Nous vivons une époque troublée. Aussi loin que notre regard puisse nous porter, les crises ont de tout temps suscité chez les hommes le besoin d’être protégés et de chercher cette protection auprès de celui qui en est le pourvoyeur naturel, l’Etat. La mondialisation, les étrangers, les marchés et autres changements climatiques sont autant de sujets d’incompréhension et d’angoisse savamment entretenus des politiciens trop heureux d’alimenter le pessimisme ambiant pour mieux en récolter les fruits électoraux. La question qu’élude complètement cette surenchère sécuritaire, qui quoiqu’on en dise n’est pas plus virulente à droite qu’à gauche, tient en deux mots : nos libertés.
Etre libre ne consiste pas, comme le répètent à l’envie ceux qui ont la mémoire trop courte ou la main trop lourde, à « n'être soumis qu'aux lois ». Ce n’est pas parce qu’une loi a été votée, y compris par un gouvernement démocratiquement élu, qu’elle n’est pas liberticide, arbitraire ou qu’elle n’opprime pas une grande partie de ceux qu’on oblige à s’y plier. « L’individu, écrivait Turgot [1], a aussi ses droits, que la nation ne peut lui ôter que par la violence et par un usage illégitime de la force générale ».
« La liberté, nous dit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article IV). Cette définition n’a pas été donnée dans l’urgence de la pression médiatique ni pour complaire à telle ou telle fraction d’un électorat versatile ; elle est le fruit des Lumières, de la réflexion des philosophes et des encyclopédistes qui avaient eux-mêmes eut à subir le joug d’un Etat total. Les hommes libres ont des droits inaliénables ; des droits qu’aucune décision arbitraire, aucun gouvernement ni aucune loi ne devrait jamais pouvoir remettre en cause. L’attachement qui est le notre à la démocratie, qui reste – pour suivre Winston Churchill – « le pire système de gouvernement à l’exclusion de tous ceux qui ont été essayés », ne doit jamais nous faire oublier que le vote majoritaire c’est aussi deux loups et un agneau qui votent pour décider du menu du dîner. La démocratie n’est pas et ne sera jamais l’unique condition de nos libertés et peut, corrompue par la peur, la haine et la soif de pouvoir, donner naissance aux régimes les plus atroces. Faut-il que l’histoire ne nous ait rien appris pour que nous soyons obligés de rappeler qu’un des pires régimes que l’humanité n’ait jamais connu est sorti des urnes et que rien de ce qu’il entreprit – jusqu’aux camps de la mort – n’était illégal ? Ceux qui voient dans la seule démocratie l’alpha et l’oméga de la liberté commettent une erreur fatale ; un Etat démocratique est une condition nécessaire mais en aucune manière une garantie suffisante.
Même en démocratie, voir dans le détenteur du monopole de la coercition la source de nos libertés est au mieux un contresens. La nature de l’Etat, son principe même, réside dans la protection qu’il nous accorde en échange d’une restriction de nos libertés individuelles. Il nous protège mais n’est pas le garant de nos libertés – il en est même l’ennemi le plus menaçant. Les philosophes des Lumières et ceux qui ont perpétué leur tradition l’avait compris. Le texte même de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 nous rappelle que, selon les termes de Friedrich Hayek, « ce n’est pas la source mais la limitation du pouvoir qui l’empêche d’être arbitraire ».
Si nous voulons vivre dans une société libre, nous devons admettre que la désirabilité d’une chose ne justifie pas l’usage de la coercition. Un homme libre doit être capable d’admettre que ses concitoyens ne vivent ni ne pensent pas nécessairement comme il souhaiterait qu’ils le fassent. Lorsqu’un peuple prend et perpétue cette détestable habitude d’en appeler au législateur et à la police à chaque fois que quelque chose lui déplait ou lui semble « injuste » [2], il sème les graines de son propre esclavage. C’est oublier qu’un Etat qui peut tout nous donner peut tout aussi bien tout nous prendre. C’est là le vice profond des idées socialistes – de gauche comme de droite – qui confondent le gouvernement et la société : refuser au gouvernement le droit de faire quelque chose ne signifie pas qu’on ne souhaite pas que cette chose soit faite ; cela signifie qu’on préfère la confier à la société civile plutôt qu’à l’appareil coercitif. C’est de ce corps d’idées, qui fait de l’Etat la source même de toute société que sont nées toutes les idéologies totalitaires.
Ceux d’entre nous qui aspirent encore à demeurer des hommes libres devraient toujours garder à l’esprit que derrière le protecteur pourrait bien se cacher le maître. Benjamin Franklin disait qu’« une société qui abandonne un peu de liberté pour gagner un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et perdra les deux ». L’histoire lui a-t-elle donné suffisamment raison ou devons nous encore sentir le poids des chaines pour mieux nous en convaincre ?
Etre libre ne consiste pas, comme le répètent à l’envie ceux qui ont la mémoire trop courte ou la main trop lourde, à « n'être soumis qu'aux lois ». Ce n’est pas parce qu’une loi a été votée, y compris par un gouvernement démocratiquement élu, qu’elle n’est pas liberticide, arbitraire ou qu’elle n’opprime pas une grande partie de ceux qu’on oblige à s’y plier. « L’individu, écrivait Turgot [1], a aussi ses droits, que la nation ne peut lui ôter que par la violence et par un usage illégitime de la force générale ».
