, les taxes et les charges sociales. Plus de terre égale plus de salariés donc de charges, plus de produits surtaxés et plus d’impôts. La question de l’embauche est critique : non seulement elle coûte cher, mais il est difficile de trouver des ouvriers valables. Il s’en présente peu souvent, et la plupart de ceux qui se présentent ont des capacités intellectuelles insuffisantes même pour les gestes de base, ainsi qu’absolument aucune éthique du travail ni désir de travailler. Un bon ouvrier est cajolé et fait partie de la famille à tous égards. La chambre de commerce gère les saisonniers via une structure. Sur la vente des terres se greffe la fameuse SAFALTE. Il s’agit de l’ex-SAFER, devenue privée, quoique toujours hébergée par les chambres de commerce et touchant une subvention. La SAFER fut créée afin de mettre en place le remembrement et de faciliter l’implantation des jeunes agriculteurs. Son instrument était un droit de préemption. Ce droit, la SAFALTE l’a en majeure partie perdu. Parfois elle arbitre un conflit entre viticulteurs voisins ou met en place une société autour d’un projet d’aménagement touchant plusieurs exploitations, comme un lac. Cet organisme est essentiellement un moyen pour l’Etat d’intervenir sur les cours, et pour parler crûment, de spéculer sur la terre. La SAFALTE va acheter une terre à un agriculteur qui jette l’éponge plus cher que le cours du marché afin d’éviter un effondrement du cours et au prétexte de constituer un pécule au vendeur, vu qu’il n’aura pas une retraite de fonctionnaire, loin de là. Puis elle va la revendre au plus offrant, généralement un gros viticulteur qui a bien manœuvré. C’est un infâme parasite, mais qui n’a pas une mauvaise image.
Le viticulteur malin sait qu'il y a de la subvention à prendre via ses contacts dans la profession ou à la chambre d'agriculture. Il monte alors un paravent. L'idée c'est de dépenser moins que ce que ne rapporte la subvention. Donc il y a une perte de temps en travaux inutiles, mais c'est un investissement. On bricole un vague compartiment pour tel produit, on fabrique un canal d'évacuation de machin, on installe ou on creuse un truc à un endroit, juste ce qu'il faut pour que ça ait l'air plausible, et on ramasse le blé au lieu du raisin. Les inspecteurs sont de mèche: ce ne sont pas des salopards et ils savent très bien que s'ils sont rigoureux c'est la profession qui coule tellement les réglementations et normes pleuvent et sont toutes d'une débilité consternante allant crescendo. Alors ils font mine d'inspecter si le paravent est convaincant. Les inspecteurs sont au demeurant faciles à berner s’ils ne jouent pas le jeu : la plupart ont été formés à l’arrache, n’ont été que vaguement tenus au courant ou juste s’en foutent. Ainsi les exploitations se transforment en village Potemkine. Par le biais de bonne relations, notamment avec le préfet, il est même possible d’obtenir des exonérations d’impôts les mauvaises années. Le préfet n’est pas mal intentionné, au contraire, et il écoute la profession. Seulement les petits viticulteurs qui ne sont pas intégrés dans la profession (structurée par l’AOC et les syndicats) n’en profitent pas, ils ne sont pas au courant ou ne comprennent pas. Comme toujours, et ce que ne réalise pas le grand public pétri d’étatisme, c’est qu’une subvention ou une exonération ne tombe pas du ciel pour répandre ses bienfaits telle la manne céleste lors de la traversée du Sinaï, il faut aller la chercher avec les dents.
Il y a cependant le danger des réglementations avec lesquelles on ne peut pas louvoyer, et dont le coût s'avère toujours supérieur à la subvention. C'est le cas parfois des normes écologiques. Un exemple: bientôt le carburant agricole dans la viticulture sera un biocarburant au lieu du gasoil coloré. Ce biocarburant va nécessiter des nouvelles cuves spéciales très chères parce qu'il est du genre délicat, mais son principal défaut est qu'il ne se conserve pas, je crois que c'est trois ou six mois max. Ce qui fait qu'il n'est plus possible d'acheter le carburant au moment opportun dans l'année, donc le viticulteur devient vraiment dépendant de la fluctuation des cours, et c'est le vrai coût que ne prend pas en compte, évidemment, la subvention puisque le fonctionnaire pétri de bonnes intentions écologiques (mon cul), à Bruxelles ou Paris, ne l'a même pas supputé de loin. Et comment le pourrait-il ? Nul n’envisage évidemment une entente entre l’Etat, plus précisément tel ou tel politique et haut fonctionnaire, avec le ou les fournisseurs de ce carburant si particulier. Le plus triste, le plus dingue et désespérant, c’est qu’alors même que le viticulteur pratique le détournement de subvention pour survivre, souvent il va défendre avec sincérité le principe de la nouvelle norme. Il a vraiment admis son bien-fondé, ça fait dorénavant partie de sa culture. Cela dit, de nombreux viticulteurs commencent à profondément détester les écologistes et à mépriser leurs collègues du bio. Depuis la transmission à Marine, le vote FN ne leur fait plus peur.
Beaucoup de viticulteurs finissent cependant par arrêter ce cirque, ne serait-ce que par lassitude, marre de remplir des papiers, marre de voir son activité changer tous les six mois sur de simples caprices. Et puis l'effondrement du marché français du vin en 2003 a fait le tri entre ceux prêts à conquérir les marchés à l'exportation, et ceux, souvent proches de la retraite et ne souhaitant même pas trouver de successeurs, qui ne veulent plus faire d'efforts. Et même encore, parmi ceux qui ont encore du nerf, on ne cherche pas à se développer trop pour éviter le matraquage, et puis les investissements imposés par la folie réglementaire ont tendance à prendre la place des investissement de production réels, ce qui fait que quelque chose d'aussi essentiel que le groupe d'embouteillage peut se retrouver ancien et abominablement capricieux, occasionnant retards et frustration, tandis qu'il y aura une cuve toute neuve pour un carburant cher dont personne ne veut. Ainsi, l'appellation Cahors a diminué de moitié depuis les années 2000 et les arrachages ne cessent pas. A ce stade, il est utile de préciser que les viticulteurs survivants du Cahors ne produisent pas assez par rapport à la demande du marché international. Chaque année, toute la production est vendue, il ne reste pas de vieux millésimes sur place. Grâce à l’action de l’Etat, des entrepreneurs intelligents qui travaillent dur et qui devraient jouir d’une progression forte et constante de leur niveau de vie, se retrouvent écrasés de dettes –rien que le renouvellement des barriques chaque année nécessite un emprunt-, empêchés de toute part et démotivés. Mais ils reçoivent des bonbons alors ils jouent le jeu de la connivence dans cet univers absurde.
Yul Witkin
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