« La liberté, nous dit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article IV). Cette définition n’a pas été donnée dans l’urgence de la pression médiatique ni pour complaire à telle ou telle fraction d’un électorat versatile ; elle est le fruit des Lumières, de la réflexion des philosophes et des encyclopédistes qui avaient eux-mêmes eut à subir le joug d’un Etat total. Les hommes libres ont des droits inaliénables ; des droits qu’aucune décision arbitraire, aucun gouvernement ni aucune loi ne devrait jamais pouvoir remettre en cause. L’attachement qui est le notre à la démocratie, qui reste – pour suivre Winston Churchill – « le pire système de gouvernement à l’exclusion de tous ceux qui ont été essayés », ne doit jamais nous faire oublier que le vote majoritaire c’est aussi deux loups et un agneau qui votent pour décider du menu du dîner. La démocratie n’est pas et ne sera jamais l’unique condition de nos libertés et peut, corrompue par la peur, la haine et la soif de pouvoir, donner naissance aux régimes les plus atroces. Faut-il que l’histoire ne nous ait rien appris pour que nous soyons obligés de rappeler qu’un des pires régimes que l’humanité n’ait jamais connu est sorti des urnes et que rien de ce qu’il entreprit – jusqu’aux camps de la mort – n’était illégal ? Ceux qui voient dans la seule démocratie l’alpha et l’oméga de la liberté commettent une erreur fatale ; un Etat démocratique est une condition nécessaire mais en aucune manière une garantie suffisante.
Même en démocratie, voir dans le détenteur du monopole de la coercition la source de nos libertés est au mieux un contresens. La nature de l’Etat, son principe même, réside dans la protection qu’il nous accorde en échange d’une restriction de nos libertés individuelles. Il nous protège mais n’est pas le garant de nos libertés – il en est même l’ennemi le plus menaçant. Les philosophes des Lumières et ceux qui ont perpétué leur tradition l’avait compris. Le texte même de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 nous rappelle que, selon les termes de Friedrich Hayek, « ce n’est pas la source mais la limitation du pouvoir qui l’empêche d’être arbitraire ».
Si nous voulons vivre dans une société libre, nous devons admettre que la désirabilité d’une chose ne justifie pas l’usage de la coercition. Un homme libre doit être capable d’admettre que ses concitoyens ne vivent ni ne pensent pas nécessairement comme il souhaiterait qu’ils le fassent. Lorsqu’un peuple prend et perpétue cette détestable habitude d’en appeler au législateur et à la police à chaque fois que quelque chose lui déplait ou lui semble « injuste » [2], il sème les graines de son propre esclavage. C’est oublier qu’un Etat qui peut tout nous donner peut tout aussi bien tout nous prendre. C’est là le vice profond des idées socialistes – de gauche comme de droite – qui confondent le gouvernement et la société : refuser au gouvernement le droit de faire quelque chose ne signifie pas qu’on ne souhaite pas que cette chose soit faite ; cela signifie qu’on préfère la confier à la société civile plutôt qu’à l’appareil coercitif. C’est de ce corps d’idées, qui fait de l’Etat la source même de toute société que sont nées toutes les idéologies totalitaires.
Ceux d’entre nous qui aspirent encore à demeurer des hommes libres devraient toujours garder à l’esprit que derrière le protecteur pourrait bien se cacher le maître. Benjamin Franklin disait qu’« une société qui abandonne un peu de liberté pour gagner un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et perdra les deux ». L’histoire lui a-t-elle donné suffisamment raison ou devons nous encore sentir le poids des chaines pour mieux nous en convaincre ?
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[1] Dans une lettre au docteur Price datée du 22 mars 1778.
[2] Existe-t-il seulement une notion plus vague et moins universellement partagée que cette notion de « justice » ?
[2] Existe-t-il seulement une notion plus vague et moins universellement partagée que cette notion de « justice » ?
"Un homme libre doit être capable d’admettre que ses concitoyens ne vivent ni ne pensent pas nécessairement comme il souhaiterait qu’ils le fassent."
RépondreSupprimerVous serez donc un homme libre si vous êtes capable d'admettre que beaucoup de vos concitoyens veulent vivre dans un monde vaguement social-démocrate ?
Benjamin Franklin a dit très exactement :
RépondreSupprimer"They who can give up essential liberty to obtain a little temporary safety, deserve neither liberty nor safety." Les autres formulations semblent bien des paraphrases apocryphes.
Il s'agit d'une citation évoquée dans le cadre des discussions avec le trône d'Angleterre. Il n'y est pas question de société, ni de droits sociaux, mais de resistance d'un Etat par rapport à un autre Etat.
Je me souviens aussi de ce qu'il a dit sur les devoirs envers les infortunés :
"But a distinction ought to be made between the man whose own idleness or extravagance had reduced him to poverty and him who had sunk under misfortune. The first ought to suffer the penalty cf his couduct the poverty of the other ought to be mitigated by the kindness of his neighbours."
N'est ce pas ? "by the kindness of his neighbours."... C'est ce qu'on appelle de la solidarité et ça n'a rien a voir avec un système cohercitif de redistribution ("by the kindness of the government").
RépondreSupprimer"Vous serez donc un homme libre si vous êtes capable d'admettre que beaucoup de vos concitoyens veulent vivre dans un monde vaguement social-démocrate ?"
RépondreSupprimerCertainement et c'est leur droit le plus strict mais vous, accepterez vous que je refuse d'adhérer à votre système socialiste ? Qu'est ce qui vous empèche de créer un système mutualiste auquel ceux qui souhaitent participer peuvent le faire librement et de laisser tranquilles ceux qui préfèrent n'en rien faire ?
"by the kindness of his neighbours." Voire... Cela peut aussi signifier "de ses prochains" et non "de ses voisins". Dans tous les cas, vu dans l'optique desdits infortunés, c'est l'ébauche d'un droit à être assisté...
RépondreSupprimer"Certainement et c'est leur droit le plus strict mais vous, accepterez vous que je refuse d'adhérer à votre système socialiste ?"
RépondreSupprimerCe n'est pas "mon système", et l'appeler socialiste est euh... votre choix.
Je pense que cette (grande) majorité sociale démocratisante acceptera bien volontiers que vous soyez en désaccord avec les lois instituant le système que vous contestez... tout en exigeant de vous, bien légitimement, que vous la respectiez à la lettre tant qu'elle n'a pas changer. Et que vous payiez jusqu'au dernier sou ce que la loi vous demande de payer.
En échange, ils auront le devoir de se battre jusqu'au bout pour que vous puissiez publiquement, demander et lutter pour l'abrogation desdites lois.
Il y a pire, non ?
En crise, l'individu perd ses repères et son anticipation du futur devient fortement pessimiste. Pour survivre, il est deux voies qui s'offrent à lui :
RépondreSupprimerLa première est de se fondre corps et âme dans des idéologies ou des religions qui prétendent lui offrir des perspectives d'améliorations immédiates dans ce bas monde (ou dans le cas de la religion dans l'au-delà). Il abandonne alors sa liberté de choix, sa capacité à penser le monde dans les mains de leaders dont le verbe haut et enflammé le fait rêver.
La deuxième voie consiste pour l'individu à remettre en question les dogmes qui encadrent sa vie à rechercher par tâtonnements et expérimentations successives avec le groupe de nouvelles solutions. Ceci est un processus au fil de l'eau dont ils ne perçoit pas toujours les bénéfices dans la mesure où leur apparition se fait graduellement et sont intégrés sans éclats dans sa vie quotidienne.
La démocratie est bel est bien l'alpha et l'oméga de la liberté car elle est la seule à permettant d'explorer la deuxième voie. Il n'en est pas d'autre. L'état doit être le garant de cette quête. Cent fois remettre l'ouvrage sur le métier pour le défaire et le refaire tel est ce que l'histoire nous enseigne comme étant le processus vertueux. Les vendeurs de solutions prêts à porter ne sont que de vils camelots obtus dont l'action se révèle de manière systématique destructrice. Si l'on avait montré au 33% d'allemands qui votèrent Hitler des images de Berlin et Dresde en 45 il y a fort à parier qu'ils eussent bien promptement glissé un autre bulletin dans l'urne.
Le problème est que cette démarche visant à responsabiliser les individus n'est pas vendeuse. Chacun se sent désarmé face à la marche incontrôlé car incontrôlable du monde et souhaite au fond sans relâche retourner dans le ventre de môman en position fœtale afin de ne pas avoir à souffrir des conséquences des choix qu'il effectue pour mener sa vie et qui nécessairement influe sur celle des autres.
L'état démocrate ne peut donc survivre si à un moment ou un autre il ne donne le sentiment de jouer à papa-maman avec le corps électoral qui censure son action.
Donc, paradoxe ultime, l'avènement d'un libéralisme débarrassé des scories de l'intervention étatique ne pourra advenir sans cette intervention. Il me parait assez illusoire de lutter contre à ce stade.
A2LBD,
RépondreSupprimerJe crains (et c'est le bon terme) que Mises ait eut raison sur ce point : l'interventionnisme mêne inéluctablement au socialisme et - in fine - à la dictature (voir Omnipotent Government, 1944). Mais j’aimerais que tu ais raison ;)
"l'interventionnisme mêne inéluctablement au socialisme et - in fine - à la dictature"
RépondreSupprimerCe n'est pas l'interventionnisme qui a mené les bolcheviks à la dictature : ils ont pris le pouvoir et ne l'ont plus laché.
A moins que vous appeliez "dictatures" les social-démocraties européennes, je ne connais aucun exemple historique, dans l'Europe d'après guerre, d'un glissement progressif de l'interventionnisme soft vers la dictature Hard.
C'est oublier que la démocratie sécrète des anticors qui la protègent. Ca s'appelle le débat, l'alternance, les élections. Le libéralisme politique, quoi.